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Manipuler le vivant en

Dans le document Ingénierie écologique appliquée aux milieux (Page 115-119)

risques oblige à respecter un certain nombre de règles pour éviter de jouer à l’apprenti sorcier. Si des connais-sances empiriques ont toujours leur place dans les dis-positifs de génie écologique, elles sont de plus en plus confortées, remises en cause ou nuancées par les ac-quis scientifiques. Pour l’ingénierie écologique au sens de Mitsch et Jørgensen (2003), l’enjeu majeur consiste bel et bien à faire ces allers-retours entre la théorie et la pratique, à calibrer les modes d’intervention et valider des modèles à l’aide d’expérimentations en mésocosme ou grandeur nature.

1. S’APPUYER SUR DES PRATIQUES DE GESTION INSPIRÉES DE MÉCANISMES ÉCOLOGIQUES

Les principes de l’écologie subissent de véritables tests lorsqu’ils sont mobilisés pour un projet d’ingénierie écologique. Concevoir un tel projet, quels que soient son envergure et son objectif, nécessite d’avoir une vision du fonctionnement de l’entité considérée, population ou éco-système. Certains concepts permettent de comprendre les résultats. Il s’agit des notions de métapopulations, d’inte-ractions (compétition, prédation, mutualisme, etc.), de flux (matière, minéraux, eau, etc.), de processus ou fonctions écologiques, de trajectoires d’évolution des systèmes, d’ef-fets et de réactions vis-à-vis de pressions.

Inversement, le suivi scientifique de projets

d’ingénie-Manipuler le vivant en

intégrant les avantages et les risques oblige à respecter un certain nombre de règles pour éviter de jouer à l’apprenti sorcier.

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Grands principes à appliquer

de génie civil pour modeler la morphologie du site. En réalité, dans les pays développés de longue date, il est difficile de se conformer à cette démarche parce que les interventions se font sur des systèmes modifiés et mo-delés par des activités humaines dont l’alimentation en eau n’a plus rien de « naturel ». Partir de sites très per-turbés oblige à programmer des opérations impor-tantes (Voir par exemple les plans : « Rhin Vivant », « Plan Rhône », reconstruction de vasières dans l’estuaire de la Seine, etc.).

Si les renaturations et les remises en connexion d’anciens bras fluviaux correspondent à des interventions maîtri-sées au plan technique, la durabilité des résultats dé-pend de facteurs agissant à des échelles plus vastes au sein du bassin versant. Dans ce cas, la programmation des projets doit s’inscrire dans des programmes ambi-tieux de redynamisation de cours d’eau et de reconquête de leur espace de liberté. La restauration du Drugeon et de ses affluents (Jura) en est un exemple 30. Elle com-prend plusieurs interventions selon le secteur concerné : diversification des écoulements en augmentant la rugo-sité en tête de bassin, remblaiement total du lit rectiligne et reconnexion des méandres court-circuités dans les parties amont et moyenne, décaissage des berges ac-compagné d’une recharge en gravier et d’un rehausse-ment du lit sur la basse vallée.

Les programmes audacieux englobent des manipula-tions simples et courantes mises en œuvre dans de nom-breux projets individuels plus modestes. Si l’on considère des opérations qui visent à réhydrater des tourbières, la fermeture des drains (par exemple la tourbière de Frasne) ou la construction de digues sont réalisées pour avoir les apports d’eau adéquats (par exemple la tour-bière de Landemarais en Bretagne, Clément et al., 2011).

La remise en eau de bras morts se fait par une prise dans un canal proche afin d’assurer des conditions aquatiques tout au long de l'année ou en permettant l’alimentation par la nappe (par exemple la Iône de la Platière). Des interventions comportent des réintroductions d’espèces une fois leur habitat rétabli. De nombreux déboisements de milieux en voie de fermeture, faits dans le but de ré-cupérer des habitats herbacés estimés plus intéressants, sont également classés comme des restaurations.

29Echantillon : 621 projets (restauration, création) localisés dans 12 pays, 21 294 ha de zones humides traités et 19 694 ha de référence.

30http://www.onema.fr/IMG/Hydromorphologie/27_4_rex_r7_drugeon_vbat.pdf

rie écologique sert à revisiter et faire émerger de nou-velles démarches en écologie. Un exemple de cet en-richissement est la découverte de l’importance des

« espèces ingénieurs », ces organismes qui par leur pré-sence structurent et influencent le fonctionnement des écosystèmes (Jones et al., 1994). Les illustrations sont maintenant nombreuses  : le castor qui réorganise des milieux aquatiques à l’échelle du bassin versant par ses barrages (Wright et al., 2002), les sphaignes à l’ori-gine de la formation de la tourbe et de milieux acides (Van Breemen, 1995), les spartines (Spartina spp.) qui stimulent l’installation de communautés végétales ré-sistantes aux assauts des vagues (Castillo et Figueroa, 2009). Un autre exemple est celui de la découverte des mécanismes à l’œuvre lors de la succession de commu-nautés de macrophytes. Le suivi pendant 15 ans de deux zones humides créées, et respectivement plantée ou co-lonisée spontanément, a mis en évidence des variations de composition et des structures différentes des trajec-toires théoriques (Mitsch et al., 2012) (voir le § sur les no-tions de base dans le chapitre 1).

2. NE PAS DÉGRADER ET/OU CONTRIBUER AU MAINTIEN OU À LA RESTAURATION DU BON FONCTIONNEMENT DES MILIEUX AQUATIQUES Si l’objectif principal du projet est de maintenir ou res-taurer le bon fonctionnement de l’écosystème aqua-tique, le résultat n’en est pas pour autant garanti. Des méta-analyses publiées récemment mettent en évi-dence les limites et risques des projets de restauration.

Pour Moreno-Mateos et al. (2012) 29, la structure biolo-gique et le fonctionnement biogéochimique (stockage du carbone dans les sols) dans les sites restaurés sont en moyenne inférieurs d’environ un quart par rapport aux systèmes de référence. Les processus en cause sont la lenteur de la reprise et une évolution post perturba-tion vers des stades ultérieurs différents de ceux prévus.

3. MINIMISER LES INTERVENTIONS LOURDES, ONÉREUSES ET PRÉCAIRES

Pour restaurer un marais, il semble suffisant de mettre au bon moment de l’eau de qualité appropriée en quan-tité suffisante, avec parfois quelques travaux préalables

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La limite entre pratiques de gestion conservatoire, de res-tauration et d’ingénierie écologique, est souvent floue.

Les premières proviennent en général d’adaptations de savoir-faire techniques et d’un corpus de connaissances plutôt empiriques (pâturage, fauche, contrôle ou réin-troduction d’espèces), les autres résultent normalement d’une intégration d’acquis scientifiques et doivent avoir un caractère innovant (expérimentation, conception et utilisation de matériels originaux).

Dans tous les cas de figure, la durabilité des effets des manipulations constitue l’une des cibles à atteindre. Une restauration réussie se juge à l’aptitude du système à s’auto-entretenir, c’est-à-dire à se remettre sur une tra-jectoire permettant son évolution avec des phases de blocage, d’apparente régression ou de progression. Par ailleurs, le système réhabilité, même si les causes di-rectes de dégradation ont été contrôlées, se trouve en-core sous l’influence de pressions extérieures, dont les effets peuvent dépasser un seuil excédant sa capacité à résister et à récupérer (résilience). Dans les territoires très modifiés par les activités humaines, obtenir un sys-tème restauré autonome est peu réaliste car il n’est pas sous cloche. Les plans les plus sophistiqués et les tech-niques les plus poussées ne garantissent pas un com-portement sans surprise du système.

5. INSCRIRE LE PROJET DANS UNE POLITIQUE TERRITORIALE ET AGIR À LA BONNE ÉCHELLE SPATIALE

De plus en plus, les projets d’ingénierie écolo-gique en matière de protection, restauration et gestion de milieux aquatiques sont portés par des structures in-tercommunales qui se sont dotées de compétentes spé-cifiques, non obligatoires. La plupart s’engage dans une contractualisation financière et technique avec, au moins, les agences de l’eau (contrat territoriaux, contrats de rivière, de baie, Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux, etc.). Une des exigences de cette contractualisation est la définition d’un territoire perti-nent d’intervention du point de vue hydrographique et si possible administratif ainsi que le respect des grands objectifs réglementaires tels que le SDAGE.

Outre la prise en compte de la cohérence hydrogra-phique et chronologique dans l’établissement des pro-grammes d’actions, les élus doivent également veiller à l’intérêt de leurs administrés. Ces intérêts peuvent s’ex-primer au travers du respect des activités sectorielles (relevant d’une filière d’activité)  : agriculture, tourisme par exemple ou bien, d’activités territoriales (relevant d’un territoire politique)  : aménagement du territoire, loisirs, culture, etc. Le rôle de l’élu est de mettre en avant ou de faire émerger des convergences, ou à dé-faut des compromis, entre des actions ou des activités qui ne semblent a priori pas toujours compatibles (par exemple : activités nautiques ou activités de pêche et préservation de zones des quiétudes pour les oiseaux ou de réserves de pêche).

Des mises en valeur réciproques sont de plus en plus fréquentes entre, par exemple, un aménagement de cours d’eau et un sentier touristique. Cette option im-pose d’accepter localement et/ou temporairement des contraintes (voir la fiche d’action sur la Restauration de la Fontenelle). Elles permettent d’inscrire ces projets d’ingénierie écologique dans un projet de territoire (voir l’exemple de la restauration du Haut Rhône) 31Ces valo-risations réciproques suscitent souvent l’appropriation du projet environnemental par les populations locales, et contribuent ainsi à garantir la longévité de l’action.

Mettre en évidence ou anticiper ces intérêts partagés ne se décrète cependant pas, c’est un travail de longue haleine, à initier dès le début du projet. Ce travail néces-site au préalable de choisir avec acuité le, ou les, parte-naires pertinents pour discuter, au vu de leur légitimité à agir (compétences techniques, administratives) et de leur reconnaissance (sectorielle ou territoriale). L’exis-tence d’un lien ou d’une opposition vis-à-vis du porteur du projet d’ingénierie écologique peut, dans certaines situations, suffire à (dé)bloquer une situation complexe.

Par exemple, l’étape d’appropriation des objectifs est essentielle lors d’une restauration de cours d’eau. Cette appropriation doit concerner tous les acteurs, que ce soit les représentants du monde associatifs, investis dans la mise en place de bandes enherbées, les res-ponsables d’associations de pêche (soucieux du

main-31http://www.eaurmc.fr/fileadmin/documentation/colloque/Rhone2fev2012/COTTET_ARMANI.pdf http://www.graie.org/ISRivers/actes/pdf2012/1A106-099ARM.pdf.

tien des accès à la rivière) ou les particuliers concernés par l’entretien des berges. Il ne faut pas négliger ces as-pects relationnels.

C’est un travail qui nécessite également de :

• bien comprendre et faire comprendre les consé-quences du projet en matière environnementale ;

• décortiquer les interactions entre les fonctions éco-logiques attendues (vidange, écoulement, érosion-sé-dimentation, charge sédimentaire, épuration, chaine trophique, etc.) et les usages (à valeur marchande ou non) du cours d’eau ou de la zone humide (vue, pay-sage, odeur, entretien, loisirs nautiques, histoire et culture, attachement affectif, valorisation touristique, irrigation, rejets directs ou ruissellements indirects, pédagogie, pêche professionnelle, navigation com-merciale, pâturage, abreuvement, etc.).

C’est seulement après avoir bien posé les objectifs du projet analysé, ses répercussions et leurs effets, jugés positifs ou négatifs par les parties prenantes que le dia-logue pourra s’instaurer. Le consensus est rare. Il y a sou-vent des « plus » gagnants et des « plus » perdants que d’autres dans ce type de projet. Le porteur de projet doit en assumer la responsabilité.

6. INTÉGRER LE SUIVI DES PERFORMANCES DÈS LE DÉBUT DE L’OPÉRATION

L’évaluation du bon déroulement des opéra-tions d’ingénierie écologique ne correspond pas à une liste de points à contrôler en fin de projet, elle s’appuie sur un suivi à moyen terme. Elle doit être conçue en rap-port avec les objectifs du projet et s'appuyer sur des hy-pothèses d’évolution des systèmes écologiques considé-rés. La démarche de l’évaluation au sens large (SL) doit être mise en place de façon anticipée et méthodique dès la détermination des objectifs du projet, elle fait pleine-ment partie du processus tout en utilisant des méthodes spécifiques. Intégrée au projet, elle requiert une rigueur et une attention tout aussi importantes que celles appli-quées à la conception du projet (études préalable, éla-boration, réalisation, communication). Il convient dès le départ de se poser les bonnes questions, celles qui per-mettront de réaliser une évaluation efficace du projet et surtout de ne pas attendre la phase post-travaux.

Le suivi (monitoring) en tant que tel (cf. évaluation au sens strict dans la figure 45) prend place après l’étape de conception du projet, il accompagne les premiers travaux (état initial) et prend place après la phase chan-tier. La structuration et la planification de l’évaluation se fait très tôt. Il s’agit de formuler les hypothèses selon les objectifs du projet, de sélectionner les métriques adé-quates, de déterminer les moyens nécessaires. La mé-thode conserve une certaine flexibilité dans la mesure où le déroulement du projet peut influencer sa structure.

En principe, les mêmes paramètres doivent être mesurés à l’état initial et en phase post-travaux. Le suivi ne se li-mite pas au diagnostic de départ (études préalables) qui vise à comprendre le fonctionnement du système étudié, sa patrimonialité, ses enjeux. Pour mettre en évidence des évolutions et tendances, il est nécessaire de dispo-ser de séries de données, de chroniques, portant sur des périodes aux conditions différentes (sécheresse versus forte pluviométrie, forts ou faibles débit/pluviométrie, écarts de température, etc.) de façon à avoir une repré-sentation de la variabilité intrinsèque du système. Sans cela, les comparaisons risquent de ne pas avoir de sens.

Les objectifs du projet, les moyens financiers et tech-niques sont souvent les deux principaux éléments condi-tionnant la conception et la réalisation d’un suivi utile à une évaluation environnementale correcte. Il convient donc de s’interroger dès l’amont sur la place accordée à cette phase cruciale d’un projet et l’adéquation du pro-gramme de suivi aux moyens. La diffusion et valorisa-tion des résultats des suivis qu’ils soient positifs ou né-gatifs méritent aussi toute l’attention, c’est ainsi que se construit un corpus de connaissances scientifiques et techniques. Les bases de données accessibles sur les re-tours d’expérience sont utiles à tout un chacun. Voir le § sur les références dans le chapitre 1.

Les résultats en termes d’intégration sociale d’un pro-jet de restauration écologique d’un milieu aquatique ou humide (en particulier formes d’appropriations ou de rejets sociales et/ou politiques) sont rarement éva-lués rigoureusement. Sûrement très riches d’enseigne-ments pour de nouveaux projets, ils mériteraient pour-tant de faire l’objet d’aupour-tant d’attention que les suivis écologiques.

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Outils et réalisation

Les outils utilisables sont nombreux et dé-pendent fortement des objectifs poursuivis. Il s’agit en général de manipuler ou de transformer certains élé-ments du biotope pour modifier les populations qui oc-cupent l’écosystème et contribuer ainsi à le faire évoluer dans la direction voulue.

Nous illustrons tout d’abord la forme que prennent ces outils en présentant un ensemble d’exemples d’actions qui visent à favoriser certaines populations végétales ou animales en agissant sur leur habitat.

Nous illustrerons ensuite la problématique en traitant de façon plus générale de la manipulation des éco-systèmes et en particulier en montrant comment il est possible d’orienter le fonctionnement d’un écosystème plus ou moins anthropisé pour atteindre des objectifs prédéfinis.

Choix du site / des cibles Études préalables Avant projet État initial

Évaluation Travaux, gestion,

équipements de valorisation

Communication Action médiatique Étapes du projet

Évaluation ( SL ) CONCEPTION Objectif de l'évaluation Moyens financiers Protocoles Durées RÉALISATION Suivis

Structuration des résultats Interprétation des résultats Évaluation ( SS ) Évaluation ( SL ) ÉLÉMENTS D'INFLUENCE

TRANSFERT

figure 45 moussard et vaudry, 2012

1. FAVORISER CERTAINES POPULATIONS VÉGÉTALES OU ANIMALES : DE NOMBREUSES RÉALISATIONS

Les projets de restauration d’espèces ont la plupart du temps, pour raison essentielle, le respect de réglementations. Plusieurs traités et textes législa-tifs portent sur la sauvegarde d’espèces en danger, vul-nérables ou menacées, à l’échelle nationale (liste d’es-pèces protégées), européenne (Directives Oiseaux, Habitats, Conventions de Berne et de Bonn), internatio-nale (Listes rouge de l’UICN). Ces espèces bénéficient de programmes de conservation combinant des me-sures de protection (Arrêté de biotopes) et de gestion à des projets de restauration de populations, notamment à l’occasion de mesures compensatoires (EIE, SDAGE) incluant des translocations.

L’autre caractéristique des projets d’ingénierie écolo-gique appliqués aux espèces et à leurs habitats tient à

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