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B. La vie personnelle des marchands La vie personnelle des marchands

1.3. Le marchand altruiste

Les commerçants, par leur profession, animent la société et participent à son bon déroulement, tout comme les penseurs soutenant le système de valorisation du commerce zhong shang, évoqués

447 FENG Menglong, « diershijiujuan Lu taixue shi jiu ao gonghou » in Xingshi henggyan, op. cit., p.595-622 . 448 Ibid., p.605.

plus tôt, le concevaient. C'est un aspect positif qui s'inscrit dans la société et il est donc représenté par une image altruiste dans l'oeuvre. Premièrement, comme nous l'avons évoqué plus haut les commerçants présentent une certaine compassion, un esprit d'entre-aide avec leurs confrères. Cet aspect apparaît notamment dans la nouvelle I.28 « Li Xiuqing yijie Huang zhennü » « 李秀卿义结 黄贞女 »449 [Li Xiuqing s'unit dans l'honneur à la chaste jeune fille Huang450].

« 黄老实在庐州,不上两年害个病症,医药不痊,呜呼哀哉。善聪哭了一场 […]思想年幼孤女,往来江湖不便。间壁客房中下着的也是个贩香客人,又同 是应天府人氏,平息间看他少年诚实,问其姓名来历,那客人答道:“小生姓 李名英,字秀卿,从幼跟随父亲出外经纪。今父亲年老,受不得风霜辛苦, 因此把本钱与小生在此行贩。”善聪道:“我张胜跟随外祖在此,不幸外祖身 故,孤寡无依。足下若不弃,愿结为异姓兄弟,合伙生理,彼此有靠。”[…]。 过了几日,兄弟两个商议,轮流一人往南京贩货,一人住在庐州发货讨帐, 一来一去,不致担误了生理,甚为两便。[…]于是收拾资本,都交付与李英。 李英剩下的货物和那帐目,也交付与张胜。但是两边买卖,毫厘不欺。从此 李英、张胜两家行李并在一房,李英到庐州时只在张胜房住,日则同食,夜 则同眠。451 »

Quand Huang l'honnête était à Luzhou, il ne s'était pas écoulé deux ans qu'il tomba malade, les soins et les médicaments ne suffirent pas à le soigner, et il mourut. Shancong pleura un moment […] puis elle pensa qu'elle était une jeune femme esseulée et qu'il ne lui était pas aisé de faire du commerce dans cette situation. Dans la chambre d'hôtel voisine habitait un homme qui faisait également commerce de l'encens et venait aussi de la préfecture de Yingtian. Il paraissait être un jeune homme honnête, ainsi elle lui demanda son nom et ses origines. Le commerçant répondit : « Je me nomme Li et me prénomme Ying, mon prénom social est Xiuqing, et j'ai depuis l'enfance suivi mon père dans ses activités marchandes. Aujourd'hui, mon père est âgé, il ne peut plus supporter les difficultés du voyage, ainsi il m'a confié le capital pour que je me charge de faire du commerce ici. » Shancong lui raconta: « Je m'appelle Zhang Sheng je suis arrivé ici avec mon grand-père, par malheur il est décédé et je me trouve maintenant seul sans personne

449 FENG Menglong, « diershibajuan Li Xiuqing yijie Huang zhennü » « 第二十八卷李秀卿义结黄贞女 »[Chapitre 28 Li Xiuqing s'unit dans l'honneur à la chaste jeune fille Huang] in Yushi mingyan, op. cit., p.433-444.

450 LEVY André, Inventaire analytique et critique du conte chinois en langue vernaculaire, Première partie, premier volume, op. cit., p277. Notre version : Li Xiuqing se marie avec droiture à la demoiselle Huang.

sur qui compter. Si vous daignez, je souhaiterais que nous devenions des frères jurés, et que nous coopérions dans les affaires afin de nous soutenir mutuellement. » […] Quelques jours plus tard, les deux frères se mirent d'accord pour qu'à tour de rôle l'un se rende à Nanjing pour acheter les marchandises tandis que l'autre resterait à Luzhou pour s'occuper de la vente et récupérer les dettes. Ainsi, l'un partant quand l'autre rentrerait, le commerce ne serait pas retardé et ce serait pratique pour eux deux. […] Ils rassemblèrent donc leurs capitaux, et l'ensemble fut confié à Li Ying. Les marchandises restantes de Li Ying ainsi que son livre de comptes furent en retour remis à Zhang Sheng. Bien qu'ils aient effectué leur activité en deux lieux différents, ils ne se trahirent pas. À partir de ce moment Li Ying et Zhang Sheng rassemblèrent leurs bagages dans une seule chambre. Quand Li Ying revenait à Luzhou il logeait simplement dans la chambre de Zhang Sheng. Ils mangeaient tous les deux le jour et dormaient ensemble la nuit.

Dans cette histoire, on voit que sans l'aide de Li Xiuqing, la demoiselle Huang n'aurait pas pu réussir à continuer son activité. La nouvelle fait également apparaître la confiance qui réside entre ces deux commerçants honnêtes, aspect essentiel du commerce de longue distance, lorsque les partenaires sont éloignés. À cette nouvelle nous pouvons également ajouter le récit II.5 « Lü Dalang huan jin wan gurou » « 吕大郎还金完骨肉 »452 [Lü Dalang rend l'argent et retrouve la chair de sa

chair 453]. «[吕大郎]一日早晨,行至陈留地方,偶然去坑厕出恭,见坑板上遗下个青布 搭膊。检在手中,觉得沉重。取回下处打开看时,都是白物,约有二百金之 数。吕玉想道:“这不意之财,虽则取之无碍,倘或失主追寻不见,好大一场 气闷[…]。”忙到坑厕左近伺候,只等有人来抓寻,就将原物还他。等了一日, 不见人来。次日只得起身。[…] 不一日,来到扬州闸口。吕玉也到陈家铺子,登堂作揖,陈朝奉看坐献茶。 吕玉先提起陈留县失银子之事,[…]。陈朝奉见了搭膊,道:“正是。”搭膊里 面银两,原封不动。吕玉双手递还陈朝奉。陈朝奉过意不去,要与吕玉均分, 吕玉不肯。陈朝奉道:“便不均分,也受我几两谢礼,等在下心安。”吕玉哪 里肯受。[…]

452 FENG Menglong, « diwujuan Lü Dalang huan jin wan gurou » « 第五卷吕大郎还金完骨肉 » [Chapitre 5 Lü Dalang rend l'argent et retrouve la chair de sa chair] in Jingshi tonggyan, op. cit., p.056- 068.

453 La traduction selon LEVY André, Inventaire analytique et critique du conte chinois en langue vernaculaire, Première partie, deuxième volume, op. cit., p.375. est : En rendant l'or Lü l'Aîné retrouve son sang et sa chair.

[…]陈朝奉道:“舍下数年之间,将三两银子,买得一个小厮,[…]恩兄若看 得中意时,就送与恩兄伏侍,也当我一点薄敬,”吕玉道:“若肯相借,当奉 还身价。”陈朝奉道:“说那里话来!只恐恩兄不用时,小弟无以为情。” […]454 »

Un matin [Lü Dalang] arriva à un endroit nommé Chenliu. Soudain, alors qu'il était aux latrines, il vit un balluchon de tissu noir oublié sur le sol. Il le ramassa et sentit qu'il était lourd. Lorsqu'il le ramena où il logeait et l'ouvrit, il vit qu'il ne contenait que de l'argent, il y avait environ deux cents taëls. Lü Yu pensa : « Bien que garder pour moi cette fortune inattendue ne serait pas un acte fâcheux, si jamais le propriétaire [de l'argent] le cherche et ne le retrouve pas, ce serait pour lui un grand souci […]. » Il retourna précipitamment guetter près des latrines, attendant seulement que quelqu'un vienne chercher [le balluchon] afin de le lui rendre. Il attendit toute la journée mais ne vit personne. Il fut obligé de reprendre la route le lendemain. […]

En moins d'un jour, [Lu Yü et Monsieur Chen ] arrivèrent à l'écluse de Yangzhou. Lü Yu entra également dans la boutique de Monsieur Chen, il s'inclina poliment dans le hall. Maître Chen lui offrit de s'assoir et donna l'ordre de servir du thé. Lü Yu revint en premier sur l'affaire de l'argent perdu à Chenliu, […]. Quand Maître Chen vit le balluchon, il dit : « C'est bien celui-là. » L'argent dans le balluchon était resté comme à l'origine. Lü Yu le remit à deux mains à Maître Chen. Gêné, ce dernier voulu donner une moitié [de l'argent] à Lü Yu mais celui-ci déclina. Maître Chen dit alors : « Même si nous ne séparons pas la somme en deux, acceptez toutefois que je vous donne quelques taëls en remerciement afin que j'ai l'esprit tranquille. » Mais comment Lü Yu aurait-il pu accepter cela ?

[…] Maître Chen proposa : « Il y a plusieurs années, j'ai acquis un petit serviteur pour deux ou trois taëls. Cher bienfaiteur, s'il vous convient, je peux vous l'offrir pour qu'il puisse vous servir. Ce serait la moindre des choses de ma part. » Lü Yu répondit : « Si vous consentez à me le céder, il faut que je vous rembourse ce que vous avez dépensé pour lui. » Maître Chen répliqua : « Qu'allez-vous dire ! J'ai seulement peur que si vous n'en avez pas l'utilité, je ne trouve pas de moyen d'exprimer ma gratitude. » […].

Cette histoire montre l'entraide mutuelle des commerçants à travers l'honnêteté de Lü Dalang qui ne

garde pas l'argent pour lui, ainsi que la volonté du marchand de céréales d'aider un confrère en lui proposant un fils adoptif. Un autre exemple de l'entre-aide entre commerçants est la nouvelle I.1455.

« 只见岸上一个人气吁吁的赶来,却是陈大郎。亲把书信一大包,递与兴哥,

叮嘱千万寄去。气得蒋兴哥面色如土[…]。456 »

Il vit sur la rive un homme essoufflé qui courrait vers lui. C'était en fait Chen Dalang. Il confia à Xingge un ensemble de colis, et l'exhorta de les transmettre absolument. Jiang Xingge en fut si offensé que son teint devint blême.

L'histoire, malgré la trahison de Chen Dalang, fait apparaître les relations amicales qui existent entre les commerçants. On voit dans cet extrait la possibilité qu'ils ont de demander à un confrère de porter un message ou un colis à leur place lors de leurs déplacements. Ces différentes rencontres entre marchands dans les histoires ne sont sûrement pas un hasard. Elles montrent que ces derniers étaient acceptés par le public qui pouvait être réceptif aux qualités qu'ils représentent. Le rapprochement entre commerçants paraît être le plus évident puisqu'ils partagent les mêmes intérêts cependant d'autres histoires les représentent également comme aidant des personnes hors de leur groupe social. Ainsi une situation similaire à l'envoi de courrier par Chen Dalang se retrouve dans la nouvelle II.34 « Wang Jiaoluan bainian chang hen » « 王娇鸾百年长恨 » 457 [La rancoeur éternelle

de Wang Jiaoluan458], où un commerçant aide à transmettre un message pour une jeune femme issue

d'une famille de militaires.

«时值新春,又访得前卫有个张客人要往苏州收货。娇鸾又取金花一对,央孙

九送与张客,求他寄书。[…]

张客人是志诚之士,往苏州收货已毕,赍书亲到吴江。 459 »

C'était la période de la fête du printemps, elle avait appris que, dans la zone [de la ville] sous le contrôle administratif de la légion avant, se trouvait Zhang le marchand qui s'apprêtait à se rendre à Suzhou pour acheter de la marchandise. Jiao

455 FENG Menglong, « diyijuan Jiang Xingge chonghui zhenzhushan » in Yushi mingyan, op. cit., p.001- 035. 456 Ibid., p.024.

457 FENG Menglong, « disanshisijuan Wang Jiaoluan bainian chang hen » « 第三十四卷王娇鸾百年长恨 » [Chapitre 34 La rancoeur éternelle de Wang Jiaoluan] in Jingshi tonggyan, op. cit., p.541- 563.

458 La traduction selon LEVY André, Inventaire analytique et critique du conte chinois en langue vernaculaire, Première partie, deuxième volume, op. cit., p.537. est : L'éternelle rancune de Wang Jiaoluan.

459 FENG Menglong, « disanshisijuan Wang Jiaoluan bainian chang hen » in Jingshi tonggyan, op. cit., p.541- 563, p.555-556.

Luan prit de nouveau une paire de fleurs en or et envoya Sun Jiu pour les remettre à Zhang le marchand afin de le prier de transmettre sa lettre. […]

Zhang le marchand était un homme droit et honnête, quand il eut fini ses achats à Suzhou, il porta en personne la lettre jusqu'à Wujiang.

Nous pouvons ici noter que le marchand prend place dans une histoire qui ne porte pas sur le commerce. Il est possible de considérer que cela montre l'importance de la place des commerçants dans la société, notamment à travers leur rôle de messagers. Un autre exemple de bonté d'un commerçant envers ses contemporains est la nouvelle III.10 « Liu xiaoguan ci xiong xiongdi » « 刘 小官雌雄兄弟 » 460 [Les deux frères Liu sont en fait frère et soeur461]

«刘公平昔好善,极肯周济人的缓急。凡来吃酒的,偶然身边银钱缺少,他也

不十分计较。或有人多把与他,他便勾了自己价钱,馀下的定然退还,分毫 不肯苟取。 462 »

Communément, Monsieur Liu aimait à faire le bien, il appréciait particulièrement aider les gens à résoudre leurs problèmes. Pour tous ceux qui venaient boire [dans sa taverne], si par hasard ils n'avaient pas apporté assez d'argent, il ne s'en souciait pas. Si certains clients le payaient en trop, il retenait la somme nécessaire, et leur rendait le reste sans faute. Il ne se permettait pas même de les escroquer d'un centime.

« 刘公道:“这是我平昔志愿,那望你的报偿!” 当下忙忙的取了银子,便去

买办衣衾棺木,唤两个土工来,收拾人殓过了。又备羹饭祭奠,焚化纸钱[…]。 463 »

Monsieur Liu dit : « Cela est la conviction de ma vie, comment attendrais-je de toi que tu me rembourses ? » Il sortit immédiatement de l'argent, alla acheter les vêtements et le cercueil, il engagea deux fossoyeurs, puis s'occupa de la toilette mortuaire et de la cérémonie funèbre. Il prépara également un repas d'offrande, et brûla de la monnaie en papier […].

460 FENG Menglong, « dishijuan Liu xiaoguan ci xiong xiongdi » « 第十卷刘小官雌雄兄弟 » [Chapitre 10 Les deux frères Liu sont en fait frère et sœur] in Xingshi henggyan, op. cit., p.184- 201.

461 La traduction selon LEVY André, Inventaire analytique et critique du conte chinois en langue vernaculaire, Première partie, deuxième volume, op. cit., p.613. est : Le jeune Liu ou les deux frères de sexe différent.

462 FENG Menglong, « dishijuan Liu xiaoguan ci xiong xiongdi » in Xingshi henggyan, op. cit., p.184- 201, p.186. 463 Ibid., p.192.

«刘公道:“此是阴德美事,为人正该如此。”刘妈妈道:“何不就同他来家?” 刘方道:“未曾禀过爹妈,怎敢擅便?”刘公道:“说那里话!我与你同 去。”464 »

Monsieur Liu répondit : « Cela est une action charitable, c'est justement ainsi qu'il faut se comporter. » Madame Liu dit : « Pourquoi ne pas l'avoir ramené à la maison ? » Liu Fang expliqua : « Père, mère, comment aurais-je osé agir sans permission alors que je ne vous avais pas averti ? » Monsieur Liu dit alors : « Qu'est-ce que tu racontes ? Je vais y aller avec toi. »

La suite de l'histoire de Lü Dalang que nous avons racontée plus haut, dans la nouvelle II.5465 peut

être mise en rapport avec la nouvelle précédente, car elle montre également le commerçant qui, tout comme Liu Fang, aide ses concitoyens victimes d'un accident.

« […]原来坏了一只人载船,落水的号呼求救。崖上人招呼小船打捞,小船索 要赏犒,在那里争嚷。吕玉想道:“救人一命,胜造七级浮屠。比如我要去斋 僧,何不舍这二十两银子做赏钱,教他捞救,见在功德。”当下对众人说: “我出赏钱,快捞救。若救起一船人性命,把二十两银子与你们。”众人听得 有二十两银子赏钱,[…]须臾之间,把一船人都救起。 吕玉将银子付与众人 分散。水中得命的,都千恩万谢。[…]466 »

[…] En réalité, un bateau qui transportait des personnes avait fait naufrage, ceux qui étaient tombés à l'eau appelaient à l'aide. Les gens sur la rive interpellaient les petits bateaux pour qu'ils aillent les repêcher. Mais les propriétaires de ceux-ci exigeaient d'eux une récompense. Ainsi, ces deux groupes se querellaient là-bas. Lü Yu réfléchit : « Sauver une vie a plus de valeur que de faire construire une pagode de sept étages. Je pensais aller donner l'aumône aux moines bouddhistes, alors pourquoi ne pas me défaire de ces vingt taëls en les offrant comme récompense afin qu'ils aillent les sauver ? Cela serait faire preuve d'une action charitable. » Il dit immédiatement à la foule : « Je vous donnerai une récompense, allez vite sauver ces gens. Si vous sauvez la vie à tous les passagers de ce bateau, je vous offrirai vingt taëls. » En entendant qu'il y avait une récompense de vingt taëls la foule […] sauva en un instant l'ensemble des naufragés. Lü Yu partagea l'argent