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Le cercle familier, qui comprend la parenté et les domestiques du médecin, totalise 15,7 % des occurrences. Cette présence relativement faible de la famille, s’explique par la nature de la source – plus de 46 % des échanges sont liés aux affaires – mais la parenté est effectivement peu présente dans la vie du scripteur, de manière directe du moins. Et si la fréquence des interactions est faible, leur nature montre une densité qui n’a pas de commune mesure avec celles qui lient Noël Vallant aux Rivets, hommes d’affaire du médecin, qui totalisent près de 7,5 % des occurrences, avec 66 mentions. Car les comptes de Noël Vallant montrent une solidarité qui efface les distances. Un désir valorisant de patronage aussi, ainsi qu’une forme de prosélytisme.

Les domestiques sont, eux, quasiment absents des écrits du for privé de Noël Vallant, à l’exception notable de Toussaint Colin, dont le rôle dépasse peut-être celui de « servant ».

L

E BAL DES SERVANTES

Le premier cercle, pour Sylvie Mouysset, était pour tout scripteur la « dyade père-fils »456, au cœur d’un processus d’écriture voué à la transmission

du savoir et de la mémoire familiale457. Or, Noël Vallant reste célibataire jusqu’à

sa mort, en fait de maison, il n’a que ses domestiques. Il fait en outre partie lui- même de la maison de madame de Sablé puis de celle de mademoiselle de Guise. Il était lui-même domestique en ce sens ou il vivait à demeure, était gagé, bénéficiait de la protection de ses patronnes et était fondé à s’approprier des codes sociaux qui lui venaient d’elles458. Un statut particulier qui explique peut-

456 Sylvie MOUYSSET, Papiers de famille, op. cit., p. 178 et 201.

457 Sylvie MOUYSSET parle d’un véritable « pacte de famille », Ibidem, p. 118 et 168-171. 458 « Au contact des maîtres les domestiques acquièrent leurs habitudes de vie, et parfois leurs pensées. Ils ne sont donc pas seulement des métis sociaux mais aussi des métis culturels ». Jean-Pierre GUTTON, Domestiques et serviteurs dans la France de l’ancien

être la place singulière qu’occupait Toussaint Colin dans la vie du médecin, à la lumière des traces du reste de sa domesticité.

Jamais les domestiques, à l’exception de Toussaint Colin, n’apparaissent autrement que par les comptes de gages, rien ne permet de laisser envisager des liens autres que très lâches. Le scripteur note, en septembre 1679, « donnè a mlle

du menil pour magdelaine qui a este 25 jours avec toinette 6£ et pour les autres filles qui y ont estè 8 jours 1£ »459.

C’est donc peut-être d’abord l’instabilité de cette main d’œuvre qui conditionne des liens diffus460. Ce passage montre certainement un besoin ponctuel de

domestiques, « empruntés » à une connaissance. Mais plus généralement, une rubrique placée à la fin du Livre de Noël Vallant, intitulée « servantes »461,

récapitule les noms, dates d’arrivée et de départ, ainsi que les gages payés pour la période allant de 1680 à 1684. La complexité du passage laisse percevoir, dans les dernières années de la vie du médecin, une domesticité très changeante. Ainsi Marie reste-t-elle quatre mois, entre décembre 1683 et mars 1684, au service de Noël Vallant ; Anne Pivot, cinq, entre avril et septembre 1683. Au départ de cette dernière, Magdelaine la remplace, pour très peu de temps462.

Une instabilité qui se perpétue à la suite de ce départ :

marguerite a faict venir une Bonne femme de sa connoissance fort ville [sic] et fort usee Dont je nay peu se [sic] servir que peu de temps et la Premiere annee [sic] qui estoit venue a mon servisse [sic] le 1mer juillet 1682 et qui en estoit sortie le 20me avril 1683, est

revenue men ayant faict prier le 23 – decembre 1683 je luy ay promis 50£ par an et a maguerite autant463.

459 AC BSA, GG 75, Livre de Noël Vallant, f. 9v.

460 Une instabilité systémique à l’époque moderne. Jean-Pierre GUTTON, op. cit., p. 201. 461 AC BSA, GG 75, Livre de Noël Vallant, f. 88v.

462 « Madelaine [sic] sen est alee », sans précision, mais sans mention de gage payé, même partiel, ce qui suggère un temps très court, puisque les cinq mois de service d’Anne Pivot donnèrent lieu à un règlement de comptes, « Anne pivot est sortie de ches moy le 11

sept 1683 de ceste sorte il ny a pas cinq mois entiers quelle estoit a mon servisse [sic] je luy avois advancé neuf escus elle men a rendu un partant nous somes quittes les uns des autres », Ibidem., f. 88v.

Outre le turn-over, qui semble systémique, ce passage présente un mode de recrutement où le réseau à toute sa place. C’est ici Marguerite qui fait l’embauche par connaissance, certainement parce qu’elle a du crédit auprès du maître pour être la plus ancienne des servantes mentionnées, « Marguerite ma

servante est entrée a mon service le 27e May 1680 »464.

Mais la force du réseau ne s’exprime pas seulement par une forme de cooptation des domestiques. La caution d’un ami qui recommande un nom peut avoir une importance cruciale, car on peut attendre avec plus de confiance le bon travail d’un domestique connu pour ses qualités. Ce fut le cas d’Anne Pivot :

Anne pivot native de bourgonne pres de jony est entree a la place danne pour sre servir le mesme jour au soir je luy ay promis ches Mlle du menil qui me la donne 20 escus de gages par an465

Les domestiques sont ainsi désignés, à certaines occasions, comme des marchandises, mademoiselle du Mesnil lui « donne ». Mais cet effet de langage ne cache assurément pas une forme de réification. Les domestiques forment la « maison » telle que définie par Furetière. Ils sont privilégiés et sont, dans la quotidienneté, les membres d’un cercle au plus près du scripteur. La considération, voire l’affection – ne parlons pas ici des « politesses » que les maîtres peuvent leur faire à l’occasion – n’est pas exclue. Quelques précisions inutiles aux comptes, à l’image du passage ci-dessus – « native de bourgonne pres

de jony » – peuvent témoigner en effet d’un intérêt du scripteur pour ses gens de

maison. Le 18 mai 1678, Noël Vallant note l’arrivée de « vantier », « garcon de

kam » ; en mai 1680, il relate le retour d’Anne et compte « pour une annee des gages […] de toinette ma servante echeue le 20me avril 1680 – 60£ et 6£ pour les deux

escus que jeluy avois faict rendre quand elle sen alla a son pays »466. De la même

464 Ibid., f. 88v. 465 Ibid., f. 88v. 466 Ibid., f. 13v.

manière, les diminutifs et les prénoms comme dénomination privilégiée467,

montrent sûrement plus une forme d’affection et de proximité que de domination quelque peu paternaliste et condescendante468. La confiance, à tout

le moins semble être au cœur de la relation. Car deux des femmes qui étaient au service de Noël Vallant purent y revenir après une période de « congè »469, et

avec des gages supérieurs. Ainsi « toinette » est gratifiée de soixante livres par ans quand la plupart des domestiques gagnent dix-huit écus. Mais les différences de traitement sont surtout sensibles lorsque l’on considère le genre :

Le 17me may 1678 vantier garçon de kam est entrè ches moy pour me servir je luy donne

par an 150£ pour ses gages et pour son vin

Le 18me may 1678 sevin garcon pour servir a la place De toinette est entrè ches moy je

luy ay promis cinquante sscus pour ses gages et pour son vin470

Les hommes sont, comme c’est la règle, mieux pourvus que les femmes471. Mais

rien d’autre ne les différencie dans la manière dont ils apparaissent dans l’écriture du médecin. La domesticité est sans aucun doute la fraction de l’existence sociale la moins représentée relativement à sa présence réelle dans la vie du scripteur. Aussi, le cas de Toussaint Colin mérite-il que l’on s’y penche.

T

OUSSAINT

C

OLIN

,

UN FILS ADOPTIF

?

La visibilité de Colin au sein des écrits du for privé de Noël Vallant est sans commune mesure avec le reste des domestiques de la maison, il est en effet cité quarante-six fois, soit près de 5,20 des occurrences de noms. Lorsqu’il arrive au service de Noël Vallant, il n’est pas encore, cependant, l’homme de confiance

467 Toujours pour les femmes, à l’exception d’Anne Pivot. Les hommes sont en revanche nommés par leur patronyme, « sevin », « vantier », « colin », voir l’index des noms de personnes en annexe.

468 Sylvie MOUYSSET, « Livre de raison et construction des réseaux sociaux : l’exemple du Sud-Ouest de la France à l’époque moderne », art. cit., p. 274.

469 « le 1mer payè toinette ma servante pour une annee qui ne doitechoir que le 20me de ce mois je

luy ay donnè son congè en mesme temps – 60 – », AC BSA, Livre de Noël Vallant, GG 75, f.

17v.

470 AC BSA, GG 75, Livre de Noël Vallant, f. 3v. 471 Jean-Pierre GUTTON, op. cit., p. 187.

privilégié du scripteur, « le […] 17me no 1678 toussaint colin de la ville de grey en

franche comté est arrivea la place de vantier aux mesmes conditions cest a dire cent cinquente escus par an y compris le vin »472. Sa position est comparable au

domestique qui le précède, ni plus, ni moins. Mais la note qui rend compte de son arrivée, ici inscrite au fil de l’écriture, est répétée à la page de titre du Livre : « Colin ses quittances sont a la fin de ce livre Le 17me no. 1678 colin est entre a mon

servisse jeluy donne par an 150 livres pour ses gages et pour son vin – »473. La

mention des quittances de la fin du livre indique que cette mention fut portée après, au moins, trois ans passés auprès du médecin, puisque la première des quittances concerne les gages dus jusqu’à novembre 1681474. Ainsi rapporté au

premier rang, après une longue période – en comparaison aux autres domestiques – Toussaint Colin a, graphiquement, la première place, il semble qu’en effet, la relation qui le liait à Noël Vallant fut très forte.

C’est en premier lieu la relation de confiance qui lie maître et domestique, et qui est perceptible à l’aune des sommes qui lui sont confiées475. Très vite, le

scripteur ne semble plus privilégier ses propres déplacements lorsque les sommes sont importantes :

Le 1mer [avril 1679] colin a portè ches mr Rivet en escus ou pieces de trente Sols quatre

cens vingt livres quarantes livres et moy en suite 15 Louis dor qui valent 165£476

De la même manière, Noël Vallant donnes à son domestique la liberté de signer pour lui les pièces probatoires d’échanges monétaires importants :

le mesme jour la femme qui est a la cuisine ches mr marion intend de mr le premier ma donne mille livres sur un billet que jay escrit a mlle marion que colin a signè en recevant

472 AC BSA, GG 75, Livre de Noël Vallant, f. 5v. 473 Ibidem, f. 1r.

474 « Jay receu de monsieur vallant pour entier payement de mes gages jusques au 17e novembre

1681 cinquante Six livres qui me restoient deues pour tout

C

OLIN», AC BSA, Livre de Noël

Vallant, GG 75, f. 88r.

475 Michel CASSAN, « L’espace relationnel d’officiers "moyens" dans la Marche au XVIIe

siècle », art. cit., p. 26 ; Sylvie MOUYSSET, « Livre de raison et construction des réseaux sociaux : l’exemple du Sud-Ouest de la France à l’époque moderne », art. cit., p. 274. 476 AC BSA, GG 75, Livre de Noël Vallant, f. 8r.

lad somme et la portee ches mr Rivet le mesme jour cy paye ces mille livres en octo 1680 2000 – 477

Mais le rôle d’intermédiaire, de domestique qui part en course pour son maître n’est pas le seul que semble remplir Toussaint Colin. Il était aussi le secrétaire de Noël Vallant. Le scripteur note en effet, le 6 février 1679, « je luy ay donne un

escu pr son livre »478, et en septembre 1682, « le 26 pour dela baterie de cuisine pour

lhotel de guise pour de la fayance le tout specifie dans le livre a colin 24. 18 »479. Le

domestique possède donc vraisemblablement son propre livre de compte à partir de février 1679, moins de quatre mois après son arrivée, dans lequel il consigne « la depence courante »480, celle-là même sûrement qui est absente de ses

propres comptes, les provisions périssables, les objets de peu de valeur marchande ou symbolique. Noël Vallant note ainsi dès septembre 1682, dans le bilan mensuel de ses dépenses et recettes, une « addition de depence par colin » de plus de 187 livres tournois481. Des frais que Toussaint Colin semble gérer en

intendant, avec indépendance, car le médecin en prend acte, sans les détailler. Ce crédit manifeste de Toussaint Colin lui offre des responsabilités propres à décharger le médecin, ce qui lui devient essentiel à l’occasion de la mort de l’abbesse de Montmartre :

je nay rien escrit dans ce mois a cause du trouble que la mort de mad de montmartre arivee le le 4. ma causè. Colin a escrit pour la despence482

C’est ainsi un soutien pour le scripteur, qui s’occupe des menus tracas du quotidien d’un homme vieillissant. On peut s’imaginer Colin en gestionnaire attentif, qui réglait la vie matérielle au quotidien, des achats des denrées de base à la préparation des repas, en dirigeant les femmes à l’office. Et ensuite,

477 Ibidem, f. 10v. 478 Ibid., f. 7v. 479 Ibid., f. 23v.

480 Ibid., f. 14r. De même « 12S a colin pour la depence courante », Ibid., f. 20r ; « Jay

debourcè a colin pour le courant 28. 10 », Ibid., f. 20r.

481 Ibid., f. 23v. De la même manière, en décembre 1682, « colin a depencè – 61. 19S 10d »,

Ibid., f. 24r.

s’assoyant à son bureau483, en faisait le compte minutieux, s’inspirant en cela de

son maître. Car il avait probablement la direction des autres domestiques, il en payait les gages tout au moins :

Anne est sortie de ches moy le 20me avril 1683 son annee escheue le 1mer juillet 1682 luy

avoit este payee, et les dix mois de celle cy qui ne doivent finir que la fin de ce mois luy ont este payes ce jourdhuy par colin dont elle a donne quittance par devant notaire 45 escus484

Les responsabilités de Toussaint Colin auprès du médecin furent gratifiées d’une augmentation de ses gages. Quelques mois avant sa mort, Noël Vallant note en effet une promesse sous seing privé, « Je donne a colin a commencer au

premier jan 1685 deux cens livres de gages faict a paris le 18me jan 1685

V

ALLANT »485, peut-être en remerciement de son dévouement à la gestion des

menues dépenses de la maison. Mais son rôle de secrétaire s’étendaient au-delà, un document des Portefeuilles, une recette « pour faire du Cinorodon »486 semble

de sa main et avoir été ensuite corrigée par le médecin. C’est aussi à sa pratique que Noël Vallant associa son homme de confiance. Un deuxième feuillet, rédigé par le scripteur, montre de manière plus frappante un détail de la vie du domestique :

[…] Mr fontaine attendra le carosse a cinq heures, au lieu ordinaire et si mr du bois vouloit venir dabord apres son disné il trouvera icy colin qui doit jouer de sa fleute au petit parloir avec marchand A sammedy a 8 heures du matin VALLANT487

Toussaint Colin jouait de la musique, s’entraînait à la flûte, une occupation qui semble peu commune pour un domestique venu trouver une place dans la capitale, d’une ville aux confins de la Bourgogne et de la Franche-Comté488,

483 Noël Vallant note avoir acheté « une table avec tiroir et tablettes pour colin 12£ », en mars 1681, Ibid., f. 17r.

484 Ibid., f. 88v. 485 Ibid., f. 88r.

486 BnF, Poretefeuilles du docteur Vallant, ms. fr. 17047, f. 6r. 487 BnF, Portefeuilles du docteur Vallant, ms. fr. 17048, f. 14r.

488 « toussaint colin de la ville de grey en franche comté », il s’agit certainement de Gray en Haute-Saône, code commune 70279. AC BSA, GG 75, Livre de Noël Vallant, f. 5v.

durement éprouvée par les guerres489. En effet, l’arrivée de Toussaint Colin

survint environ trois mois après le traité de Nimègue, du 10 août 1678, qui portait le rattachement définitif de la Franche-Comté au royaume après des années de conflit avec l’Espagne. Des guerres qui occasionnèrent des dommages propres à expliquer le départ de Toussaint Colin, et qui laissent peu de place à l’idée d’une pratique originelle d’un instrument de musique. C’est donc à n’en point douter auprès de Noël Vallant que le domestique se versa dans cette pratique. Le scripteur était en effet amateur de musique, il fréquenta Marc-Antoine Charpentier à l’hôtel d’Orléans, était un ami du maître de chapelle de mademoiselle de Guise, Philippe Goibault490. Toussaint Colin

apparaît comme un métis social, s’appropriant les codes de son maître à son contact, et sûrement à ses encouragements. Il était en cela un peu le pendant, chez Noël Vallant, du médecin chez ses maîtresses.

Mais plus loin encore, l’apprentissage de la tenue d’une maison, de l’enregistrement de cette mémoire par le compte, la transmission de codes culturels ; on devine ici une forme de bienveillance et d’affection, des pratiques en tout cas qui sont au plus près du mode relationnel centré autour de l’écrit du for privé, la « dyade père-fils » que mets en valeur Sylvie Mouysset491.

Ainsi, si l’on peut tenter de reconstituer, grâce aux traces laissées dans les écrits du for privé, la réalité des inclinaisons entre le scripteur et les individus qui composent son environnement social, c’est au prix d’un effort interprétatif qui peut parfois confiner à la surinterprétation. Nulle part dans le corpus ne se trouve la déclaration directe de la confiance, de l’estime, de l’affection peut-être que Noël Valant devait porter à son domestique. C’est au prisme des comptes et de la distinction qu’il écrit, et sous sa plume, son existence est l’expression biaisée de son désir d’affirmation identitaire.

489 Abbés GATIN et BESSON, Histoire de la ville de Gray et de ses monuments, Besançon, Breitenstein-Ramey, 1851, p. 230 – 250.

490 Sylvie MOUYSSET, Papiers de famille, op. cit., p. 178 et 201.

491 Un mode relationnel collé sur l’idéal, « la relation maître-domestique eest du même type que celle de père à fils ou de Dieu à créture, puisque de telles relations constituent des modèles pour la société du temps ». Jean-Pierre GUTTON, op. cit., p. 17.

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E CAP D

OSTAL492 ET LE PROSELYTE

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DES LIENS FAMILIAUX