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Humour, référence et jeux de mots

B. Transposer une culture différente

1. Humour, référence et jeux de mots

Dans un premier temps, il y a l’humour, qui est considéré pour beaucoup de traducteurs comme ce qu’il y a de pire, ou en tout cas, l’une des premières choses qui leur viennent à l’esprit quand ils réfléchissent aux difficultés de traduire la langue japonaise. Car, si ne pas savoir le sexe d’un personnage demande de trouver une tournure de phrase qui permette de contourner le problème, traduire une blague peut parfois prendre des heures, voire des jours quand ces dernières sont en plus liées à une référence culturelle. L’humour n’est pas le même, et même si la blague ne pose aucun problème de traduction vers le français, elle ne fonctionnera pas forcément, puisqu’elle ne voudra peut-être rien dire ou ne sera tout simplement pas drôle.

Sur le même modèle, il y a les références culturelles. Parfois isolées, elles peuvent faire référence à une émission de télévision, une célébrité, une chanson, etc., ces dernières peuvent parfois avoir pour but un effet comique ou être liées à une blague. Dans ce cas précis, la traduction devient d’autant plus compliquée, puisqu’il faut conserver le comique de la situation ou de la blague, tout en y intégrant la référence qui fait partie du comique.

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d’homophones. Si ce genre de mots existe aussi en français, cela n’a rien à voir avec leur quantité dans la langue japonaise. Au vu de leur quantité, il est donc très simple pour un auteur d’en créer.

La question que pose alors cet élément est quant à sa résolution. Traduisent-ils littéralement tout en intégrant une note de traduction ? Ou préfèrent-ils adapter pour le lectorat français ? Et dans ce cas, à quel point s’éloignent-ils de la version originale ?

Deux choix s’offrent donc à eux, la note de traduction, ou note de bas de page, ou l’adaptation.

La note de bas de page peut être une solution lorsqu’il est impossible de traduire ou que l’adaptation s’avère être impossible. Pourtant les trois traductrices enquêtées sont toutes du même avis concernant les notes : elles n’aiment pas en surcharger leur travail. Sauf bien sûr s’il n’y a pas d’autres choix, mais elles tenteront avant tout de faire des périphrases, ou dans le cas de l’humour et des références culturelles, de faire leur possible pour adapter, quitte à passer énormément de temps sur un seul passage. En effet, le but de la traduction est de respecter au maximum ce que l’auteur a voulu transmettre. Si le texte est surchargé de note, il sera beaucoup plus lourd. Il est même évident d’ajouter que l’humour n’est plus drôle si l’on a besoin de l’expliquer, l’élément comique perdrait tout son intérêt.

C’est donc l’adaptation qui est majoritairement utilisée par les traducteurs. L’adaptation consiste à mettre le texte en bon français, afin qu’il suive le bon rythme est soit fluide et cohérent pour que le lecteur français ne passe pas plus de temps à lire un manga que le lecteur japonais. On sait maintenant que la langue japonaise est très différente du français quant à la construction des phrases, l’adaptation est donc nécessaire pour que ces dernières aient un sens une fois retranscrit en français, comme l’illustre la traductrice de Card Captor Sakura :

Forcément il va falloir changer certains dialogues, euh, je sais pas, ça va être euh, tiens, il me semble que ça va être Sakura et Shaolan encore une fois, euh, qui vont aller visiter un, un musée ou je sais pas trop quoi avec euh, « ohlala mais tu es sûr que tu veux y aller avec moi ? - oh, mais c’est plutôt toi qui me fait l’honneur de venir avec moi », alors si on traduit comme ça en français, déjà on se dit qu’ils sont deux gogoles, et c’est, c’est d’une lourdeur, alors, il va falloir trouver des dialogues pour retranscrire la même idée de gêne « ah, mais, est-ce que c’est vraiment avec moi qu’il veut y aller ? »33

Voilà concrètement en quoi peut consister une adaptation, ce n’est pas forcément pour des cas comme illustré plus tôt. La plupart du temps, c’est faire en sorte que la phrase soit correcte en

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français, en trouvant réorganisant la phrase ou bien en trouvant des mots qui seront plus parlants pour le lecteur français.

Par ailleurs, l’adaptation est aussi ce que semblent privilégier les éditeurs : « Personnellement, je suis assez pour l’adaptation, qu’on lise un manga, qu’on a l’impression de lire un livre et qu’on est pas arrêté sans arrêt par les notes qui nous expliquent des trucs qui cassent la lecture. »34 Le choix d’adapter ou non reste personnel, comme c’est le cas ici, et cela dépend aussi du type de série qui est traduit. En effet, si pour certaines séries, le traducteur adaptera à sa guise, il arrive que la règle donnée par l’équipe éditoriale soit, au contraire, de ne pas trop adapter. Toutefois, même si l’adaptation est de rigueur, elle doit être réfléchie pour que le lecteur réagisse à la blague sans se douter que ce n’est pas tout à fait celle d’origine, sans avoir l’impression qu’il y a quelque chose qui n’est pas naturel. Bien sûr, en adaptant, on perd une part de la version originale, mais il n’y a pas d’autres choix lorsque le rendu n’évoque absolument rien. Le rôle du traducteur sera alors de trouver quelque chose pour remplacer tout en restant le plus proche possible de la blague d’origine afin que le lecteur français ressente la même chose à la lecture.

Blagues, références et jeux de mots, il y a plusieurs situations possibles qui demandent un genre d’adaptation différent. Mais cela dépend aussi du manga, et bien sûr du traducteur, chacun ayant sa façon d’aborder le problème.

Dans un premier temps, il est possible pour un traducteur de devoir adapter toutes les blagues d’un même titre. Lors d’un des entretiens effectués pour l’enquête, une traductrice évoque le cas d’une série de trois tomes tout à fait particulière. Nommé Kid I Luck de Yûkô Osada, le contenu repose entièrement sur des sketchs humoristiques typiquement japonais, et dont le héros souhaite devenir champion ; le récit suit donc son apprentissage. Et qui dit apprentissage, dit bien évidemment des ratés. De fait, la caractéristique de ce manga était que les blagues devaient au début tomber à plat et qu’à la fin (troisième tome), elles fassent enfin rire son audience (et le lecteur par la même occasion). Ainsi, bien que courte, traduire cette œuvre a été un réel défi pour la traductrice :

Et honnêtement quand on lit les, les gags tels quels en japonais en tant que français, on voit le petit corbeau qui passe derrière comme ça (rit), ok alors il va falloir rendre ça

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rigolo euh, alors c’était un challenge terrible avec les équipes de Ki-oon qui étaient derrière moi.35

Dans une situation comme celle-là, la concertation avec l’éditeur est nécessaire si ce n’est primordial, puisque la traduction d’un tel ouvrage demande beaucoup de travail d’adaptation. Pour ce titre, l’objectif a alors été de s’éloigner complètement de la version originale, les blagues étant toutes impossibles à retranscrire, il n’y avait pas d’autres choix. Le travail de la traductrice a alors consisté à trouver des blagues gardant le même contexte, le même thème, pour que le lecteur français comprenne : « Chaque fois, y avait un thème, et, j’vais vous dire n’importe quoi euh “inventez une catégorie de sport olympique”, voilà il fallait trouver les déclinaisons alors, euh, le lancer de disque dur, par exemple. »36

Trouver des déclinaisons, et ce, pour la majorité du contenu humoristique, sachant que le sujet principal du titre est l’humour, la traductrice a eu affaire une grosse quantité de travail d’adaptation. Cependant, le cas de cette série est particulier, car le thème même du manga est cette forme spécifique d’humour japonais, de ce fait, cet énorme travail d’adaptation reste tout de même assez rare.

Les cas les plus courants relèvent donc de l’adaptation de références ou de jeux de mots, ce qui n’est pas non plus toujours facile. Lors des entretiens effectués, les traductrices ont donné beaucoup d’exemples, ce qui montre à quel point le sujet est difficile, étant donné que chaque cas est différent d’un autre, et doit donc être traité autrement.

La traductrice du manga Born to be on Air, de Hiroaki Samura, a donné un exemple du récent tome 4 qu’elle avait traduit. Dans ce tome, il y avait un passage où un personnage reprenait les paroles d’une chanson d’une artiste japonaise très populaire. Elle précise que si cette artiste connue en France, il ne le serait que par un public de niche, or cette dernière est connue de la grande majorité des Japonais, il faut donc que cela soit similaire dans la traduction française. Traduire littéralement les paroles n’aurait pas été évident et, de plus, cela n’aurait rien évoqué aux lecteurs. Pour ce titre, la volonté éditoriale est d’adapter au minimum, sauf si c’est vraiment nécessaire, et c’était le cas pour cette situation, la référence étant inexploitable. Inexploitable d’une part, car le nom de l’artiste n’aurait rien évoqué aux lecteurs français, et d’autre part car traduire les paroles de la chanson gardée telle quelle n’aurait fait référence à rien, et la traduire n’était évidemment pas envisageable. Le rôle de la traductrice a alors été de trouver une chanson véhiculant la même idée pour que le lecteur comprenne le comique de la

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Entretien avec une traductrice de japonais, mené le 21/02/18.

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situation, mais une choisissant une artiste assez connue à l’internationale pour que la référence reste crédible et que le lecteur français ne se doute de rien. La chanson d’origine datant de 1987, il lui a fallu passer en revue toutes les chanteuses des années 1980/1990 ayant une envergure internationale, et ensuite trouver une chanson immédiatement reconnaissable et au contexte similaire afin de garder ce qui fait la singularité de la référence. Après un long temps de recherches, la traductrice a finalement opté pour la chanson « Sans Contrefaçon » de Mylène Farmer.

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Mylène Farmer étant aussi écoutée au Japon, la référence reste crédible. L’une des difficultés de cette adaptation était que les paroles du personnage devaient se mêler à celles de la chanson pour que le lecteur la reconnaisse aussitôt, et c’est ici bien le cas. Ce choix marche d’autant plus, puisqu’elle fait, d’un côté, écho à l’homosexualité du personnage, et de l’autre, elle fonctionne aussi très bien avec le texte hors bulle en haut à gauche. Par ailleurs, lors de références de ce genre, il n’est pas rare que les traducteurs choisissent de changer l’artiste par une star internationale. Ainsi, plutôt que de garder un artiste japonais inconnu, ils opteront pour un individu connu par tout le monde (Brad Pitt, Johnny Depp etc.).

La traduction de l’humour ne s’arrête donc pas qu’à la traduction. Il faut, certes, maîtriser parfaitement la langue et la culture pour comprendre la blague, ou en tout cas, ce qui fait qu’elle soit drôle, mais cela peut aussi demander des recherches dans le cas de références

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compliquées ou lorsqu’il faut trouver un substitut français ou étranger, comme dans le cas de l’exemple cité ci-dessus.