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II.2.1 Courbure des marges et sphéricité de la Terre

En observant la forme des fosses et des arcs volcaniques associés, on remarque une grande diver-sité géométrique des marges actives, allant de la concavité vers l’océan (Pérou-Chili, Salomon-Nouvelle-Bretagne, le coin d’Hokkaïdo...), à la convexité vers l’océan (Mariannes, Sumatra, Pérou, subduction Hel-lénique...), en passant par des marges presque linéaires (Tonga, Izu-Bonin, Chili Central...) (fig.I.1).

RC a x x o o’

FIGURE II.6 – Modèle géométrique de l’indentation d’une sphère. La surface qui s’enfonce vers le centre de la sphère noté O, fait un angle α avec la surface de la

sphère et dessine un petit cercle en sur-face, de centre O’. Ce petit cercle peut aussi se définir par un angle au centre de la sphère, noté RC, rayon de courbure (mo-difié d’après Tovish et Schubert, 1978). On remarque toutefois que les marges convexes sont les plus

représentées sur le globe. L’origine de cette convexité peut être attribuée à la sphéricité de la Terre. En effet, grâce à une construc-tion géométrique simple, Frank [1968] montre que l’indentaconstruc-tion d’une sphère flexible mais inextensible crée une limite arquée à la surface de la sphère, qui peut être soulignée par l’arc d’un petit cercle, c’est-à-dire par l’arc volcanique dans la nature. La courbure de cette marge est définie par un rayon de courbure, RC, correspondant à la moitié de l’angle d’ouverture du cône formé au centre de la sphère (fig.II.6) et il propose alors que RC et le pendage du panneau plongeant,α sont étroitement corrélés selon la relation :RC = 1/2α. Cette relation ne semble cepen-dant pas validée par les données [Tovish and Schubert, 1978]. Son modèle prédit également que, pour un pendage de45

, un panneau plongeant est à l’état d’équilibre, c’est-à-dire qu’il pré-sente un plan de Bénioff sans courbure latérale et ne subit donc aucune contrainte interne horizontale [Frank, 1968].

Quelques précautions doivent toutefois être prises concer-nant l’identification de la convexité d’un arc et donc concerconcer-nant la détermination de RC. En effet, à moins que le rayon de cour-bure ne soit très petit, e.g. de l’ordre de15 à 20

, c’est-à-dire correspondant à des courbures très marquées de type Mariannes,

il est parfois difficile de trancher sur la valeur de ce rayon de courbure, qui peut devenir très subjective. Par exemple, l’arc continu des Kouriles-Kamchatka peut être défini soit par une seule et large courbure de RC ≈ 15

, soit par deux courbures imbriquées avec cette fois-ci des RC de l’ordre de60

et90

[Jarrard, 1986]. Une autre difficulté réside dans le fait que certaines zones de subduction ne possèdent pas d’arc volcanique actif et la valeur du rayon de courbure ne peut être déterminée qu’en se basant sur la géométrie des arcs anciens (Yap, Pérou...) [Tovish and Schubert, 1978].

L’intérêt de l’étude de la courbure des arcs est de pouvoir expliquer la géométrie actuelle des lithosphères subduites. Les modélisations analogiques entreprises par Yamaoka et al. [1986] montrent que la sphéricité de la Terre contrôle majoritairement la géométrie actuelle des plans de Bénioff (fig.II.7), comme le prédit le modèle de Frank [1968]. Le modèle de sphéricité permet en effet de reproduire à l’identique la plupart des zones de subduction, dont celle des Kuriles et de Java [Yamaoka et al., 1986] (fig.II.7).

II.2.2 Courbure des marges et stabilité du système convergent

D’après leur modélisation, Yamaoka et al. [1986] soulignent que dans certains cas, la continuité du panneau plongeant selon une direction parallèle à la fosse contrôle la géométrie finale de la plaque subduite (fig.II.7). L’introduction d’une déchirure au sein du panneau plongeant s’avère obligatoire pour reproduire fidèlement la géométrie du plan de Bénioff observée, par exemple au Sud des Mariannes, au Nord des Tonga et au Nord des Antilles (fig.II.7, coupes de 21 à 30). Au contraire, pour le cas de la subduction du Pérou, l’application d’une forte composante compressive horizontale et parallèle à la fosse est nécessaire pour produire une ondulation d’un panneau plongeant continu, telle qu’elle est imagée par la sismicité. Une déchirure de la plaque entraînerait la superposition des deux morceaux de lithosphère, ce qui semble incompatible avec les observations.

Creager et al. [1995] montrent que dans l’hypothèse d’un pendage constant de la plaque plongeante du Pérou au Chili (fig.II.8a), la géométrie courbe de la fosse induit une forte contrainte horizontale compres-sive homogène au sein de la plaque plongeante parallèle au plan de Bénioff (fig.II.8b et c). Cela génère alors une déformation intense de l’ensemble de la plaque plongeante. Cette déformation peut être spatia-lement limitée dans le cas d’une ondulation latérale du plan de Bénioff comme il est actuelspatia-lement observé sous le Pérou et le Chili Central (pendage quasiment horizontal de part et d’autre de la zone concave) (fig.II.8d, e et f).

Il faut souligner ici que la courbure de la marge andine est influencée par la géométrie du continent Sud américain et non uniquement par la sphéricité de la Terre. Ces études montrent donc que la courbure de la marge a un effet non négligeable sur le comportement de la plaque plongeante et par conséquent sur la déformation de la plaque supérieure.

a)

b)

FIGURE II.7 – Exemple de la modélisation du plan de Bénioff de la subduction

Kamchatka-Kouriles-Japon-Izu-Bonin-Mariannes [Yamaoka et al., 1986]. La forme du support a été initialement modelé d’après les coupes de sismologie. Les auteurs ont appliqué une feuille de plastique par dessus cette forme, qui n’a pu épouser parfaitement ses contours qu’après avoir été déchirée dans la zone "sud Mariannes". Les profils en pointillés sur les coupes sismologiques représentent le pendage acquis par la feuille avant déchirure, alors que le trait continu représente le pendage après déchirure.

FIGURE II.8 – Effets de la géométrie de la plaque plongeante sur sa déformation. (a) et (d) : géométrie du plan

de Bénioff ; (b) et (e) intensité des contraintes générées ; trait épais=compression ; (c) et (f) taux de déformation [Creager et al., 1995].

II.2.3 Courbure et contraintes géodynamiques locales

Hormi le modèle de sphéricité contrôlant majoritairement la géométrie des marges, des perturbations locales exogènes ou endogènes peuvent également influencer cette géométrie.

(1) Le long d’une fosse, les variations en âge et en épaisseur du plancher océanique traduisent parfois la présence d’un corps flottant (volcan sous-marin, plateau océanique, etc...), à l’origine de modifications locales du couplage interlaque. Ainsi, certaines géométries concaves ont été expliquées par la subduction d’un corps peu dense, induisant un poinçonnement de la marge (fig.II.9) [Vogt, 1973, Vogt et al., 1976]. Cependant, les effets dus à l’indentation d’un corps flottant dépendent de la taille de ce dernier : un petit volcan isolé sur la plancher océanique n’affectera que le prisme d’accrétion partiellement consolidé, alors que la subduction d’un plateau océanique pourra affecter le butoir de la marge et modifier profondément la géométrie du contact interplaque (voir section suivante).

(2) Toutes les subductions n’étant pas orientées dans la même direction, les variations de flux mantel-liques ont un impact sur la géométrie de la marge. En effet, qu’elles résultent de la convection à grande échelle ou de de perturbations locales, e.g. présence d’un panache mantellique, elles auront un impact dif-férent sur chaque plaque subduite ancrée dans le manteau et donc un effet indirect sur la géométrie de la marge. Par exemple, une plaque plongeante déchirée ne subira plus de contraintes latérales : l’effet de succion induit par les flux mantelliques au toit de la plaque diminuera, ce qui provoquera l’augmentation du pendage du plan de Bénioff. La courbure de la marge devra donc s’accommoder de ces conditions particulières. Rideasism ique Plaque océanique Co ntin en t Fosse Ba ss in arriè re-a rc

FIGURE II.9 – Schéma illustrant l’indentation de la marge par la subduction d’une ride asismique, permettant

d’expliquer la forme concave des fosses au front des reliefs en subduction (modifié d’après Vogt [1973]).

II.2.4 Conclusions

(1) Les marges concaves et linéaires (c’est-à-dire ayant un rayon de courbure infini) ne sont pas prédites par le modèle de sphéricité de la Terre, ce qui indique que d’autres facteurs influencent la courbure des marges. Ces facteurs peuvent être exogènes (variations latérales à la fosse des caractéristiques du plancher océanique), ou endogène (influence des flux mantelliques). La nature de la plaque chevauchante peut égale-ment jouer un rôle important dans ces courbures. Dans le cas d’une plaque supérieure continentale, comme la marge andine, le fort contraste de densité entre plaque chevauchante et plaque plongeante contrôlera l’emplacement de la fosse, qui suivra préférentiellement les pourtours du continent. Enfin, dans l’hypo-thèse où le régime de la plaque supérieure ne serait pas corrélé à la courbure de la marge, une ouverture arrière-arc pourra jouer un rôle fondamental dans le développement d’une courbure excessive (cas des Mariannes ?).

(2) Qu’elles soient induites ou spontanées, les subductions s’initient sur des zones de faiblesse pré-existantes [Stern, 2004, Hall et al., 2003, Gurnis et al., 2004, Niu et al., 2003], desquelles dépendront la largeur et la géométrie de la fosse. Citons par exemple les fosses de Yap (Sud Mariannes) et de Macquarie-Puysegur (Sud Nouvelle Zélande), longues respectivement de 700 et 600 km et présentant toutes deux

une géométrie presque linéaire [Lebrun et al., 2003, Fujiwara et al., 2000, Lee, 2004]. Cette observation confirme que la géométrie de la fosse n’est pas uniquement contrôlée par la sphéricité de la Terre.

(3) La géométrie de la marge influence le comportement du panneau plongeant (e.g. ondulation du plan de Bénioff) et par conséquent, le régime des contraintes de la plaque supérieure. Aucune relation entre convexité-concavité et régime extensif-régime compressif n’a pu être mise en évidence jusqu’à ce jour. Cependant, Yamaoka et al. [1986] relie plaque subduite déchirée et ouverture arrière-arc, puisqu’ils semblent être spatialement corrélés. Jusqu’à présent la déchirure de la plaque plongeante n’a été mis en évidence que dans certaines zones de subduction, mais elle apparaît souvent comme une nécessité géomé-trique (Mariannes, Antilles, Sandwich).

On peut s’interroger sur l’effet de la courbure des marges sur les contraintes générées dans la plaque su-périeure. Notons par ailleurs que la courbure d’une marge implique une variation de l’obliquité de conver-gence le long de la fosse, ce qui aura donc un impact sur la distribution des contraintes au sein de la plaque supérieure.

A partir de nos modélisations numériques que nous présentons dans la partie 2, nous tenterons de com-prendre quels peuvent être les effets d’une courbure de marge sur la déformation de la plaque supérieure et éventuellement sur les variations de pendage de la plaque en subduction, afin de définir une relation éventuelle entre type de courbure de la marge et régime tectonique de la plaque chevauchante.