• Aucun résultat trouvé

LA FORMATION DE L’ETAT DOCENTE [ENSEIGNANT] 293 MEXICAIN

L’ÉCOLE, LE SYNDICAT, LE MAESTRO ET LA NATION

1. LA FORMATION DE L’ETAT DOCENTE [ENSEIGNANT] 293 MEXICAIN

1.1. La genèse pré-révolutionnaire de l’école rurale mexicaine.

• L’école des premières lettres •

La genèse du système scolaire mexicain actuel est habituellement associée à la période qui suit la Révolution, or dès les xviè-xviiè siècles, certains traits majeurs de l’école mexicaine

contemporaine étaient déjà en germe : par exemple la forte implication – financière et logistique – des parents d’élèves ou encore la dimension négociée de l’école à l’échelle locale.

Durant les xviè et xviiè siècles au sein du Vice-Royaume d’Espagne, l’enseignement de la « doctrine

chrétienne  » était majoritairement placé sous le contrôle de l’Eglise et particulièrement des Jésuites. La Couronne espagnole avait en effet chargé les évêques de fonder ces écoles, cependant déjà pour la plupart financées par les « pueblos de indios294 » [villages d’indiens] eux-mêmes,

en accord avec l’Ordonnance du Roi de 1691. En 1754, 281 pueblos de indios de l’Archevêché de Mexico disposaient d’« écoles des premières lettres », la majeure partie de celles-ci étant financées par les parents d’élèves, les autres bénéficiant des fonds des cajas de comunidad [caisses de la communauté] ou, parfois encore, des subsides de la Paroisse (Tanck de Estrada 2010). En 1767, Carlos III (1759-1788) a expulsé les Jésuites de l’ensemble du territoire du Vice-Royaume, suite à quoi les ecclésiastiques ont progressivement perdu la gestion et le financement de l’école, qui est passée en grande partie aux mains des municipes, à l’exception notable de Oaxaca où

293 J’emprunte cette notion d’« Etat enseignant » à Françoise Martinez (2010).

294 A partir de la moitié du xviè siècle, la Couronne espagnole a organisé le territoire en pueblos de indios [villages

d’indiens], entité administrative de base de la República de indios [République d’indiens] qui cohabite avec les villes et villas espagnoles.

l’Eglise a continué de soutenir une grande partie des écoles. Ainsi, contrairement à l’idée reçue d’un monopole du clergé sur l’enseignement dans les Vice-Royaumes d’Espagne durant l’époque coloniale, dans le contexte mexicain, les municipes et les parents d’élèves ont joué très tôt un rôle fondamental dans l’organisation de l’école basique.

L’école dite de doctrine chrétienne – où l’on enseignait également aux élèves à lire et à écrire le Castillan – est devenue « école des premières lettres » en 1786, en accord avec l’article 34 de « l’ordonnance des Intendants » de cette même année, qui concernait tant les « villes » et « villas » des Espagnols que les pueblos de Indios295. Les caisses communautaires pourvoyaient

en premier lieu à la rémunération des enseignants, le second poste de dépense étant affecté aux fêtes de village. Dans ces écoles, l’enseignement était souvent mené à la fois en Espagnol et en langue indienne, par des enseignants espagnols, métisses, mulatos ou indiens. Dorothy Tank de Estrada (2011)rapporte que l’un des premiers manuels gratuits de ces écoles, « La vie exemplaire de la sœur Salvador de los Santos, indienne Otomi296 », diffusé à 2000 exemplaires,relatant la

vie d’une sainte indienne, correspondait à une orientation éducative qui visait à promouvoir l’identité ethnique et la cohésion sociale chez les élèves indiens.

L’école mexicaine du xviiiè siècle est complexe à appréhender : au sein de chacun des nombreux

haciendas et ranchos [propriétés et fermes] du pays se jouait en effet une configuration spécifique au regard du contexte local, en fonction des dispositions de l’hacendado [propriétaire] ou de celle des habitants de la contrée pour financer le travail des « précepteurs des premières lettres ». Les habitants de ces pueblos avaient souvent une relative marge de manoeuvre pour recruter des maestros exerçant leur enseignement en accord avec leur conception de l’éducation (et notamment le fait que le maestro parle, outre le Castillan, la langue utilisée dans le village). Tanck de Estrada (2013) décrit comme suit ces écoles du xviiiè siècle : « En général, l’école consistait en

une pièce, là où vivait l’enseignant. Au Chiapas par exemple, il était habituel de faire classe dans le « Cabildo297 », c’est-à-dire dans le bâtiment situé sur la place où se réunissait la « República298 »,

où les voyageurs de passage étaient hébergés et où l’on enfermait également ceux qui avaient perpétré de petits délits. Mais encore, les élèves et leurs enseignants pouvaient se réunir dans l’une des pièces d’une maison louée à cet effet, logements vides, abris en bois, ou bien dans la maison de la paroisse, devant l’entrée de l’église, sa chapelle ou bien encore dans l’une des pièces

295 Le Vice-Royaume comprenait alors 4468 Pueblos de Indios, 20 villes et une quarantaine de villas d’Espagnols (Tanck de Estrada 2010 : 79). Les Pueblos de Indios, reconnus par le Vice-Royaume, devaient comprendre un mini- mum de 360 personnes qui élisaient chaque année leurs représentants et devaient disposer d’une église ; ils dispo- saient en outre de terres inaliénables (Tanck de Estrada 2002).

296 La Vida Exemplar de la hermana Salvador de los Santos, india Otomi. 297 Salle municipale.

d’une quelconque ferme299 ». L’école était ainsi encore une école de fortune, organisée au gré des

moyens et ressources locaux.

Les Cours espagnoles libérales de la Couronne ont continué d’avoir une influence sur le fonctionnement scolaire de l’ancien Vice-Royaume, ce même après l’Indépendance de 1810, par le biais notamment du Règlement général d’instruction publique, promulgué en 1821300. Celui-

ci défendait le principe d’une école primaire ouverte à tous, implantée au sein de chaque village de plus de cent habitants301. Durant les années 1820-1840, la « compagnie lancastérienne302 »

a réuni des hommes politiques, éducateurs, écrivains, clercs, tous préoccupés par les forts taux d’analphabétisme du pays ; ceux-ci défendaient l’idée d’une école susceptible de forger la loyauté des enfants non plus au Roi mais plutôt au concept abstrait d’Etat moderne, pour en faire de futurs travailleurs et citoyens responsables. Forte de son succès en matière didactique et scolaire, cette compagnie a hérité, en 1842 et pour trois années durant, de la Direction générale de l’instruction primaire. Durant cette période, ses membres ont promu les « bases organiques » de l’école primaire mexicaine, qui ont permis d’initier l’uniformisation de l’organisation scolaire du pays depuis le centre politique (Staples 2010).

Avec la Réforme, sous l’égide de Benito Juárez (1858-1872), une série de lois a promu un nouvel ordre éducatif visant une éducation laïque à orientation «  pratique  ». En 1857, les législateurs du Congrès constituant mexicain avaient déjà accordé une importance primordiale à l’éducation, consacrée au sein de l’article constitutionnel n°3. Cet article a définitivement retiré le monopole de l’éducation à l’Eglise catholique ; il garantissait en outre aux Etats fédérés la liberté d’enseignement, en accord avec le fédéralisme établi par la Constitution de 1857.

Jusqu’au milieu du xixè siècle les parents d’élèves intervenaient de façon directe et non formalisée

pour solliciter l’ouverture d’une école, contribuer au salaire du maestro et, le cas échéant, dénoncer auprès des autorités locales leurs éventuels désaccords quant à la conduite ou à l’enseignement de ces derniers. Antonio Padilla Arroyo montre comment les Etats fédérés ont commencé à mettre en place, à partir des années 1850, des dispositifs visant à organiser et canaliser la participation des « pères de famille », leur relation à l’école et aux autorités locales. Parmi elles, les « juntas de vigilancia » [conseils de vigilance] servaient de relais au gouvernement local qui s’appuyait sur eux pour surveiller et contrôler les écoles (en général financées par des fonds

299 Description tirée de l’article en ligne de Dorothy Tank de Estrada : « La educación indígena en el siglo XVIII » du Diccionario de la historia de la Educación en Mexico en ligne mis en ligne par la UNAM, consulté le 18 décembre 2013.

300 Même s’il n’avait pas de valeur juridique au Mexique suite à la déclaration – unilatérale – d’indépendance en 1810, ce règlement a eu malgré tout un effet durable sur l’école du pays.

301 Source : article en ligne non daté de Dorothy Tanck de Estrada : « La educación indígena en el siglo XVIII » du Diccionario de la historia de la Educación en México mis en ligne par la UNAM, consulté le 18 décembre 2013. 302 Association créée sous l’influence de Joseph Lancaster afin de diffuser au Mexique les principes de l’« enseigne- ment mutuel ».

municipaux303) et les maestros. Ces conseils pouvaient proposer le recrutement d’un enseignant,

surveiller le bon déroulement de son enseignement, se chargeaient de trouver un local pour la classe et s’occupaient des petites réparations, des fournitures et du mobilier304. Ils comprenaient

généralement un représentant des autorités locales, deux ou trois parents d’élèves du village remarqués pour leurs « qualités morales » ou leur intérêt manifeste pour l’école ; souvent, le prêtre participait également à ces juntas. A la fin du xixè, deux grandes organisations nationales

de parents d’élèves ont vu le jour : l’« Association nationale des pères de famille305 » et l’ « Union

nationale des pères de famille306 ». L’Union des pères de famille était liée à l’église catholique,

aux écoles privées, aux organisations sociales et religieuses clairement opposées à l’Etat. Quant à l’Association des pères de famille, elle a été créée par décret présidentiel dans le but de faire contrepoids à l’Union, mais encore pour organiser, structurer, canaliser la participation des pères de famille des élèves des écoles dépendant spécifiquement du système éducatif public, révélant dès lors l’importance politique pour l’Etat de la mobilisation des parents d’élèves. Deux grands traits de l’école mexicaine étaient donc déjà affirmés au xixè siècle : le rôle déterminant

des parents d’élèves dans la gestion quotidienne de l’école rurale, mais encore la faible influence de l’Eglise sur les affaires scolaires. Enfin, la question des fonctions et des modalités de la scolarisation des enfants indiens s’est également posée durant cette période et est demeuré par la suite, durant tout le xxè siècle et jusqu’à aujourd’hui, au centre des préoccupations du Ministère

de l’éducation publique.

• L’école porfirienne •

Sous le régime de Porfirio Díaz (1876-1911), les politiques scolaires ont été l’occasion d’un début d’uniformisation du système éducatif via une intervention croissante de l’Etat dans ce domaine. Déjà laïque et obligatoire en principe, l’école a été l’objet des premières « batailles » sur le rôle et la fonction de l’école au sein de la société mexicaine, notamment vis-à-vis des populations indiennes. Enfin, la mise en œuvre de ces politiques scolaires donne un aperçu des difficultés d’ajustement entre échelle fédérale et échelle fédérée durant cette période.

303 Ce n’est qu’à la fin du xixè siècle que la centralisation de la gestion et du financement des écoles publiques a

été initiée, compétence jusqu’alors municipale peu à peu prise en charge par le gouvernement local, voire fédéral. 304 Loyo et Staples (2010 : 130) relèvent combien les conditions scolaires étaient alors difficiles au cours du xixè

siècle : « Les plaintes d’instituteurs et d’élèves étaient incessantes, dénonçant des gouttières, l’humidité, les vitres brisées, les sols et les toits en mauvais état, le manque de mobilier et de matériel didactique ». En effet, jusqu’à la Révolution mexicaine, la plupart des écoles fréquentées par les enfants indiens vivant dans des zones retirées étaient peu dotées, qu’il s’agisse du matériel didactique à disposition ou des qualités pédagogiques de l’enseignement des ‘précepteurs’ ».

305 Asociación Nacional de Padres de Familia. 306 Unión Nacional de Padres de Familia.

L’école porfirienne a connu de nombreux débats sur le rôle social et politique de l’école au sein de la société mexicaine, à l’occasion notamment de projets de lois éducatives, mais encore lors des Congrès nationaux d’instruction primaire, devenus Congrès nationaux d’éducation primaire à partir de 1910 (Padilla Arroyo 2013). En 1883, à l’occasion de la promulgation de la « loi de Puebla » sur la scolarisation obligatoire pour tous, un débat animé a ainsi porté sur la nécessité ou pas de scolariser les enfants indiens ; le principe d’une éducation primaire gratuite et obligatoire a finalement été retenu pour tout enfant de six à douze ans, formalisé en 1888 par la loi d’instruction obligatoire307. Les premières écoles normales des formation des instituteurs

et institutrices308 d’école primaire ont alors surgi au Mexique à l’initiative des Etats fédérés : à

Oaxaca en 1883, Jalapa en 1887 puis dans les différents Etats du pays durant les années qui ont suivi : en 1900 il y avait au Mexique 45 écoles normales dans 19 Etats pour un total de 2000 élèves (Loyo et Staples 2010 : 136).

Lors des congrès nationaux d’instruction publique de 1889-1890-1891, il a été question d’une nécessaire uniformisation éducative sur le territoire national en matière de méthodes, de matériel didactique, de formation des instituteurs et de programmes, particulièrement pour harmoniser l’enseignement entre écoles des Etats fédérés et du District Fédéral. Le troisième congrès national de 1906 a, lui, porté essentiellement sur les problèmes d’«  ignorance  », de « barbarie » des populations indiennes, tares attribuées au manque d’écoles dans les régions indiennes. Par la suite, la loi sur l’instruction primaire de 1908 a établi une école « éducative », « laïque », « nationale », incluant « culture morale, intellectuelle, physique et esthétique » (Loyo et Staples 2010 : 141). Justo Sierra, à la tête du « Ministère d’instruction publique309» défendait en

effet un changement des mentalités indiennes grâce à une action « éducative », en désaccord avec ceux qui s’opposaient à la scolarisation des indiens et proposaient en revanche une politique de distribution d’aliments et de vêtements à ces populations (Loyo et Staples 2010). Ces réflexions sur le rôle de l’école ont fait l’objet des travaux de la Société indigéniste mexicaine310 (créée en

1910), marquée par le messianisme de ses membres, engagés en faveur d’une « régénération311 »

de la « race indigène ». Cette société portait une double conception des populations indiennes, désignées à la fois comme relevant du « marasme » et de la « barbarie », du « retard », de la « superstition » – tares attribuées à l’oppression des blancs et des métisses, aux conditions de vie difficiles et au manque d’éducation – mais aussi susceptibles d’apports à la nation, porteuses de potentialités pour le développement du pays. La Société indigéniste mexicaine a produit nombre

307 Ley de Instrucción Obligatoria.

308 A cette époque, la carrière d’institutrice était l’une des rares options professionnelles qui s’offrait aux femmes mexicaines.

309 Et non plus, depuis 1905 « Ministère d’instruction publique et des beaux-arts », les questions scolaires relevant désormais d’un Ministère ad hoc et autonome.

310 Sociedad Indigenista Mexicana.

311 Ce terme de « régénération » fait écho à ce que l’historienne Françoise Martinez (2010) décrit des politiques éducatives libérales de « régénération de la race » en Bolivie fin xixè, début xxè siècle.

d’études et d’analyses, elle promouvait l’uniformité linguistique nationale comme prémice indispensable à la rédemption de l’« indien ignorant » et au développement du pays (Comas Camps 1948). C’est donc dès la fin du xixè siècle qu’ont été élaborées les premières formulations

officielles de l’altérité indienne, qui ont par la suite guidé les politiques scolaires et donné lieu à la pensé indigéniste du xxè siècle. Dans le cadre de ce « proto-indigénisme » officiel nourri

d’influences diverses, les populations indiennes ont été pensées selon une modalité ambivalente qui les plaçait à la source de la nation tout en les associant à la « barbarie ». Dans cette optique, seule l’école pouvait permettre de réconcilier ces deux aspects contradictoires afin d’engager une possible « régénération » de ces populations, notamment par la transmission de la langue espagnole et de normes « civilisées ».

Sous le Porfiriato, les écoles ont fait l’objet de modalités accrues de contrôle du pouvoir, sous la coupe d’un regidor [régisseur] ou de juntas de vigilancia [conseils de vigilance] constituées d’autorités politiques et de membres de la bureaucratie locale, ceux-ci étant seuls en charge de la supervision de l’école (excluant donc les parents d’élèves du dispositif, auparavant présents). Les écoles porfiriennes, portant habituellement le nom des héros nationaux (Benito Juárez, Vicente Guerrero, Porfirio Díaz) étaient, comme l’analyse Kay Vaughan, « part of a liberal appropriation of community space for purposes of rule, instruction, and transformation  » (1997 : 78-79). Cette historienne décrit ces écoles du porfiriato comme situées au coeur de l’espace central des villages, jouxtant et concurrençant l’Eglise dans l’espace public, à proximité également du palais municipal et du zócalo planté d’arbres et de fleurs, équipé d’un kiosque et décoré des statues des héros nationaux ; quant aux rues alentour, elles portaient le nom des événements et personnages liés à la récente histoire libérale du pays : Cinco de Mayo, Independencia, Hidalgo. Des taxes locales permettaient de rémunérer les professeurs et les habitants du village étaient en charge de construire et entretenir les équipements scolaires – ce qui n’est pas sans rappeler le tequio scolaire aujourd’hui pratiqué dans certains villages de Oaxaca.Ainsi, malgré une organisation verticale, la gestion scolaire sous le porfiriato était fortement liée aux structures locales de pouvoir.

Dans l’Etat de Oaxaca, Victor Raúl Martinez Vásquez (2011 : 47) décrit l’école porfirienne comme une institution imposée dans les villages de façon autoritaire et « par le haut », grâce à des moyens de coercition (via des amendes par exemple). Ce sociologue cite, de façon à illustrer les conceptions de l’école alors portées par les dirigeants politiques locaux, un rapport sur l’école émanant du gouverneur de l’Etat de Oaxaca en 1885 (2011 : 48) :

« Peut-être nulle part ailleurs que dans notre République on ne perçoit de façon tellement évidente les difficultés que l’ignorance des masses opposent à la marche des classes civilisées et des gouvernements. Sa population est composée pour grande partie de personnes de race indienne, qui vivent tellement à l’écart, parlant leur langue ingrate et pétris de traditions et coutumes qui n’ont rien à voir avec l’époque. Ils se soustraient de la sorte à tout ce qui peut représenter une innovation progressiste, et cela stérilise tous les efforts que les hommes publics et les penseurs font pour impulser une autre dynamique » (Gobierno del Estado de Oaxaca 1885).

Ce rapport souligne ainsi, selon les termes de l’époque, la spécificité « indienne » de cet Etat de Oaxaca, où la mise en œuvre des politiques scolaires était conçue comme relevant d’une véritable « mission de civilisation ».

L’image qui suit, élaborée en 1909, constitue une illustration des faibles moyens de l’éducation publique mexicaine au début du xxè siècle : en 1910, la plupart des Etats fédérés avaient adopté

les législations nécessaires à la mise en œuvre sur leur territoire d’une éducation laïque et gratuite et pourtant, le taux d’analphabétisme à l’échelle du pays était encore de 70% (Tanck de Estrada 2002). L’âne représenté sur cette gravure de José Guadalupe Posada (1852-1913), n’a plus que la peau sur les os ; inscrit sur son dos, on peut lire : « instruction publique rurale ». Tandis qu’un paysan (indien probablement) essaie de le faire avancer, une personne blanche et opulente – incarnation d’un cacique ou de l’élite locale – le regarde faire, et une légende commente : « Il ne mange, ni ne boit ni n’avance ». Cette scène évoque également la situation actuelle de certaines écoles bilingues de villages indiens isolés à Oaxaca, où l’on travaille souvent avec « de la terre et des bouts de bois », où les contributions des villageois et parents d’élèves – pour construire et entretenir les bâtiments notamment – sont nécessaires pour « faire avancer » l’école, tant bien que mal.

Figure 20. L’école publique rurale mexicaine au début du xxè siècle

Posada, Ni come, ni bebe, ni anda [Il ne mange, ni ne boit ni n’avance] (1909). Source : Guadalupe Posada (1963 : 48)

La Révolution mexicaine du début du xxè siècle (1910-1917) a mené à la Constitution de 1917,

cadre légal du processus révolutionnaire qui consacre, avec l’article constitutionnel 3, une école primaire élémentaire laïque, obligatoire pour tous les enfants de 6 à 14 ans (garçon ou fille), et gratuite. La loi sur les écoles d’instruction rudimentaire, approuvée par décret le 30 mai 1911 par le successeur de Porfirio Díaz, a autorisé le pouvoir exécutif fédéral à établir sur le territoire de la République des écoles non obligatoires, ouvertes à tous sans distinction d’âge ou de sexe, principalement destinées aux enfants indiens, afin qu’ils aient la possibilité d’apprendre à parler, lire, écrire l’Espagnol, mais encore de se familiariser avec les opérations basiques de l’arithmétique. Cette loi, inspirée en partie des travaux de la société indigéniste mexicaine et des débats lors des précédents congrès nationaux d’Education, n’a pas été sans susciter des polémiques sur le rôle