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Chapitre 2. Problématique et hypothèses

3. Vivre son adolescence avec un passé de cancer

5.2. Manifestations anxieuses et dépressives

L’anxiété, qu’elle soit normale ou pathologique, correspond à l’ensemble des réactions émotionnelles comprenant : des symptômes subjectifs, somatiques ou psychiques, des changements comportementaux et des signes physiologiques objectifs (Guelfi, Lancrenon et Millet, 1993). Selon Moullec, Lavoie et Sultan (2012) l’anxiété se définit par « un état subjectif de détresse, un sentiment pénible d’attente et d’appréhension vis-à-vis d’un danger à la fois imminent et imprécis » (2012, cité dans Bruchon-Schweitzer et Boujut, 2014, p. 238). La personne imagine des situations catastrophiques, ce qui s’exprime notamment au niveau somatique. Les chercheurs en psychologie différencient l’anxiété- trait de l’anxiété-état. Si l’anxiété trait désigne une tendance stable à percevoir les situations aversives comme dangereuses, l’anxiété-état correspond plus à un sentiment dans un contexte donné et spécifique (Bruchon-Schweitzer, 2002).

La dépression, ou syndrome dépressif, peut se caractériser par une humeur dépressive, une perte d’élan, mais également par de la tristesse, une perte d’intérêt, un sentiment de culpabilité et une faible estime de soi (site de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS),

2012, consulté en mai 2016 ; Pedinielli et Bernoussi, 2011). Selon l’OMS, la dépression est la première cause d’invalidité dans le monde. Bruchon-Schweitzer (2002), distingue la dépression et l’humeur dépressive. L’humeur dépressive renvoie à un état de détresse pendant une période donnée, survenant après un événement stressant. La personne estime alors ne pas avoir les ressources pour faire face à la situation, tandis que la dépression au sens clinique du terme désigne un ensemble de symptômes émotionnels, cognitifs, comportementaux et somatiques, relativement indépendants des événements de vie actuels.

Les patients atteints d’un cancer ou même en situation d’après cancer expriment très souvent des manifestations anxio-dépressives liées à l’expérience de la maladie. En effet, Ruccione, Lu et Meeske (2013) avaient déjà décrit que le cancer, maladie mortelle traitée pour survivre, pouvait provoquer beaucoup d’anxiété, de colère et de tristesse, évoluant parfois vers des troubles dépressifs, d’où l’importance d’une surveillance accrue de ces symptômes. Ce serait avant tout encore une fois l’influence de la famille et le niveau de qualité de vie qui seraient liés à l’anxiété de l’adolescent suite à l’expérience de la maladie (Hinds, 1990). De plus, le risque de rechute, lors de la phase d’après cancer, provoque de l’anxiété au sein de la dyade, liée entre autres aux souvenirs de l’épreuve de la maladie (Kasak, Christakis, Alderfer et Coiro, 1994). Dans une étude de Koocher et O’Malley (1981 ; cités par Henderson, 1997), les auteurs ont montré que 47% des adolescents présentaient une faible estime de soi, de l’anxiété, des symptômes dépressifs et des changements d’humeur. Pour certains patients, l’expérience du cancer constitue un véritable trauma qui peut évoluer dans 5 à 20% des cas, la maladie provoque un État de Stress Post Traumatique (ESPT). L’anxiété liée à la maladie est une variable très présente chez les adolescents (Abu-Saad Huijer, Sagherian et Tamim, 2013).

Le cancer provoque de grandes difficultés relationnelles, familiales et financières, accompagnées le plus souvent d’isolement social, qui seraient prédicteur d’ESPT chez les parents. En effet, 11 à 25% des mères et 10% des pères seraient susceptibles de développer un ESPT à travers différents symptômes comme des pensées intrusives liées aux souvenirs de la maladie (Alderfer, Cnaan, Annunziato et Kasak, 2005). En raison de problèmes d’ajustement, de socialisation et d’un manque de cohésion dans les familles, les adolescents seraient plus à risque de développer un ESPT (Grant et al., 2006).

Cependant, d’autres études portant sur le cancer pédiatrique avancent des résultats contradictoires. En effet, il semble que la majorité des patients ne présentent pas de manifestations anxio-dépressives significativement plus élevées par rapport aux pairs d’âge. Au contraire, ils ne seraient que 17 à 30% à montrer une détresse psychologique accompagnée d’anxiété et de symptômes dépressifs (Abrams, Hazen et Penson, 2007). Chez les parents, la présence d’une détresse évidente subsiste même après la fin des traitements (Cohen, Friedrich, Jaworski, Copeland et Pendergrass, 1994). Les mères expriment plus de détresse dans les couples parentaux (Alderfer et al., 2005 ; Dahlquist, Czyzewski et Jones, 1996), et les parents célibataires présentent plus d’ESPT que les couples mariés (Cairney, Boyle, Offord et Racine, 2003). Il s’agit tout de même pour les parents d’une expérience potentiellement traumatique, et certains chercheurs ont remarqué que les parents se souciaient davantage du cancer que les patients avec passé de cancer eux-mêmes (Doschi et al., 2014 ; Kinahan et al., 2008). Outre les ESPT, Norberg et Boman (2008) ont constaté que les parents de patients malades avaient généralement plus de symptômes dépressifs et anxieux que les autres parents. Un risque de voir leur santé physique et mentale affaiblie est également présent, en plus d’un niveau de détresse élevé perdurant longtemps après le diagnostic, y compris jusqu’à 5 ans après l’arrêt des traitements (Wijnberg-Williams, Kamps, Klip et Hoekstra-Weebers, 2006). Plusieurs études constatent que les parents présentent plus de symptomatologie que les patients eux-mêmes. Les auteurs parlent même de "second order patient" (Lederberg, 1998).

Tandis que d’autres auteurs remarquent aussi des niveaux de stress élevés et persistants dans le temps suivant l’arrêt des traitements (Hutchinson et al., 2009 ; Sloper 2000 ; Van Dogen et al., 1998 ; Wijnberg-Williams et al., 2006), d’autres études montrent là encore des résultats contradictoires, certaines indiquant que la plupart des familles font preuve de bons niveaux d’adaptation face à l’après cancer (Frank, Brown, Blount et Bunke, 2001). Des recherches récentes affirment que les parents peuvent également trouver des avantages à l’après cancer, notamment à travers le développement d’une croissance personnelle (Hutchinson, 2009 ; Kim, Schulz et Carver, 2007 ; Stuber, 2006).

Malgré l’hétérogénéité des résultats montrant leur influence sur la qualité de vie, le stress et les manifestations anxio-dépressives sont par conséquent des variables importantes à

prendre en compte pour l’adolescent en situation d’après cancer et sa famille. Cependant, de récentes études portant notamment sur la résilience chez ces adolescents montrent que ces derniers peuvent disposer de ressources et de capacités d’autorégulation permettant de maintenir un bon niveau de qualité de vie. Ce travail de recherche s’intéressera donc tout particulièrement aux notions d’ajustements aux buts, d’auto efficacité, de coping et d’engagement dans la vie, afin de saisir leur potentiel effet protecteur de la qualité de vie de ces familles en situation d’après cancer.

6.

L’autorégulation

Selon Carver et Scheier (2009), l’autorégulation désigne un « ensemble de processus cognitifs, affectifs, motivationnels et comportementaux mis en œuvre pour atteindre un ou plusieurs buts pour éviter une situation indésirable ». Pour ces auteurs, l’autorégulation implique des ajustements autocorrectifs provenant de l’individu lui- même. Ainsi, une personne est capable d’adapter son comportement et de le changer si nécessaire, s’il a pour objectif d’atteindre un but particulier (Baumeister, 1999, cité par De Ridder et De Wit, 2006). La théorie de l’autorégulation, dite « théorie du contrôle » de Carver et Scheier (2009), étaye l’idée que nos comportements sont régis par des niveaux de contrôle, associés à des feed-back, et permettant l’évolution vers l’atteinte d’un but. Ces niveaux de contrôle permettent ainsi à l’individu de réaliser plusieurs tâches pendant la même période, en conservant une certaine disponibilité. Ainsi, un flux d’actions permet d’osciller continuellement d’un but à un autre. Pour Gosling (1996), ce concept permet de comprendre comment et pourquoi les personnes contrôlent et dirigent leurs actions. L’autorégulation est donc un processus actif et constructif qui renvoie à l’appréciation d’un besoin entre l’objectif initial et la situation actuelle (Carver et Scheier, 2009). Le comportement va également être corrélé avec la motivation de la personne. En effet, les processus cognitifs qui sous-tendent la motivation vont avoir une influence sur le comportement et donc la poursuite des buts. La théorie sociale cognitive de Bandura (1977, 1986) développe ainsi l’idée dont une personne va changer son comportement en fonction des résultats qu’elle espère atteindre, et que ces attentes sont la cause de la

motivation. Pour Carver et Scheier (2009), le concept d’autorégulation du comportement est également lié à la notion d’affect qui correspond à un état psychologique souligné par une tonalité hédonique teintée de plaisir et de déplaisir.

La capacité d’autorégulation d’une personne va donc être liée aux buts qu’elle désire atteindre, à sa motivation à aboutir à ces buts, mais également au contexte dans lequel l’individu se trouve et aux affects associés à la situation.

Concernant l’autorégulation des individus face à l’expérience de la maladie, Leventhal, Meyer et Nerenz (1980) observent que la maladie serait gérée par les individus de la même manière que d’autres événements. Ce qui induit que face à un problème, une personne cherche à rétablir l’état de normalité. Cependant, cette motivation va dépendre de l’importance du but poursuivi, car si une personne peut poursuivre plusieurs objectifs en même temps, souvent ces derniers vont être classés par ordre d’importance et peuvent sensiblement variés en fonction du contexte (Simon, 1967) et il peut alors y avoir une redéfinition des priorités.

Enfin, la capacité d’autorégulation peut permettre à une personne d’être plus « résiliente » ou « ajustée » face aux événements de la vie, de réduire les effets du stress et les problèmes de comportement, alors qu’une personne avec une moins bonne capacité autorégulatrice serait plus vulnérable aux effets du stress (Wills et Bantum, 2012). Pendant la phase de traitement, les patients malades ont notamment été décrits comme plus impulsifs, avec des difficultés d’autorégulation ayant un impact sur la qualité de vie (Askins et Moore, 2008).

Les recherches menées sur le concept d’autorégulation ont montré l’importance du rôle joué par la réalisation des objectifs, l’auto-efficacité perçue, le sens donné à la vie (Bandura, 1977 ; Carver et Scheier, 1981 ; Heckhausen et Schulz, 1995) et le coping. L’ajustement aux buts, l’auto-efficacité perçue, la foi en ses propres compétences et la capacité à s’adapter face à des événements seraient notamment liés à une meilleure santé et un bien-être subjectif élevé (Bandura, 1997 ; Freund et Baltes, 1998 ; Wrosch, Scheier, Miller, Schulz et Carver, 2003).

La notion de but est par conséquent majeure dans la théorie de l’autorégulation de Carver et Scheier (2009), en ce qu’elle renvoie à la perception mentale d’une situation que la

personne essaie d’atteindre. Ce travail de thèse intègre la notion de but à la situation particulière des adolescents avec un passé de cancer à travers le concept d’ajustement aux buts.