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La géographie appliquée déclinée en 4 domaines successifs

Des Géographies dans le Dictionnaire de Ferdinand Buisson

1.2. La géographie appliquée déclinée en 4 domaines successifs

Après cet assez long catalogue (883 mots) qui inventorie les objets de la “ géographie générale ”, vient l’inventaire, plus rapide, de la “ géographie appliquée ”, domaine de ce que nous appellerions depuis la géographie régionale. Cette géographie du régional, du local n’apparaît pas, pas encore, comme un élément constituant de la géographie générale341, mais au contraire comme sa concrétisation, dans une logique déductive. Les mêmes rubriques que celles qui sont proposées pour l’étude de la géographie générale sont à nouveau déclinées, dans le même ordre de catalogue. Petite différence, la géographie économique est promue au niveau d’une grande sous-partie.

1 Situation (longitude, latitude), orientation, superficie : Géographie mathématique.

2 Nature du sol, relief, cours d’eau ; climat, flore, faune : Géographie physique.

3 Population, race, langue, coutumes ; divisions administratives ; souvenirs historiques, monuments ; Géographie politique.

4 Agriculture, industrie, commerce : Géographie économique.

(P. Foncin, Géographie.)

Cette rubrique “ géographie économique ”, distincte de la “ géographie politique ”, se matérialise dans certaines monographies du Dictionnaire342, elle apparaît comme une sorte de dédoublement de la “ géographie politique ”343, mais sans que l’itinéraire de l’étude varie. Cette constance de l’ordre de l’étude est présentée par Foncin, à la fois comme une caractéristique des “ divisions de la science même ” et comme un moyen pour le maître d’intéresser son auditoire en s’en servant comme illustration des lois générales (du général vers le particulier).

Après avoir rapidement évoqué une géographie comparée (102 mots) qui est en quelque sorte une géographie thématique régionale, Foncin décrit les “ rapports de la géographie avec les autres sciences ” qu’elle “ met plus ou moins à contribution ” (133 mots). Il conclut en présentant sa conception de la géographie que l’on peut qualifier de taxinomique tant il l’assimile à une science de la classification : “ Ayant à représenter le monde terrestre en raccourci, elle résume et condense le savoir humain. Mais elle n'invente rien ; elle se contente de reprendre, de classer et de peindre.

340 cf. chapitre 5.

341 Vers 1880, la démarche des géographes français ne correspond pas encore à cette proposition de Robert Marconis :

“ Dès la fin du XIXe siècle, les géographes français n’ont pas caché leur ambition de construire une géographie générale à partir de nombreuses études régionales […] ”.Introduction à la géographie, chapitre 5, p.95.

342 Cf. chapitre 4.

343

“ Si une certaine mode porte la géographie au cours du dernier tiers du XIXe siècle, mode patriotique certes, mais plus générale puisqu’elle s’observe dans la plupart des puissances européennes, son contenu cognitif est à la fois vague et encyclopédique. Quelques structures majeures émergent toutefois, qui distinguent notamment une trilogie formée par la géographie physique, la géographie politique et géographie économique. Les deux premières dénomination datent du XVIIIe siècle, liées aux travaux de Buache sur la division naturelle de la terre par bassins hydrographiques et au projet de géographie politique élaboré par Turgot, vaste fresque historique des progrès des peuples ; la géographie économique s’est imposée seulement dans les années 1870 par l’entremise d’Émile Levasseur (1828-1911) […] ”

Marie-Claire Robic, Du milieu à l’environnement, chapitre 4, p.125.

Ses qualités essentielles sont la clarté, la méthode et l'exactitude. ”. Curieuse “ science ” que cette géographie qui n’invente rien, qui compile, classe et décrit les phénomènes découverts par d’autres.

Ensuite, il consacre les deux derniers tiers de son article (2 639 mots) à une Histoire de la géographie qu'il termine par ces propos, assimilant implicitement les progrès de la géographie à la découverte du monde.

Outre les ouvrages savants et spéciaux, des atlas et des revues, des récits de voyage contribuent à répandre le goût de la géographie.

Il importe de seconder ce mouvement qui tend à rapprocher les peuples, à les instruire par la comparaison et l'expérience, et par conséquent à les améliorer, comme aussi d'encourager l'étude de plus en plus sérieuse et précise d'une science qui éveille l'imagination sans l'abuser, éclaire les intérêts légitimes du négociant ou de l'industriel, fournit des renseignements précieux à l'homme politique, satisfait les plus nobles curiosités, et ne saurait sans mentir à elle-même, avoir d'autre devise que celle de la vérité.

(P. Foncin, Géographie.)

Au total, la géographie de Foncin a pour objet de tout inventorier, classer, dépeindre ; vaste catalogue, mais ambition fort restreinte pour une “ science ”.

L'article Géographie de la Deuxième partie du Dictionnaire se poursuit par une deuxième section, rédigée par la rédaction, qui propose curieusement un autre découpage pour la géographie à l’école primaire : la géographie générale puis la géographie de la France. Pour Buisson, il y a la géographie de la France et la géographie générale.

Le plan d’étude scolaire de Buisson diffère donc globalement du plan de présentation scientifique de la géographie par Foncin. L’expression “ géographie générale ” semble particulièrement confuse dans le plan d’étude du Dictionnaire, puisque Ferdinand Buisson renvoie à des articles qui, selon la présentation de Foncin, relèvent de ce champ : (Glaciers, Globe, Mappemonde, Marées et Océans) ; mais aussi à des articles qui devraient relever de la géographie “ mathématique ” (Cartographie), et surtout de la “ géographie appliquée ”, découpée en États ou en parties du monde, pour employer le vocabulaire de l’époque : Afrique, Algérie, Allemagne, Alpes, Amérique, Angleterre, Australie, Autriche, Asie, Belgique, Égypte, Europe, Espagne, Grèce, Inde, Italie, Océanie, Orient (extrême), Pays-Bas, Scandinave (États), Suisse, Russie et Turquie.

La liste des articles qui sont indiqués à partir de l’entrée “ géographie de la France ”(Algérie, Alpes, Cadastre, Canaux, Chemin de fer, Colonies françaises, Départements, Droit administratif, Droit public, France, Glaciers, Provinces) confirme l'éclectisme de cette approche. Pourtant, les plans d’études proposés par Foncin pour la géographie “ appliquée ”, c’est-à-dire régionale au sens présent du terme, et par Buisson pour l’étude de la France convergent (tableau 1). Y aurait-il déjà convergence vers un plan à tiroirs commun à toutes les monographies ?

Marie-Vic Ozouf Marignier signale à propos du Tableau de la géographie de la France de Vidal de La Blache l’existence antérieure « de toute une gamme de sources possibles pour les études régionales : mémoires d’intendant, enquêtes révolutionnaires ou impériales et « toute une série d’ouvrages appartenant à des genres éditoriaux voisins tels que les « descriptions », les

« géographies », les « tableaux géographiques », les « atlas », les « dictionnaires », les histoires naturelles et les statistiques .»344 Elle indique que du point de vue du plan ces sources anciennes étaient déjà souvent fortement structurées, ne serait-ce que par l’exigence du commanditaire de

344 OZOUF-MARIGNIER, M.-V., 2000, « Le Tableau et la division régionale : de la tradition à la modernité ». Le tableau géographique de la France de Paul Vidal de la Blache. Dans le labyrinthe des formes. ROBIC, M.-C. (dir.), Paris : Comité des travaux historiques et scientifiques. p.155.

l’enquête. Elle cite en exemple les mémoires de 1697 commandés par le Comte de Boulainvilliers à ses intendants de province345 étudiés par Esmonin346. Les premières rubriquent doivent être :

Étendue du pays, longueur et largeur, confins à l’orient et à l’occident, au midy et au septentrion. Mers, ports et rivières navigables (ou) propres à les rendre telles, autres rivières, canaux à creuser pour la communication rivières ou en joindre quelques-unes. Montagnes, pays unis, forestz, quelle sorte de bois, fruits principaux de la terre. Climat froid, chaud ou tempéré, pâturages, nourriture des bestiaux. Mines, métaux ou autres richesses souterraines, salpêtre. Plantes, arbres fruitiers, commerce de denrées, avec quels voysins et par où, marais à dessécher. Hommes : leur naturel vif ou pesant, laborieux ou paresseux, leurs inclinations, leurs coutumes. Nombre de villes, nombre des hommes à peu près en chacune, nombre de village et des hommes, total des paroisses et des âmes de chacune…347

Les plans proposés pour l’étude de la géographie appliquée par Foncin ou par Buisson pour l’étude de la France à l’école primaire se situent donc dans une tradition plus ancienne. On remarquera néanmoins que le relief tend à précéder l’étude des cours d’eau, c’est semble-t-il une des caractéristiques de ces dernières décennies du XIXe siècle (tableau 1).

Tableau 1 : Plans d’étude pour la géographie “ régionale ” de Foncin et Buisson dans le Dictionnaire de Ferdinand Buisson

Plan d’étude de P. Foncin

pour la géographie “ appliquée ” Plan d’étude de F. Buisson pour la

“ géographie de la France à l’école primaire ” 1. Situation (longitude, latitude), orientation,

superficie : Géographie mathématique.

1. Géographie physique. Côtes et frontières 2. Nature du sol, relief, cours d’eau ; climat,

faune, flore : Géographie physique

3. Orographie

4. Hydrographie 3.Population, race, langue, coutumes ; Souvenirs

historiques, monuments : Géographie politique

4. Géographie historique

5. Géographie politique et administrative 4. Agriculture, industrie, commerce :

Géographie économique

6. Géographie agricole

7. Géographie industrielle et commerciale 8. Algérie

9. Autres colonies 10. Révision générale

On retrouve ce type de plan dans certains des programmes scolaires étrangers recensés dans le Dictionnaire. C’est en particulier le cas des écoles de Saint-Louis du Missouri, écoles modèles pour Buisson, leur plan d’étude n’énumère pas moins de 14 rubriques successives pour la géographie “ spéciale ” . Remarquons aussi la place particulière attribuée aux villes en fin d’étude.

[…] description et cartes des deux hémisphères, de l’Amérique du Nord et des États-Unis. La description contiendra les points suivants : 1° limites, 2° étendue, 3° cours d’eau et lacs, 4° divisions politiques, étude spéciale de chacune de ses divisions, sous le rapport : 5° du climat ; 6° de la flore, 7° de la faune ; 8° de la population ; 9° du gouvernement ; 10° de la religion ; 11° de l’éducation ; 12° de l’histoire ; la description détaillée des subdivisions de chaque État comporte l’étude : 13° des productions ; 14° des villes. […]

(article Géographie, DP2.)

345 BOULAINVILLIERS, Comte de, 1737, État de la France…. Londres : Wood et S. Palmer. 6 vol.

346 ESMONIN, E., 1964, « Les mémoires des intendants pour l’instruction du duc de Bourgogne (étude critique). Études sur la France des XVIIe et XVIIIe siècles. Paris : PUF. p. 113-130.

SMEDLEY-WEILL, A., 1995, Les Intendants de Louis XIV. Paris : Fayard.

347 ESMONIM, 1964, op. cit., repris par Marie-Vic Ozouf-Marignier, 2000, op. cit. p.155-156.

Dans les écoles normales italiennes le plan d’étude de la péninsule ne diffère guère, il est fortement marqué par les enjeux de l’unité italienne.

[…] 9° L’Italie. Situation absolue et relative. Configuration. Dimensions. Orographie et hydrographie.

Régions. Îles. Volcans. Climat et productions. Population.

10° Division politique de l’Italie. Territoires dépendant d’États étrangers. États italiens : république de San Marino, État pontifical, royaume d’Italie (ce programme a été rédigé antérieurement à 1870).

Population, constitution, divisions administratives, forces de terre et de mer, industrie, commerce, importation et exportation. […]

(article Géographie, DP2.)

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