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« Il estvrai que dans chaque communauté de Oaxaca, on pourra manquer d’un docteur ou je ne sais quoi, d’un curé par exemple. Mais il y a toujours un instituteur, il y en a toujours au moins un »

Ester, institutrice dans une école maternelle à Oaxaca, le 29 juin 2010.

Avant d’aborder les aspects plus qualitatifs, ethnographiques et donc situés de l’ancrage social et politique des institutrices et instituteurs de l’Etat de Oaxaca68, je souhaite donner en premier lieu

des éléments renseignant la morphologie de ce groupe socio-professionnel et de son syndicat tels qu’ils se présentent à Oaxaca. Je propose donc ici de donner des éléments sociographiques sur ce groupe, puis d’expliciter l’organisation et les modes de fonctionnement de la section locale oaxaqueña du SNTE. Travailleurs de l’éducation, fonctionnaires, ils exercent leur profession dans l’Etat de Oaxaca, en milieu urbain ou rural-indien : ce qui relie les membres de ce groupe tient en premier lieu à la spécialisation professionnelle de ses membres et au contexte local spécifique oaxaqueño.

Par ailleurs, la plupart de ces travailleurs de l’éducation oaxaqueños sont affiliés à la section syndicale locale (la section 2269) du Syndicat national des travailleurs de l’éducation. Cette

section locale, rattachée au syndicat unique des enseignants à l’échelle nationale, dispose d’un quasi monopole de la représentation politique de ces derniers70. Il s’agit donc autant d’un groupe

« en soi » que d’un groupe « pour soi ». En interne cependant, ce groupe se caractérise par une forte hétérogénéité s’agissant des conditions de travail, des lieux d’exercice de leur profession, des niveaux scolaires d’enseignement, des rémunérations, du degré de politisation et du rapport au

68 Qui feront l’objet du chapitre suivant.

69 La section locale concurrente, la section 59, créée lors des mobilisations de 2006 avec le soutien du gouverne- ment de Oaxaca de façon à faire contre-poids à la toute puissante section 22, est aujourd’hui minoritaire avec à peine un millier d’adhérents (sur plus de 70000), et en voie de disparition, souffrant depuis 2010 d’un manque de reconnaissance institutionnelle.

syndicat. En 2005, 29,5% des enseignants du système scolaire public de Oaxaca – tous niveaux confondus – avaient exercé un mandat syndical au cours de leur carrière (Hernández Ruiz 2004 : 15). Enfin, la section 22 est particulièrement intégrée au fonctionnement de l’institution décentralisée en charge de l’Education : elle cogère en effet avec l’Institut d’éducation publique de l’Etat de Oaxaca (IEEPO) une partie des ressources attribuées à l’Etat fédéré pour l’enseignement.

2.1. Anatomie d’un groupe socio-professionnel

Ce groupe socio-professionnel est en fait relativement hétérogène au regard des différents statuts qui correspondent en réalité au terme générique de « maestro ». Le groupe des 74590 maestros de Oaxaca affiliés à la section 2271 réunit un ensemble hétérogène d’enseignants du

système public72, de la maternelle au secondaire, tous systèmes confondus (formel et bilingue),

et les femmes représentent 60% du personnel73. La diversité des conditions d’exercice du métier

d’enseignant à Oaxaca renvoie tant aux contrastes sociaux – entre populations indiennes rurales et populations métisses urbaines – que géographiques – entre côte pacifique, vallée centrale ou région montagneuse – qui caractérisent cet Etat. Cette hétérogénéité fait écho à la complexité du système d’enseignement public et à celle du syndicat des enseignants.

A Oaxaca, plus de la moitié des enseignants du système public exerce en primaire, pour 15% des effectifs en maternelle et 30% pour le niveau secondaire (IEEPO 2006). Les maestros se répartissent entre le système dit « formel » et « indigène74 » (ou « interculturel bilingue »), avec

14000 enseignants rattachés au système « indigène » sur les plus de 70000 enseignants affiliés à la section 2275.

71 Données fournies en 2011 par la direction syndicale de la section 22 qui venait d’effectuer un recensement de ses effectifs.

72 Il existe un système privé (particular) parallèle, qui concerne surtout l’enseignement supérieur : ces institutions privées gèrent 5,1% des écoles et prennent en charge 13% du total des élèves dans l’Etat de Oaxaca, principalement dans l’enseignement supérieur (Site de la SEP consulté le 5 septembre 2012).

73 Un fonctionnaire du IEEPO m’a indiqué, lors d’un entretien effectué le 25 août 2011, que les femmes étaient majoritaires dans l’enseignement maternel, minoritaires dans le secondaire et constituaient près de la moitié des effectifs, à part égale avec les hommes dans le primaire à Oaxaca et plus généralement au Mexique. Cependant, je n’ai pu trouver de source officielle (SEP ou IEEPO) qui confirme ces données sur la répartition homme/femme dans l’enseignement public. La section 22 ne disposait pas non plus de telles données.

74 Le ministère de l’Education définit comme suit l’éducation indigène : « Service à la population indigène ; son but est de préserver et d’aider au développement des coutumes, traditions et autres éléments de la culture ethnique. Elle est spécifique car bilingue et biculturelle » (Site de la SEP, consulté le 5 septembre 2012).

75 Chiffres fournis en juin 2010 par la direction de la Coalition des maestros et promoteurs indigènes de Oaxaca [Coalición de Promotores Indígenas de Oaxaca] (CMPIO).

Tableau 1. Organisation administrative du système éducatif mexicain (« éducation basique »)

Source : SEP (2012) Tiré du schéma général du système éducatif national.

En 201176, ces enseignants se répartissent dans les différentes régions de l’Etat de Oaxaca77 afin

d’enseigner auprès d’environ un million d’élèves pour une population de 3,5 millions d’habitants78

et sur une totalité de 35 millions d’élèves que compte le pays (SEP 2012) :

Tableau 2. Répartition par région des enseignants du système public à Oaxaca

Source : direction de la section 22 du SNTE (2011)

76 Je ne dispose pour rendre compte de cette répartition par régions, que des chiffres de la direction de la section 22, en date de 2011. Il manque donc ceux des travailleurs de l’éducation à Oaxaca qui ne sont pas membres de la section 22 mais de la section 59. Il est difficile d’obtenir des chiffres précis sur le nombre d’enseignants relevant de cette sec- tion locale concurrente (la section 59) ; ils sont cependant aujourd’hui très peu – quelques centaines selon la section 22, plus de 1000 selon la direction de la section 59 – notamment en raison d’un mouvement massif, depuis 2010, de retour des « dissidents » vers la section 22. En effet, le nouveau gouvernement local de Gabino Cué Monteagudo (élu en 2010) ne soutient pas autant que son prédécesseur cette section concurrente ; de plus les enseignants de la section 59 ne bénéficient pas de la même représentation ni du même poids auprès des instances officielles. 77 Le syndicat a admis comme principe de découpage celui des régions administratives de l’Etat, réunissant cepen- dant les deux régions Sierra Norte et Sierra Sur au sein d’une seule entité « Sierra ».

78 Cette proportion élevée d’enfants scolarisés à Oaxaca au regard de la population de l’Etat s’explique en partie par la structure de la pyramide des âges de cette région, où 22,6% des habitants entre 4 et 15 ans (SEP 2012).

NIVEAU EDUCATIF NIVEAU SERVICES

Générale Cours communautaires Indigène Générale Cours communautaires Indigène Générale Cours communautaires Indigène Primaire Secondaire

Education basique Maternelle

Région Travailleurs de l’Éducation (tous niveaux confondus)

Cañada 3459 Costa 11947 Istmo 13260 Mixteca 9529 Sierra 2607 Tuxtepec 8596 Valles Centrales 25192 TOTAL 74590

Certaines régions de l’Etat plus peuplées, telles les Vallées Centrales, l’Isthme de Tehuantepec ou la Costa concentrent un plus grand nombre d’enseignants. Ainsi la région de Valles centrales regroupe près d’un tiers des enseignants de l’Etat de Oaxaca pour 1033884 habitants – sur les 3801962 que compte l’Etat (INEGI 2010) : en effet elle comprend la capitale ainsi que ses territoires périphériques, urbanisés et denses. De même, les régions de la Costa et de l’Isthme, qui comprennent des centres urbains importants. Quant à la région de la Sierra, peuplée seulement de 176489 habitants (INEGI 2010), zone montagneuse avec une faible densité de population et de rares centres urbains, elle possède moins d’infrastructures scolaires et d’enseignants, même si nombre de communautés rurales retirées bénéficient d’équipements scolaires, maternels et primaires. Je montrerai dans la partie suivante que certaines régions ont plus de poids que d’autres au sein de la section 22, en raison du nombre de maestros qu’elles regroupent, donc de leur potentielle capacité de mobilisation dans le cadre d’activités syndicales.

À Oaxaca comme ailleurs au Mexique79, l’éducation dite «  basique  » (maternelle, primaire,

secondaire) regroupe la plus grande partie des enfants scolarisés de l’Etat.

Tableau 3. Répartition des effectifs (élèves, enseignants, écoles) par niveau à Oaxaca

Total Oaxaca Maternelle Primaire Secondaire

Élèves Enseignants Écoles Élèves Enseignants Écoles Élèves Enseignants Écoles Élèves Enseignants Écoles

966932 50482 12324 187850 10163 4515 558987 26923 5568 220095 13396 2241

Source : SEP (2012)

En 2006, une étude commanditée par le IEEPO a permis de collecter un certain nombre de données sur les conditions matérielles de vie des maestros de Oaxaca (Hernández Ruiz 2004). Ainsi, en 2006, 63% des travailleurs de l’éducation à Oaxaca sont propriétaires de leur maison, quand 20% d’entre eux la louent ; 54% d’entre eux disposent de l’eau courante dans la maison, 79% disposent d’un système d’évacuation des eaux usées et 18% sont propriétaires d’un véhicule. 63% d’entre eux utilisent les transports publics ou communautaires pour se rendre sur leur lieu de travail. Par ailleurs, 95% des enseignants de l’Etat ont recours à des services médicaux privés – plus efficients – alors qu’ils bénéficient d’un accès spécifique aux services publics via l’ISSSTE80. Enfin, il est intéressant de noter que 64% des maestros résident là où ils enseignent,

ce qui signifie que plus d’un tiers d’entre eux a son lieu de résidence hors de son lieu d’exercice

79 À l’échelle nationale, 63,4% des enseignants relèvent de cette « Education basique » (SEP 2012).

80 Institut de sécurité et de services sociaux des travailleurs de l’Etat [Instituto de Seguridad y de Servicios Sociales de los Trabajadores del Estado].

professionnel : cette donnée explique en partie la grande mobilité des instituteurs qui enseignent au sein d’une localité la semaine pour rejoindre leur lieu de résidence le week-end et durant les vacances scolaires. Ce mode de vie concerne cependant surtout les jeunes enseignants qui, lors de leurs premières années d’exercice occupent successivement différents postes dans les régions reculées de l’Etat, avant de pouvoir rejoindre la localité de leur choix, et s’installer.

Une ligne de fracture importante est tracée à Oaxaca entre maestros du système dit « formel » (ils sont environ 6000081) et ceux de l’éducation indigène (près de 14000 selon le CMPIO82)

qui exercent selon des modalités pédagogiques en principe différentes – a priori bilingue. Eux- mêmes issus d’un environnement indigène, ils ont eu un parcours spécifique, certains ont débuté leur scolarité au sein des auberges infantiles permettant aux enfants issus de villages indigènes reculés d’être hébergés et nourris à proximité d’une infrastructure scolaire. Durant les années 1960 et jusqu’en 1978, ils étaient recrutés au cours de leur scolarité secondaire (primaire jusqu’au début des années 1960) pour être « promoteurs d’éducation » sur le critère de leur connaissance de l’Espagnol et d’une langue indigène. Ils étaient ensuite formés à leur future implication au sein de contextes indigènes à l’Institut de recherche et d’intégration des services de l’Etat de Oaxaca (IISEO créé en 1963) où ils acquéraient tant des outils pédagogiques que des connaissances pratiques utiles en milieu indigène (premiers soins, agriculture). Aujourd’hui, les plus jeunes des maestros du système indigène ont été formés au sein de l’Ecole normale bilingue et interculturelle de Oaxaca83 (ENBIO) créée en 200084 dans le village zapotèque de

Tlacochahuaya, à proximité de la ville de Oaxaca. Les instituteurs du système formel sont quant à eux formés au sein des écoles normales « urbaines » et centres régionaux d’éducation normale basés à Oaxaca.

Les différences sociales entre maestros existent bel et bien et sont particulièrement notables entre enseignants émanant du système d’éducation formelle et ceux impliqués dans l’éducation indigène. Encore aujourd’hui, les instituteurs du système bilingue sont identifiés en raison de leur habitus spécifique (façons de s’habiller, de s’exprimer, de consommer, de s’alimenter). Certains de mes interlocuteurs du système indigène ont même formulé l’idée d’une hiérarchie implicite entre les deux groupes reposant sur des bases raciales, économiques et sociales. Les enseignants du système bilingue, notamment lorsqu’ils ont commencé à exercer en tant que « promoteurs d’éducation indigène », sont soumis à une grille de salaires différente de ceux

81 Donnée fournie par la direction de la section 22 en août 2011.

82 Coalition d’instituteurs et promoteurs d’éducation de Oaxaca [Coalición de Maestros y Promotores de Educa- ción de Oaxaca].

83 Escuela Normal Bilingüe e Intercultural de Oaxaca.

84 Dans le cadre du troisième chapitre de cette thèse, je reviendrai en détail tant sur l’histoire de l’encadrement insti- tutionnel de l’éducation indigène au Mexique et à Oaxaca, que sur la fonction sociale et politique de ces promoteurs et instituteurs indigènes dans le cadre de la construction nationale.

du système formel et sont beaucoup moins bien rémunérés85. Cependant, même à l’échelle de

l’ensemble du magisterio oaxaqueño, les revenus des enseignants peuvent varier du simple au triple en fonction du niveau auquel ils enseignent (maternelle, primaire ou secondaire), de leur ancienneté, de leur participation ou non au programme – aujourd’hui suspendu dans l’Etat de Oaxaca – Carrera Magisterial [Carrière enseignante86]. Eucario87, directeur d’une école primaire

interculturelle bilingue dans la région de la Sierra Sur, introduisait une autre distinction entre les instituteurs du système formel et ceux du système bilingue, avançant qu’il y a moins de discipline dans les écoles bilingues, moins de punitions.

Enfin, Oaxaca est un Etat stigmatisé par les indicateurs éducatifs locaux (IEEPO 2006) nationaux (INEGI 2010) et internationaux (OCDE, UNESCO88) pour son « retard éducatif ».

Le taux d’analphabétisme de la population de 15 ans et plus y est par exemple de 16,3% (valeurs sensiblement égales à celles du Guerrero et du Chiapas) pour un taux de 1,5% dans le District fédéral (INEGI 2010). Je montrerai que ce type d’évaluations et de classements constituent des enjeux politiques et sociaux d’importance : tandis que les médias et la population locale reprennent ces données pour dénoncer le peu d’efficience du magisterio oaxaqueño, la section 22 quant à elle conteste la validité de ces indicateurs en arguant de la spécificité du territoire régional, pauvre et indigène.

Exerçant au sein d’un contexte politique et social spécifique, les enseignants de Oaxaca sont rattachés à une section locale du SNTE elle aussi particulière. Acteur politique crucial de la vie politique locale, la section 22 est régie par un mode de fonctionnement particulier assorti d’une structuration complexe et d’une histoire locale spécifique qu’il convient d’expliciter.

85 Ni les rapports statistiques de la SEP ni ceux du IEEPO ne donnent cependant d’indication précise sur les salaires de ces enseignants.

86 La SEP (2012) définit ce programme comme suit  : «  Système d’incitation qui s’adresse aux professeurs de l’éducation basique (Maternelle, Primaire, Secondaire) afin de permettre une amélioration de l’éducation via un dispositif de reconnaissance et de soutien aux enseignants, telle l’amélioration de leurs conditions matérielles, pro- fessionnelles et éducatives. La participation à ce programme est volontaire et individuelle ».

87 Lors d’un entretien, le 20 juin 2009.

88 « Education at a Glance Indicators » pour l’OCDE et « Global Education Digest » pour l’UNESCO. Ces indica- teurs prennent en considération le taux de scolarisation, la taille moyenne des classes, les niveaux d’éducation par classe d’âge, les dépenses en matière éducative et les résultats obtenus à l’examen PISA (« Programme for Inter- national Student Assessment »). PISA est un test effectué tous les trois ans par l’OCDE, appliqué aux adolescents de 15 ans des pays membres et non-membres, quelle que soit leur scolarité passée et présente, dans les domaines de la lecture, des mathématiques et des sciences. En 2009 par exemple, au regard des résultats nationaux obtenus au test PISA, le Mexique se situe après le Chili, les Etats-Unis le Japon et l’Espagne, devant la Turquie, la Russie et l’Indonésie.

2.2. Anatomie d’une section syndicale locale du SNTE

Au Mexique, les enseignants sont historiquement rattachés au syndicat unique des enseignants, le SNTE, qui comprend dans chaque Etat de la fédération une section locale. J’aborderai à présent le fonctionnement spécifique de la section locale oaxaqueña (la section 22) de ce syndicat national des travailleurs de l’éducation. Pour ce faire, je considérerai dans un premier temps les aspects principaux de la structuration historique du syndicalisme mexicain, avant d’envisager la spécificité du SNTE et, au sein de celui-ci, de la section 22 à Oaxaca.

• Une section locale « combattive » au sein d’un puissant syndicat •

Syndicalisme et vie politique nationale sont associés de longue date au Mexique. Durant les années 1910, les membres de la Casa del Obrero Mundial89 (COM), organisation syndicale proche de

l’anarcho-syndicalisme basée à Mexico, se sont impliqués dans les luttes internes entre groupes révolutionnaires, via les « Bataillons rouges » (Touraine 1988) ; par la suite, la Confédération régionale ouvrière mexicaine (CROM90) fondée en 1918, puis la Confédération des travailleurs

du Mexique (CTM) en 1936, intégrés au parti-Etat (PNR puis PRI), ont constitué des rouages essentiels du système politique mexicain. La Confédération des travailleurs du Mexique a constitué un moyen efficace de contrôle politique des syndicats par le pouvoir central, mais en retour ceux-ci ont également été en mesure d’exercer des pressions sur la confédération91.

Des tentatives de rupture avec ce syndicalisme officiel regroupé sous la bannière de la CTM ont cependant vu le jour 92 : en 1958 l’un d’entre eux, celui des cheminots en grève, a connu de

sévères représailles (neuf mille travailleurs ont alors été licenciés) ; en 1968, la grève dissidente des électriciens a permis la création d’un syndicat indépendant, le STERM93. Cependant, la force

de la centrale syndicale officielle intégrée au PRI a marginalisé, jusqu’aux années 1980, la plupart des tendances syndicales indépendantes anti-officialistes. Dans ce contexte, le SNTE occupe une

89 Maison mondiale de l’ouvrier.

90 Confederación Regional Obrera Mexicana. Fondée en 1918, il s’agit de la première confédération de travailleurs à caractère national du Mexique. Plus tard, une faction de la CROM a donné naissance en 1936 à la Confédération des travailleurs de Mexico [Confederación de Trabajadores de México] (CTM).

91 Ca a été le cas notamment en 1982, quand Fidel Velásquez, alors à la tête de la CTM, s’est opposé à des projets de réforme économique du gouvernement de De La Madrid en recourant pour ce faire à des menaces de grève générale.

92 Une première tentative a été initiée avec la Confederación Unica de Trabajadores [Confédération unique des travailleurs] en 1948.

93 Sindicato de Trabajadores Electricistas de la República Mexicana [Syndicat des travailleurs électriciens de la République Mexicaine].

place centrale et spécifique au sein du système politique national94. Longtemps, le syndicat des

enseignants a été lié formellement au PRI via son rattachement à la Confédération nationale des organisations populaires95 (CNOP), l’une des trois organisations sectorielles corporatistes

du parti d’Etat. Depuis les années 1980, ce lien organique au PRI s’est fort estompé, en raison notamment de l’émergence de courants critiques au sein même du SNTE, pour certains opposés à toute affiliation du syndicat à une formation partisane.

L’énorme appareil syndical du SNTE réunit l’ensemble des travailleurs du système éducatif public(près de deux millions pour l’éducation primaire et spéciale96), regroupés au sein des 55

sections locales et comprenant plus de 2000 postes de direction et de coordination syndicale (de Ibarrola et Loyo 2001). Le statut des enseignants du système public est régi par la loi fédérale des travailleurs au service de l’Etat97 qui leur assure notamment un régime d’inamovibilité et

la possibilité de garder leur « plaza » au terme de six mois de service. Cet aspect de la loi rend difficile la mise en œuvre d’une plus grande flexibilité laborale et notamment la possibilité pour les municipes – promue par différents projets successifs de réforme – d’embaucher des maestros dans le cadre de contrats temporaires. Par ailleurs, des représentants du SNTE sont présents dans la majeure partie des instances décisionnaires éducatives locales et nationales, ce qui octroie au syndicat une grande capacité de négociation avec les pouvoirs publics, selon le « pacte corporatiste » qui le lie encore à l’Etat (de Ibarrola et Loyo 2001 : 94). La participation du syndicat aux instances de négociation sur les conditions de travail des enseignants est en outre institutionnalisée dans le cadre de la loi fédérale des travailleurs au service de l’Etat, faisant du SNTE un interlocuteur privilégié et incontournable des pouvoirs publics en matière d’éducation. Ces liens établis entre le gouvernement fédéral et le syndicat sont resserrés plus encore par une série de mécanismes politiques et bureaucratiques. Si le PRI a en effet longtemps recruté les cadres du ministère de l’Education (SEP) parmi les dirigeants du SNTE, la cooptation d’une