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3. Filles-commandos bandées

3.3 Le manifeste

Laisser tomber et vivre en marge n’est plus la solution. Baiser le système, oui. La plupart des femmes vivent déjà en marge, elles n’ont jamais été intégrées. Vivre en marge, c’est laisser le champ libre à ceux qui restent ; c’est exactement ce que veulent les dirigeants ; c’est faire le jeu de l’ennemi ; c’est renforcer le système au lieu de le saper car il mise sur l’inaction,

la passivité, l’apathie et le retrait de la masse des femmes132.

Avec FCB, Yvon se pose également en tête d’un mouvement qu’elle entend porter à travers sa poésie revendicatrice. Elle se désigne elle-même en tant que porte-parole des femmes, des transsexuelles et du projet de renverser le patriarcat par sa poésie, mais plus encore, elle donne également à FCB des allures de manifeste. Jeanne Demers, spécialiste du genre littéraire du manifeste, le définit de la sorte dans un article paru dans Études françaises :

Le lecteur actuel le moins averti sait d’instinct […] que le manifeste a un côté pur et un côté règlement de compte ; qu’il prétend annoncer la modernité en rompant avec l’histoire ; qu’il cherche à choquer, à provoquer ; qu’il se doit d’insulter les personnes et/ou les institutions contre lesquelles il s’insurge, rallier par contre les groupes dont son (ses) auteur(s) fait (font) partie, groupe qui a toujours raison et au nom duquel il parle ; qu’il implose ses vues sur le ton du « crois ou meurs » ; qu’il abuse volontiers de l’image et qu’il joue de ruptures formelles de toutes sortes […]133.

À la lumière de cette brève définition de ce que constitue l’écriture du manifeste, force est de constater que FCB correspond à plusieurs de ses caractéristiques : il cherche à se dissocier du passé et désire provoquer, déranger, chambouler. Il est porteur d’un message radical, proféré par une autrice qu’il l’est tout autant. Oui, sur bien des aspects, FCB pourrait être traité comme un manifeste pamphlétaire, bien qu’il conserve malgré tout sa dominante poétique, de par sa facture et sa division en vers et en strophes, par la recherche d’images évocatrices et la vocation du langage tel qu’utilisé par Yvon. Loin de moi l’idée de tenter de contester le statut poétique de ce recueil, en affirmant sans aucune nuance qu’il est davantage manifeste que poésie, puisque ce serait là un constat bien réducteur. Toutefois, pour citer de nouveau Demers, je crois qu’il pourrait s’agir d’une forme hybride, à mi-chemin entre un

132 Valérie Solanas, SCUM Manifesto, Paris, Mille et une nuits, 2005, p. 77-78.

133 Jeanne Demers, « Entre l’art poétique et le poème : le manifeste poétique ou la mort du père », dans Études françaises, vol. 15, no 3-4

genre et l’autre, et qui porterait le nom de « manifeste poétique », dont le but serait de « [d]évoiler le vrai, le quotidien134 ».

Ce regard porté sur l’œuvre yvonienne résume bien la complexité de sa démarche, ou plutôt, son ambivalence. Le manifeste et le poème cohabitent bel et bien parmi les pages de

FCB, bien qu’y réside là un paradoxe d’ordre littéraire et social flagrant. C’est que si la crise

constitue la raison d’être du manifeste, qui « ne vit qu’en opposition au système » ; l’art poétique, lui, serait plutôt « complice du système par définition, il explique ce dernier, le rend évident, le consolide en quelque sorte. Le manifeste ne peut que s’en éloigner, apparemment du moins. Apparemment, car les choses ne sont pas aussi simples : si le manifeste n’existe qu’en opposition au système littéraire, il est bien forcé de prendre appui sur lui135. »

Autrement dit, comment arriver à se détacher totalement du système, si les moyens encourus pour y parvenir en impliquent les codes et les lois ? Il semblerait que la solution qu’a trouvée Yvon à ce problème soit d’en ébranler les fondements de l’intérieur, s’introduisant dans le milieu littéraire afin d’en faire exploser les rudiments en son centre, donnant à sa pratique poétique et à elle-même un dessein proprement « kamikaze ».

Puisqu’il faut toutefois parvenir à différencier manifeste et poésie pour se livrer à la présente analyse, disons que l’une des différences majeures entre le texte poétique et le manifeste réside dans la « fonction référentielle » du manifeste qui est « réduite le plus souvent au degré zéro dans le poème136 ». En effet, « n’a-t-il pas un ennemi à attaquer, ne

doit-on pas s’en prendre aux uns et aux autres, préciser les noms des personnes et/ou institutions visées137 ? » Or, s’il n’est pas dit noir sur blanc contre qui se dresse Josée Yvon

dans FCB, il est certain que son désir de voir des maris s’écraser « sur un poteau » ou encore son écœurement face aux femmes « toujours subordonnées » témoignent d’un sentiment de révolte évident envers une société régie par le patriarcat, où l’homme est roi, et la femme, une de ses possessions. Le poème suivant, dernier de FCB, corrobore cette envie de rupture et d’émancipation, le recueil se terminant sur une véritable apothéose révolutionnaire :

nous ne supporterons plus la séniorité, le préjugé

134 Ibid., p. 19. 135 Ibid., p. 6 et 8. 136 Ibid., p. 10-11.

la claustration de la famille du statu-quo dans sa vision rétentionnée

de l'ennui

plaquer la peur une fois pour toutes, lui marcher dans face éliminer les entraves, les mythes, les

idoles, la notion d'obscénité, de commerce.

dissoudre les vides aspirants, la programmation des bibites et des ruines et toutes les terreurs qu'on s'invente.

aujourd'hui pauvre-riche danser aux crécelles de leur monnaie qui meurt

plus jamais traquée, hors de leurs tracks rectilignes, à jamais détraquée

jusqu'à ce que notre pensée ne devienne que pur cristal138.

Une des visées premières et essentielles du manifeste est de « dénoncer des états de fait et changer les choses139 », ce qui ne saurait attendre dans ce poème, qui, dès le premier

vers, s’engage dans une énumération des problèmes sociaux auxquels il faudra absolument remédier : la séniorité, le préjugé, la claustration de la famille. Plus encore, ce que semble y souhaiter le plus ardemment Yvon consiste en la fin du règne de la peur, qui empêche d’avancer toutes celles qu’il paralyse. La poétesse leur intime donc de « plaquer la peur une fois pour toutes, [de] lui marcher dans la face / [d’]éliminer les entraves, les mythes, les idoles, la notion d’obscénité, de commerce. [De] [d]issoudre les vides aspirants, la programmation des bibites et des ruines et toutes les terreurs qu’on s’invente. » En d’autres termes, en parfaite cohérence avec l’intention sociale du manifeste, Yvon somme ses « Amazones », pour reprendre le terme de Raymond-Anctil, de rompre avec fracas les liens les unissant à un passé les ayant toujours négligées et, du même coup, de délaisser les craintes héritées des ancêtres, dont les mœurs anciennes ne doivent plus être supportées et reconduites. Pour Demers, cela revient à la notion de la « mort du père140 », puisque le

manifeste annonce l’imminence d’une « rupture bruyante avec un passé donné comme exécré

138 Josée Yvon, FCB, op. cit., p. 33.

139 Jeanne Demers, « Entre l’art poétique et le poème : le manifeste poétique ou la mort du père », art. cit., p. 11.

140 Cette notion de la mort du père n’est pas à confondre avec le désir de l’essayiste féministe radicale Valerie Solanas de créer une

« [a]ssociation pour tailler les hommes en pièces », tel qu’il est possible de lire sur la première de couverture du SCUM Manifesto. (Paris, Mille et une nuits, 2005, 111 p.). La mort du père, dans le cas du manifeste, renvoie plutôt au rejet d’un passé, que l’on appelle métaphoriquement « père » ; en tant que membre d’une génération nouvelle, il faut savoir couper les liens nous rattachant à une époque désormais dépassée. Chez Solanas, la volonté d’éradiquer l’homme en général est plus littérale et subversive ; il s’agit bien sûr d’un manifeste d’une radicalité plus forte.

[…] et du même souffle, l’annonce d’un avenir entièrement nouveau et forcément meilleur141 ».

Cette rupture se manifeste également sur le plan formel, dans FCB, alors que Yvon, sans en être l’instigatrice, réactualise l’esthétique trash142. Ce terme, traduction littérale du

mot « poubelle », renvoie à une « une tendance contemporaine à utiliser une forme de mauvais goût agressif, dans le but de provoquer, de choquer143. » Il apparaît d’emblée que ce

qualificatif ne revêt pas une connotation positive ; on peut donc en déduire, lorsqu’il est question de qualifier l’œuvre yvonienne de trash – FCB en étant le parfait exemple –, que la poétesse nous donne à voir ce que l’on ne voudrait pas voir, parce que provocateur, dégoûtant, dérangeant. À ce sujet, Claudine Potvin affirme : « [l]es apparences comptent […] et elles coûtent cher. […] D’où la catégorisation de déchet, poubelle, vidanges, détritus, rebut pour toutes ces marginales de l’underground. […] Corps à mettre à la poubelle, dans le fossé, dans le ravin, dans une cage, dans la cave, dans un sac de plastique144. »

Il convient ici de démontrer quelles sont les caractéristiques du trash, en précisant dès le départ que Josée Yvon est parvenue à maîtriser ce style en se détachant délibérément des conventions préétablies par l’institution littéraire, et ce bien avant la parution de FCB. Catherine Lalonde affirme à cet effet que les poèmes yvoniens « éclatent à l’opposé de la complaisance, de l’esthétique diplomate, de toute idée d’une conventionnelle “beauté” littéraire145 ». En effet, l’objectif principal de Yvon n’était pas d’accéder à un statut littéraire

légitimé dans le milieu de la littérature, ce pour quoi elle a toujours refusé de se plier aux exigences poétiques élitistes, rejetant du fait la possibilité d’un jour être intronisée au panthéon des poètes québécois. Pour elle, il ne fait aucun doute qu’il faut se défaire d’un passé poétique encore sous l’emprise de l’Hexagone et qu’il est primordial de s’émanciper

141 Jeanne Demers, « Entre l’art poétique et le poème : le manifeste poétique ou la mort du père », art. cit., p. 13.

142 Sébastien Lavoie, fondateur du site www.lire.ca, dans un article intitulé « Trash142 », retrace les débuts du trash à l’époque de Sade, puis

chez Georges Bataille. À la même époque que Yvon, il en existe d’autres adeptes au Québec, tels que Denis Vanier, évidemment, mais aussi Yves Boisvert, Christian Mistral et Victor-Lévy Beaulieu. (Sébastien Lavoie, « Trash », dans Lettres québécoises, no 118 (été 2005),

p. 29)

143 Isabelle Jeuge-Maynart (dir.), « Trash », sur le site de Le Larousse, siège social à Paris, s.p. [URL :

https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/trash/10910030 ; page consultée le 7 avril 2018]

par rapport à l’héritage littéraire québécois146. L’extrait suivant illustre bien la tangente trash

que la poésie yvonienne empruntait :

devil’s disciples

chapitre sainte-catherine

la pauvre salope qu’est ma voisine pompe à succion mère de famille avec ses entrailles ouvertes est morte sur un coin mauve de Photo-Police.

elle avait sa beauté dévergondée dans toutes les assiettes de restaurant sa longue peur accrochée à son gun dégainé

peuple de négresses qui traînez des enfants chocolat pendant qu’elle rêvait du chat aux sept vies147 […]

Il y a effectivement dans ces vers bon nombre d’éléments définissant l’esthétique trash, à commencer par le titre, moitié anglais, moitié français, où il est question de la « sainte- catherine », évoquant probablement l’artère principale de la prostitution montréalaise en ces années. Le premier vers s’inscrit dans la même veine, abordant la figure d’une femme que l’on traite successivement de « pauvre salope », de « pompe à succion », puis de « mère de famille / avec ses entrailles ouvertes ». Le champ lexical axé sur la déchéance, sans toutefois sombrer dans l’apitoiement, s’enrichit avec des termes tels que « beauté dévergondée », « gun dégainé », expression comportant également un anglicisme – « gun » ayant pu facilement être remplacé par un homonyme français tel que « fusil » ou « pistolet » –, « négresses », terme ouvertement raciste, mais néanmoins fréquemment utilisé dans le jargon populaire de l’époque, « élastic » rédigé en franglais, comportant l’accent aigu du français, mais la finale anglophone (« -stic » au lieu de « -stique »). Ces exemples ne sont tirés que de la première strophe, la deuxième en comportant tout autant, sinon davantage.

Le langage de Yvon a pour objectif de se coller au réel, de laisser entrevoir une réalité concrète et de réhabiliter ceux qui n’ont que cette langue pour s’exprimer, en faisant participer leur parler populaire à une entreprise poétique révolutionnaire. Bien plus que de donner à voir le mode de vie marginal des oubliées de la littérature, le message de la poétesse redouble de puissance en leur empruntant leur langage, leur lexique et leur jargon. En agissant de la sorte, Yvon s’insurge ouvertement contre « le mépris-snobisme des autres par

146 Valérie Mailhot, « La “dislocation révolutionnaire” des corps chez Josée Yvon », art. cit., p. 249. 147 Josée Yvon, FCB, op. cit., p. 11.

rapport aux femmes vulgaires », se désolant qu’« il existe encore des types de langage indécents, non-admis et des gens qui se permettent le luxe de se choquer ou de se sentir insultés148. »

Sébastien Lavoie déplorera la caricature péjorative que la critique de l’époque fera du trash, qui ne saisissait pas encore les possibilités qu’offrait l’avènement de cette esthétique, en remettant parfois en doute sa légitimité. C’est à regret, dira-t-il, que l’on présente le trash telle une écriture dépeignant des « héros désabusés et sans espoir, qui s’expriment dans une langue prosaïque. Des pervers à la sexualité débridée, des hédonistes-nihilistes engagés dans la course aux stimuli, mais surtout pas dans la course au succès149». À son avis, on assiste

plutôt là à une sorte de course à l’audace, que d’aucuns réduisent à une course à la vulgarité150. Fondamentalement, l’objectif du trash n’était pas de faire l’éloge de la

médiocrité, mais constituait plutôt une manière littéraire concrète de protester et refuser les codes imposés par le milieu. Les marginales si assidûment décrites par Yvon furent longtemps considérées comme les parias de la société, ce qui n’empêcha pas la poétesse de faire de celles-ci des figures inébranlables et inspirantes, lançant ainsi « à la face de la société cette vérité qu’à côté des bien nantis, il y a les laissé[e]s-pour compte […] qui vivent dans des univers dont on n’a pas toujours une juste idée […] et qui transgressent constamment les règles de la bienséance simplement parce que c’est leur seul moyen d’expression, ou, pire encore, leur seule façon de survivre151. » Il est important de saisir, cependant, que Yvon

désirait rendre compte de la vérité de ces femmes dévalorisées sans verser dans la pitié, misant sur leur élévation à venir plutôt que de tomber dans la victimisation. Dans FCB, Yvon « ramasse sa gang / toutes des fées mal tournées » et les incite à chambouler l’ordre social et l’autorité patriarcale, se montrant également solidaire à leur cause.

À la lueur de ces informations, il est possible de déceler que la poétesse se sert également des poèmes jonchant FCB à titre de cri de ralliement, cherchant à construire une communauté autour de sa parole et des invitations à une rupture radicale qu’elle y véhicule, s’insurgeant du fait que « s’imposent encore interdits et refoulement, une “ligne à suivre”, /

148 Josée Yvon, « La poche des autres », art. cit., p. 86.

149 Sébastien Lavoie, « Trash », dans Lettres québécoises, no 118 (été 2005), p. 29. 150 Idem.

une peur du déséquilibre, donc du changement152. » Ce désir de rompre avec les codes

systémiques désormais désuets, celui de se faire entendre et de rassembler des adeptes « se transforme[nt] parfois en quête existentielle d’identité153 », dira Demers, mais à plus grande

échelle, le manifeste poétique prend également la forme d’une remise en question globale et collective.

Claudine Potvin, quant à elle, souligne l’omniprésence du « nous » au sein de FCB, allant jusqu’à dire que celui-ci assume « la prise en charge d’un projet de société154 ». Il est

évident que ce pronom pluriel apparaissant à maintes reprises dans le recueil n’est pas anodin, et il peut en effet être perçu comme un outil permettant à la poétesse de mettre sur pied un projet qui la dépasse, d’une telle ampleur que seul un « nous » collectif serait en mesure de le mener à terme. Il est également la preuve tangible que Yvon désire prendre part à cette révolution qu’elle érige au fil des pages : elle désire s’y impliquer absolument et totalement, et endosse les insurrections qu’elle y proclame.

Plus encore, je crois que Josée Yvon, malgré son passé universitaire, considère faire partie de ces marginales qu’elle incite à la rébellion. Elle est par ailleurs en droit de s’associer à celles auxquelles elle dédie son œuvre, car elle connaît leur réalité, et surtout, elle la partage, l’a faite sienne. Elle-même femme à une époque encore majoritairement basée sur les rites patriarcaux, elle sait la lutte de tous les instants qu’il faut y mener ; elle a également connu la pauvreté, la mise à l’écart, l’abus de substances illicites diverses. La vie qu’elle mène n’est pas en règle, et son érudition ne suffit pas à la distancier de ces filles de l’ombre, de ces prostituées et transsexuelles dont elle brosse la vie dans FCB. Josée Yvon a choisi de plein gré la déchéance et s’en fera la porte-parole jusqu’à la toute fin. La seule différence, peut- être, entre celles qu’elle met de l’avant dans sa poésie et elle, est le fait qu’elle ait une prédisposition pour la littérature et qu’elle jouisse d’une certaine tribune lui permettant de faire entendre sa voix dans l’espace public. « Du haut » de cette posture, elle peut traduire en mots cette vie qu’elle partage avec les « poquées » du Centre-Sud : humblement, elle fera de ses talents de poétesse et de son parcours d’intellectuelle les outils premiers de la lutte pour

152 Josée Yvon, FCB, op. cit., p. 27.

153 Jeanne Demers, « Entre l’art poétique et le poème : le manifeste poétique ou la mort du père », art. cit., p. 16. 154 Claudine Potvin, « L’hyper-réalisme de Josée Yvon : la scène pornographique », art. cit., p. 200.

l’acceptation sociale de ces femmes à l’existence bafouée, et certes, l’utilisation de ce « nous » inclusif constitue une astuce supplémentaire pour y parvenir. Ruth Amossy, dans son ouvrage La présentation de soi, abonde dans ce sens :

Le locuteur qui prend la parole ou la plume entend souvent projeter une image qui n’est pas seulement la sienne, mais aussi celle du groupe auquel il appartient et au nom duquel il dit parler. Plutôt que de manier le « je », ou encore de se cacher dans un énoncé qui dissimule sa source, il emploie alors le « nous ». […] [Cette relation] marque la volonté du sujet parlant de se voir et de se montrer en membre d'un groupe qui fonde son identité propre. En retour, elle signifie aussi qu'il entend représenter tous ceux que recouvre le pronom « nous », qu'il se donne comme leur porte-parole officiel [...] ou comme un représentant automandaté [...]155.

Bien que l’accent ait souvent été mis sur la figure de « chienne sans meute » qu’incarnerait Yvon, il serait plausible de soutenir qu’en dépit de son refus de l’institution et de son désir de se tenir loin des sentiers battus, elle était par contre d’une loyauté inébranlable envers cette communauté marginale auprès de laquelle elle fraya jusqu’à sa mort prématurée. Faute d’accepter de rentrer dans les rangs, elle se fit un devoir de souligner l’immense sympathie qu’elle éprouvait à l’égard des laissées-pour-compte en faisant le récit de leur

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