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La distinction en trois classes de nature des interactions a permis de mettre en évidence la variété des échanges. Les liens ne sont, parfois, pas seulement ressorti à sa pratique ou aux échanges monétaires et financiers. 77% des occurrences de noms de personnes ne font référence qu’à un type de lien. Mais lorsque plusieurs types d’échanges ont été dégagés, ce sont avant tout les liens de mondanité qui se démarquent avec 8,47% des occurrences. Les interactions classées sous ce terme général sont entendues comme les échanges de biens culturels, artistiques ou de dévotion, ainsi que les discussions – théologiques par exemple. Ils sont souvent intimement liés aux affaires, mais qui sont peut- être le prétexte à leur mise en forme impérissable.

L’exemple le plus marquant est celui, déjà cité, de la grande duchesse de Toscane. Noël Vallant, après avoir reçu ses gages et paraphé la quittance, qui finalise le « processus d’échange », reçois les confidences de son trésorier, monsieur de La Martinière. Si l’on peut lire l’imporance d’un sujet à l’aune du nombre de lignes qui le traitent, on constate qu’ici l’échange monétaire en lui- même voit sa part d’écriture écrasé par la relation de la discussion qui s’ensuit ; le compte fait de l’échange est bien prétexte à la mise en valeur de la discussion qui valorise le scripteur.

La mondanité représente plus de 8% des occurrences, niveau significatif dans un livre voué aux comptes. Le recoupement avec les autres types d’interactions montre que c’est conjointement à ses relations d’affaire (3,09 %), de ses liens avec le milieu janséniste (2,63 %), avec ses patronnes (1,6 %) et enfin avec ses patients (1,15 %) que le scripteur entretiens des rapports de ce type441. Les

différences ne sont pas significatives, d’autant que pour prendre la part la plus élevée, l’on ne peut pas déterminer si c’est la mondanité qui découle des affaires ou l’inverse, et il est probable que les termes de cette question ne soient pas vraiment pertinents dans la mesure ou les catégories sont crées artificiellement.

441 Voir le tableau croisé dynamique qui présente les occurrences classées par classe A et B, en annexe.

En revanche, croiser le type d’interaction secondaire avec les catégories sociales offre un résultat plus probant. Parmi ces 8,47 % de relations mondaines, 6,3 % concernent des membres de la noblesse442. Ainsi, ce n’est pas seulement la trace

des échanges de biens qui est l’objet du livre, c’est aussi l’inscription d’une identité particulière : par ses écrits, Noël Vallant confirme de manière durable qu’il s’inscrit dans des cénacles d’élites, au plus près de la noblesse parisienne. Car on aurait pu attendre, de la part d’un bourgeois de talent, la prééminence des échanges mondains parmi ses pairs – notaires, avocats, etc. – ayants reçus une formation comparable et s’insérant par là dans un habitus partagé. Or, le scripteur est, d’une certaine manière, hors de son milieu. Une fracture qui apparaît par le truchement des comportements culturels. C’est ce que la bibliothèque du médecin – qu’il faudra explorer en détail en la rattachant à la culture matérielle – tend à valider.

La pratique médicale, comme pour les inflexions de l’existence de Noël Vallant au plan professionnel, fut peut-être le levier de cette intégration. Car les deux classes d’interactions montrent des recoupements entre patients et partenaires d’échanges mondains ; entre affaires et échanges mondains – les affaires étant elles-mêmes souvent conduites avec des liens ressortis par ailleurs à la pratique médicale – ainsi que le tableau ci-dessous le présente :

Som me sur Part en % classe A Class e B 1 2 3 4 5 6 7 Total 1 0,46 0,46

442 1,4 % dont le niveau social n’est pas renseigné, et 0,8 % avec le premier ordre – qui sont généralement des ecclésiastiques avec bénéfice, issus du second ordre. Voir le tableau croisé dynamique qui présente les occurrences de noms de personnes classées par qualité et classe B, en annexe.

2 0,34 0,34 3 1,72 0,57 2,63 0,80 5,73 4 0,34 0,34 5 0,34 0,34 6 5,84 0,80 0,80 7,44 7 2,63 1,60 1,14 3,09 8,48 NR 4,24 1,03 12,6 2,40 14,9 39,7 1,95 76,9 Total 14,8 3,21 14,9 2,40 15,7 46,3 2,75 100 Tableau 2 - Tableau croisé dynamique présentant les occurrences de noms de

personnes classées par classe A et B

Les noms associés principalement aux échanges culturels (classe A : 7), sont également et uniquement liés à la pratique médicale (recoupement A : 7 ; B : 3 = 0, 80 %). De la même manière, le groupe des patients occasionnels ou réguliers, lorsqu’il a pu être lié à un deuxième type de lien est majoritairement classé en échanges culturels (1, 14 % contre 0, 80 % des liens d’affaire et 0, 34 % pour le cercle professionnel). Ces chiffres abstraits et dont l’importance demeure toute relative trouvent cependant un écho dans les comptes.

Ainsi, Amelot de La Houssaye, cité plus haut, est-il clairement associé à ce mode relationnel en octobre 1679 :

Le 14 mr amelot de la houssaye secrataire [sic] de lambassade a venise Apres une maladie ou je lay veu ma envoyè trois livres quil a faicts lun relation du conclave de 1670 le 2.

lexamen de la libertè originaire de venise 3 lhistoire du gouvernement de venise in 8° avec le suplem. sui est le differend de paul v. avec la republique443

C’est bien, selon le scripteur, après une maladie qui est peut-être l’occasion de leur première rencontre, que le diplomate lui transmet des ouvrages, qui ne sont pas seulement des supports culturels, mais aussi autant de promesses de discussions et de perpétuation de l’échange initial.

La vie parisienne

Noël Vallant était parisien. Plus de 78 % des occurrences ont pu être rattachées à la capitale, mais ce chiffre est encore sous-évalué. En effet, rien ne permet de deviner un retour du médecin en son pays depuis son départ en 1658 et dans les dernières années de sa vie, aucun voyage hors de la cité n’a été décelé.

Ses relations de mondanité se lient donc, logiquement, principalement à Paris. Des liens qui pour une partie sont des relations nouées autour de pôles qui ne sont pas véritablement institutionnels mais reconnu tacitement comme le théâtre de la société des élites. Un de ces lieux de la sociabilité des élites était les ventes publiques. Noël Vallant acheta en 1670 « deux draps fort grands deux autres

quasi demesme […] acheptés a un inventaire ches mr couturié les quatre 16£ 20S », ce

qui atteste sa présence dans le cercle des acheteurs. Mais, les biens qu’il acquière à cette occasion sont de ceux que le public élargi de ces ventes se procure habituellement444. En revanche, la vente des biens, « linventaire »445, de

madame de Sablé, en dépit de ce que dit Antoine Furetière, ne dû pas attirer maint « curieux » et « frippiers »446. Car ce que Noël Vallant acheta avant tout,

ce sont les livres, qui devaient être donc en nombre. Il faudra revenir sur ce point en détail dans l’étude de la bibliothèque du médecin.

C’est aussi, peut-être surtout, le petit monde des salons qui firent pour beaucoup dans l’intégration de Noël Vallant dans les cénacles parisiens des lettres, et qui lui procurent des interlocuteurs choisis.

Son existence sociale est intimement liée à des individus pivots, par lesquels il s’insère dans des réseaux plus larges. Les salons sont un de ces lieux qui génèrent du lien. Des liens qui ont comme objet, on l’a dit, les échanges de cadeaux, échanges culturels aussi, visibles dans le livre par les échanges

444 Voir le chapitre 6.

445 « Inventaire est aussi une vente publique ou a l’encan des meubles contenus en un inventaire pour en empêcher le deperissement. Les curieux, les Frippiers courent les inventaires », Antoine FURETIERE, Dictionnaire universel [en ligne], « Inventaire », vol. 2, La Haye|Rotterdam, 1690, disponible sur : http://books.google.fr/, consulté le 28/04/10.

d’ouvrages mais surtout, par la conversation des salons. Noël Vallant assista, au moins une fois, à un débat théologique à l’hôtel de Souvré, chez « mr de

sablè »447, mais c’est surtout les cercles, les « ruelles », et en particulier celui de

Madeleine de Souvré qu’il fréquentait. Dans cet « âge de la conversation », madame de Sablé tenait une bonne place, elle initia « la collaboration qui s’instaure entre mondanité et littérature »448. Bien que vivant à Port-Royal

depuis sa « conversion » au jansénisme, Madame de Sablé continua à entretenir un centre de la sociabilité honnête, « son salon deviendrait l’un des lieux de rencontre les plus inventifs de la vie culturelle et mondaine française »449. La

question de la plus ou moins bonne insertion de Noël Vallant dans ce cénacle ne peut trouver de réponse sans le dépuillage de l’ensemble de ses portefeuilles, il faut se résoudre à la laisser en suspens. Notons tout de même que sa position auprès de Madeleine de Souvré lui ouvrit les portes d’une existence sociale à laquelle il n’était pas destiné. Même si on ne peut pas affirmer que c’est comme membre à part entière du « monde » que le scripteur participait aux rencontres de ce que l’aristocratie parisienne fesait de plus policé. C’est certainement souvant en sa qualité de secrétaire qu’il était conuit à prendre des notes, ainsi que l’écirt Benedetta Craveri : « nous savons qu’en novembre 1667 le marquis de Sourdis, abandonnant pour quelque temps les discussions théologiques, lisait dans le salon de la marquise ses trente-deux Questions sur l’amour, transcrites par Vallant avec les Cinq Questions d’amour de Madame de Brégny, dans le XIIIe volume de ses Portefeuilles »450.

La mondanité fut un des objets principaux des Portefeuilles – et en est aujourd’hui presque exclusivement l’intérêt pour les historiens451. Les écrits

privés du médecin, s’ils ne relèvent pas majoritairement de ce type de liens, n’en gardent pas moins une trace indélébile. Toutes ses interactions, relevées soigneusement par le scripteur pour se voir comme partageant cet « idéal de vie

447 BnF, Portefeuilles du docteur Vallant, ms. fr. 17056, f. 17r-18v, voir le chapitre 6. 448 Benedetta CRAVERI, op. cit., p. 12.

449 Ibidem, p. 129. 450 Ibid., p. 132.

451 Benedetta CRAVERI parle de « recueil de documents du médecin et secrétaire de la marquise, relatifs aux habitués du salon et aux sujets de conversation […] », Ibid., p. 417.

collectif »452, s’opposent à l’absence quasi-systématique des hommes et des

femmes de peu.

Noël Vallant et le peuple

On l’a vu, d’après ses écrits, Noël Vallant évolue parmi la grande aristocratie et les bourgeois de talents. Les hommes et les femmes de peu sont presque systématiquement occultés, car il est certains que le médecin les fréquentait, au moins ses propres domestiques et ceux de ses patronnes. Ils n’apparaîssent qu’à l’occasion où ils ont pris une part active dans le processus d’échange financier ou commercial dont les notices gradent mémoire. Ainsi, par exemple, est-ce le cas d’une domestique chargée vraisemblablement de la cuisine chez Monsieur Marion, chargé des finances du Premier écuyer du Roi :

le mesme jour la femme qui est a la cuisine ches mr marion intend de mr le premier ma donne mille livres sur un billet que jay escrit a mlle marion que colin a signè en recevant lad somme et la

portee ches mr Rivet le mesme jour cy paye ces mille livres en octo 1680 2000 – 453

Les individus du commun devaient êtres peu représentés dans la clientèle du médecin, et leur faible présence s’explique ainsi par leur inutilité au sein des comptes. Mais cette explication n’est pas suffisante, elle ne rend compte que de la place attendue ou non au sein d’un écrit proprement utilitaire, or les comptes de Noël Vallant n’est pas réductible à ce rôle. Cette absence patente dans les écrits de son for privé est sûrement à lier à son rôle identitaire et statutaire. En effet, il semble logique que, s’inscrivant dans cette démarche, le scripteur ait occulté ce qui montre qu’il doit, lui aussi, frayer avec les basses couches de la société. La hiérarchisation très marquée de la société était tout à fait présente à sa conscience, lorsque le médecin s’offrait un bien de goût, il relevait les échelles de prix diversement appliquées454. Cette attitude, qui n’a rien d’inhabituel,

452 Ibid., p. 11.

453 AC BSA, Livre de Noël Vallant, f. 10v.

454 Par exemple, « mr verselin ma dit que pour moy il ne prendroit que 4 louis pour les pastels mais quil me prioit de nen point parler parce que pour les gens de qualitè il ne pouvoit travailler a moins de six », Ibidem, f. 18v.

prend plus d’ampleur cependant lorsqu’il écrit sur les oubliés de son écrit, obligé qu’il en est par sa pratique. Il faut pour cela remonter à son apprentissage chez le docteur Haguenot. Notant ses consultations, Noël Vallant formule alors une phrase où le mépris du citadin bourgeois pointe avec force :

pour un gros paisan […] tout moite de sueurs on luy a ordonnè ce qui estoy dessus le 5me de sa maladie, le 2 avril 1656455

Le même papier porte, par un rapprochement saisissant, l’expression de son individualité, la transposition graphique de l’identité qu’il entend déjà peut-être se forger, comme en réaction à la bassesse des hommes de peu.

Figure 5 - Exercice de signature au bas d'une consultation, 1656

Des essais de signatures, qui s’arrêtent sur celle qui allait marquer, dès lors, les supports de son affirmation du sceau de la singularité.