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Les manuels de Pierre Foncin et le découpage par bassins

Allemagne I Géograp hie

2. La géographie de la France à l’école primaire : entre la nature et l’économie

2.4. Les manuels de Pierre Foncin et le découpage par bassins

Les Petites Géographies de Pierre Foncin sont ainsi les manuels de géographie les plus répandus, plus usités que les livres d’Histoire d’Ernest Lavisse, et ce, tout au long de la IIIe République456. Ces ouvrages commencent par une introduction à la géographie associée à l’apprentissage d’une série de termes relevant principalement de la géographie physique. Ensuite viennent les leçons sur le relief et les cours d’eaux de la France. Ils occupent le premier tiers du livre. L’inventaire détaillé de la France est conduit dans le cadre des départements. Puis, un nombre de pages assez voisin est consacré à la présentation des activités économiques de la France (tableau 12). Enfin les livres de La Première année de la Géographie se concluent par une présentation des autres parties du monde, suivies de notions de géographie générale.

L’intérêt pour les activités économiques mobilise un nombre de pages proche de celles qui sont consacrées aux généralités et à la géographie physique. Les livres de géographie pour l’école primaire sont au moins autant tournés vers l’économie que les monographies du Dictionnaire. À partir de 1882 cet accent renforcé sur la géographie économique est justifié dans un avis des éditeurs qui insistent par ailleurs sur l’introduction quasi-systématique de la double page confortant la logique du « texte - atlas » introduit en France par Levasseur.

[…] La mise en regard des leçons et des cartes, qui contribue si puissamment au succès de la publication, souffrait dans l’ancienne édition, quelques exceptions (canaux, colonies, etc.) : nous l’avons rétablie dans toute son intégralité. — L’importance croissante de l’Algérie et notre expansion coloniale réclamaient quelques cartes nouvelles ; nous les avons données — En géographie comme en toute autre science, la leçon n’est profitable que si elle impose un effort : nous avons rajouté des cartes muettes pour exercices de recherches.

455 BENOIT, M., 1992, L'enseignement de la géographie à l'école primaire 1867-1991, thèse, Université Paris-1, 3 volumes. 203p., 239p., 258p., op. cit., vol. 2, p.164.

456 ibidem.

MOLLIER, J.-Y., 1993, « Le manuel scolaire et la bibliothèque du peuple », Romantisme, n°80, II, p. 79-94.

Mais l’étude de la géographie ne serait qu’un stérile exercice de mémoire si elle n’était pas complétée par la connaissance de la situation économique des différents pays. Aussi M. Foncin a-t-il insisté sur ce point, notamment pour la France. Mais il ne lui a pas semblé suffisant de faire connaître les chemins de fer, les canaux, les colonies, etc., il a expliqué l’utilité des voies de communication, la nécessité des colonies et des rapports internationaux, en un mot, l’auteur a donné de l’intérêt aux nomenclatures en y ajoutant des notions générales.

Est-ce à dire que le niveau du livre a été élevé ? Non. Le livre est resté le même : simple, élémentaire et accessible à la moyenne des intelligences ; il est seulement devenu plus lisible, plus méthodique, plus intéressant, plus actuel. […]

(Les éditeurs.)457

Dans ces livres, si l’on ne prend pas en compte la présentation des autres parties du monde, trois thèmes occupent une place comparable : la géographie physique, la géographie économique et la géographie administrative. Ainsi, dans la Première année de géographie, celle qui correspond aux élèves âgés d’une dizaine d’année, le plan d’étude se déroule dans le même ordre que celui prescrit par Buisson dans le Dictionnaire.

Tableau 12. Géographie physique, économique et administrative dans la Première année de Géographie de Pierre Foncin.

Éditions de 1875 à 1884.

(40 pages plus lexique)

Éditions de 1885 à 1909 (48 pages plus

lexique)

Éditions à partir de 1910.

(52 pages plus lexique) Notions préliminaires

(cosmographie et termes géographiques). 5 5 7

France : relief du sol.

France : cours d’eau 3 4 4

France administrative.

Anciennes provinces 3 4 2

France :

Départements 8 8 8

Algérie ;

Colonies. 0,5 2 5

France : Communications, Canaux et ports ; Agriculture,

industrie et commerce. 5 6 6

France :

Défense militaire ; Alsace-Lorraine. 0 2 2

Exercices 1,5 2 1

Europe physique, Europe politique ; Afrique ; Amérique ;

Asie ; Océanie. 12 12 12

Géographie générale : Cosmographie, Races humaines,

Grands voyageurs, Navigation ; Objets de commerce. 2 3

La géographie physique constitue, comme dans la plupart des monographies du Dictionnaire le cadre premier de l’étude, mais pas la plus importante, même si la géographie physique occupe la plus grande partie des pages consacrées aux notions préliminaires. Ici, les termes de géographie

457 FONCIN, P., 1886, La Première année de géographie, édition refondue (81è), 2ème de couverture.

définis dans le vocabulaire sont quasiment tous « relatifs aux mers », « relatifs aux terres »,

« relatifs aux cours d’eau ». À partir de 1910 s’y adjoint un lexique « relatif au climat ». La France est d’abord étudiée sous l’angle de la géographie physique. La carte des cours d’eau précède d’abord celle du relief, puis à partir de 1885, au moment où on déclare renoncer à l’étude par bassin, la leçon sur le relief du sol précède celle qui traite sur les cours d’eau. On voit se produire la même inversion de l’ordre hydrographie, orographie que dans les monographies du Dictionnaire.

Mais si la géographie physique est la première dans l’ordre de l’étude, ce n’est pas celle qui occupe le plus de place dans le livre.

L’étude de la France par départements regroupés par bassin est un héritage ancien comme le note Numa Broc : « […] dès 1791, les géographes prennent l’habitude de regrouper les départements par bassins fluviaux, comme le fait Mentelle dans sa Méthode courte et facile pour apprendre aisément et retenir la géographie de la France. »458. Nous verrons qu’à partir de 1885, Pierre Foncin abandonne l’approche régionale de la France par bassins. Ceci se produit quelques années après l’abandon de cette approche dans le plan des monographies géographiques du Dictionnaire de Ferdinand Buisson (1879) (cf. tableau 9).

En effet jusque vers 1884 le bassin est resté le cadre « naturel » de découpage de l’espace, en particulier celui de la France459. Ceci était justifié en 1853 par le frère P.B. :

81. D. Quel est le moyen le plus commode pour fixer l’attention sur la position des diverses provinces ?

R. C’est la division par bassins.

82. D. Qu’est-ce qu’un bassin géographique ?

R. C’est une étendue de pays arrosée par un fleuve et ses affluents.

83. D. En combien de bassins peut-on diviser la France ?

R. En quatre grands et deux petits ; les quatre grands sont : 1°° celui de la Seine ; 2° celui de la Loire ; 3°

celui du Rhône ; 4° celui de la Gironde, formé par la Garonne et la Dordogne. Les deux petits sont celui du Rhin et celui de l’Escaut.

(Frère P.B.)460

Ainsi, jusqu’en 1885, les leçons du manuel de Foncin présentent les départements regroupés par bassins hydrographiques. Mais il existait une alternative, celle pratiquée par Malte-Brun et qui se fonde sur les points cardinaux.

458 BROC, N., 1990, « Deux géographes “ révolutionnaires” : Philippe Buache et Jean Nicolas Buache de la Neuville », Cartes, cartographes et géographes, Actes du 114ème congrès national des sociétés savantes. Paris 1989. Paris : éditions du CTHS, p.12.

459CHEVALIER J.-P., 2001, « La région, un cas de figure de la géographie scolaire », Enseigner la région. Pierre Boutan, Philippe Martel, Georges Roques (dir.). L’Harmattan, collection Logiques politiques. 362p.

p.165-172.

460 Frère P. B., 1853, Abrégé de géographie commerciale et historique contenant la division de la France par bassins, un tableau synoptique pour chaque province, des notions historiques sur les états du globe suivi Des mœurs et des usages des principaux peuples et d’un Précis de cosmographie selon le système de Copernic., (28ème édition). Tours : Alfred Mame et Cie ; Paris : Veuve Poussielgue-Rusand.

Cartes 1a et 1b : Les découpes majeures de la France par Malte-Brun et Huot en 1845 et par Foncin en 1880.

Carte 1a. Découpe en 5 livres de la description Carte 1b. Découpage des cartes regroupant par de la France par Malte-Brun et Huot bassin les départements. Foncin 1880461

Le découpage par bassin n’est donc pas la seule tradition en 1880. Ainsi Malte-Brun proposait auparavant un autre découpage : « région méridionale » (livre 53ème), « région occidentale » (livre 54ème), « région centrale » (livre 55ème)… :

La division artificielle de la France en cinq grandes régions : celles du sud, de l’est, du centre, de l’ouest et du nord, nous semble la meilleure à adopter, et la plus commode pour suivre nos excursions chorographiques.

(Malte-Brun et Huot.)462

Si l’on compare les cartes du découpage de Malte-Brun et celui des cartes de l’édition de 1880 de la Première année de géographie (cartes 1a et 1b) on constate une notable différence. Foncin privilégie le regroupement des départements par bassin hydrographique. Le département des Côtes-du Nord est joint à l’ensemble de ceux drainés par la Seine vers la Manche463. Le versant

461 Voir carte en couleur p.176.

462 MALTE-BRUN, K., 1810-1829, Précis de la géographie universelle ou Description de toutes les parties du monde sur un plan nouveau. Tome II : Description de la France. Paris : Bureau des publications illustrées, Cinquième édition revue par HUOT, J.-J.-N.,1845. p.119.

463 Ce genre de découpage est dénoncé par Paul Dupuy : « Tout, en somme, se ramène à la France et pour la France, le gros du travail consiste à faire entrer les départements dans les bassins. On arrive dans ce sens à des résultats surprenants : il est classique de mettre les Côtes-du-Nord dans le bassin de la Seine, à titre de fleuves côtier. L’Ille-et-Vilaine par contre, où se trouve presque tout le cours de la Rance, est, à cause de la L’Ille-et-Vilaine, attribué à la Loire. Ainsi le bassin de la Loire s’ouvre une petite fenêtre sur la Manche, entre Saint-Malo et le mont Saint-Michel, tandis que les Côtes-du-Nord s’avancent en éclaireur du bassin de la Seine. »

En 1889 Paul Dupuy collabore à la Troisième année de géographie de P. Foncin

DUPUY, P., 1889, « La géographie dans l’enseignement primaire », Revue de géographie, p. 289.

méditerranéen s’étend de Belfort à la frontière espagnole. Par contre, le versant atlantique est subdivisé en deux ensembles articulés principalement autour de la Loire ou de la Garonne. Les cinq grands fleuves : Seine, Loire, Garonne, Rhône et du Rhin organisent ce découpage spatial de la France.

Le poids pris par la géographie physique dans la deuxième moitié du XIXe siècle renforce le rôle des fleuves dans le discours géographique. Les descriptions de Malte-Brun se faisaient en suivant principalement les routes. Les article de Gaston Meissas dans le Dictionnaire sont rédigés plus « au fil de l’eau » qu’au long des chemins.

L’intérêt pour la géographie économique est ainsi juxtaposé à un long préambule, au sens étymologique du mot, où l’on découvre l’espace en suivant les cours d’eau. Puis, à partir de 1886 les livres scolaires de Foncin reflètent rapidement les évolutions des paradigmes des géographes, ils abandonnent les découpages par bassins (tableaux 13). Cette évolution est similaire à celle que nous venons de constater à partir de 1879 dans les monographies du Dictionnaire de Ferdinand Buisson.

Si l’on compare ce nouveau découpage à celui retenu par Élisée Reclus pour décrire la France dans sa Nouvelle géographie universelle,464 on est frappé des ressemblances (cartes 2a et 2b).

Cartes 2a et 2b : Les découpes majeures de la France par Élisée Reclus en 1877 et par Foncin en 1886.

Carte 2a. Découpe en chapitres de Carte 2b. Regroupement régionaux des la description de la France par Élisée Reclus départements par Foncin en 1886465

La géologie a fait apparaître le Massif-central qui est plus méridional que la « région centrale » de Malte-Brun (carte 1a). Sous la plume de Reclus et dans l’organisation des livres de Foncin on voit alors surgir le rôle des montagnes dans la structuration de l’espace français. Leur importance se lit dans la table des matières du volume de la G.U. de Reclus sur la France. Chapitre II : Les Pyrénées, les Landes et le bassin de la Garonne ; chapitre III : Les Alpes, le Rhône et le littoral

464 RECLUS, É., 1877, Nouvelle géographie universelle, La Terre et les hommes, t. II La France, Hachette, 962p.

465 Voir carte en couleur page 176.

méditerranéen ; Chapitre IV : Le Jura et le bassin de la Saône ; Chapitre V : Le plateau central de la France…. Dans ce volume de cette Nouvelle Géographie universelle, les montagnes précèdent les bassins dans le plan général de l’ouvrage et dans les libellés des chapitres qui les associent.

Ceci est encore plus net chez Foncin. Il identifie à partir de 1886 un plateau central, il fait des Pyrénées et de leur avant-pays une région, il rassemble dans une même région méridienne et montagneuse Jura, Alpes et Corse, distincte du sillon rhodanien. Il fait même apparaître une région en Bourgogne sous l’intitulé « Petits massifs montagneux entre Loire et Saône » (tableaux 13).

À côté des cartes des départements par bassins hydrographiques, les éditions antérieures à 1885, présentent aussi des inventaires des départements466 organisés par régions agricoles (carte p 75).

Mais, il n’y a pas à proprement parlé de description de géographie régionale, si ce n’est dans le cadre des bassins467. Ce découpage semble le plus important, car c’est celui qui est utilisé pour décrire les espaces des départements.

Tableaux 13. Des bassins aux régions naturelles.

Les découpages régionaux de la France dans La Première année de géographie (P. Foncin).

Tableau 13a. Les découpages régionaux de la France dans La Première année de géographie (P. Foncin). L’Ouest : un découpage implicitement paysager ou climatique à la place du bassin de la Loire.

Invention en 1886 d’une région Ouest, elle englobe toute la Normandie et ne comprend plus l’amont du bassin hydrographique de la Loire.

Le découpage reste par la suite stable jusque dans les années 1920.

466 Pierre Foncin, op. cit. Édit. 1880, p.72 à 75.

467 Pierre Foncin, op. cit. Édit. 1880, p 64 à 70.

468 « Plaine de la Loire » au singulier dans la nouvelle édition de 1920 pour le cours préparatoire.

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