• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2. Problématique et hypothèses

3. Vivre son adolescence avec un passé de cancer

6.1. L’ajustement aux buts

Le concept d’autorégulation du comportement de Carver et Scheier, qui est une forme d’opérationnalisation de l’autorégulation, montre que tout comportement est guidé par un ou plusieurs buts (Muller et Spitz, 2012).

Chaque individu poursuit des buts quotidiennement, que ce soit de manière consciente ou automatique, car ces buts permettent à la personne de penser que la vie vaut la peine d’être vécue en lui infusant un sens (Wrosch et Heckhausen, 1999), et permettent de construire son individualité (Bauer et Wrosch, 2009). Selon Scheier et al. (2006), la poursuite des buts personnels est associée au bien-être, à la santé physique et contribue à la bonne qualité de vie d’une personne. De plus, Carver et Scheier (2009) ont montré que la non réalisation d’un but pouvait entrainer une baisse du bien-être subjectif ainsi que du niveau de la qualité de vie. Ainsi, la poursuite d’objectifs inaccessibles peut impacter la santé d’un individu (Wrosch, Miller, Scheier et De Pontet, 2007). La capacité d’autorégulation d’un individu peut être modifiée et devenir difficile à maintenir lorsque des situations frustrantes ou stressantes sont rencontrées (Brandtstädter et Renner, 1990). En effet, certains buts ne sont pas toujours réalisables, ce qui peut mener à un découragement, voire à un abandon du but en question. L’ajustement des buts va alors consister en un désengagement vis-à-vis de buts irréalisables, de même qu’en un réengagement dans d’autres buts plus réalisables. Le réengagement dans un nouveau but permet ainsi à une personne de continuer à donner un sens à sa vie tout en palliant les émotions négatives liées au renoncement de l’ancien but (Rasmussen, Wrosch, Scheier et Carver, 2006). De manière générale, Wrosch et al. (2003) ont constaté que les personnes qui étaient plus enclines à se réengager dans de nouveaux buts lorsque leur but initial devenait inaccessible montraient un bien-être subjectif élevé, une moins grande détresse, et donc une meilleure qualité de vie.

Rosenberg, Yi-Frazier, Wharton, Gordon et Jones (2014) ont montré, notamment à l’aide de témoignages, l’importance d’avoir des buts chez les adolescents ayant eu à faire face à la maladie du cancer. Pourtant, selon Naus, Ishler, Parrott et Kovacs (2009), un traumatisme majeur comme un diagnostic de cancer peut perturber l’individu au point de créer un risque de poursuivre obstinément des objectifs qui sont devenus inappropriés ou inaccessibles. En effet, un diagnostic de maladie chronique peut entraver la réalisation de certains buts, notamment les objectifs liés à la santé, à la confiance en soi et aux compétences (Schroevers, Kraaij et Garnefski, 2008). De plus, rester focalisé sur des éléments négatifs et des buts devenus inaccessibles serait associé à un ajustement négatif, puisque corrélé à de la rumination et à une tendance au catastrophisme (Schroevers et al., 2008).

En effet, la capacité à se réengager dans de nouveaux buts serait plus importante pour les patients atteints du cancer, que le désengagement de buts devenus inatteignables (Schroevers et al., 2008). Wrosch et Sabiston (2013) ont notamment montré - et ce dans un contexte plus général puisqu’il s’agit d’une étude sur les femmes ayant un cancer du sein - l’importance de la capacité de réengagement dans de nouveaux buts sur les affects positifs, la santé physique et donc la qualité de vie. Cependant, l’engagement et le désengagement des buts étant deux processus indépendants, il est important de préciser que la personne peut tout à fait se désengager de certains buts à un moment donné, tout en se réengageant dans de nouveaux buts, et inversement (Carver et Scheier, 2009 ; Schroevers et al., 2008 ; Wrosch et al., 2003). Il ne s’agit donc pas d’un processus figé. Une qualité de vie élevée correspond à un équilibre entre ce que l’individu peut faire et ce qu’il voudrait être capable de faire (Eiser, Greco, Vance, Horne et Glaser, 2004). La qualité de vie, dans le contexte du vécu de la maladie, serait améliorée quand la distance entre l’attente et la réalisation des buts est réduite (Bergner, 1989). Von Blanckenburg et ses collaborateurs (2014) ont montré dans leur étude que la réalisation globale des objectifs de vie est associée à la qualité de vie chez les patients atteints d’un cancer. Les auteurs ont constaté que sur un suivi de vingt mois, la qualité de vie perçue et l'atteinte des objectifs sont restées stables, mais que l'importance des objectifs de vie a diminué. L’étude de Zhu et al. (2015) corrobore ces informations en indiquant que sur un suivi de patients ayant reçu une aide psychosociale, ces derniers arrivent à se désengager de

certains buts, mais pas d’autres buts. Ainsi, travailler sur des objectifs de vie accessibles - impliquant une poursuite de but - pourrait permettre aux patients de mieux faire face à la maladie, et contribuer ainsi à l’amélioration de l’autorégulation et de la qualité de vie des patients (Von Blanckenburg et al., 2014).

Nonobstant, si toutes ces recherches montrent le lien entre l’ajustement aux buts et la qualité de vie chez des patients atteints d’un cancer, une recherche de Janse, Sprangers, Ranchor et Fleer (2016) a montré que les patients utilisaient des stratégies d’ajustements des buts différentes, en fonction de la phase de la maladie. Ainsi, ce travail de recherche pose la question de l’existence ou non d’un lien entre l’ajustement aux buts et la qualité de vie chez des adolescents en situation d’après cancer.

Concernant à présent les parents d’enfants et/ou d’adolescents malades, Wrosch et al. (2003) ont travaillé sur les capacités d’ajustement des buts des parents d’enfants en bonne santé comparativement à des parents ayant un enfant atteint de cancer. Ces derniers peuvent être amenés à mettre à disposition leurs ressources dans le soin de leur enfant malade aux dépens d’autres buts personnels ou familiaux. Les résultats de cette étude ont prouvé que les parents qui sont en mesure d’ajuster leurs buts obtiennent des scores de dépression faibles, équivalents à ceux obtenus par les parents d’enfants en bonne santé. Ces résultats suggèrent que les capacités d’ajustement des buts deviennent vraiment importantes pour la préservation du bien-être, en particulier lorsque des événements stressants menacent l’atteinte de buts établis précédemment (Bauer et Wrosch, 2009). Ces résultats concordent avec ceux de l’étude de Rasmussen et ses collaborateurs (2006), et sous-tendent l’importance de l’ajustement des buts dans l’autorégulation chez les membres de la dyade pour améliorer la qualité de vie.

D’un point de vue général, Wrosch, Amir et Miller (2011) ont étudié le lien entre ajustement aux buts et stratégies de coping chez des aidants familiaux d’une personne avec une maladie mentale. Cette étude a notamment révélé que les capacités de désengagement étaient significativement associées à l’auto-blâme et à l’usage de substances, tandis que les aidants ayant des capacités de réengagement avaient plus souvent recours à la planification, l’utilisation de soutien instrumental, à l’humour, la religion, ou encore à la distraction. Par ailleurs, les auteurs ont constaté que les capacités de réengagement des aidants étaient associées à un sens de la vie plus élevé, mais que

seule la stratégie de réinterprétation positive est effectivement associée à un sens de la vie élevé.

Ces éléments montrent l’importance de l’ajustement aux buts dans le vécu de la maladie. Le désengagement vis-à-vis de certains buts, pour laisser place à un réengagement vers d’autres objectifs, semble être important pour améliorer la qualité de vie des patients et de leur famille. Globalement, cela souligne l’importance de l’engagement. La partie suivante va donc traiter du concept d’engagement dans la vie, afin de rendre compte de l’autorégulation de ces adolescents d’une façon cette fois plus abstraite, et qui peut avoir également toute son importance pour améliorer la qualité de vie.