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La difficult´e d’´evaluer le degr´e de spontan´eit´e d’une donn´ee ´emotionnelle et le Paradoxe du com´edien de Diderot montre `a quel point il est n´ecessaire de dis-socier l’´emotion ressentie de l’´emotion communiqu´ee. C’est dans ce but que nous avons propos´e une d´efinition de l’expressivit´e dans la partie1. Le corollaire de cette d´efinition concerne l’expression neutre qui a pour avantage de poss´eder tous les autres niveaux d’information pr´esents dans la parole :

– le message s´emantique, port´e par les aspects linguistiques – l’identit´e du locuteur, port´ee par les caract´eristiques de sa voix – le style de parole emprunt´e

– les aspects pragmatiques relatifs `a la parole en contexte – l’expressivit´e

De mani`ere `a observer la variabilit´e qui n’incombe qu’`a l’expressivit´e, il est n´ecessaire de contrˆoler ces autres niveaux d’information. Un aspect de la mis en place du corpus, consiste donc `a fixer ou `a faire varier ces autres variables dans le but de marginaliser leurs effets.

2.4.1 L’identit´e du locuteur

D’autres niveaux d’information sont v´ehicul´es lors d’une situation de communi-cation verbale. Tout d’abord, l’acte mˆeme de communiquer suscite un intervenant.

Les diff´erentes informations relatives `a l’identit´e de cet intervenant sont alors sous-jacentes `a la communication. Dans le cas de la modalit´e visuelle, un visage, une silhouette ou encore un avatar remplit cette fonction. Dans le cas de la “modalit´e textuelle”, un nom, un pseudo ou une description sont souvent accessibles. Dans le cas de la modalit´e auditive, l’identit´e d’un locuteur est port´ee par sa voix. Son sexe, son ˆage, son ´etat de sant´e, son origine (´etrang`ere, accent r´egional, niveau social, niveau de langage ...) sont autant d’informations relatives `a la personnalit´e d’un locuteur et rendues accessibles aux autres par sa voix.

2.4.2 Le style de parole

De nombreux facteurs contextuels peuvent affecter la mani`ere de parler d’un individu. Tout d’abord, des contraintes physiques peuvent, par exemple, dans le cas d’un environnement bruyant, l’amener au for¸cage vocal ou `a la r´ep´etition [Garnier 2007]. Des contraintes sociales entrent ´egalement en jeu. Par exemple, on chuchote pr`es d’un b´eb´e qui dort. Plus complexes, les contraintes professionnelles am`enent `a d’autres types de parole comme c’est le cas pour le discours politique ou l’enseignement. Enfin, d’importantes diff´erences apparaissent entre la parole spon-tan´ee, la parole lue et la parole r´ecit´ee ”par cœur”. Si tous ces diff´erents facteurs externes influent grandement sur le style de parole, il n’en reste pas moins qu’ils ne sont pas des variables de l’expressivit´e. En effet, ces adaptations `a des contraintes ext´erieures ne sont pas attribuables `a une modification de l’´etat interne de leur locuteur. Qui plus est, le ou les interlocuteurs sont dans la connaissance de ces

2.4. L’expressivit´e de la parole 25 contraintes et peuvent ais´ement en faire abstraction, ou au contraire, les prendre en compte. Dans tous les cas, le style de parole correspond `a un niveau informatif de la communication, visant `a d´ecrire les situations externes et non les ´etats internes, comme c’est le cas pour l’expressivit´e.

2.4.3 Le message s´emantique

L’un des buts majeurs de la communication verbale r´eside dans l’´echange d’un contenu s´emantique, par l’usage des mots. Ces mots peuvent expliquer un ´etat in-terne de mani`ere directe ou de mani`ere indirecte (m´etaphores dans le cas de la po´esie). Ils refl`etent donc un ´etat interne. Mais ils sont rarement l’effet direct de cet

´etat interne. De plus l’expressivit´e n’est pas d´ependante d’un contenu s´emantique, mˆeme si elle peut ˆetre explicit´ee verbalement (”tu me mets en col`ere.”). L’expres-sivit´e poss`ede d’autres supports, comme celui de la performance musicale (voir partie 6.5). De plus, les expressions peuvent ˆetre per¸cues par des personnes ne comprenant pas la langue de l’´emetteur et, donc, le contenu s´emantique prononc´e [Burkhardt 2006], `a l’instar des mimiques faciales universelles d’Ekman (voir cha-pitre2.2.5). C’est pourquoi un mˆeme texte peut ˆetre prononc´e par un acteur avec diff´erentes expressions. Ce texte peut alors int´egrer des marqueurs s´emantiques de l’expressivit´e ou non. L’interaction et la possible incongruence entre ces marqueurs s´emantiques et la fa¸con dont ils sont prononc´es, restent `a confronter `a la percep-tion de l’expression d’un message parl´e. Afin d’´eviter ces ´eventuelles interacpercep-tions, l’on peut choisir un texte d´epourvu s´emantiquement d’expressivit´e, comme c’est le cas pour les corpus pr´esent´es ult´erieurement (voir chapitre 2.6.5). Un ”texte d´epourvu s´emantiquement d’expressivit´e”, aussi appel´e ”texte neutre”, r´ef`ere `a un texte pouvant ˆetre interpr´et´e avec tout type d’expression, indiff´eremment. Quoi qu’il en soit, malgr´e les interactions entre ces deux niveaux d’information, il n’en reste pas moins que le niveau d’information linguistique n’est pas le reflet d’un ´etat interne potentiellement incontrˆolable. C’est pourquoi nous le distinguons de celui de l’expressivit´e.

2.4.4 L’aspect pragmatique

Les aspects pragmatiques de la parole sont relatifs `a la parole en contexte (un peu comme pour le style de parole). Par exemple, la modalit´e joue un rˆole impor-tant dans la gestion du dialogue. La modalit´e se compose traditionnellement de l’assertion, de la question et de l’exclamation, et peut ˆetre marqu´ee linguistique-ment par la ponctuation (respectivelinguistique-ment ”.”, ” ?”, et ” !”). En situation dialogique normale, la modalit´e peut gouverner le tour de parole. A un point d’une discussion, elle refl`ete aussi la position du locuteur sur ce qu’il dit. Une assertion exprim´ee par une modalit´e interrogative sera consid´er´ee comme une question, tandis qu’une question exprim´ee par une modalit´e assertive n’engagera pas forc´ement l’interlo-cuteur `a r´epondre. Ainsi, au fil de la parole, le locuteur exprime sa position, sa certitude ou son doute sur les mots qu’il prononce grˆace `a la modalit´e. Il peut alors

26 Chapitre 2. Constitution d’un corpus expressif signifier le contraire de ce qu’il dit, cas g´en´eralement d´enomm´e par :ironie. Il peut aussi exprimer le doute sur un propos, tout en l’exposant. Nous soumettons ici au lecteur, ces associations originales du ton ironique et du doute `a la modalit´e. Ceci

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a cause de la forte relation existante entre le message linguistique et la fa¸con dont il est exprim´e. Ainsi, l’expression du doute ne fait pas partie de l’expressivit´e, mais il peut ˆetre accompagn´e d’un embarras ou d’uneconfusion qui traduisent un ´etat interne probablement li´e au doute.

2.4.5 L’expressivit´e

En ce qui concerne la parole, un acteur prononce un texte avec une certaine expression. Cette expression, ou l’information de l’´etat interne d’un personnage, est le plus souvent disponible via le canal linguistique. Les mots et les relations concep-tuelles qu’ils provoquent peuvent, en effet, d´ecrire des situations ´emotionnelles voire les engendrer. L’acteur est capable de d´econceptualiser (au sens de “mat´erialiser”) ces situations en jouant le texte avec l’expression appropri´ee. De plus, sa perfor-mance peut modifier ou ajouter, `a ces situations, de l’expressivit´e selon la mani`ere dont il prononce le texte. Enfin, il peut aussi cr´eer, de lui-mˆeme, de l’information expressive `a partir d’un texte s´emantiquement neutre comme c’est le cas pour le corpus pr´esent´e dans la partie suivante.

Cette apparente division des niveaux d’information dans la communication ver-bale, n’exclut en rien la complexit´e provenant de leurs interactions. La relation entre le message s´emantique et l’expressivit´e a ´et´e cit´ee en exemple. De mani`ere g´en´erale, le niveau d’information s´emantique suffit souvent `a lui seul pour convoyer tout ou partie des autres. Enfin, du point de vue de la perception, tous ces niveaux interagissent entre eux et avec les diff´erents acquis de l’interlocuteur.