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2. Contexte d’émergence de Filles-commandos bandées

2.2 Josée Yvon : curriculum vitae littéraire

Peu m’importe la situation du roman je ne serai l’esclave d’aucun schème. L’écriture, ma raison de vivre, n’est pas ébranlée par le constat philosophic [sic]35 de l’époque.

Je reste, serai la dernière36.

Chez Josée Yvon, vie et œuvre sont entièrement entrelacées, si bien qu’il me serait tout simplement impossible d’aborder l’une sans évoquer l’autre au passage : la poétesse ne semble pas ériger de frontières étanches entre vie et poésie, celles-ci cohabitant de manière interdépendante. C’est pour cette raison qu’il m’apparaît indispensable d’esquisser un bilan de son parcours personnel, professionnel et artistique, afin de comprendre la démarche poétique l’ayant menée à la publication de Filles-commandos bandées37 en 1976.

Fréquentations hétéroclites, nombreuses et marquantes, mode de vie ouvertement dérangé et dérangeant, méandres sidatiques et prostitutionnels : l’existence de Yvon n’a rien de banal, ni même de conventionnel. Ce refus sincère de rentrer dans les rangs viendra naturellement teinter ses recueils, de même que son tempérament rebelle et provocateur. C’est néanmoins ce processus de réhabilitation de la classe féminine marginalisée d’un Montréal bousculé par la contre-culture, ainsi que cette tension entre révolution radicale et réparation qu’elle mettra en œuvre par l’intermédiaire de sa démarche poétique qui seront, dans les prochaines sections, mis de l’avant.

La présente partie fera état du parcours scolaire de Yvon, des groupes à vocation créative et artistique undergrounds auxquels elle prendra part avant de faire la rencontre de Denis Vanier au tournant des années 1970. Avant d’entrer au cœur du sujet, je trouve également nécessaire de recenser l’entièreté de l’œuvre de la poétesse. Ne m’attardant ici qu’à son tout premier recueil, je crois important de démontrer de manière factuelle à quel

35 Josée Yvon étant une littéraire plutôt férue, cette erreur banale aurait facilement pu être évitée. Toutefois, la plupart des documents

manuscrits de la poétesse se trouvant dans son fonds d’archives à BAnQ du Vieux-Montréal semblent rédigés alors qu’elle est sous l’influence de substances illicites (l’alcool, le plus souvent, si je devais me prononcer à ce sujet). La calligraphie de bon nombre de poèmes ou de notes plus intimes change au fil de leur rédaction, devenant de plus en plus truffés d’erreurs d’orthographe. Au fur et à mesure que son taux d’alcoolémie semble s’aggraver, elle en vient à écrire « au son » ; « philosophique » devenant ainsi « philosophic ». Certains passages de ses textes deviennent même carrément illisibles vers la fin. Il serait également possible d’avancer qu’employant un langage trivial au sein de sa poésie pour dépeindre l’univers de ses protagonistes marginaux, elle appauvrirait volontairement son vocabulaire, dans une recherche de cohérence entre « contenant » et « contenu », usant d’une langue crue pour parler de choses l’étant tout autant. Néanmoins, comme cette note est personnelle et n’a jamais été divulguée, cette dernière hypothèse me semble moins plausible que la précédente.

36 Notes personnelles tirées d’un calepin avec les poèmes préliminaires de Filles-missiles, 1985, BAnQ-M, Fonds Josée Yvon, MSS407,

boîte 004, chemise 005.

point sa production fut prolifique et de mentionner par la bande que chacun de ses ouvrages était porteur – à des degrés variables – de ce sentiment de révolte caractéristique de l’œuvre yvonienne ; les titres de ses recueils et de ses quelques récits témoignent d’ailleurs de cette audace provocatrice la caractérisant. Le curriculum vitae littéraire suivant fut rédigé de sa propre main, avant d’être envoyé à son ami Rémi Ferland, qui publiera un livre intitulé

Lettres à un ami et éditeur (1986-1998)38, où cet extrait fut reproduit :

JOSÉE YVON : COURT CURRICULUM VITAE Née à Montréal le 31 mars 1950.

Cours classique au Collège Ste-Marie et Baccalauréat spécialisé en Études Théâtrales et en Animation Culturelle de l’Université du Québec à Montréal. Régisseur pour Radio-Canada. Membre fondatrice du « Théâtre Sans Fil » puis professeur de littérature au Cégep de Rosemont.

Bourse de Création littéraire du Conseil des arts du Canada et Bourse du Québec du Ministère des Affaires Culturelles.

A publié :

Filles-Commandos bandées, Éditions Les Herbes rouges, Montréal, 1976..

La chienne de l’hôtel Tropicana, Éditions Cul Q, Montréal, 1977. Travesties-Kamikaze, Éditions Les Herbes rouges, Montréal, 1980.

Koréphilie, Les Écrits des Forges, Trois-Rivières, 1981, en collaboration avec

Denis Vanier.

Phases critiques, Les Éditions Transpercées, Montréal, 1982, en collaboration. Gogo-boy, Les Éditions d’Orphée et des Ateliers Guillaume, Montréal, 1983. L’Âme défigurée, Les Éditions de l’Atelier de l’Agneau (Belgique) et les Éditions

du Castor Astral (France), 1985, en collaboration avec Denis Vanier.

Danseuses-mamelouk, VLB Éditeur, Montréal, 1982. Filles-missiles, Les Écrits des Forges, Trois-Rivières, 1986.

Maîtresses-Cherokees, VLB Éditeur, Montréal, 1986 en coédition avec Le Castor

Astral (France)39.

A contribué à diverses revues tant au Québec qu’en Europe :

Mainmise (Montréal 4 ans), Hobo-Québec (Montréal 8 ans), La Barre du jour

(Mtl), La Nouvelle Barre du Jour (Mtl), Le Berdache (Mtl 4 ans), Sortie (Mtl 2 ans), Sorcières (Paris), Dérives (Mtl), Moebius (Mtl), Dixit (Mtl), Cahiers (Mtl),

38 Rémi Ferland, Lettres à un ami et éditeur (1986-1998), Québec, Éditions Huit, 2012, 193 p. Vanier et Yvon échangèrent avec Rémi

Ferland une correspondance plus ou moins régulière, voire aléatoire (mais le plus souvent les lettres étaient signées de la main de Vanier), de 1986 à 1994, année qui correspond au décès de Josée Yvon. Vanier continuera d’écrire à Ferland jusqu’en 1998, avant de décéder en 2000.

39 La liste écrite par Yvon elle-même n’est toutefois pas complète, puisqu’elle fut rédigée en date du 15 janvier 1987 et que d’autres

publications suivirent, mais également puisque Yvon semble avoir effectué un tri préalable. Ferland se charge de compléter cette liste non exhaustive en préface de son livre, aux pages XIX-XX : « Les laides otages, Montréal, VLB éditeur, 1990, 166 p. ill. ; Héroïne, Montréal, Éditions Gaz Moutarde, coll. “Admiral 69”, no 15, 1992, 60 p. ; La cobaye, Montréal, VLB éditeur, 1993, 112 p. ; Lettres, Herstal

Ça s’attrape (Mtl), La Vie en Rose (Mtl), Mensuel 25 (Belgique), Si brève l’ivre

(France), Pli (France), Le Sphinx (Allemagne), Re-gart (France), Alba (France),

Foldaan (Bretagne), Oz-it (France), The French Dalhousie (Halifax), etc…

Prépare actuellement un nouveau roman Les laides otages pour le compte de VLB Éditeur40.

Avant d’entrer plus sérieusement dans la biographie de la poétesse, je me permets de compléter ce curriculum vitae manifestement non exhaustif en mettant l’accent sur ses maintes collaborations à des revues de gauche et ouvertement affiliées à la contre-culture plus dérangeante qu’exploratoire : Mainmise (1970-1978), Hobo Québec (1972-1981), Cul

Q (1973-1983), de même que Dérives (1975-1987). Elle participe aussi à la revue Le Berdache (1979-1982), première publication gaie militante au Québec, en plus d’écrire pour Fireweed, magazine féministe et intellectuel fondé à Toronto en 1978 et encore actif à ce

jour. À l’international, il est possible d’ajouter à la liste de ces revues ses collaborations avec

Beatitude (Californie), Sisters (Los Angeles), Le point d’ironie (Allemagne) et Stars Screwers (France), entre autres41.

Le parcours de Yvon était non seulement truffé de publications rapprochées et nombreuses, empruntant à différents genres littéraires et diffusées à grande échelle au Québec comme à l’international, mais se trouvait surtout éloigné du circuit littéraire de masse de l’époque. L’implication de la poétesse dans des revues militantes du champ de gauche témoigne d’un désir manifeste de chambouler le cours des choses, de renverser le pouvoir institutionnel et de semer dans un terreau fertile la graine de la révolte.

40 Rémi Ferland, Lettres à un ami et éditeur (1986-1998), op. cit., p. 5-6.

41 Je tiens à préciser que les collaborations de Yvon sont tellement nombreuses et diverses que malgré mon souci d’exhaustivité, il est

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