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du livre en réalité augmentée

II.4 C’EST MAGIQUE !

La notion d’interactivité crée l’illusion d’une interaction entre l’utilisateur et le dispositif technique là où il n’y a qu’une suite de réactions programmées à des actions anticipées. De plus, la complexité croissante des systèmes techniques se double d’une naturalisation des gestes qui permettent de les activer : dans le cas du livre en réalité augmentée, il n’y a qu’à placer le smartphone ou la caméra devant le livre pour faire apparaître une image virtuelle. Il y a très peu de boutons, de signes passeurs repérables en tant

122 Aurélia Bollé, Marie-Christine Roux, Virginie Rouxel, Pratiques d’éditeurs : 50 nuances de numérique,

Paris, le MOTif / Labo de l’édition, 2014, p. 16.

123 « These books are composed of texts and pictures, and the animations reveal hidden elements in the pictures, bringing a layer of immersion. This is a subtle experience, the animations offer another vision of the pictures, also when they are gone, you look at the pictures differently, thinking of what they plausibly "contain". » 124 « The images in the book can be scanned, opening a dream-like intro sequence where the real-world slowly fades and makes Mur’s world appear. The book becomes a set of keys to unlock interactive experiences in a 360º world, which can be navigated via the smartdevice as a sort of magical window. »

que tels. La disparition de la technique laisse place à une apparition vécue comme magique. Ainsi, très souvent, l’apparition des éléments en réalité augmentée est présentée comme relevant de la magie, autrement appelée « l’effet wow », qui exprime la surprise et l’émerveillement face à cette apparition. Dans la rubrique « Comment ça marche ? » du site des « Histoires animées », dans laquelle on peut s’attendre à une explication du principe de fonctionnement du dispositif, il est écrit : « 2. Vise les pages de ton livre… les images s’animent comme par magie ! » De la même façon, le site des Cahiers de dessin animé résume le déroulement : « 1. Je colorie. 2. Je prends en photo. 3. Magique ! Ça s’anime. » Dans la présentation du livre Mur, le smartphone est présenté comme une fenêtre magique (magical

window).

Comment comprendre ce recours à la magie pour décrire un dispositif technico-sémiotique ? Dans un mémoire de master, Valentin Lefebvre s’intéresse à l’articulation entre technologie et magie, en prenant l’exemple de l’iPhone 126. Son analyse se révèle très pertinente pour notre objet. Selon lui, « le

développement avancé de la technologie nous empêche de saisir le principe mécanique à l’œuvre, il est masqué. […] C’est l’incompréhension du fonctionnement de l’objet, l’incapacité à trouver une explication rationnelle, qui donne à la technique son caractère magique 127 » et « les concepteurs

semblent puiser dans cette tendance humaine à appréhender l’inconnu comme quelque chose de métaphysique et du surnaturel pour opérer une valorisation symbolique de leurs dispositifs128 ». Les

concepteurs de l’iPhone utilisent le thème discursif de la magie pour promouvoir le dispositif technique, ils créent des illusions esthétiques dans le fonctionnement même du dispositif, qui génèrent un « sentiment de magie », et enfin ils opèrent une naturalisation de l’objet qui masque sa dimension technique et les médiations qui cadrent les pratiques. Nous retrouvons ce processus dans le livre en réalité augmentée : le caractère magique de l’apparition des images en réalité augmentée est utilisé comme argument promotionnel, souvent renforcé par les thématiques et les univers choisis (magie des fées, créatures magiques…). La complexité technique du dispositif tend à être de moins en moins visible, au profit d’une approche qui se veut intuitive (« pour jouer, rien de plus simple » indique le site de la collection « Dokeo+ »). Pour la collection « Histoires animées », l’éditrice précise : « Ça devait être le plus intuitif possible. Dès le départ, on s’est dit : on fuit le mode d’emploi, ça casse l’acte de lecture. On lit un mode d’emploi pour des choses techniques, mais pas pour lire un album avec son enfant. »

On observe que, en s’appuyant sur des appareils techniques, le livre en réalité augmentée a tendance à reprendre à son compte leurs modalités de promotion et de valorisation, d’où une proximité sémiotique qui se poursuit dans le temps. Les premières vidéos de démonstration s’inspirent de celles de la marque Apple : décor épuré, monochrome, musique de fond sans voix off, accent mis sur la gestuelle et sur le design. Puis, quand la réalité augmentée passe par les smartphones et tablettes, les vidéos de livres en réalité augmentée se rapprochent des codes des publicités pour ces appareils : mobilité des personnages, décor naturel, mise en avant de la simplicité d’utilisation, accent mis sur le côté ludique.

126

Valentin Lefebvre, Discours, objets et pratiques, analyse de l’articulation entre magie et technologie. Le cas

du Smartphone, mémoire de master 2 Information et communication, Celsa, 2016.

127

Ibid., p. 8. 128Ibid., p. 11.

Les promoteurs du livre en réalité augmentée s’appuient sur le sentiment de magie créé par les fabricants d’appareils mobiles, et le renforcent dans un dispositif qui l’exploite au mieux.

Figure 13. Des univers fictionnels qui exploitent le thème de la magie.

Figure 14. L’argumentaire promotionnel de l’éditeur des « Histoires animées » met l’accent sur le sentiment de magie créé par le dispositif.