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A. La vie professionnelle des marchands

2. Une profession tout de même attractive

2.2. Les conversions

Face à l'importance des gains que la profession permet de remporter, les personnages de certaines histoires prennent la décision de s'orienter vers celle-ci afin d'obtenir une source de revenus. La nouvelle III.33 « shiwuguan xiyan cheng qiaohuo » « 十五贯戏言成巧祸 418» [Une

plaisanterie au sujet de quinze ligatures mène fortuitement à des catastrophes419] en est un bon

exemple puisqu'elle présente deux conversions de personnages vers la profession de commerçant. Tout d'abord celle de Liu Gui, le lettré qui n'arrive pas à devenir fonctionnaire et qui décide de reprendre la profession de ses aïeux pour subvenir aux besoins de sa famille. Puis la reconversion du brigand auquel Madame Wang conseille d'arrêter ses activités malfaisantes pour investir son

416 FENG Menglong, « diqijuan Qian xiucai cuo zhan fenghuang chou » in Xingshi henggyan, op. cit., p.120- 142. 417 Ibid., p.121.

418 FENG Menglong, « disanshisanjuan shiwuguan xiyan cheng qiaohuo » « 第 三 十 三 卷 十 五 贯 戏 言 成 巧 祸 » [Chapitre 33 Une plaisanterie au sujet de quinze ligatures mène fortuitement à des catastrophes] in Xingshi

henggyan, op. cit., p.722-739.

419 LEVY André, Inventaire analytique et critique du conte chinois en langue vernaculaire, Première partie, deuxième volume, op. cit., p.765. Notre version : Une farce sur quinze ligatures de sapèques engendre des accidents inattendus.

argent en devenant commerçant.

« 有个官人,姓刘名贵,字君荐,祖上原是有根基的人家,到得君荐手中,

却是时乖运蹇。先前读书,后来看看不济,却去改业做生意。420 »

Il y avait un homme, qui se nommait Liu et se prénommait Gui, son prénom social était Junjian. Les ancêtres de celui-ci possédaient à l'origine un certain patrimoine, qui, quand il fut transmis dans les mains de Junjian, alla de malchance en mésaventure. Les premiers temps, [Liu Gui] entreprit une carrière de lettré, mais par la suite il se rendit compte qu'il ne parviendrait pas à réussir les concours mandarinaux, et se décida alors à changer de métier et de se lancer dans le commerce. « 不想那大王自得了刘大娘子之后,不上半年,连起了几主大财,家间也丰 富了。大娘子甚是有识见,早晚用好言语劝他:“自古道:‘瓦罐不离井上破, 将军难免阵中亡。’ 你我两人,下半世也够吃用了,只管做这没天理的勾当, 终须不是个好结果。却不道是梁园虽好,不是久恋之家,不若该行从善,做 个小小经纪,也得过养身活命。”那大王早晚被他劝转,果然回心转意,把这 门道路撇了,却去城市间赁下一处房屋,开了一个杂货店。421 »

On n'aurait jamais pensé que, après s'être emparé de la femme de Liu Gui, ce chef des brigands, en moins de six mois, avait coup à coup fait main basse sur plusieurs richesses. La maisonnée s'était enrichie. La femme, qui était particulièrement avisée, lui conseillait du soir au matin : « Les anciens disaient : ''Tant va la cruche à l'eau qu'à la fin elle se casse, les généraux ne peuvent éviter de mourir sur le champ de bataille.'' Toi et moi, nous avons assez de ressources pour vivre jusqu'à la fin de nos jours, mais en continuant ces manigances immorales, il finira bien par arriver malheur. Ne sais-tu pas que même si le jardin Liang est magnifique, tu ne peux pas espérer t'y établir pour toujours. Mieux vaudrait changer de métier et se repentir en ouvrant un petit commerce qui permettra de vivre paisiblement. » Le chef des brigands, à l'entendre parler ainsi à longueur de journée, décida finalement de se reconvertir. Il abandonna ses intrigues et alla en ville pour louer une bâtisse et y ouvrir une épicerie.

420 FENG Menglong, « disanshisanjuan shiwuguan xiyan cheng qiaohuo » in Xingshi henggyan, op. cit., p.722-739, p.682-683.

On voit dans cette nouvelle que différents types de personnes s'orientent vers la profession de commerçant. En effet, dans l'histoire apparaissent à la fois un lettré et un brigand qui choisissent de se reconvertir. Le premier le fait afin d'obtenir une activité et d'avoir de l'argent et le second pour faire fructifier son argent et ne plus prendre part à de mauvaises actions. Ainsi, diverses raisons mènent des personnes de statut différent à choisir de devenir marchand. L'histoire de Liu Gui peut être mise en lien avec la nouvelle I.18422, déjà citée plus haut, qui présente également un lettré qui

décide de se tourner vers le commerce.

« 一日,杨八老对李氏商议道:“我年近三旬,读书不就,家事日渐消乏。祖

上原在闽、广为商,我欲凑些赀本,买办货物,往漳州商贩,图几分利息, 以为赡家之资,不知娘子意下如何?” 李氏道:“妾闻治家以勤俭为本,守株

待兔,岂是良策?乘此壮年,正堪跋涉,速整行李,不必迟疑也。”423 »

Un jour, Yang Balao dit à [sa femme] Madame Li : « J'ai presque trente ans, ma carrière de lettré n'avance pas et notre patrimoine s'amenuise de jour en jour. Mes ancêtres étaient marchands dans les régions de Min et de Guang424, je pense à rassembler quelque capital, acheter de la marchandise et me rendre à Zhangzhou pour en faire le commerce afin d'en tirer un peu d'intérêt et d'ainsi subvenir aux besoins notre famille. Je ne sais pas ce que tu en penses ? » Madame Li répondit : « J'ai entendu dire que la bonne gestion de la famille se base sur un comportement travailleur et économe, à quoi bon attendre près d'une souche que le lièvre s'y cogne ? Profite maintenant d'être dans la force de l'âge et de pouvoir supporter les difficultés du long voyage. Prépare vite tes valises, il ne faut pas hésiter. »

On peut, à travers ces deux exemples, également constater que le commerce est une activité accessible à tout le monde, contrairement par exemple au mandarinat qui demande de longues études et la chance de réussir le concours. La nouvelle III.35425, que nous avons racontée plus haut

évoque cette idée d'accessibilité de l'activité commerciale. En effet, dans celle-ci, à travers le personnage de A Ji, c'est un serviteur, appartenant à une famille de paysans, qui devient commerçant.

422 FENG Menglong, « dishibajuan Yang Balao yue guo qifeng » in Yushi mingyan, op. cit., p.265- 278. 423 Ibid., p.266-267.

424 La région de Min 闽 correspond environ à l'actuelle province du Fujian. La région de Guang 广 recouvrait l'actuelle province du Guangdong 广东.

« 阿寄道:“那牛马每年耕种雇倩,不过有得数两利息,还要赔个人去喂养跟 随。[...] 那经商道业,虽不曾做,也都明白。三娘急急收拾些本钱,待老奴 出去做些生意,一年几转,其利岂不胜似马牛数倍?[...]” 426 »

A Ji dit : « Grâce au bétail on peut labourer chaque année et on peut aussi le louer, mais on n'en tire seulement quelques taëls. De plus, il faut renoncer à l'un des employés qui doit se charger du fourrage et suivre le troupeau. [...] Le secteur marchand, bien que je n'y ai jamais exercé, je le comprend très bien. Madame, pourriez-vous rassembler quelque capital afin que votre humble serviteur parte faire du commerce. En faisant quelques circuits par an, comment le profit de cette activité ne serait-il pas supérieur à celui tiré du bétail ?[...] »

Ces histoires montrent que le choix de la profession de commerçant est pour certains un choix par défaut. En effet les lettrés l'adoptent lorsqu'ils ne parviennent pas a obtenir de poste de fonctionnaire. Cependant, il savent que le choix de cette activité pourra leur apporter de quoi faire vivre leur famille, contrairement au désœuvrement dans lequel ils se trouvent du fait de leurs échecs aux examens. A Ji, lui aussi prend la décision de devenir marchand pour palier au manque de revenus de la famille de cultivateurs qu'il sert. Nous avons d'ailleurs vu que sa volonté est récompensée puisqu'il gagne suffisamment d'argent pour permettre à Madame Yan d'acheter une grande propriété. Ainsi, bien qu'étant un second choix de carrière pour ces différents personnages, celle-ci reste tout de même attractive.

B.