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B. La vie personnelle des marchands La vie personnelle des marchands

1.2. Le marchand avare

Par ailleurs, certains marchands sont présentés comme étant cupides, à la recherche de profits et ne souhaitant pas dépenser leur argent. Cet aspect apparaît dans la nouvelle I.36 « Song Sigong da nao jinhun Zhang » « 宋 四 公 大 闹 禁 魂 张 » 439 [Song Sigong tourmente grandement Zhang

l'avare440]

« 主管见员外不在门前,把两文撇在他[乞丐]笊篱里。张员外恰在水瓜心布帘

后望见,走将出来道:“好也,主管!你做甚么,把两文撇与他?一日两文, 千日便两贯。”大步向前,赶上捉笊篱的,打一夺,把他一笊篱钱都倾在钱堆 里,却教众当直打他一顿。441»

Le gérant vit que le patron n'était pas dans la boutique, il jeta donc deux sapèques dans l'écumoire du mendiant. Zhang le patron, qui se trouvait par hasard derrière le rideau, avait vu toute la scène. Il sortit [de l'arrière boutique] et dit : « Ah bah bravo ! Monsieur le gérant, qu'as-tu fait ? Pourquoi lui as-tu jeté deux sapèques ? Un jour c'est de deux sapèques, mille jour ça fait deux ligatures442. » Il avança à grands pas, attrapa celui qui tenait l'écumoire, s'en saisit violemment et renversa son contenu dans la pile de sapèques [de sa caisse]. Puis il ordonna à ses employés de le rouer de coups.

A trop vouloir garder son argent, il arrive des malheur au marchand avare. La représentation de l'avarice est assez caricaturale dans cette histoire, cependant l'argent étant au centre de la profession des commerçants, et plus particulièrement dans le domaine du mont de piété, on comprend qu'il est très précieux pour ceux-ci. On peut remarquer que son avarice mise à part, le marchand présenté est un homme honnête. C'est son activité qui se base sur la finance et sur une forme de spéculation, qui lui vaut d'être critiqué. Les marchands sont également présentés comme étant quelque peu avides d'argent, ou tout du moins faisant passer leurs affaires commerciales avant leur famille. C'est le cas

439 FENG Menglong, « disanshiliujuan Song Sigong da nao jinhun Zhang » « 第三 十六 卷宋 四 公大 闹禁 魂 张 » [Chapitre 36 Song Sigong tourmente grandement Zhang l'avare] in Yushi mingyan, op. cit., p.551-581.

440 La traduction selon LEVY André, Inventaire analytique et critique du conte chinois en langue vernaculaire, Première partie, premier volume, op. cit., p.312. est : Song Sigong provoque une grave commotion chez Zhang le grippe-sou.

441 FENG Menglong, « disanshiliujuan Song Sigong da nao jinhun Zhang » in Yushi mingyan, op. cit., p.551-581, p.554-555.

de Jiang Xingge dans la nouvelle I.1443, dont nous avons parlé plus haut. « 兴哥一日间想起父亲存日广东生理,如今担阁三年有余了,那边还放下许 多客帐,不曾取得。夜间,与浑家商议,欲要去走一遭。浑家初时也答应道 “该去”,后来说到许多路程,恩爱夫妻,何忍分离?不觉两泪交流。兴哥也 自割舍不得,两下凄惨一场,又丢开了。如此已非一次。 光阴荏苒,不觉又捱过了两年。那时兴哥决意要行,瞒过了浑家,在外面暗 暗收拾行李。拣了个上吉的日期,五日前方对浑家说知,道:“常言‘坐吃山 空’。我夫妻两口,也要成家立业,终不然抛了这行衣食道路?如今这二月天 气不寒不暖,不上路更待何时?” 浑家料是留他不住了,只得问道;“丈夫此 去几时可回?”兴哥道:“我这番出外,甚不得已,好歹一年便回,宁可第二 遍多去几时罢了。”444»

Un jour, Xingge se souvint du commerce que son père faisait par le passé au Guangdong. Il avait déjà délaissé son activité pendant plus de trois ans, et là-bas se trouvaient encore de nombreuses dettes de clients qui n'avaient pas été récupérées. Dans la nuit, il discuta avec sa femme de son projet d'y faire un voyage commercial. Au début, sa femme accepta en disant : « Il faut que tu y ailles. » Mais finalement, comment ces époux épris l'un de l'autre, en pensant à ce chemin si long, auraient-ils pu se résoudre à se séparer ? Pris par l'émotion, ils se mirent ensemble à pleurer. Xingge lui-même n'avait pas le cœur à s'éloigner. Tous deux affligés, ils écartèrent l'idée du voyage, et ce n'était pas la première fois que cela se passait ainsi.

Le temps fila, et il se passa imperceptiblement encore deux ans. Xingge prit alors la ferme décision de prendre la route. Il cacha [ce projet] à sa femme, et prépara discrètement ses bagages hors de la maison. Il choisit un jour de bon augure, et seulement cinq jours avant [le départ] il avoua à sa femme : « On dit souvent ''Même une montagne de richesses s'épuise si l'on reste assis à la dépenser ''. Nous deux, nous devons aussi faire prospérer la maison et accumuler un patrimoine. Doit-on abandonner ce moyen de gagner de quoi vivre ? En cette période, le temps du deuxième mois n'est ni trop chaud ni trop froid. Quand partir si ce n'est pas maintenant ? » La femme estima qu'elle ne pouvait le retenir, et ne put que demander : « Quand rentreras-tu de ce voyage ? » Xingge répondit : « Pour cette fois, je suis obligé d'y aller, dans tous les cas je serai de retour dans un an, même si

443 FENG Menglong, « diyijuan Jiang Xingge chonghui zhenzhushan » in Yushi mingyan, op. cit., p.001- 035. 444 Ibid., p.005.

pour cela je dois partir pour plus longtemps la seconde fois. »

La nouvelle III.1445, également citée dans la première partie, montre aussi cet aspect du métier de

marchand, qui les force à s'occuper sans relâche de leurs échanges commerciaux.

« 贾昌因牵挂石小姐,有一年多不出外经营。老婆却也做意修好,相忘于无 言。月香在贾公家,一住五年,看看长成。贾昌意思,要密访个好主儿,嫁 他出去了,方才放心,自家好出门做生理。[...] 若是凑巧时,赔些妆奁,嫁 出去了,可不干净?何期姻缘不偶,内中也有缘故:但是出身低微的,贾公 又怕辱莫了石知县,不肯俯就;但是略有些名目的,那个肯要百姓人家的养 娘为妇,所以好事难成。贾公见姻事不就,老婆又和顺了,家中供给又立了 常规,舍不得担阁生意,只得又出外为商。446»

Jia Chang, parce qu'il se préoccupait de la demoiselle Shi, n'était pas parti faire du commerce pendant plus d'un an. Sa femme se montrait toutefois plus aimable, et peu à peu leurs désaccords s'estompaient. Yuexiang habitait déjà chez Monsieur Jia depuis cinq ans, et avait grandi petit à petit. Jia Chang pensa qu'il voulait chercher une bonne famille pour la marier, qu'après cela il serait soulagé, et qu'il pourrait alors se permettre de repartir commercer. […] Si la chance permettait cela, ne serait-ce pas idéal, même s'il lui fallait dépenser pour la dot, de pouvoir la marier ? Mais qui aurait pu imaginer que le destin n'irait pas en ce sens ? Cet échec n'était néanmoins pas sans causes : dès que [les prétendants] venaient d'un groupe social inférieur, Jia Chang les déclinait de peur de déshonorer le sous-préfet Shi ; dès qu'ils étaient issus de familles de renom, aucun n'acceptait de prendre pour épouse la domestique d'une famille populaire. C'est pour ces raisons qu'il était difficile d'arranger les noces. Voyant que cette affaire de mariage n'aboutissait pas, constatant que sa femme s'était adoucie et que l'ordre familial était rétabli, il ne pouvait se résoudre à retarder son commerce, et ne put que repartir exercer son métier de marchand.

L'intérêt attire les commerçants, et le commerce lointain permet de faire plus de profits. Ainsi alors que certains pourraient rester sur place, ils décident tout de même de retourner faire du commerce et de poursuivre cette activité. Cette recherche d'intérêt est aussi parfois l'origine d'une certaine

445 FENG Menglong, « diyijuan liang xianling jing yi hun gunü » in Xingshi henggyan, op. cit., p.001- 016. 446 Ibid., p.007-008.

malhonnêteté des marchands qui trompent leurs partenaires commerciaux et trichent dans les échanges. Cet aspect apparaît dans une histoire secondaire de la nouvelle III.29447.

« 那石雪哥当初原是个做小经纪的人,因染了时疫症,把本钱用完,连几件 破家伙也卖来吃在肚里。及至病好,却没本钱去做生意,只存得一只锅儿, 要把去卖几十文钱,来营运度日。旁边却又有些破的,生出一个计较:将锅 煤拌着泥儿涂好,做个草标儿,提上街去卖。转了半日,都嫌是破的,无人 肯买。落后走到王屠对门开米铺的田大郎门首,叫住要买。那田大郎是个近 觑眼,却看不出损处,一口就还八十文钱。石雪哥也就肯了。448»

Ce Shi Xuege était à l'origine un petit commerçant qui, parce qu'il avait été contaminé par une épidémie, avait dépensé tout ses fonds, et avait même vendu quelques vieux objets domestiques afin de se sustenter. Une fois guéri, il n'avait plus eu de capital pour continuer ses affaires, il lui restait alors seulement un chaudron qu'il voulut également vendre pour en tirer quelques dizaines de sapèques afin de vivoter. Mais le bord de celui-ci était abîmé par endroits, il eut alors l'idée de mélanger les cendres du fond du chaudron avec de la boue et de s'en servir pour reboucher les trous. Il y accrocha un brin d'herbe [pour signaler que l'objet était à vendre] et l'emporta avec lui dans la rue pour le vendre. Il tourna toute une demi- journée, mais personne ne voulait l'acheter, tous méprisaient cet objet cassé. Finalement, il se rendit devant la boutique de riz de Tian Dalang en face de chez le boucher Wang, où il fût interpellé pour un achat. Ce Tian Dalang était myope et ne voyait donc pas les parties abimées. Il en donna directement quatre-vingt sapèques. Et Shi Xuege accepta cette offre.

On voit ici apparaître l'idée que la difficulté à gagner de l'argent et le danger de faire faillite pousse les marchands à la tromperie afin de pouvoir obtenir des ressources financières.