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Afin de traiter ce vaste sujet, l’approche adoptée sera interdisciplinaire, un croisement entre études littéraires, l’histoire et la critique de l’art moderne et contemporain, la psychanalyse, l’anthropologie, les études culturelles et la philosophie de l’histoire et de la modernité; ceci en tentant de trouver un pont entre l’œuvre de Gellu Naum et celle de Victor Naum. Nous devrons aussi mentionner que la plupart de nos commentaires autour de ces deux artistes seront réalisés grâce à la compréhension du contexte historique et littéraire où se placent les deux Roumains. Pour ce faire nous utiliserons quelques études spécialisées de l’avant-garde, voire du surréalisme, comme le texte classique de Maurice Nadeau, Histoire du surréalisme, celui de Peter Bürger qui s’occupe des avant-gardes historiques face au marxisme, au communisme ou au fascisme – Le

surréalisme et politique – politique du surréalisme, influencé par les théories deTheodor Adorno et de Georg Lukács, celui de Matei Calinescu qui dans Faces of Modernity: avant-garde,

decadence, Kitsch se consacre à l’étude de la modernité esthétique, celui d’Yvonne Duplessis qui

dans Surréalisme et paranormal : L’aspect expérimental du surréalisme présente non seulement les étapes de la quête surréaliste, mais aussi le rapport que ce mouvement a avec le paranormal. En outre, le livre d’Angelo Guglielmi, Avanguarda e sperimentalisimo sera un outil important

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en ce qui concerne la question du langage surréaliste. En tant que théoricien du Gruppo 63 il exprime l’idée critique que l’expérimentalisme dans l’avant-garde a des fonctions qui ne sont pas encore clarifiées et que le rapport à l’art doit se faire par la reconsidération de ce qui apporte pour l’avant-garde les jeux linguistiques. Une autre étude critique qui nous intéresse grandement est celle de Renato Poggioli qui dans The Theory of the Avant-Garde se dédie à l’analyse de l’aspect sociopolitique et littéraire de l’avant-garde en explorant le rapport entre l’avant-garde et la civilisation contemporaine. Convaincu que l’art de l’avant-garde a influencé l’art moderne de manière décisive, Poggioli décrit son métabolisme, répertoriant ses aspects les plus marquants.

André Breton est une autre référence majeure de notre thèse. Ses opinions sur l’avant- garde, le surréalisme, l’art, primitif ou paranormal, seront prises en considération dans la mesure où il est le porta voce par excellence de tous les arguments théoriques qui ont fondé le surréalisme. À cet égard nous emploierons quelques idées phares formulées dans ses études critiques – Les manifestes du surréalisme, Les Pas perdus, La révolution d’abord et toujours, ou dans ses écrits littéraires, Najda et L’Amour fou.

Dans l’espace critique roumain existent de nombreux livres dédiés au mouvement avant- gardiste. Toutefois, dans notre thèse, nous nous limiterons aux études de Marin Mincu,

Avangarda literara romaneasca, à celle d’Ion Pop, La réhabilitation du rêve : Une anthologie de l’Avant-garde roumaine, et à celle de Sasa Pana Antologia literaturii romane de avangarda

(avec une étude de Matei Calinescu) car tous ces auteurs se rapportent à l’avant-garde roumaine en insistant sur ses associations avec l’avant-garde européenne.

En ce qui concerne les plus intéressantes études publiées en Roumanie relativement à l’œuvre de Naum, Simona Popescu constitue notre principale référence. Dans Clava.

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Critifictiune cu Gellu Naum elle réussit à mettre en évidence les concepts fondamentaux de

Naum, indispensables pour la compréhension de sa méthode surréaliste, ainsi que les grands thèmes de ses écrits. De plus, elle s’intéresse à l’aspect ésotérique de notre auteur en publiant pour la première fois en Roumanie le manuel occulte de Gellu Naum, La voie du serpent. Un autre outil utile pour la compréhension de la pensée de l’écrivain roumain est l’interview réalisée par Sanda Rosescu avec Gellu Naum, Despre interior-exterior. Dialog cu Sanda Rosescu. Cet ouvrage comprend plusieurs entretiens avec Naum, enregistrés dans les années 1970. Commencée comme un jeu dans lequel les interlocuteurs échangent des propos simples, la confession gagne progressivement un ton sérieux. Naum se dévoile sur ses expériences dans le cadre de l’avant-garde roumaine. Il définit aussi ses concepts fondamentaux – les favorables, les

non favorables, musa, etc.

Une autre étude qui porte sur l’œuvre de Gellu Naum est l’œuvre de Remy Laville qui, dans le livre Gellu Naum, poète roumain prisonnier au château des aveugles, trace le portrait historique et moral de la Roumanie, du début du XXe siècle à nos jours, en proposant une présentation de Naum recomposée sur la base d’interviews et, sur fond du mouvement surréaliste bucarestois.

Nos considérations sur la femme surréaliste vue comme la grande initiatrice dans l’œuvre de Naum ainsi que dans celle de Brauner se nourrissent des théories formulées dans l’espace européen et américain, par exemple les livres ou articles de Georgiana de Colvile, Katherine Conley – La Femme s’entête: La part du féminin dans le surréalisme, Nataly Lusty,

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À travers notre thèse, afin de souligner les aspects philosophiques de la question prise en charge – la figure de l’illumination – nous faisons usage des théories de Milan Kundera formulées dans L’art du roman, de Jacques Derrida dans Mémoires d’aveugle; L’autoportrait et

autre ruines, de Sigmund Freud, Le malaise dans la civilisation, de Martin Heidegger, Essais et conférences, de Walter Benjamin, L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique et

l’étude fondamentale Le surréalisme; Le dernier instantané de l’intelligentsia européenne. Pour clarifier la notion d’illumination, nous nous pencherons surtout sur les observations de Benjamin. Dans son essai de 1929, Le surréalisme, Le dernier instantané de l’intelligentsia européenne, le philosophe parlait d’une illumination profane qu’il tentait d’expliquer en invoquant Nadja d’André Breton et en accordant crédit à l’idée que cette propension marque la sensibilité surréaliste qui fonde sa théorie sur la quête d’une reformulation de l’identité.

Nous devrons aussi mentionner quelques études importantes de l’histoire de l’art, qui traitent du rapport entre peinture et littérature. Ces liens qui s’instituent (ou se réinstaurent) pendant le XXe siècle sont analysés par Philippe Dagen (Le peintre, le poète, le sauvage : Les

voies du primitivisme dans l’art français), par Rosalind Krauss (L’originalité de l’avant-garde et autres mythes modernistes) ou par Meyer Schapiro (Les mots et les images).

Puisqu’il n’existe pas d’après notre connaissance d’étude entièrement dédiée au roman

Zenobia de Gellu Naum, notre interprétation de la seule œuvre surréaliste de la littérature roumaine

se base essentiellement sur les arguments critiques de Simona Popescu, d’Ion Pop et de Remy Laville. Mais l’interprétation de ce roman présuppose encore une conjonction avec les théories surréalistes, ésotériques ou littéraires et c’est pourquoi nous nous rattacherons aussi à des idées qui proviennent d’espaces culturels différents. Il s’agit en principe de clarifications autour de la

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question de la psychanalyse (Hermann Glaser, Sigmund Freud et l’âme du XXe siècle), du rapport institué entre le surréalisme et les sciences occultes (Jacky Cordonnier, Dérives religieuses.

Astrologie, Occultisme, Spiritisme. Nouvel Âge, Halloween, Sorcellerie, Satanisme), de

l’importance que les écrits d’Agrippa ont eu sur la Weltanschauung de Naum (Charles Nauert,

Agrippa et la crise de la pensée à la Renaissance), ou de la tension très forte posée par l’Histoire,

qui détermine des comportements inusités chez l’homme (Pierre Hadot, Le voile d’Isis). Comme le roman Zenobia a été publié en 1985, il n’est pas surprenant qu’il doive énormément à l’ironie postmoderne. C’est pourquoi nous discuterons les positions sur la question formulée dans la modernité récente par Michel Le Guern (Éléments pour une histoire de la notion d’ironie), par Laurent Perrin (L’ironie mise en trope: du sens des énoncés hyperboliques et ironiques) ou par Jean-François Lyotard (Le postmodernisme expliqué aux enfants).

L’objectif de notre troisième chapitre sera de clarifier de nouveau le statut du concept d’illumination comme attitude essentiellement occulte à l’égard des nouvelles théories scientistes ou psychanalytiques qui se sont lancées sur le marché des idées contemporaines du XXe siècle. À propos du sujet, notre principal outil à travers ce chapitre sera l’étude encyclopédique de Bernard Meheust, Somnambulisme et médiumnité, œuvre théorique dans laquelle nous découvrons à quel pont le débat autour de la question des phénomènes paranormaux est controversé et délicat. Les surréalistes pensent que par des techniques expérimentales, le rapport entre réalité et art peut être refondé. Pour cela, ils mènent une importante quête ésotérique en ayant comme but ultime l’intégration de figures complètement atypiques dans le tissu sensible de la création. Ce qui se passe en réalité, et Meheust l’affirme catégoriquement tout comme Yvonne Duplessis (dans l’étude que nous avons déjà mentionnée, Surréalisme et paranormal. L’aspect

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que la théorie de la connaissance issue du freudisme. Aussi, la vision totalement distincte de Meheust sur l’importance que joue le surréel dans l’œuvre surréaliste sera pour nous une référence permanente. Elle nous permettra d’établir quelles sont les connections et les croisements qui apparaissent entre les idées de Naum et le domaine ésotérique. Dans le même chapitre, nous nous intéresserons aux représentations courantes de l’ésotérisme dans l’espace occidental. Les formulations à propos du sujet de Jean Vernette (Occultisme, magie,

envoutements), d’Éliphas Lévi (Dogme et Rituel de la haute magie : Secrets de la magie), de

François Roustang (Qu’est-ce que l’hypnose?), de Raymond Ruyer (Paradoxes de la conscience

et limites de l’automatisme), de Gloria Flaherty (Shamanism and the Eighteenth Century) de

Léon Chertok et d’Isabelle Stengers (L’hypnose, blessure narcissique), de Paracelse (Livre des

rêves et des somnambules), ou de Cornelius Agrippa (De occulta philosophia) seront prises en

considération pour la formulation rigoureuse d’une point de vue critique sur l’impact des sciences occultes sur la pensée de Gellu Naum.

Les démarches théoriques qui seront présentées dans le quatrième chapitre de notre thèse concerneront surtout les branchements qui se formulent au début du XXe siècle entre littérature et peinture grâce au langage transgressif de l’avant-garde. En parlant de cette interaction féconde, nous utiliserons plusieurs études de littérature comparée ou d’art, qui mettent en parallèle les œuvres littéraires et picturales, comme c’est le cas notamment pour les livres illustrés.

Dans le contexte qu’implique ce quatrième chapitre, nous nous pencherons sur la question de l’image et de son sens par rapport à une peinture narrative (Victor Brauner) et à une

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Cuvantul scris si opera plastica (Victor Brauner. Le mot écrit et l’œuvre plastique) ce rapport

devient plus apparent. Parmi les idées de Petrov nous retenons son point de vue sur l’approche de Brauner vis-à-vis des superpositions possibles entre littérature et peinture. Ce qu’observe Mihaela Petrov en cartographiant les écrits de ce surréaliste, c’est que Brauner en tant que picto-

poète est un créateur multiple réussissant à unifier image et texte dans le cadre de son œuvre

plastique. Il propose donc un hypertexte puisque l’image et le mot fusionnent en signe. À partir de cette observation, nous tentons d’établir quelles sont les variantes de cet hypertexte, non seulement à travers l’œuvre plastique de Brauner, mais aussi par rapport à l’œuvre poétique de Naum qui combine elle aussi image et mot pour que les poèmes deviennent de grandes planches sur lesquelles se trouvent des idéogrammes permutables. C’est pourquoi nous utilisons quelques études, articles, monographies ou interviews de Sarane Alexandrian (Victor Brauner,

l’illuminateur), Didier Semin (Victor Brauner), Alain Jouffroy (Entretien avec Victor Brauner),

Daniel Bergez (Littérature et peinture), Yvonnne Duplessis (Le surréalisme en Roumanie), Yves Peyré (Peinture et poésie, Le dialogue par le livre 1874-2000) et Aline Smeesters (Mythes

d’Homère, mythe d’Orphée. Les méandres de l’interprétation).

Dans la dernière section de notre chapitre, nous présenterons quelques œuvres qui démontrent le gout de Naum pour la poésie réalisée dans les marges de la référence picturale. Nos extraits retiennent ce travail fébrile sur le potentiel visuel du langage littéraire surréaliste dans des volumes tels que Vasco da Gama and Other Pohems (1940), The

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Chapitre II

Le roman Zenobia et la question de la pensée illuminée