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Les étapes du projet et de l'évaluation

Dans le document Ingénierie écologique appliquée aux milieux (Page 119-122)

leurs sources d’inspiration, souvent bien datées. En ef-fet, de manière empirique les pêcheurs, les chasseurs, les éleveurs, les sagneurs ont su de tout temps « opé-rer » les habitats des espèces qui les intéressaient. Ils ont géré les niveaux d’eau, modifié la topographie, limi-té la compétition ou la prédation en jouant sur les in-teractions spécifiques. Les naturalistes se sont inspirés largement de ce corpus pour concevoir des plans de gestion. Les scientifiques ont analysé les mécanismes et processus permettant d’obtenir ces résultats et mis en évidence, par exemple, les rôles spécifiques de certaines espèces : ombrelle, clé, facilitatrice, ingénieur, etc.

Les nombreuses interventions ayant pour cible une (ou des) espèce(s) ont pour objectif de reconstituer les condi-tions topographiques, hydrauliques et/ou chimiques fa-vorables à la fraie (brochets, salmonidés), au dévelop-pement d’herbiers de macrophytes (potamots, élodées, characées), à la nidification d’oiseaux d’eau, etc. Les aspects biologiques, écologiques éthologiques sont à prendre en compte. Ainsi la compréhension du rôle de certaines adaptations morphologiques a orienté la conception de marais voués aux oiseaux. Par exemple, la forme, la longueur et la courbure de becs d’oiseaux d’eau sont considérés comme indicateurs de leur capa-cité à prélever leur nourriture dans l’eau ou sur le fond (macrophytes, invertébrés, graines), à prospecter les va-sières pour atteindre les graines et espèces d’inverté-brés intéressantes.

Il est par exemple bien connu que l’anatomie et le com-portement de l’avocette élégante (Recurvirostra avoset-ta) sont à l’origine de la restauration de marais destinés à conforter ses populations. En fauchant la surface du sédiment de son bec recourbé, cet oiseau fait remonter ses proies (annélides, crustacés, insectes) à la surface puis les capture d’un rapide coup de bec. Cette espèce vulnérable en Europe, niche principalement en colonie

et recherche alors des milieux salés ou saumâtres avec des zones surélevées sableuses et peu végétalisées. En migration, elle fréquente des vasières et grèves, par-fois le long de fleuves. Les zones humides restaurées ou créées à son intention doivent donc : être de faible pro-fondeur (environ 15 cm) avec un niveau d’eau sans va-riations brusques, avoir des sédiments fins et meubles, riches en matière organique, offrir des îlots et micro-va-sières favorables à la reproduction grâce à des modi-fications de la topographie. Dans le cas de l’avocette qui fréquente des lieux anthropisés (marais salants, va-sières d’estuaires aménagés), la reconstitution de son biotope est relativement facile, comparativement à d’autres espèces. Cependant, le développement des populations placées ainsi dans des conditions optimales d’habitats nécessite en complément l’application de me-sures de contrôle de la compétition et/ou prédation par d’autres espèces.

De fait, les opérations d’ingénierie écologique en mi-lieu aquatique ou humide les plus courantes visent à dé-terminer puis caler les niveaux d’eau pour favoriser la présence de telle ou telle espèce végétale ou animale.

Globalement, il a été montré qu’une profondeur d’eau estivale de 15 cm bénéficie aux oiseaux migrateurs alors qu’à plus de 30 cm la diversité en espèces végétales, d’insectes, de poissons, d’amphibiens se trouve favori-sée et le contrôle des espèces invasives meilleur (Mitsch

& Gosselink, 1993).

La réussite de l’opération dépend cependant de nom-breux facteurs qui ne sont pas tous parfaitement maî-trisés. Par exemple, selon que l’on décide de planter ou pas des zones humides créées sur le même modèle, elles évolueront différemment et pas forcément se-lon les trajectoires prévues comme cela a été démon-tré dans l’Ohio. Alimentés en eau par la rivière proche, ces sites d’une superficie de 1 ha, ont été suivis très

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s. moussard

précisément depuis 1994. La zone humide plantée (12 espèces) a montré au bout de 6 ans une diversité végé-tale supérieure avec une stabilisation au cours des 5 an-nées suivantes, un taux d’oxygène dissous et un nombre d’espèces de poissons plus élevés. La zone colonisée na-turellement se caractérise par une biomasse en macro-phytes forte et des amphibiens en plus grand nombre (Mitsch et al., 2005). Quinze ans après, la zone plantée est toujours plus diversifiée mais moins productive que l’autre (Mitsch et al., 2012). Dans les deux systèmes, les sols présentent toutes les caractéristiques d’hydromor-phie avec un stock de carbone organique triplé, la ca-pacité d’élimination des nutriments est similaire. Le cou-vert végétal, les concentrations en nutriments (azote, phosphore) et la turbidité augmentent en lien avec l’âge du système, tandis que la conductivité, l’oxygène dis-sous et le pH baissent. Une tendance à la diminution d’efficacité vis-à-vis du phosphore est observée, ain-si qu’une élimination de l’azote essentiellement due à d’autres processus que la dénitrification, fonction sem-blant demander du temps pour s’exprimer pleinement.

Finalement, les deux zones jouent un rôle plus important de puits de carbone avec des résultats plus élevés que ceux obtenus dans des systèmes comparables (1800–

2700 kg C /ha/an), celle non plantée étant plus effi-cace, mais avec des émissions de méthane un peu plus élevées tout en étant considérées comme négligeables.

Ces résultats amènent les auteurs à s’interroger sur le soin à apporter à la sélection des espèces à planter lors de la conception de zones humides créées pour amélio-rer la qualité de l’eau, cette étape étant superflue sauf cas exceptionnel, ce qui n’enlève rien à l’intérêt de plan-ter vis-à-vis des autres fonctions.

Avoir pour objectif la restauration de populations d’es-pèces protégées se comprend à condition de prendre en compte un certain nombre de principes au-delà de l’étude classique de faisabilité d’un projet :

• justifier le choix de l’espèce avec des arguments scientifiques, réglementaires et socio-économiques ;

• cerner les causes de son déclin et dans la mesure du possible les contrôler afin d’éviter de perdre du temps et de l’argent ;

• connaître les expériences antérieures françaises ou étrangères ;

• concevoir le dispositif de manière concertée ;

• se contraindre à trouver les moyens permettant de respecter au plus près le fonctionnement des écosystèmes d’accueil de l’espèce, ceux relevant de l’ingénierie écologique ;

• maîtriser les techniques impliquées ;

• avoir une appréciation des taux de réussite, de la nécessité de répéter des interventions au cours du temps

• bien entendu, avoir un suivi sur le moyen terme et faire des évaluations périodiques des résultats.

Dans ce contexte faire appel à des artefacts relevant ou non de l’ingénierie écologique pour conforter des popu-lations végétales ou animales est conseillé dans la me-sure où ils sont fondés sur la connaissance des besoins des espèces pour boucler leur cycle. Entrent dans cette catégorie, par exemple :

• les passes à poissons dont la diversité des confi-gurations reflète les avancées de connaissance sur les espèces cherchant à se reproduire en tête de bassin : rampe de montée à anguilles, ascenseur à alose, échelles et séries de bassins plus ou moins sophistiqués pour les salmonidés (Aigoui et Dufour, 2008), etc. Il s’agit de la première action de res-tauration des continuités écologiques dont les as-pects positifs et négatifs ont été analysés (Roscoe et Hinch, 2010) ;

• les renforcements de population de plantes de berges et rives. L’exemple des roselières est intéres-sant. Le constat de leur dépérissement à l’échelle de l’Europe a été à l’origine de deux programmes de recherche successifs EUREED (1993-1998) com-portant le développement d'outils de gestion, y compris des mesures préventives et de restauration (Brix, 1999). De fait, la réhabilitation de communau-tés de Phragmites australis a des effets sur le main-tien des communautés végétales et animales dé-pendantes tout en contribuant à l’amélioration de la qualité de l’eau et à la lutte contre l’érosion des rives. Au lac d’Annecy, les travaux visant à une pro-tection physique des roselières contre l’action mé-canique de la houle et des bois morts flottants ont été réalisés en plusieurs étapes : fin 1999, le fasci-nage puis des plantations en juin 2000 et 2001 (Blake, 2003 ; Miquet et Favre, 2007). Ils ont été suivi en 2010 par un programme soutenu par de

nombreux partenaires (AE-RMC, CG Haute-Savoie, Syndicat Mixte du Lac d’Annecy). En plus de palis-sades en pieux jointifs émergés, des plantations de macrophytes (roseaux, scirpes, nénuphars) ont été réalisées afin d’accélérer la recolonisation, là où la densité de végétaux était estimée insuffisante.

D’autres mesures complètent le dispositif (retrait des bois morts, fauche hivernal, exportation des tiges, etc.) et des propositions ont été faites quant à la gestion du niveau du lac. Stimuler la pousse des roseaux permet d’atteindre des objectifs autres que la seule extension des roselières (Tableau 5). A no-ter que l’espèce peut être une invasive redoutable par exemple en Amérique du Nord.

Tableau 5 bardsley et al., 2001

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