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La déconstruction et le renouvèlement du surréalisme, la voie occulte

Gellu Naum La voie du serpent, Médium

2. La déconstruction et le renouvèlement du surréalisme, la voie occulte

Dans son livre Le monde du surréalisme, Gérard de Cortanze constatait que « […] le surréalisme, tout comme l’hystérie, est au fond un état mental hors de tout système – délirant ou non –, où il perdure »131

130 Bertrand Méheust, Somnambulisme et médiumnité, Tome II, Le choc des sciences psychiques, Collection Les empêcheurs de penser en rond, 1999, pp. 498-499.

et que cette disposition libre facilite une récupération fondamentale de l’être par le biais d’une approche inaccoutumée dans l’imaginaire littéraire. À ce propos, on peut encore ajouter que Naum compare cet état mental dans un de ses poèmes au coup de bâton donné par le maître zen sur le dos ou les épaules de ses disciples afin de les réveiller quand ils s’endorment en méditant. Cet éveil souhaité est peut-être une des conditions majeures de la littérature avant-gardiste en général et de l’ésotérique en particulier. Nous nous situons donc dans un champ véritablement spirituel où convergent tous les liens qui composent l’état

transcendantal, un des attributs essentiels de l’œuvre et de la pensée naumienne.

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Même si l’on observe une certaine déconstruction du surréalisme dans Médium, on ne peut pas parler au juste d’une scission irrémédiable entre les approches avant-gardistes et ésotériques. À ce sujet, Yvonne Duplessis insiste (dans son livre Surréalisme et paranormal.

L’aspect expérimental du surréalisme, paru en 2002) sur le fait qu’« […] il semble arbitraire de

séparer, comme on le fait souvent, les expériences surréalistes et les recherches psychiques. Être surréaliste, c’est donc, de toute façon, ne plus se refuser à penser en métapsychiste (ou en parapsychologue). »132

132 Yvonne Duplessis, Surréalisme et paranormal. L’aspect expérimental du surréalisme, JMG éditions, Agnières, 2002, p. 241.

En fait, Yvonne Duplessis s’intéresse surtout à des aspects secrets du surréalisme en établissant que ce courant littéraire ne s’affirme pas seulement en tant que nouvelle théorie de la connaissance, théorie sociale ou révolution esthétique, mais plutôt en tant que nouvelle méthode qui fait appel à l’intuition, au rêve, à la magie, voire à des analogies et à des correspondances fondamentales du monde suprasensible qui fondent en fait la métapsychique. De même, on voit que selon Duplessis, les surréalistes aboutissent à la même conclusion que les romantiques, c’est-à-dire qu’ils considèrent l’univers comme un lieu mystérieux, imprégné de magie où les trois règnes de la nature sont étroitement entremêlés les uns avec les autres. Mais les surréalistes savent que par le biais des techniques expérimentales, le rapport entre la réalité et l’art peut être refondé. Pour cela, ils mènent une importante quête ésotérique en ayant comme but ultime l’intégration de figures complètement atypiques dans le tissu sensible de la création. Ce qui se passe en réalité, et Duplessis l’affirme elle aussi, c’est que le surréalisme nous ouvre un champ beaucoup plus vaste que la théorie de la connaissance issue du freudisme. On voit bel et bien que cette doctrine a « […] l’avantage de nous révéler de multiples aspects du moi et Breton se réfère explicitement, par l’intermédiaire de Myers, à un

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subliminal dont la complexité dépasse les limites de notre conscience ordinaire. »133

Contrairement à Breton (et à d’autres surréalistes, surtout marxistes), qui ont toujours fait un pas en avant puis un pas en arrière face aux pratiques ésotériques, Naum ne craint pas d’assumer cette posture controversée, même si cette prise de position est difficile à long terme. Mais il faut préciser que Breton, en marge de ses hésitations, a été souvent plus attiré par les phénomènes les plus étranges (comme la magie, la médiumnité ou le somnambulisme) que tout autre surréaliste européen. La fascination qu’exercent les phénomènes ésotériques est explicable. Dans l’espace culturel français, beaucoup d’écrivains voient l’univers comme un grand creuset mystérieux où les pouvoirs occultes se rejoignent. Peut-être que l’exemple le plus suggestif est celui de Baudelaire qui a exprimé l’unité d’une nature « […] où les parfums, les couleurs et les sons se répondent »

Ce

subliminal nous intéresse spécialement dans la mesure où il semble l’instrument le plus

important de Naum lorsqu’il essaye d’édifier un nouveau type de raison qui ait la puissance de mettre en place de nouvelles balises et qui, une fois découvertes, relèvent les possibilités de l’être humain par rapport à ce monde ésotérique.

134, idée poétique majeure du XIXe siècle, interprétée par Duplessis comme

une « […] quête d’un univers suprasensible, dont ces analogies, sont le reflet. »135

133 Yvonne Duplessis, op. cit., p. 243.

Cette orientation vers la reformulation de la conscience dans la modernité avait été influencée par les écrits de Bergson (Données immédiates de la conscience), de Freud (Études sur l’hystérie,

L’interprétation des rêves), et aussi de Breton qui appréciait surtout l’importance donnée par la

134 Charles Baudelaire, Les fleurs du mal, Correspondances, Calmann Levy, Paris, 1980, p. 92. 135 Yvonne Duplessis, op. cit., p. 39.

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psychanalyse aux zones profondes du psychisme (la découverte de la puissance du désir paraissait à Breton être à la base de toute description poétique).

Pour terminer ce rapide survol des influences de Naum, restons toutefois à André Breton dont il semble se réclamer, surtout lorsqu’il fonde son esthétique ésotérique. À cet égard, il faut noter qu’André Breton avait affirmé dans le récit L’amour fou, et Yvonne Duplessis le cite aussi, que « […] la plus grande faiblesse de la pensée contemporaine » vient de ce qu’elle se fonde sur le connu» et que « […] l’esprit n’est tenu en éveil et vivement sollicité par le besoin de se développer en présence des objets qu’autant qu’il reste en eux quelque chose de mystérieux et qui n’a pas encore été révélé. »136

L’affirmation est majeure et nous fournit un argument afin d’expliciter pourquoi Gellu Naum utilise des techniques qui aboutissent à des états modifiés de la conscience tels que l’hypnose, les dessins médiumniques, les états de voyance ou la présence du médium parlant. Il essaye tout simplement de s’éloigner de ce connu qui annule d’une certaine manière la beauté et le mystère du monde, dans une tentative de parler métaphoriquement d’un lointain secret de l’homme qui est pour lui aussi réel que son existence concrète dans le cadre d’une hiérarchie quelconque de la société. À partir de cette explication, on comprend aussi pourquoi Naum fait appel à des phénomènes toujours contestés tels que la clairvoyance, la télépathie ou la prémonition. Notre projet dans les pages qui suivent est de montrer que les notions avec lesquelles cet écrivain opère sont toutes choisies en tant qu’outils indispensables. À sa quête spirituelle vers une illumination désirée – illumination qui semble coïncider avec la découverte

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de la lucidité, faculté primordiale de l’homme qui lui facilite l’accès vers une autre dimension, où toutes ses aptitudes mentales sont chargées de sacré. Dans le cas de Médium, cela se fait par le biais de la méthode surréaliste, donc un choix poétique ou littéraire. Dans le cas de La voie du

serpent il s’agit bien plus clairement d’un discours ésotérique.