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3. Filles-commandos bandées

3.2 La normalisation de la transsexualité

Bien que les femmes prennent une place centrale au sein de l’œuvre yvonienne, il serait toutefois réducteur, à mon avis, de n’associer que cette caractéristique à l’ensemble de la production de Yvon, malgré son omniprésence. Je crois qu’il serait ici important d’apporter une nuance majeure en ce qui concerne l’usage du terme « femme », qui englobe dans la poésie de Yvon plus que celles étant nées dans un corps féminin (et donc cisgenres). Le recueil rassemble les prostituées, les mères miséreuses, les « blondes », les sœurs, mais également les transsexuelles (ou travestis, comme elle les appelait à l’époque), soit les hommes qui s’identifient à ce genre et désirent par le fait même y être associés.

Puisqu’il me faut ici subdiviser l’étude en cours afin d’en faciliter la compréhension, je ferai une distinction nette entre les femmes marginales et les transsexuelles, en précisant toutefois que celles-ci sont traitées sur un pied d’égalité dans FCB. La frontière n’est jamais tracée clairement par Yvon, et il faut y voir, à mon avis, une volonté de présenter les choses ainsi, ces deux « catégories de femmes » ne constituant au final qu’une seule et même communauté. Cet acte de normalisation participe de la volonté yvonienne d’abolir la discrimination fondée sur le genre, le sexe ou encore l’orientation sexuelle.

Parmi ces personnages féminins mis de l’avant par Yvon se retrouve une certaine Ginette, personnage ambigu de par son genre et sa sexualité ; c’est que cette dernière est une femme transsexuelle qui se prostitue. Cette figure au sein de la poésie yvonienne n’est pas anodine : n’étant pas satisfaite de simplement dépeindre les femmes cisgenres, la poétesse décide de normaliser la transsexualité, la banalisant afin de la rendre plus acceptable socialement. La simplicité avec laquelle Yvon dresse le parcours de Ginette participe à faire d’elle une femme ordinaire parmi tant d’autres. Elle est d’ailleurs mise en scène à deux reprises dans les pages de FCB, la première fois vers le début, alors que Yvon la qualifie d’« hybride en chaleur104 », pour ensuite la ramener dans une suite poétique ultérieure,

intitulée « ginette en chaleur », dont le premier segment se lit ainsi : Ginette souriait d’une façon équivoque.

son corps masculin dans son jean-jacket rebelle, elle connaissait

tout le registre de ses cils d’éphèbe et endossait la cause de ses frères.

le vieux se promenait incognito, une perruque sans chauffeur, dans cette limousine d’un autre espace.

« jusqu’où tu vas? » qu’il dit en regardant les cuisses dans les jeans étroits.

comme ça la grosse truie voulait se taper un petit trou de cul bien serré à soir. […]105

Dès le deuxième vers, il est aisé de prendre conscience de l’identité transsexuelle de Ginette, puisque Yvon y évoque son corps masculin, mais la désigne par la troisième personne du féminin. S’ensuit une allusion à ses cils, partie du corps souvent employée pour illustrer la féminité, suivie du nom « éphèbe », qui désigne un adolescent mâle d’une grande beauté. Survient ensuite la posture engagée de Yvon, juxtaposée à la figure de Ginette, affirmant que cette dernière endosse « la cause de ses frères » ; elle, transsexuelle libre et affranchie, porte-étendard de tous ceux n’osant assumer publiquement leur réalité trans. Malgré la particularité de la situation évoquée dans ce poème, Yvon ne porte aucun jugement; elle ne fait que le récit objectif de la scène qu’elle relate, en ayant recours au pronom « elle » sans se montrer ambivalente, consciente que celui-ci est juxtaposé à la réalité androgyne du protagoniste. Un renversement intéressant survient ensuite, alors que Ginette se voit interpellée par « un vieux se promena[n]t incognito », attiré par son corps moulé par des vêtements le mettant en valeur. À cet instant, l’homme faisant appel à ses services de prostitution se voit féminiser lui aussi, répondant à l’appellation peu flatteuse de « grosse truie » : « comme ça la grosse truie voulait se taper un petit trou du cul bien serré à soir. » Dans ce segment, les identités de genre semblent interchangeables, la frontière entre homme et femme pourtant si nettement définie dans un contexte patriarcal se voit brouillée, devient poreuse.

Cette observation témoigne du fait que Yvon souhaitait s’affranchir de cette conception dualiste des genres, de la binarité des rapports sexuels et amoureux, puisque la réalité est autre. Le réel n’est pas aussi tranché, aussi dichotomique ; la pratique diffère bien souvent de la théorie. Et c’est en remettant les pendules à l’heure qu’il est possible, selon

Yvon, de parvenir à une réhabilitation de ces figures existantes, mais malheureusement exclues d’une « normalité sociale ».

Afin de saisir la pleine mesure du cran de Yvon et de l’ampleur du projet qu’elle portait, il s’avère éclairant de prendre conscience du fait qu’à l’époque de FCB, cela faisait à peine sept ans que l’homosexualité était décriminalisée au Québec (grâce au « bill omnibus » adopté en mai 1969, projet de loi important du Code criminel du Canada présenté à la Chambre des communes par Pierre Elliott Trudeau, alors Ministre de la justice106), et

seulement trois ans que celle-ci avait été officiellement retirée du Manuel diagnostique et statique des troubles mentaux (DMS-V) de l’American Psychiatric Association107. Que dire,

alors, de l'audace radicale d’une Josée Yvon abordant explicitement la transsexualité en 1976, question davantage épineuse que celle de l’homosexualité, et ce, plus de trente-cinq ans avant son retrait du DMS-V en 2013108 ?

Force est d’avouer, d’ailleurs, que la transsexualité est encore aujourd’hui un sujet tabou au Québec. Selon un rapport portant sur « la perception et les attitudes de la population québécoise à l’égard des réalités LGBT109 », réalisé pour le ministère de la Justice par

l’INFRAS (INFormation, Recherche et Analyse de la Société inc.) en mai 2017, les Québécois seraient très à l’aise avec les personnes homosexuelles (degré d’aisance de 4,2 sur 5), alors qu’ils avoueraient l’être moins par rapport aux trans (3,6 sur 5)110. Il y est également

mentionné qu’une personne sur trois croit qu’il est aisé de reconnaître une personne transsexuelle dans un groupe, et plus de 20 % des répondants avouent avoir un malaise quant au fait qu’un individu trans puisse choisir d’utiliser une toilette publique non associée à son sexe biologique111. Il y a là suffisamment d’éléments factuels pour déclarer que la

transphobie est une réalité dans la province112 et qu’il reste bien du chemin à accomplir

106 Auteur inconnu, « “Le bill omnibus” : il y a 50 ans, l’État sortait de la chambre à coucher des Canadiens », sur le site de Radio-Canada,

23 août 2019, s.p. [page consultée le 5 septembre 2019]

107 Denyse Perreault, « L’identité de genre et la transsexualité », dans Perspective infirmière, vol. 14, no 1, 2017, p. 30. 108 Idem.

109 Marilou Perron (dir.), « Enquête téléphonique sur la perception et les attitudes de la population québécoise à l’égard des réalités LGBT »,

rapport effectué par l’INFRAS (INFormation, Recherche et Analyse de la Société inc.), 2017, 38 p. [URL : https://cdn- contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/justice/publications-adm/dossiers/lutte-ht/RA_enqueteLGBT_2017_MJQ.pdf?1545335911 ; page consultée le 2 décembre 2019]

110 Ibid., p. 8. 111 Idem.

112 J’aimerais mentionner que cette transphobie est aussi facilement observable sur les réseaux sociaux. Sans m’épancher, la page Facebook

malgré le fait que la transsexualité ait été retirée du DMS-V (2013) et depuis remplacée par le diagnostic de dysphorie de genre113.

Mickael Enriquez s’est intéressé à cette question de la transsexualité au Québec dans son mémoire intitulé « Un mouvement trans au Québec ? Dynamiques d’une militance émergente114 ». Il admet que le militantisme transsexuel est très peu documenté au Québec,

si ce n’est du cas de Viviane K. Namaste, chercheuse trans québécoise ayant publié quelques livres sur le sujet, dont C'était du spectacle ! : l’histoire des artistes transsexuelles à

Montréal, 1955-1980115, dans lequel elle effectue quatorze entrevues avec des femmes ayant

vécu en tant que transsexuelles entre 1955 et 1980. Dans son essai, elle conclut que les cabarets et les bars liés au travail du sexe « remplissaient à la fois des fonctions de travail, de loisir et de rassemblement communautaire116 » ; pas étonnant, dans ces conditions, que les

transsexuelles de FCB soient toutes, de près ou de loin, associées au milieu prostitutionnel. Les enjeux majeurs défendus par la militance trans émergeant à l’époque – enjeux toujours valables aujourd’hui, d’ailleurs – étaient au nombre de deux. Il s’agissait de lutter contre la cisnormativité117 ainsi que contre la marginalisation des personnes trans au sein des milieux

sociaux, puisque de cette mise à l’écart résulterait systématiquement l’appauvrissement de la communauté trans, qui, pour subvenir à ses besoins, se verrait poussée vers la criminalité118.

Devant ces injustices se déroulant à l’époque où s’exprime avec force un féminisme radical, il est possible de se demander pour quelles raisons ces militantes ne cherchaient pas plus activement à intégrer les femmes transsexuelles à leur combat. Ici, il faut comprendre que le combat féministe que menait Yvon était différent de celui de ses consœurs, qu’elle a toujours tenues à distance et peut-être même tournées en dérision à l’occasion, comme le témoigne l’extrait suivant tiré de « La poche des autres » : « chaque femme prend en main

transsexuelle ayant participé à une téléréalité québécoise (Khate Lessard, Occupation Double 2019) et s’étant ainsi exposée aux jugements et à la critique des spectateurs qui se prononcent en ligne.

113 Ce nouveau diagnostic est incidemment contesté par plusieurs personnes trans et praticiens. Comme l’expliquent les SDS [Standards de

soins], « les personnes transsexuelles, transgenres et de genre non conforme ne sont pas des personnalités pathologiques113 » (Denyse

Perreault, « L’identité de genre et la transsexualité », art. cit., p. 30) et ne devraient donc pas être traitées comme telles.

114 Mickael Enriquez, « Un mouvement trans au Québec ? Dynamiques d’une militance émergente ». Mémoire de maîtrise, Montréal,

Université du Québec à Montréal, 2013, 231 f.

115 Viviane K. Namaste, C'était du spectacle ! : l’histoire des artistes transsexuelles à Montréal, 1955-1985, Montréal, McGill-Queen

University Press, 2005, 266 p.

116 Ibid., p. 54.

117 Notion qui renvoie à celle de « cisgenre » : la cisnormativité serait l’affirmation que seules les personnes dont le genre correspond au

les arguments, l’entourage dont elle a besoin pour être heureuse, il ne s’agit pas ici de s’excuser de n’avoir pas de queue ni d’enfant-prolongement, comme le font les féminisses complètes119. » Il est juste de déduire dans ce cas-ci que Yvon se moquait du combat alors

mené par certaines « féminisses complètes » – le fait d’écrire « féminisses » de la sorte témoigne d’emblée d’un certain mépris à l’égard de leurs pratiques. L’utilisation du mot « complète » ridiculise également les visées féministes associées à la deuxième vague : la poétesse semble en effet trouver aberrant qu’il puisse être possible d’être féministe sans l’être entièrement, critiquant ouvertement la cisnormativité des féministes radicales ainsi que les critères étroits et exclusifs du féminisme qu’elles prônent.

Il s’avère ici important de rappeler que le féminisme radical des années 1970 est né « dans la foulée ou en réaction à la réflexion de la gauche, mais aussi aux modèles androcentriques des sciences de l’homme et de la psychanalyse120 ». Plus encore, ses

partisanes préconisaient « l’abolition de l’ordre patriarcal et refus[ai]ent de problématiser la “différence” qui [était] source de leur oppression, comme lieu spécifique de l’expérience des femme121. » Il apparaît donc paradoxal que malgré ce refus d’être perçues comme étant

différentes en raison de leur sexe, les femmes cisgenres féministes usent de cette même « différence » caractérisant les transsexuelles pour les exclure de leur mouvement : c’est ce double standard au sein de leur discours que Yvon ne supportera jamais.

Dans un entretien paru dans Le Berdache, en octobre 1980, Yvon raconte à Pierre Boileau la zizanie qu’a créée le titre de son premier recueil parmi les féministes du moment, poussant même certaines librairies se targuant d’être avant-gardistes à boycotter FCB de leurs rayons. Effectivement, pour certaines, le fait d’associer les femmes et la caractéristique du sexe masculin qu’est celle d’être « bandé » constituait une véritable abomination122. Ce

119 Josée Yvon, « La poche des autres », art. cit., p. 103.

120 Francine Descarries-Bélanger et Shirley Roy, Le mouvement des femmes et ses courants de pensée : essai de typologie, Institut canadien

sur les femmes, coll. Documents de l’ICREF, no 19, Ottawa, 1988, p. 9. Bien qu’il n’en sera pas question ici, je tiens à mentionner au

passage que le féminisme radical se déployait en trois tendances spécifiques, soit celle du féminisme radical matérialiste (« [l]e corps des femmes comme lieu du rapport de l’appropriation matérielle et physique ») (ibid., p. 12), celle du féminisme radical de la spécificité (« [l]e corps des femmes comme fondement du déterminisme biologique ; l’oppression des femmes est liée à leur responsabilité dans l’élevage (maternage) des enfants et dans la division sexuelle du travail, i.e., dans la quotidienneté des rapports de sexes ») (ibid., p. 14) et finalement, celle du féminisme radical lesbien (« [l]e corps des femmes comme marque sociale de l’appropriation privée et collective des femmes par les hommes ») (ibid., p. 15).

121 Francine Descarries-Bélanger et Shirley Roy, Le mouvement des femmes et ses courants de pensée : essai de typologie, op. cit., p. 9. 122 Les informations en lien avec l’indignation des féministes de la deuxième vague par rapport au terme « bandé » associé à la féminité

n’était toutefois pas la première fois que Yvon faisait appel à ce terme, puisque déjà, dans la postface qu’elle signait au recueil de Vanier, Le clitoris de la fée des étoiles, en 1974, elle en faisait l’évocation : « Bandé de toutes nos beautés délirantes comme un arc efficace, le clitoris déclenche le grand mécanisme d’une révolte sans fin123. » Le but de Yvon, en usant

de ce mot généralement employé pour désigner l’excitation sexuelle de l’homme, n’était pas de masculiniser le corps féminin, mais plutôt d’en renverser l’habituelle hiérarchie en démontrant que ce dernier avait le pouvoir de porter et d’assumer ces particularismes généralement réservés à la gent masculine. C’est le clitoris, ici, qui est bandé : l’image que procure cette alliance improbable est d’une grande puissance, d’autant plus que c’est par cette « érection féminine » que peut s’amorcer la révolution. Cette anecdote relatant le boycottage de FCB n’est pas sans mettre en lumière l’une des principales dissemblances entre le féminisme radical de la deuxième vague et celui de Yvon : si le premier tombe facilement dans « les éthiques moralisatrices124 », celui de la poétesse, lui, montre davantage qu’il ne

dénonce, « boulevers[ant] grandement [la] conception de l’espace féminin, notamment en ce qui concerne le travail du sexe125. »

Le féminisme yvonien était donc beaucoup plus inclusif, tel qu’en témoigne l’incorporation des femmes transsexuelles au sein de ses récits, ce qui accentue encore davantage la marginalisation de son propos. À ce sujet, Mavrikakis affirme qu’« à un féminisme féminin militant et un tantinet bourgeois qui voulait sortir les femmes de leur condition et de leur cuisine en les guidant vers le marché du travail, Yvon a toujours préféré la perspective prostitutionnelle et transsexuelle (hormonale ou non)126. » Effectivement, loin

du féminisme blanc et hétérosexuel, la poétesse fait apparaître une toute nouvelle forme de révolution féminine et féministe, en incluant la transsexualité au portrait global. Stéphanie Mayer, autrice du mémoire « Du “nous femmes” au “nous féministes” : l’apport des critiques anti-essentialistes à la non-mixité organisationnelle127 », souligne qu’au courant des années

70,

123 Extrait de la préface de Le clitoris de la fée des étoiles de Denis Vanier, op. cit., rédigée par Yvon, page inconnue. Tel que mentionné

antérieurement, le recueil original étant introuvable, sa pagination m’est inconnue.

124 Claudine Potvin, « L’hyper-réalisme de Josée Yvon : la scène pornographique », art. cit., p. 210. 125 Idem.

126 Catherine Mavrikakis, « Inhabiter le monde en poète », art. cit., p. 76.

le désir des femmes transsexuelles d'être féministes, de prendre part aux mouvements dénonçant les oppressions liées au genre ainsi que de participer aux espaces non mixtes entre femmes met[tait] au défi les notions féministes d'expérience et d'authenticité de la catégorie “femmes”. Le fait de trancher sur ce qui correspond à l'expérience d'être une femme [était] un processus hautement politique engendrant des normalisations et des exclusions, comme le démontrent les critiques des féministes postmodernes, poststructuralistes et les théoricien.nes des études sur les transidentités128.

Il est primordial de comprendre qu’à ce moment précis de l’histoire du féminisme québécois, il fallait que les femmes y prenant part répondent à deux critères distincts, mais ultimement interdépendants : « d’abord la marque du féminin sur le corps de la personne et ensuite, la longévité de l’expérience qui en découle129 ». La question est compliquée, car dans

le cas de la première comme de la seconde nécessité, les femmes féministes cisgenres conservent leur réserve quant à la validité de « l’expérience transsexuelle » en elle-même. En effet, les femmes trans possédant encore leurs organes génitaux masculins biologiques étaient presque automatiquement discréditées ; il faut aussi savoir que les chirurgies de changement de sexe en étaient à leurs balbutiements à l’époque, et donc très peu répandues. Cependant, ce critère physique est mineur si l’on considère qu’avec vaginoplastie ou non, les transsexuelles se heurtaient avant tout au jugement que l’on portait à l’égard de leur expérience féminine, constamment insuffisante, tel que le souligne de nouveau Mayer : les femmes cisgenres s’indignaient souvent que les femmes trans, étant nées hommes, « n’aient jamais connu l’exclusion sexiste avant d’entreprendre leur transition, ce qui vient considérablement jouer sur l’expérience et la perception qu’elles peuvent avoir sur la condition féminine130. » C’est donc dire que les femmes transsexuelles ont toujours été,

malgré certaines tentatives, exclues du mouvement féministe, ne pouvant y prendre part en tant que féministes « complètes ». C’est là la raison pour laquelle Josée Yvon se fait porte- parole des « figures de femmes dissidentes, puissantes, extrêmes, opprimées, hors normes et dévaluées131 » : elle vise à déconstruire peu à peu les fondements d’une société patriarcale

oppressante envers les femmes transsexuelles, que même les féministes radicales n’auront su accueillir dans leurs rangs.

128 Ibid., f. 62. 129 Idem. 130 Ibid., f. 62-63.

Le militantisme yvonien persiste toutefois, malgré les écueils qu’il rencontre, et après avoir cherché à ébranler les structures institutionnelles et sociales par le choix de thèmes favorisant tour à tour l’identification des marginalisées, la dénonciation de leur situation ainsi que la normalisation des laissées-pour-compte, Yvon décide d’inscrire son combat au sein même de l’esthétique de sa poésie. C’est ainsi que soucieuse de rendre compte d’une réalité concrète où se meuvent les femmes qu’elle met en scène, elle n’hésitera pas à volontairement appauvrir la langue employée afin qu’elle coïncide avec le contenu de sa poésie rebelle, en réactualisant le trash. De même, en empruntant au genre du manifeste, la poétesse fera de

FCB un véritable cri de ralliement : l’utilisation d’un « nous » inclusif, notamment, permettra

la formation d’une communauté de femmes dissidentes et désormais conscientes de leur potentiel révolutionnaire.

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