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Mangas et longévité, les contraintes des longues séries

Traduire une série demande forcément un travail très rigoureux de la part du traducteur, et c’est d’autant plus le cas quand cette dernière dure dans le temps.

Bien qu’il existe des séries courtes ou des One-shot, à savoir une histoire en un seul tome, ce n’est pas la forme la plus courante d’un manga. En effet, si on se promène dans la partie manga d’une librairie, on peut vite constater que la majorité des séries présentes dépassent sans difficulté les 10 tomes, avec une mention spéciale pour certains best-sellers internationaux. Pour les plus célèbres, maintenant terminés, Naruto compte 72 tomes, Bleach 74, et Fairy Tail 63 tomes. Mais d’autres séries tout aussi longues sont encore en cours telles que la très célèbre One Piece, totalisant actuellement 87 tomes et qui ne compte pas prendre fin de sitôt puisque son auteur, Eiichiro Oda a récemment confié que son œuvre aurait atteint 80% de son histoire69. Ce ne sont là que les exemples les plus connus du grand public, mais ce ne sont pas les seules à atteindre des nombres aussi élevés.

Il se passe beaucoup de choses en 60 tomes et plus, et c’est encore un long travail qu’est contraint de faire le traducteur afin de rester cohérent dans ce qu’il fait.

Dans un premier temps, traduire des séries aussi longues demande l’élaboration d’un index complété au maximum : personnages, lieux, noms d’attaques (s’il y en a), etc. C’est surtout le cas pour les mangas d’aventure, fantaisie..., où le nombre de personnages et de lieux est vite très élevé. Il en est de même pour les noms d’attaques, ce qui est très courant dans ce genre de mangas (les titres cités ci-dessus en sont tous dotés). Un index permet avant tout au traducteur de ne pas faire d’erreur, ce qui peut arriver quand une série dure aussi longtemps. Toutefois, il ne doit pas être qu’une simple liste, elle se doit d’être très précise. Pour ce faire, le traducteur va, par exemple, noter le nom du personnage ainsi que son tome d’apparition. Pour les attaques et techniques, il devra, en plus de sa première utilisation, écrire le nom en japonais et sa traduction, et surtout ne pas oublier de spécifier quel personnage utilise telle technique. Encore une fois, cela varie entre chaque série. Par exemple, les techniques qui sont en anglais dans la version originale sont généralement laissées telles quelles.

Pour des séries de ce genre, les index sont indispensables pour les traducteurs, mais aussi dans le cas où la série est reprise par un autre.

69 Kubo, Le manga One Piece aurait atteint 80% de son histoire, Manga Mag, 2018 [en ligne] (consulté le 21

juillet 2018)

https://www.mangamag.fr/actualite/actualite-manga/le-manga-one-piece-deiichiro-oda-aurait-atteint-les-80-de- son-histoire/

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Même si c’est assez rare, il arrive, pour des raisons diverses, qu’une série change de traducteur. Et pour un traducteur, reprendre une série demande un gros travail préparatoire. Travail plus ou moins long selon l’œuvre, mais si on parle d’une série de 20 tomes ou plus, cet index devient précieux :

Le lexique, c’est utile pour moi et c’est utile si jamais quelqu’un reprend la série, parce que j’ai repris des séries sans index de personnages, alors sur UQ Holder, qui est la suite de Negima [série de 38 tomes], Negima yavait pas du tout eu de, d’index de personnages, et vu qu’il y en a 300 000, je rame.70

L’absence d’index peut alors s’avérer un sérieux bâton dans les roues, pouvant ralentir considérablement le travail du traducteur.

L’index est un point important qui peut beaucoup aider si un manga est confié à un nouveau traducteur, mais comme dit plus tôt, cela demande tout de même un gros travail préparatoire. Premièrement, le traducteur doit prendre le temps de relire tous les tomes parus (en français, et éventuellement en version originale), ce qui peut prendre un temps considérable s’il s’agit d’une longue série. Une fois ce travail fait, le nouveau traducteur doit faire attention aux choix de traduction qui ont déjà été faits dans les volumes parus. Mais pour l’une des traductrices interrogées, bien que tout cela demande un travail considérable, ce n’est, selon elle, pas le plus difficile : « Mais c’est pas que ça j’trouve, il y a aussi tout un style d’écriture qui est pas forcément le même quoi, c’est un gros taff, en tout cas quand tu reprends une série, tu sais que ça va pas être de tout repos quoi. »71 Ses propos mettent en avant le fait que, comme n’importe quel auteur, les traducteurs ont leur propre façon de faire, et donc leur propre style d’écriture. Cela demande alors une compétence de plus pour ce dernier, qui doit faire en sorte que le lecteur ne ressente pas ce changement lors de sa lecture. Car au fil du temps, le lecteur se sera habitué au style d’écriture du traducteur, et le rôle du nouveau traducteur sera justement de ne pas le sortir de cette ambiance : « J’ai dû travailler sur deux chapitres de L’Attaque des Titans pour remplacer le traducteur […] et j’me souviens que là j’ai eu le plus beau compliment de ma carrière, là mon éditeur qui m’a dit “bon bah j’avais l’impression que c’était Sylvain”. »72

Ainsi, être traducteur ne demande pas seulement de savoir traduire correctement, mais aussi des capacités secondaires, à l’image de ce travail de caméléon.

70 Entretien avec une traductrice de japonais, mené le 21/02/18. 71

Entretien avec une traductrice de japonais de Black Studio, mené le 29/03/18.

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