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Marseille supplante Bordeaux

Graphique 7.8 : Cours des principales huiles en Grande- Grande-Bretagne, 1895-1915

III) Marseille supplante Bordeaux

Marseille au XVIIe siècle devient célèbre pour son « savon vert », vert en raison de la couleur que lui donne l’olive. Concurrencé sur le marché français, au début du XIXe siècle, « par les savons anglais à l’huile de palme et par les savons parisiens utilisant les sous-produits de l’huile d’arachide » (Gaston-Breton, 1998) Marseille reste fidèle à l’olive jusqu'à l’arrivée entre 1825 et 1835 des premiers arachides du Sénégal13. Les importations de graines oléagineuses vont être multipliées par 175 entre 1835 et 1870, grâce notamment au traité franco-anglais de 1860, à la franchise des graines oléagineuses d’origine étrangère entrant en France, votée en 1869, et à l’ouverture du canal de Suez. Lin, sésame, coton, arachide, palmiste, coprah sont débarqués à Marseille et contribuent au premier « boom » de la consommation française d’huile végétale, le second survenant dans les années 30 (graphique 7.10). Au milieu du XIXe siècle, Marseille triture exclusivement des graines d’importation, le traitement des olives se faisant dans l’arrière-pays. Les tarifs dits « prix fermes » institués par les grandes compagnies de chemin de fer à la fin des années 1870 vont permettre aux grands huiliers marseillais comme Verminck ou Rocca-Tassy-de Roux de diffuser leurs huiles « fines », mélange d’arachide et d’olive, sur tout le territoire national. Ces tarifs ne varient pas proportionnellement à la distance parcourue. « Valables pour l’ensemble de la France, ils faisaient particulièrement l’affaire des industriels marseillais, très éloignés des grands centres urbains du nord de la France » (Gaston-Breton, 1998). Ils vont jouer le même rôle dans la création d’un territoire national d’échange que les canaux anglais ou hollandais quelques décennies plus tôt.

des années 60 - mais pas en quantité suffisante pour que son prix fob US détermine son prix à Liverpool ou Rotterdam.

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En plus des numéros divers du Bulletin des Matières Grasses et des comptes rendus des Congrès d’Agriculture Coloniale, l’ouvrage de Gaston-Breton (1998) a été particulièrement mis à contribution

Les huiles « fines » vont représenter au tournant du siècle les deux tiers environ de la consommation française. En concurrence directe de Bordeaux, dont les négociants avant 1830 était déjà présents à Saint-Louis pour l’achat d’arachides, les grands huiliers marseillais vont tenter à partir de 1870 d’intégrer verticalement la filière et briser le monopole bordelais du négoce des graines. Verminck fonde avec succès en 1881 la Compagnie du Sénégal et de la Côte Occidentale d’Afrique, rebaptisée Compagnie Française d’Afrique Occidentale (CFAO) en 1887. L’arrivée de compagnies étrangères comme la Société Commerciale de l’Ouest Africain, avec une forte participation suisse, donnera le coup de grâce au négoce bordelais. Bordeaux est « squeezé ». Mais l’absence de ligne directe avec nombre régions d’Afrique, et notamment avec l’Afrique Equatoriale Française, la dépendance d’un fret étranger irrégulier (allemand et britannique) ensuite, et l’absence totale d’exportations, vont placer Marseille dans une position marginale en comparaison des grandes places que sont Liverpool, Rotterdam et Hambourg. Ses prix caf du coprah Straits, du palmiste Dahomey et de l’arachide en coque n’intéressent que les huiliers alentour. L’huilerie marseillaise triturera 72% des graines oléagineuses importées en France autour de 1920.

Graphique 7.10 : Croissance décennale de la consommation d'huiles par tête en France, 1803-1938

-30 -20 -10 0 10 20 30 40 50 60 1803-1812 1815-1824 1825-1834 1835-1844 1845-1854 1855-1864 1865-1874 1875-1884 1885-1894 1895-1904 1905-1914 1920-1924 1925-1934 1935-1938 Source statistique : Toutain (1971)

Conclusions

1. Caf Liverpool, caf Hambourg, caf Rotterdam et à la marge, caf Marseille. Le marché

des huiles avant la première guerre mondiale est un marché caf, un marché d’importateurs. Caractéristique importante qui s’estompera avec la disparition des pôles de demande (Hambourg et Liverpool) et le retrait des marchés au profit de l’échange protégé durant les années 30 (préférence pour l’Empire) ; puis qui resurgira en s’inversant, avec la multiplication des centres d’achat, dans les années 60 et le règne du soja américain fob Decatur et fob gulf, avec le soja fob Brésil et Argentine, enfin avec le palme fob port malais à partir des années 80. La disparition de Hambourg par les vertus du blocus maritime durant la première guerre mondiale va être le prélude de la disparition du marché caf caractéristique du XIXe siècle et du passage d’un marché tenu par la demande à un marché tenu par l’offre. Le surgissement de marchés fob après la parenthèse du protectionnisme et du second conflit mondial méritera d’être examiné avec soin : la vente fob et l’achat caf traduisent une possession d’informations sur le partenaire d’échange et des stratégies totalement différentes. On ne sait pas vers quel continent, vers quelle ville, vers quelle industrie se dirige un chargement fob.

2. On se souvient qu’en Allemagne, considérée comme représentative des consommations

du nord, sans huile d’olive, la consommation d’huiles et graisses par tête s’élevait en 1850 à 12.5 kg et était composée à 12% seulement d’huile végétale et qu’en France, la consommation alimentaire par tête au milieu du XIXe siècle était de 8 kg avec une proportion à peu près inchangée en 1909-13 de 28 % d’huile végétale14. En moins de dix ans, de 1906 à 1913 les importations d’huiles et graines discrètes ou absentes sur le marché doublent à Rotterdam, Liverpool, Hambourg, Marseille. La consommation par tête dans les pays industrialisés s’élève entre 16 et 22 kg, dont en moyenne 1/3 est d’origine végétale (tableau 7.3).

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On estime, à la suite de Markovitch (1966), que dans la seconde moitié du XIXème siècle, la consommation industrielle représentait la moitié de la consommation alimentaire, ce qui porte à environ

Tableau 7.3 : Consommation d’huiles et graisses par tête en 1909-13

Allemagne Angleterre Etats-Unis France

Consommation

par tête (kg) 19 22 17.4 16

% végétal 27 42 39 30

% animal 73 58 61 70

Source : IIA (1939) ; Bulletin des Matières Grasses ; Toutain (1971)

L’essor du secteur des huiles (margarines et compounds) en Angleterre et en Allemagne à partir de 1880 et aux USA dans la première décennie du XXe siècle place ces trois pays à la veille de la première guerre mondiale dans une position de transition marquée vers le végétal qu’emprunteront tous les pays de la planète tout le long du siècle. Symptomatiquement, de 30 % en 1899, la part des huiles végétales dans les margarines européennes passe à 45% en 1913 grâce aux industriels Wesson et Normann. Elle va s’accentuer rapidement après le conflit pour atteindre 94 % en 192815.

3. Enfin en guise de transition avec le prochain chapitre : un choc, la guerre, « Le Feu »

dira Barbusse, la guerre qui, en détournant le commerce des palmistes de Hambourg vers la Grande-Bretagne, le commerce du suif d’argentine vers les USA, le commerce de coprah de Marseille et Hambourg vers les USA, bouleverse les réseaux d’échange et révèle les faiblesses de nations autrefois autosuffisantes en graisses alimentaires comme la France (son premier déficit en graisse animale alimentaire date du conflit) et les Etats-Unis, confrontés à une réduction de leur approvisionnement en graisses animales et dont les besoins énormes de l’industrie des compounds, shortenings et autres margarines trouveront dans les huiles végétales comme la coco, l’arachide et le soja des substituts de qualité après l’importation en 1915 du procédé d’hydrogénation16. Le suif et le lard manquent ou sont hors d’atteinte : les modifications de la demande qui en découlent vont perdurer. On quitte un monde familier où beuglaient les bœufs, grognaient les cochons, pour entrer dans la profusion végétale.

15 Bulletin des Matières Grasses, div. n°.

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De surcroît, la couleur jaune que produit naturellement l’introduction d’huiles d’arachide et de soja dans les margarines rendra inopérante la taxe sur les corps gras artificiellement colorés (on colorait en jaune la margarine pour la faire ressembler au beurre) en vigueur depuis 1902.

CHAPITRE 8