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2.3 Acquisition de donn´ees ´emotionnelles

2.3.2 M´ethodes pour l’acquisition de donn´ees ´emotionnelles

a la fois, pr´ed´etermin´ees par des aspects physiologiques et modul´ees par notre parcours social (influence de la culture). Cela sous-entend que nous sommes ca-pables, de mani`ere collective ou individuelle, de plus ou moins contrˆoler certaines r´eactions ´emotionnelles, voire mˆeme de les simuler. C’est pourquoi l’ad´equation entre l’´emotion ressentie et l’´emotion communiqu´ee est difficile `a ´evaluer. En d’autres termes, nous ne pouvons pas ´evaluer le degr´e de spontan´eit´e d’une donn´ee

´emotionnelle.

Toutefois, l’absence de la connaissance de l’´etat interne du sujet d’observa-tion est souvent compens´ee par la connaissance du contexte d’apparid’observa-tion de la r´eaction ´emotionnelle. Certains contextes favorisent ainsi l’apparition d’une ´emotion et de sa r´eaction ´emotionnelle associ´ee, consid´er´ee alors comme ”naturelle”. Le degr´e de spontan´eit´e de la r´eaction ´emotionnelle est alors appr´eci´e suivant l’exa-men de son contexte d’apparition. Certains contextes favorisant l’apparition de certaines ´emotions semblent reproductibles. Satisfaisants alors la condition de re-productibilit´e, les chercheurs utilisent de tels contextes pour acqu´erir des donn´ees

´emotionnelles.

2.3.2 M´ethodes pour l’acquisition de donn´ees ´emotionnelles

Plusieurs m´ethodes existent pour r´eunir des donn´ees ´emotionnelles. Ces m´ethodes sont g´en´eralement divis´ees, en trois sous-cat´egories : les donn´ees natu-relles, les donn´ees induites et les donn´ees act´ees. Bien que ces m´ethodes semblent se distinguer par le degr´e de spontan´eit´e des donn´ees qu’elles produisent, aucune d’entre elles ne fournit conjointement une mesure permettant d’´evaluer si l’´emotion est r´eellement v´ecue ou non par le sujet. Elles s’appuient sur le contexte d’apparition pour ´evaluer ce degr´e de spontan´eit´e.

2.3. Acquisition de donn´ees ´emotionnelles 19 Pourtant, une distinction nette entre ces m´ethodes semble possible. En effet, les donn´ees ´emotionnelles sont dites ”spontan´ees”, d`es lors que l’´emetteur ne sait pas que l’objet de l’exp´erience r´eside dans l’acquisition de ces/ses r´eactions. Dans la terminologie des tests perceptifs psycho-physiques, un tel proc´ed´e emploie une m´ethode dite indirecte. Une m´ethode indirecte vise la mesure d’une variable pro-duite par un sujet qui n’a pas la connaissance de cette mesure. Par exemple, le corpus E-Wiz [Auberg´e 2004] est compos´e de r´eactions ´emotionnelles produites par des ´etudiants en situation d’apprentissage des langues. A contrario, une m´ethode directe implique des sujets qui connaissent la variable mesur´ee, comme des acteurs

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a qui l’on demande de simuler des ´emotions, par exemple. Dans cette distinction di-recte/indirecte des m´ethodes d’acquisition de donn´ees ´emotionnelles, on peut donc dire que les donn´ees act´ees sont issues de m´ethodes directes, tandis que les donn´ees naturelles et induites proviennent de m´ethodes indirectes.

2.3.2.1 M´ethodes indirectes

Les m´ethodes indirectes sont aujourd’hui les plus utilis´ees par ceux qui d´esirent recueillir des r´eactions ´emotionnelles spontan´ees et non simul´ees/contrˆol´ees.

Parmi elles, le recueil de donn´ees naturelles consiste `a r´ecolter des documents d´ej`a existants, et `a les r´eunir en corpus d’analyse. Certaines r´eactions ´emotionnelles apparaissent dans la vie courante et sont capt´ees par diff´erents mat´eriels d’acquisi-tion. Le contexte et les conditions d’enregistrement sont en g´en´eral tr`es variables.

Ces donn´ees ne sont souvent pas reproductibles, compte tenu de la variabilit´e de leurs contextes d’apparition. Elles sont donc h´et´erog`enes, ce qui rend difficile la constitution de grands corpus pour l’analyse statistique. C’est pourquoi ces donn´ees sont souvent analys´ees au cas par cas, `a l’instar de Chung qui analyse des r´eactions apparues lors d’´emissions de t´el´e-r´ealit´e [Chung 2000].

De mani`ere `a rassembler des corpus cons´equents et significatifs tout en en contrˆolant la qualit´e, le recueil de donn´ees naturelles peut se faire en contexte pr´ed´etermin´e. Des services (publics ou priv´es) sont propos´es `a des personnes. Les sc´enari limit´es de ces services et les raisons pour lesquelles les personnes les em-ploient, rendent ces derniers susceptibles d’ˆetre dans certains ´etats ´emotionnels.

C’est le cas des centres d’appels, par exemple, qui sont le terrain de situations sociales pouvant provoquer certaines ´emotions (col`ere, soulagement, inqui´etude) [Devillers 2005]. Les r´eactions ´emotionnelles recueillies sont dites spontan´ees, car l’´emetteur ne sait pas qu’il est enregistr´e, le plus souvent [Vidrascu 2005].

Toujours dans le souci de mieux contrˆoler le contexte d’apparition des r´eactions

´emotionnelles, les chercheurs ont cr´ee des sc´enari artificiels, dans lesquels certaines r´eactions sont susceptibles d’apparaˆıtre spontan´ement. On parle alors de donn´ees induites. Une situation ´emotionnelle est artificiellement cr´e´ee dans un contexte d´efini pour l’exp´erience. Les donn´ees sont alors recueillies dans de bonnes conditions d’enregistrement. Elles sont, l`a aussi, dites spontan´ees, car l’´emetteur ne sait pas que l’objet de la situation r´eside dans l’acquisition de ces r´eactions ´emotionnelles [Auberg´e 2004].

20 Chapitre 2. Constitution d’un corpus expressif Toutefois, une personne en situation de laboratoire n’exprimera pas ses ´emotions de la mˆeme fa¸con qu’elle les exprimerait dans sa vie de tous les jours. Les contraintes sociales am`enent le sujet `a un certain degr´e de contrˆole de ses r´eactions

´emotionnelles. Aussi, une nouvelle g´en´eration de m´ethodes indirectes hybrides entre les donn´ees naturelles et induites voit le jour. Celles-ci reposent sur l’acclimata-tion du sujet `a l’environnement de laboratoire ou aux contraintes d’enregistrement.

Campbell a ainsi enregistr´e des conversations t´el´ephoniques hebdomadaires entre deux personnes faisant connaissance [Campbell 2007a]. Si ces personnes savaient qu’elles ´etaient enregistr´ees, elles ne savaient pas, en revanche, que l’un des objets de l’´etude ´etait la mesure de l’´evolution de leurs qualit´es vocales au fur et `a mesure de leurs conversations. Cette m´ethode requiert une longue p´eriode d’analyse afin que les sujets ”oublient” le contexte de laboratoire et les normes sociales associ´ees.

Toutes ces m´ethodes indirectes visent l’acquisition de r´eactions ´emotionnelles spontan´ees. Elles varient selon le degr´e de connaissance/contrˆole sur le contexte d’apparition de ces r´eactions. Plus le contexte est libre, plus les donn´ees sont consid´er´ees comme spontan´ees, mais plus elles sont h´et´erog`enes. Au contraire, la d´etermination du contexte engendre une homog´en´eit´e parmi des donn´ees dont la spontan´eit´e devient alors critiquable. En effet, `a l’instar d’un acteur, tout un cha-cun exerce un contrˆole sur ses r´eactions ´emotionnelles dans la vie courante, et peut les simuler sans qu’il soit pour autant le si`ege de l’´etat ´emotionnel associ´e. Ainsi, les donn´ees naturelles, dont le contexte est moins bien maˆıtris´e qu’en laboratoire, peuvent aussi provenir de simulations. Il en va de mˆeme pour les donn´ees induites o`u le contexte de laboratoire peut engendrer des modifications comportementales.

En d´efinitive, si le contexte d’apparition d’une r´eaction ´emotionnelle permet de faire des hypoth`eses quant `a sa spontan´eit´e, il ne permet pas, en revanche, d’´etablir la certitude scientifique que cette r´eaction est li´ee `a l’´etat ´emotionnel correspon-dant. Si le niveau de connaissance du contexte d’apparition semble d´eterminant, il n’en reste pas moins que chacun semble potentiellement capable de simulation, de contrˆole ou d’exacerbation de ses r´eactions ´emotionnelles. Cela est vrai pour toute les donn´ees ´emotionnelles externes, quelles soient issues de m´ethodes directes ou in-directes. De mani`ere surprenante, cela est aussi vrai dans le cas des donn´ees act´ees (m´ethode directe), comme le montre la revue suivante des techniques employ´ees par les acteurs4.

2.3.2.2 M´ethodes directes

Les m´ethodes directes emploient des personnes dont la mission est de fournir des r´eactions ´emotionnelles. Elles ont l’avantage d’une maˆıtrise parfaite du contexte, mais sont souvent critiqu´ees pour le manque de spontan´eit´e des donn´ees recueillies.

4L’´etude scientifique de la m´ecanique des ´emotions, au sens de leurs dynamiques et de leurs interactions peux permettre d’isoler certaines s´equences ´emotionnelles. Certains sch´emas semblent en effet redondants comme le montre la proximit´e de certains sc´enarios cin´ematographiques (block-busters hollywoodiens, par exemple) ou la r´ecurrence de formes musicales (sonates, par exemple).

Ce faisant, ce type d’´etude peut permettre d’en savoir plus sur la probabilit´e d’occurence d’une

´emotion et, ainsi, de maximiser les chances de son observation (voir chapitre5).

2.3. Acquisition de donn´ees ´emotionnelles 21 En effet, les donn´ees produites par les acteurs sont toujours class´ees dans la cat´egorie

”donn´ees act´ees” car elles sont consid´er´ees comme simul´ees et non spontan´ees. Pour-tant, les acteurs et com´ediens, pour exercer leurs professions, utilisent diff´erentes techniques, leur permettant d’exprimer le mieux possible, les ´emotions et les ´etats internes de leurs personnages. Parmi ces techniques, certaines d’entre elles reposent sur le principe de l’auto-induction d’´etats ´emotionnels. Nous relatons ici deux tech-niques majeures, afin de nuancer l’id´ee que les acteurs sont incapables de fournir des donn´ees ´emotionnelles spontan´ees.

”Act´ees I” : Traditionnellement, les ”donn´ees act´ees” correspondent aux enre-gistrements de r´eactions ´emotionnelles externes enti`erement simul´ees par un acteur, qui n’est pas, lui-mˆeme, le si`ege de l’´emotion correspondante. La cat´egorie, nomm´ee ici ”act´ees I”, regroupe les donn´ees produites par des acteurs dont la technique est bas´ee sur la maˆıtrise de l’effet ”pull”. Usant de codes socio-culturels ou simu-lant/caricaturant certains traits des r´eactions ´emotionnelles spontan´ees, ces acteurs parviennent `a restituer une r´eaction appropri´ee `a une situation ´emotionnelle sans mˆeme l’avoir v´ecue auparavant. Ces techniques sont employ´ees dans le th´eˆatre ”clas-sique”, de ”boulevard” ou ”Kathakali”. Il y apparaˆıt des r´eactions ´emotionnelles st´er´eotyp´ees d’une grande ”th´eˆatralit´e”. Ces formes culturelles facilitent notamment la compr´ehension de l’´etat interne du personnage, malgr´e des contraintes ext´erieures fortes (amplification des gestes vocaux, faciaux, posturaux due `a la taille de la salle, le plus souvent...).

”Act´ees II” : La cat´egorie, nomm´ee ici ”act´ees II”, regroupent les donn´ees pro-duites par des acteurs, capables d’auto-induction de certains ´etats ´emotionnels. Les techniques dites d’”Acteur Studio” ou de ”la M´ethode” sont toutes d´eriv´ees d’un courant initi´e par le metteur en sc`ene Constantin Stanislavski, au d´ebut du XX`eme si`ecle. Ce syst`eme consiste en un entraˆınement de l’acteur `a re-vivre, sur commande, des ´etats ´emotionnels ou des sentiments d´ej`a v´ecus et emmagasin´es par sa ”m´emoire affective”. Il s’agit de stimuler cette m´emoire, ce mat´eriau affectif, par le biais de la sensation, du souvenir ou de l’imagination, d’en r´eactiver les ´emotions recherch´ees, et de les utiliser pour nourrir le personnage `a incarner. C’est donc `a partir de sa propre mati`ere humaine que l’acteur cr´ee son rˆole. Il n’est plus question de jouer, de ”faire semblant”, mais de vivre, ou de re-vivre sur la sc`ene [Stanislavski 1966].

Le metteur en sc`ene Peter Brook incite ainsi les acteurs `a exp´erimenter des situa-tions ´emotionnelles dans leurs vies personnelles, afin de construire un ”dictionnaire”

sensori-´emotionnel propre, dans lequel ils peuvent r´eactiver certains ´etats, pour une situation d’improvisation ou de performance sc´enique5..

5Il semble que cette derni`ere technique n’est pas encore ´et´e utilis´ee en laboratoire, ou du moins, que son usage n’ait pas ´et´e relat´e. Les ´etudes ne mentionnent jamais si les acteurs impliqu´es utilisent une technique de simulation totale ou d’auto-induction. Or, ceux qui emploient cette derni`ere sont capables d’auto-induire des ´etats ´emotionnels et par l`a-mˆeme, de fournir des donn´ees

´emotionnelles externes plus ou moins spontan´ees. De plus, ils peuvent, tout en maintenant le naturel de leur performance, maˆıtriser des variables n´ecessaires `a l’´etude scientifique, comme le texte qu’ils

22 Chapitre 2. Constitution d’un corpus expressif