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Les manquements au célibat d’après les archives des officialités

ECCLÉSIASTIQUE ET NORMES DANS L’OCCIDENT MODERNE

I. Les manquements au célibat d’après les archives des officialités

a) Présentation sommaire de l’incontinence ecclésiastique

À l’épreuve des sources

Au total, entre 1500 et 1790, 1183 membres du clergé séculier258, répartis entre les curés, les prêtres habitués, secondaires ou desservants, les vicaires, les chapelains et les chanoines-curés, ont connu un procès dans une des six officialités étudiées. Ils concernaient aussi bien les délits sexuels, le concubinage ou autre atteinte aux bonnes mœurs, les injures, querelles et blasphèmes, les diverses violences allant d’un simple coup de bâton259 à l’utilisation du fusil contre les paroissiens260, les refus de la constitution Unigenitus261, les ivrogneries, les vols, les jeux, les escroqueries, les pratiques de chasse et de pêche, les négligences et irrégularités ecclésiastiques… 451 d’entre eux262, soit plus de 38 % ont été incriminés, notamment, pour faute sexuelle263. Ce chiffre reflète une délinquance avérée. Nous avons pris soin d’écarter de nos statistiques les ecclésiastiques récidivistes dont le nom

257 A.N., Z10 225A, Adrien Nicolas Pierre Dardet, 1768.

258 Il s’agit d’un chiffre minimum, des dossiers n’étant plus communicables, d’autres étant vides. Enfin, citons les dossiers remis au personnel des dépôts d’archives en raison de leur détérioration et friabilité.

259 A.D. Marne, 2G 1925, Charles Franquet, 1722 : prêtre habitué à Reims qui poursuit un paroissien avec un bâton en raison d’un conflit portant sur les réparations d’un mur.

260 A.D. Oise, G 4456, André Le Viel, 1655 : curé de Fontenay qui tire sur l’un de ses paroissiens. 261 A.D. Marne, 2G 1924, Ponce Trouille, 1717, refus de la Constitution Unigenitus.

262 Ce chiffre prend uniquement en compte les ecclésiastiques jugés en première instance par l’officialité de leur diocèse respectif. Nous n’avons pas repris les 85 appels métropolitains et / ou au Saint-Siège n’émanant pas des six diocèses afin de ne pas fausser l’analyse statistique.

263 Nous ne tenons compte ici que des dossiers de procédure et non pas des registres aux sentences dont la consultation s’avère délicate en fonction des dépôts d’archives. Ainsi, dans la série Z10 242-243 des Archives Nationales, si les affaires civiles mentionnent la nature du délit, ce n’est pas le cas des sentences ayant pour acteur un ecclésiastique. De même, certains registres des A.D. Nord, 5G 140-147, n’indiquent que la sanction, le nom de l’intéressé et la localité sans parfois la mention du délit. Concernant les registres de l’officialité de Beauvais, G 4036 à G 4057, nous retrouvons fréquemment la sentence déjà présente dans le dossier de procédure.

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apparaissait plusieurs fois tel Philippe Givry, qui se retrouva deux fois face à l’official de Cambrai264, les dossiers de procédure où le péché de chair est suggéré mais non prouvé comme dans le dossier du curé de Villers-Plouich, diocèse de Cambrai, qui se voit accusé par le fiancé de sa servante d’être incontinent. Précisons que l’auteur de la rumeur cherche à rompre ses fiançailles265. Il nous faut préciser que ces 451 cas ne sont pas répartis uniformément au sein des six diocèses étudiés. En effet, 180 ecclésiastiques incriminés ont été relevés dans les archives de l’officialité de Beauvais pour une période allant de 1619 à 1754, 108 dans le diocèse de Cambrai entre 1594 et 1790, 14 dans le diocèse de Châlons-en-Champagne entre 1503 et 1782, 38 dans les archives de l’officialité de Paris entre 1650 et 1785, 49 dans le diocèse de Reims entre 1666 et 1786 et enfin 62 au sein de l’officialité de Troyes entre 1500 et 1723, avec pour particularité de ne compter que 7 instructions pour les XVIIe et XVIIIe siècles

Diocèse Nombre d’ecclésiastiques incriminés pour délinquance sexuelle (XVIe-XVIIIe siècles)

Beauvais 180 Cambrai 108 Châlons-en-Champagne 14 Paris 38 Reims 49 Troyes 62 Total 451

Tableau n°1 : Répartition des ecclésiastiques incriminés pour délinquance sexuelle dans les diocèses étudiés (XVIe-XVIIIe siècles).

Les faibles résultats de l’officialité de Châlons-en-Champagne peuvent être imputables aux aléas de la conservation des sources mais comment justifier la faible activité judiciaire de l’officialité troyenne aux XVIIe et XVIIIe siècles266 ? Il serait vain d’établir une étude de la répression de l’acte de chair à travers les siècles, tant les sources des diocèses étudiés sont éloignées chronologiquement. Nous pouvons noter un certain parallélisme entre les diocèses de Beauvais et de Cambrai mais il serait contre-productif de vouloir établir cette comparaison entre ces diocèses et celui de Paris où les sources criminelles montrent un net déséquilibre entre les XVIIe et XVIIIe siècles267.

Ce chiffre de 451 cas peut sembler peu probant au regard de la totalité du personnel

264 A.D. Nord, 5G 514, Philippe Givry, 1690, 5G 518 (1703-1704), 5G 523 (1733). 265 A.D. Nord, 5G 516, Pierre Simon, 1696.

266 Nous avons relevé 3 procès instruits au Grand Siècle et 4 au XVIIIe siècle.

267 Seuls 7 ecclésiastiques dévoyés ont laissé une trace dans les archives de l’officialité parisienne au XVIIe siècle contre 31 au XVIIIe siècle.

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ecclésiastique et en fonction de l’ensemble des affaires de discipline instruites au cours de ces trois siècles mais gardons à l’esprit que de nombreuses sources furent détruites au fil du temps et que tous les ecclésiastiques délinquants ne furent pas traduits en justice. De nombreux hommes de Dieu ayant fréquenté une femme ou ayant eu recours aux services de prostituées ne figurent pas au sein des dossiers des officialités car de multiples fautes de chair semblent avoir été passées sous silence268. Le curé concubinaire bénéficiait parfois de la complicité des habitants, dans le cas où le service religieux était correctement effectué. Si les paroissiens de Jean Lenglet, curé de Troissereux se plaignent auprès du promoteur de l’officialité « des prosnes qu'il faict ne faisant que leur dire des choses quy touchent leur honneur et les montre au doigt avec menace et disent tous estre scandalizés de sa mauvaise vie et qu'ils ne parlent d'autres choses en faisant leur ouvrage a la campagne »269, les paroissiens de Louis Mouflette, curé d’Ercuis, dont la relation avec Marie-Anne Chrétien est publique, s’accordent à dire qu’il s’agit d’un bon prêtre qui remplit très bien ses fonctions curiales et ne souhaitent pas changer de desservant270. Autre exemple représentatif expliquant la faiblesse statistique : Eustache Pillon, curé de Rieux, se voit reprocher, en 1661, par l’official de Beauvais son état d’ébriété très avancé après avoir fêté au presbytère de Verneuil, avec le curé du lieu, le baptême d’un enfant illégitime. Or, cet enfant n’est autre que celui du curé de Verneuil, dont le nom nous est inconnu271. Après avoir dépouillé les sources de l’officialité ainsi que le dossier de la paroisse272, il apparaît clairement que ce curé de Verneuil n’a pas été poursuivi. De même, Louis d’Eppe, curé de Steenquerke, présenté comme concubinaire notoire, se voit reprocher par l’official les menaces qu’il a proférées à l’égard du mayeur en 1619, mais aucune mention n’est faite de sa concubine273. Citons encore Turiez, prêtre du diocèse de Paris, qui fait l’objet d’un échange épistolaire entre l’archevêque Christophe de Beaumont et le lieutenant général de la police de Paris suite à son arrestation chez une fille de joie de la capitale274 mais qui ne sera jamais traduit devant le tribunal de l’archevêché. En reprenant les travaux d’Erica-Marie Benabou, qui a souligné l’arrestation de plus de 700 ecclésiastiques pour fréquentation de prostituées durant la décennie 1755-1769275, on s’aperçoit aisément que les cas que nous avons

268 La différence entre la criminalité jugée et la criminalité réelle est une notion essentielle de l’histoire du droit, mise en exergue par Benoit Garnot mais également pour une période plus tardive par Céline Regnard, « La fabrique du crime. Les attentats aux mœurs devant la Justice (France-Var, XIXe siècle) », Rives méditerranéennes, n°40, 2011, p. 87-106.

269 A.D. Oise, G 4397, Jean Lenglet, 1652-1662. 270 A.D. Oise, G 4484, Louis Mouflète, 1711. 271 A.D. Oise, G 4512, Eustache Pillon, 1661.

272 A.D. Oise, G 3330, Paroisse de Verneuil, 1658-1684. 273 A.D. Nord, 5G 509, Louis d’Eppe, 1619.

274 B.A., ms. Bastille 10246, Surveillance des prêtres, 1750.

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répertoriés dans les archives de l’officialité, pour cette même période, ne reflètent pas l’ensemble de la déviance sexuelle ecclésiastique. D’après notre analyse statistique, nous sommes d’avis que le problème du non-respect du célibat concernait vraisemblablement entre 10 et 15% du personnel ecclésiastique du XVIe au milieu du XVIIe siècle contre un pourcentage oscillant plus certainement entre 7 et 10% dès 1650 et allant decrescendo jusque 1789.

Délits sexuels et de toute nature

Sur les 451 cas recensés dans les sources des officialités, 196 ecclésiastiques se retrouvèrent face à l’official non pas pour seul péché de chair mais suite à une accumulation de déviances comme l’indique le tableau suivant.

Diocèse Nombre d’affaires instruites par l’officialité ayant pour acteur un membre du clergé séculier (XVIe-XVIIIe siècles) Nombre d’ecclésiastiques ayant commis un ou plusieurs délits sexuels (XVIe-XVIIIe siècles) Nombre de d’ecclésiastiques ayant commis d’autres délits en plus de la déviance sexuelle (XVIe-XVIIIe siècles) Beauvais 376 180 50 Cambrai 226 108 71 Châlons 18 14 5 Paris 99 38 31 Reims 101 49 26 Troyes 363 62 13 Total 1183 451 196

Tableau n°2 : Répartition du nombre de délits par diocèse (XVIe-XVIIIe siècles).

En moyenne, ces 196 hommes de Dieu se rendirent coupables de trois délits : le péché de chair étant dans 76% des cas associé à l’ivrognerie et à la négligence dans les fonctions pastorales. Ces incapacités ou négligences découlent des délits commis précédemment car l’attrait pour les femmes ou pour le vin sont des obstacles à la mission pastorale et il devient alors fréquent de lire que le prêtre a commis des fautes, a manqué de zèle, n’a pas donné pas les sacrements, que les « paroissiens avoient manqué d’assistance spirituelle »276.

Ivrognerie et luxure

Parmi ces déviances multiples, l’ecclésiastique sexuellement délinquant est aussi dans

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169 cas un amateur de bon vin. Si le peuple était communément réputé pour aller, une fois les labeurs achevés, à la taverne ou au cabaret, lieux par excellence de sociabilité villageoise, les prêtres les fréquentaient aussi. Or, l’ivrognerie était considérée comme péché véniel ou mortel en fonction des excès et la casuistique considérait l’ivresse des hommes d’Église comme étant encore plus grave que celle des laïcs. Ainsi, Matthieu Lecoutre a démontré que « L’ecclésiastique pèche davantage qu’un laïc, notamment lorsqu’il remplit ses fonctions auprès des paroissiens, car en plus de profaner son propre corps, Temple du Saint-Esprit devenu marais de vin, il met en danger le salut de ses paroissiens. "Comment pourra-il baptizer, ou Confesser ou porter la Sainte Eucharistie, ou administrer le dernier Sacrement aux malades, s‟il est yvre"? Il commet donc au moins deux péchés mortels en même temps »277. Rappelons qu’un édit du 30 août 1536 faisait de l’ivresse un crime278 et que la fréquentation des tavernes était formellement interdite aux ecclésiastiques ; d’ailleurs, François de Salignac de la Mothe Fénelon, archevêque de Cambrai, avait interdit dans son intégralité la fréquentation des cabarets279. Peut-on toutefois établir un lien entre ces fréquentations interdites, l’ivrognerie et le péché de chair ? Parmi les 169 hommes d’Église cumulant ivrognerie et déviance sexuelle, 97 se dispersent aussi dans les injures, les querelles, les négligences pastorales, les violences ; nous sommes ici en présence de prêtres qui n’ont de prêtre que le nom et se comportent comme leurs ouailles, comme des laïcs querelleurs, parfaitement intégrés à une société rurale dont les mœurs sont rustres et dont le climat violent est généralisé comme l’a montré Robert Muchembled dans La violence au village280. L’ivrognerie est souvent la cause de tous les maux : Adrien Thomas, curé d’Everbecq se voit reprocher « qu’a cause de son yvresse, dont il est atteint le plus souvent au grand scandal de ses paroissiens », il a laissé mourir des fidèles sans les derniers sacrements, n’a pas « catechisé depuis quatre ans ou environ », qu’il « parle hautement dans l’Église », « qu’au lieu de tenir caché les délicts privez de ses paroissiens […] il at osé decrier dans cette même église un de ses principaux paroissiens », qu’ivre une fois de plus lors de l’office il a « osé frapper sans sujet, ni raison un jeune homme » ; et bien sûr, à ces déboires, il nous faut ajouter la liaison avec la servante du presbytère281. De même, le curé Jacques Hodin de la paroisse Saint Hilaire de Reims fait les frais de son excès de boisson : tellement « enclin au vin », « il jure, s’emporte avec violence », ne parvient plus à faire

277 M. Lecoutre, Ivresse et ivrognerie dans la France moderne (XVIe-XVIIIe siècle), thèse de doctorat d’histoire,

sous la direction de Benoît Garnot, Université de Bourgogne, 2010, p. 71. 278 Ibid, p. 99.

279 A.D. Nord, 3G 2854, Henri du Cateau, 1709.

280 R. Muchembled, La violence au village. Sociabilité et comportements populaires en Artois du XVe au XVIIe

siècle, Brepols, Bruxelles, 1989.

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correctement les offices, trop saoul pour tenir en chaire et fréquente une femme qu’il amène dans les cabarets »282.

Pour les 72 autres ecclésiastiques, il semble que ce soit l’ivresse qui les conduise au péché de chair. Pierre Carneau, curé de Juvignies et Jean Langlois, curé de Rotangy, tous deux du diocèse de Beauvais, dans un état d’ébriété avancé, vont se lancer dans un numéro de séduction bien déplaisant à l’égard d’Anne de Rouy, fille à marier :

« Lesdits Carneau et Langlois viendront a leur logis ayant desia beaucoup beu et estans tous deux plein de vin et y estant demanderent encore a boire et se rendirent encore plus yvres qu'auparavant [...] demandèrent a coucher encore qu'il fut encore bonne heure et comme on leur dict qu'il n'y avoit point de lict, ils persisterent, tesmoignant tousiours avoir volonté d'y coucher et durant ce temps, ils tinrent a la deposante plusieurs discours touchant l'impudicité luy demandant entre autres choses si elle estoit bien aise de les servir quel service elle leur pourroit rendre si cestoit au lict »283.

Albert François Oblin, « pretre curé de la paroisse de Jolimetz, district de Valenciennes » se « laissoit aller a des attouchemens les plus deshonettes » après avoir abusé du vin dans les cabarets du village284. Jean Jaquart, chapelain à Salon dans le diocèse de Troyes, se lance à la poursuite de Claudie, une jeune fille à marier, considérée comme honnête par les paroissiens, car il est « plein de vin »285. Notre but n’est pas de présenter ces 72 affaires, mais d’établir une relation de cause à effet entre ivresse et violence sexuelle. L'enivrement entraîne une perte des sensations, de la raison, une désinhibition et des perturbations cognitives : « L’enivré, dépourvu d’entendement dans ce moment de trouble, est comme un homme endormi au milieu de la mer, comme un Pilote assoupi qui a perdu le gouvernail. Il est hors de lui-même et il devient dès lors impossible de raisonner avec lui »286. Laurent Papin, vicaire de Boran, est l’exemple même de cette perte de conscience : ecclésiastique zélé, il perd tout contrôle lors des épousailles de Mathieu Marot, suite à un abus de liqueurs et se rend coupable des méfaits suivants :

« La seconde dance, le sieur Papin se seroit levé de table et seroit venu prendre la main a une femme et la mene danser, laquelle femme voyant ledit sieur papin commettant plusieurs sottises et actions indecentes a un prêtre le quitta, apres quoy ledit sieur Papin ayant sa soutanne troussee soubs le bras gauche, se mit au milieu de la danse, chantant, dansant, sautant et portant les mains tantost sur une femme ou fille et les parties deshonnestes quoy que pardessus leurs habits »287.

Honoré Coustellier, dans le diocèse de Troyes, perd aussi toute décence une fois ivre : après

282 A.D. Marne, 2G 1940, Jacques Hodin, 1755. 283 A.D. Oise, G 4399, Jean Langlois, 1653-1661. 284 A.D. Nord, Albert François Oblin, 1743. 285 A.D. Aube, G 4188, Jean Jaquart, 1503-1504. 286 M. Lecoutre, op.cit., p.188.

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avoir demandé au cabaretier de lui fournir une femme, il n’hésite pas à lui dire « Amene moy une femme ycy et je foutrai desoubz ceste table » tout en montrant son « membre honteux » à l’assistance288. L’homme d’Église, privé des plaisirs de la chair, se laisse donc aller à rêver à cet interdit et se transforme, parfois, en agresseur sexuel. Il est d’ailleurs intéressant de constater que l’ivresse devient un moyen de défense, présentée comme inhérente au péché et que l’accusé s’excuse davantage pour son abus de vin que pour son geste sexuel. Hiacinthe Marin de la Cheniere explique dans un courrier à l’official de Paris que ses débordements viennent de « la quantité de trois bouteilles de vin »289. De même, les victimes ou les fidèles insistent fortement lors de leur interrogatoire sur l’état second de leur desservant au moment de son méfait ; il est alors fréquent de lire que le pasteur « estoit plein de vin », ou de « brandevin »290 et certains l’affirment avec une sorte d’admiration : ce grand buveur fait les gorges chaudes du village et alimente très certainement les récits lors des veillées, mais on respecte sa capacité à s’enivrer. Volonté d’absoudre des fautes commises par eux-mêmes ? Ancrage de normes sociales qui voient l’alcool comme un lien sociétal ? Désir de minimiser des faits finalement non imputables à la personnalité du curé, mais à l’alcool ? Si l’ivresse exceptionnelle est admise et présentée comme la cause d’un moment d’égarement, ce n’est pas le cas de l’enivrement quotidien qui conduit alors les paroissiens à se plaindre du comportement de ce prêtre et à insister sur ces abus qui l’ont conduit à violer une pauvre fille de la paroisse. Plus de trace d’admiration, au contraire, c’est le dégoût qui semble alors habiter les fidèles.

Enfin, est-il possible d’établir une relation entre les lieux d’implantation des vignes, les brasseries et les abus sexuels des prêtres rencontrés dans les archives des officialités ? En observant un croquis représentant la culture de la vigne au XVIe siècle291, nous nous apercevons qu’elle n’est pas cultivée dans l’ensemble du royaume mais principalement implantée en Provence, en Languedoc, dans le Lyonnais, en Bourgogne, en Franche-Comté, en Alsace, en Lorraine, dans l’Auxerrois, en Champagne, en Ile-de-France, sur l’axe ligérien, en Bretagne, en Anjou, dans l’Aunis et la Saintonge, en Guyenne, en Gascogne et dans le Béarn292 ; le quart Nord-Est de la France, comprenant nos diocèses de Beauvais et de Cambrai, ne connait pas cette culture ou très peu. Or, ce sont dans ces deux diocèses que nous observons

288 A.D. Aube, G 4197, Honoré Coustellier, 1526-1527. 289 A.N., Z10 225A, Hiacinthe Marin de la Cheniere, 1741.

290 Eau-de-vie, connue aussi sous le nom de « vin brûlé » ou « brandwijns » dans certains dossiers de l’officialité de Cambrai.

291 M. Lecoutre, op.cit., p. 699. 292 Ibid., p. 316.

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le plus de cas d’ivrognerie couplée à la déviance sexuelle. En établissant un comparatif avec le diocèse de Reims, haut-lieu de production viticole, on constate que 40,71% des ecclésiastiques de ce diocèse ayant péché sexuellement ont également des problèmes d’ivrognerie contre 50,93% dans le diocèse de Cambrai. De même, 36,84% des prêtres du diocèse de Paris et 32,77% des ecclésiastiques beauvaisiens connaissent des phases d’ébriété contre 17,74% des prêtres incriminés à Troyes. Il semble donc que la présence des lieux de production des différents vins n’amène pas à une consommation démesurée ou tout au moins plus développée chez les ecclésiastiques incriminés. Toutefois, en additionnant les chiffres de Reims et de Châlons-en-Champagne, on arrive à un total de 44,64% de prêtres abusant de la chair mais aussi du vin, particulièrement du vin d’Ay293. Il semble donc que la proximité des vignobles champenois poussait ces hommes d’Église à abuser plus que de raison des chopines de vin local.

Diocèse Nombre d’ecclésiastiques déviants sexuellement Nombre de délits d’ivrognerie pourcentage Total en

Beauvais 180 59 32.77% Cambrai 70 55 50,93% Châlons 14 10 71.42% Paris 38 14 36,84% Reims 49 20 40.81% Troyes 62 11 17.74%

Tableau n°3 : Corrélation entre déviance sexuelle et ivrognerie (en %). Dans le diocèse de Beauvais, où « le vignoble beauvaisien était une survivance »294, le vin était surtout concurrencé par les « piquettes », les cidres, les bières ou autres boissons tenant davantage de la décoction de plantes que du vin. On peut donc penser que, comme