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Les marches quantiques ouvertes (open quantum random walks ou OQW) sont une généralisation des marches aléatoires usuelles introduites par Attal, Petruccione, Sabot et Sinayskiy [116] en 2012 (voir aussi [117,118]). Elles sont à distinguer des marches aléatoire quantiques tout court (que l’on pourrait appeler unitaires ou UQW), qui ont déjà été largement étudiées [119] depuis les années 1990 et qui sont à la base de nombreux algorithmes quantiques comme l’algorithme de Grover [120]. Les marches quantiques unitaires sont inspirées des marches aléatoires classiques mais n’ont de marche que le nom puisqu’il est impossible d’y définir une notion de trajectoire. Les marches quantiques ouvertes sont à l’inverse des processus stochastiques classiques, dans le sens que leur trajectoire est toujours bien définie, mais non-markoviens et c’est dans cette non-markovianité particulière que réside leur caractère quantique. L’intérêt des OQW n’est pas seulement mathématique dans la mesure où elles constituent une implémentation possible du calcul quantique dissipatif [121, 122] et sont en principe réalisables expérimentalement [123,124,125,126], deux caractéristiques qui motivent indubitablement leur exploration.

Les marches quantiques ouvertes ne sont pas non plus sans rapport avec l’étude précédente. Comme leur nom l’indique, il existe un lien direct entre ces marches et les systèmes ouverts et plus particulièrement les interactions répétées, lien que l’on va expliciter. Il est ainsi possible d’importer les résultats dérivés précédemment dans le contexte des mesures pour comprendre le comportement des OQW3. Ce parallèle va nous permettre de définir une limite continue pour les marches quantiques ouvertes, le

3. Il faut noter que nous avons historiquement fait le cheminement opposé. C’est en comprenant le comportement des marches aléatoires quantiques ouvertes aux temps courts, puis en découvrant le parallèle avec le formalisme des mesures répétées, que nous avons découvert les résultats plus généraux du chapitre2(modeste découverte qui peut être mise au crédit des OQW).

3.2. Marches quantiques ouvertes 73

mouvement brownien quantique ouvert (OQBM), et de comprendre le comportement balistique et diffusif de ce dernier.

3.2.1 Construction standard des marches quantiques ouvertes

On peut donner la définition des marches quantiques ouvertes dans un cadre re-lativement général, pour un graphe G quelconque, pas forcément fini. Par simplicité on va en revanche se limiter à un espace interne (parfois appelé gyroscope ou coin

space) H de dimension fini. Une marche aléatoire quantique ouverte est une évolution

stochastique d’un doublet (x, ρ) constitué d’une position x sur un graphe G et d’une matrice densité ρ sur H ⊗H qui joue le rôle de degré de liberté interne du marcheur :

(xi, ρi) −→

stochastique(xi+1, ρi+1) Plus précisément, on a avec probabilité Π[y] = tr[By←xiρiB

y←xi] :

xi+1= y

ρi+1= By←xiρiB

y←xi Π[y]

où les matrices By←x spécifient les propriétés statistiques de la marche et sont les équivalents matriciels des racines de probabilités de transition pour une marche aléa-toire classique (voir Fig. 3.4). La conservation de la probabilité implique une unique contrainte pour ces matrices :

X

y∈G

By←x By←x= 1.

Le processus stochastique ainsi construit et restreint au graphe G est non markovien et les probabilités de saut dépendent de la trajectoire passée. L’évolution globale en tenant compte de l’information sur l’espace interne est en revanche bien markovienne. Notons qu’il n’y a évidemment aucune objection à parler de trajectoire du marcheur, cette dernière étant simplement la succession des positions xi occupées par ce dernier.

Une marche aléatoire quantique ouverte peut aussi facilement être interprétée comme une suite de mesures répétées doublée d’un feedback non trivial des résultats de mesure passés sur le choix des mesures futures. La position sur le graphe peut alors être interprétée comme l’état du contrôleur. Supposons que le contrôleur est dans un état xi et que le système à mesurer est dans un état ρi. On suppose qu’on applique au système la mesure généralisée (dépendant de l’état du contrôleur suivante) :

ρiBy,xiρiB

y,xi

Π[y] avec probabilité Π[y] = tr[By,xiρiBy,x i].

Le résultat, que l’on note alors y, est le nouvel état du contrôleur qui permet de choisir les mesures généralisées à appliquer à l’étape suivante. Dans le cas où la marche aléa-toire est homogène, typiquement sur Rd, alors les matrices B ne dépendent pas du site et on peut supprimer la partie rétroaction du contrôleur. L’OQW est alors équivalente à une suite de mesures répétées sur un espace interne dont les résultats correspondent aux changements de position successifs d’un marcheur. Ce parallèle permet de définir une limite continue commode en s’inspirant du résultat sur les mesures répétées.

Figure3.4 – Marche aléatoire quantique ouverte sur un graphe G . Le degré de liberté interne ρ du marcheur peut être vu comme un élément d’une fibre au dessus de chaque point du graph.

3.2.2 Passage au Brownien quantique ouvert

On va construire le Brownien quantique homogène à une dimension mais la construc-tion se généralise aisément au cas inhomogène et en dimension arbitraire (voir [7]). On commence par simplifier l’évolution 3.2.1 au cas G = Z, homogène et pour des sauts vers les plus proches voisins :

xi+1= xi± 1

ρi+1= B±ρiB±

Π± ,

avec probabilité Π± = tr[B±ρiB±] et la condition B

+B++ B

B = 1. On obtient la limite continue comme en 1.2.2 et finalement comme pour une marche aléatoire classique en développant B+ et B au voisinage de 1/2. Contrairement à (1.2.3) où on ne cherchait pas la généralité mais simplement à obtenir une mesure, on veut ici l’expression donnant l’équation la plus complète possible à la limite. Le développement le plus général s’écrit [7] :

B+= 1 2  1+εN − ε(iH + M +12NN ) +O(ε3/2)  B= 1 2  1−εN − ε(iH − M +12NN ) +O(ε3/2)  ,

où H est auto-adjoint mais M et N sont quelconques. Avec le même raisonnement qu’en1.2.2, on obtient la limite continue suivante :

dxt= tr[(N + N)ρt] dt + dWt

3.2. Marches quantiques ouvertes 75

expression qui, on le rappelle, utilise les notations :

D[N](ρ) = NρN12{NN, ρ}

H[N](ρ) = Nρ + ρN− trh(N + Niρ.

La matrice M est donc une simple «jauge» qui disparaît dans la dynamique. On peut se référer aux Fig.3.6et3.7 pour des exemples de trajectoires.

Dans ce contexte unidimensionnel et homogène, la position du marcheur est exac-tement le signal des mesures continues. Pour autant, même si les deux concepts sont formellement équivalents, l’interprétation en terme de position modifie les questions que l’on se pose naturellement. Notamment, on peut se demander comment calculer la distribution P(x, t) de xt, quantité essentielle pour une marche aléatoire, mais a priori sans aucun intérêt si xtétait une somme de résultats de mesure. En raison du caractère non markovien de xt considéré seul, il n’y a pas d’espoir de trouver une équation aux dérivées partielles fermée à la Fokker-Planck pour P, mais on peut écrire P comme la trace d’un objet qui en possède une.

On définit ainsi :

˘

ρ(x, t) = E[ρt|xt= x] P(x, t),

qui est en quelque sorte la généralisation «non-commutative» de la probabilité d’être en x. On a bien tr[˘ρ(x, t)] =P(x, t), mais ˘ρ possède l’avantage d’obéir à une équation

autonome. En effet, soit une fonction test ϕ, on a :

E[ϕ(xt) ρt] =Z

R

dx ϕ(x) ˘ρ(x, t).

On peut calculer ∂tE[ϕ(xt) ρt] en utilisant le lemme d’Itô dans l’espérance ou en déri-vant directement dans l’intégrale. On obtient ainsi après calcul :

Z R dx1 2ρ(x, t)∂˘ x2ϕ(x) + (N ˘ρ(x, t) + ˘ρ(x, t)N)∂xϕ(x) + [−i[H, ˘ρ(x, t)] + D[N](˘ρ(x, t))] ϕ(x) =Z R dx ∂tρ(x, t) ϕ(x),˘

soit en intégrant par partie :

tρ =˘ 1

22xρ˘− (N∂xρ + ∂˘ xρN˘ ) − i[H, ˘ρ] + D[N](˘ρ), (3.2.2) équation qui est l’équivalent de l’équation de Fokker-Planck pour une marche quantique ouverte. On peut la résoudre numériquement pour obtenir la distribution de probabi-lité P de xt et observer les non-gaussianités caractéristiques des marches quantiques ouvertes (voir Fig.3.5).

Le mouvement brownien quantique ouvert 1d montre deux types d’anomalies par rapport au mouvement brownien usuel (voir [8,7] pour une étude plus détaillée) :

1. la présence de plusieurs4gaussiennes aux temps longs (au lieu d’une seule) pour certaines conditions initiales,

−6 −4 −2 0 2 4 6 x 0.000 0.002 0.004 0.006 0.008 0.010 0.012 0.014 0.016 0.018 P(x, t) = tr[˘ρ(x, t)] −6 −4 −2 0 2 4 6 x 0.000 0.005 0.010 0.015 0.020 0.025 0.030 0.035 0.040 P(x, t) = tr[˘ρ(x, t)]

Figure 3.5 – P obtenu avec l’équation (3.2.2) pour |H | = 2, N = √γσz, H = ωσy. En noir, t = 0.01, en bleu t = 0.04, en rouge t = 0.07.

– à gauche – γ = 225, ω = 102, ρ0= diag(0.5, 0.5), x0= 0

– à droite – γ = 900, ω = 104, ρ0 = diag(1.0, 0.0), x0 = 0

Calculs effectués avec ulıa et une discrétisation naïve de (3.2.2) pour dt = 10−5, dx = 10−3. Les résultats sont robustes et le calcul exact en discret fournit des distributions analogues (voir par exemple dans [8]).

2. un comportement très non gaussien aux temps courts, qui se manifeste notam-ment par la présence d’une grande région où la distribution est quasi-uniforme. Le premier phénomène a été observé dès le départ [116] et il fait l’objet d’un théorème centrale limite [128]. La présence de plusieurs gaussiennes est en fait un peu moins surprenante qu’il n’y paraît et ne se «voit» pas au niveau des trajectoires individuelles. Intuitivement, on peut considérer qu’on tire au hasard au départ le paquet gaussien que l’on va suivre5 pour l’évolution ultérieure.

La seconde non-gaussianité est plus surprenante et on va voir en 3.2.3 qu’elle se manifeste aussi au niveau des trajectoires.

3.2.3 Comprendre la transition balistique → diffusif

Le comportement aux temps courts peut se comprendre en étudiant l’équation de Fokker-Planck (3.2.2) mais il existe une limite dans laquelle il est plus simple de revenir à l’expression directe (3.2.1). Sans surprise, il s’agit de la situation dans laquelle

N = √γ N = √γ N, et H = √γ H qui est formellement analogue à une situation de

mesure forte (voir Fig. 3.7). Dans ce cas on peut utiliser la proposition (2.1.7) pour simplifier l’évolution du gyroscope ρ. Quand γ → +∞, ρ saute entre les pointeurs de

5. Plus précisément, on peut une fois encore comprendre ce résultat en terme de variables cachées, en particulier dans le cas H = 0 qui est classique au sens des modèles de Markov caché. Pour chaque valeur de la variable cachée, une réalisation de l’OQBM est un mouvement brownien drifté classique, le drift dépendant de la valeur de la variable cachée.