• Aucun résultat trouvé

1.4 – Des méthodes moins répandues et moins adaptées pour estimer et mesurer l'évaporation des petits plans d'eau

D'après une recherche rapide dans la littérature scientifique nous estimons que la mesure directe par les instruments contemporains et le calcul de l'évaporation par les formules mathématiques sont les méthodes dominantes dans le domaine d'étude de l'évaporation. Mais, à coté de ces deux méthodes, nous trouvons d'autres méthodes beaucoup moins répandues pour estimer et mesurer l'évaporation des plans d'eau ou même pour mesurer l'évapotranspiration des terrains cultivés. Pour cela, nous allons, dans cette partie, présenter ces méthodes en donnant des idées générales sur la date d'apparition de chaque méthode, quelques études effectuées en utilisant ces méthodes et les points forts et les points faibles de ces méthodes selon les chercheurs qui ont déjà les utilisées.

1.4.1 – La méthode des isotopes stables de l'Oxygène dix huit (18O) et du Deutérium (2H)

Cette méthode a été créée par Craig et Gordon (1965) pour estimer le bilan hydrologique, en général, et l'évaporation, en particulier, des plans d'eau. Elle a ensuite été modifiée et appliquée à divers systèmes lacustres par des auteurs ultérieurs (Dinçer, 1968 ; Zuber, 1983 ; Gonfiantini, 1986 ; Krabbenhoft et al., 1990 ; Gat et Bowser, 1991; Gibson et al., 1993 ; Gat, 1995).

Les équations d'équilibre des traceurs isotopiques 18O et 2H fournissent des informations hydrologiques indépendantes qui peuvent être utiles pour estimer l'évaporation et d'autres paramètres du bilan hydrique, comme cela a été démontré dans des études antérieures sur les plans d'eau (Dinçer, 1968 ; Gat, 1970 et 1981 ; Zuber, 1983 ; Gibson et al., 1993 ; Krabbenhoft et al., 1990 ; Mayr et al. 2007 ; Mügler et al. 2008).

Depuis l’apparition de cette méthode, plusieurs études l'ont comparée avec les méthodes précédentes afin d'en connaître son efficacité. Parmi ces études nous pouvons citer (Krabbenhoft et

al., 1990) qui ont utilisé la méthode des isotopes stables de l'Oxygène dix huit (18O) pour estimer

l'évaporation et l'échange d'eau souterraine avec les lacs au Canada ; (Gibson et al., 1993) qui ont estimé l'évaporation et le bilan hydrique d'un lac à l'aide de l'oxygène-18 et du deutérium ; (Saxena, 1996) qui a estimé l'évaporation d'un lac peu profond en Suède par cette méthode et (Saxena et al. 1999) qui ont fait une étude en utilisant la méthode des isotopes stables durant trois mois seulement (juillet, août et septembre).

En un mot, la théorie de la méthode isotopique est basée sur le fait qu'une masse d'eau évaporée s'enrichit dans sa composition en isotopes stables, et l'eau restante devient relativement plus riche en (1) Il est très important à noter que notre recherche bibliographique a basé principalement sur les références francophones et anglo-saxons. Donc, en ce qui concerne des travaux des chercheurs Japonais, Chinois, Allemands...etc, nous ne savons qu'une partie de leurs articles publiés en anglais ou en français.

oxygène 18 et en deutérium. Cet enrichissement peut être mesuré facilement et avec précision pour déterminer l'évaporation par la comparaison entre le pourcentage des isotopes stables pendant des dates différentes en utilisant une équation précise.

C. Kendall (2004) décrit le principe de cette théorie en disant : « When water vapor condenses

(an equilibrium fractionation), the heavier water isotopes (H218O and D2O) become enriched in the

liquid phase while the lighter isotopes (H216O and H2O) tend toward the vapor phase ».

Mayer et al. (2007) expliquent cet enrichissement d'espèces isotopiques lourdes par le fractionnement isotopique cinétique « Surface waters are affected by evaporation leading to

enrichment of heavy isotope species (2H, 18O) due to kinetic isotope fractionation. »

Les valeurs isotopiques stables sont habituellement exprimées en notation δ, où :

δ = (R échantillon / R standard - 1) * 1000 ... (9)

Avec : R comme le rapport de l'isotope lourd (par exemple, 18O et/ou 2H) à l'isotope léger (par exemple, 16O et/ou 1H). Toutes les valeurs des échantillons d'eau sont classiquement rapportées par rapport à la norme internationale VSMOW (Norme de Vienne)(1).

Une analyse de sensibilité de la méthode des isotopes (δ) a montré qu'il fallait faire attention à δ18O de la précipitation lors d'événements de forte précipitation(2), à δ18O de débit sortant pendant les périodes d'écoulement élevé et les périodes de changement rapide du volume du lac. Une sensibilité accrue pour les cas où la différence de δ18O entre l'arrivée d'eau et l'évaporation de l'eau a également été observée. L'accord entre les méthodes était moins bon dans les situations ci-dessus (Saxena et

al., 1999).

(1)Vienna Standard Mean Ocean Water (VSMOW) ou Eau océanique moyenne normalisée de Vienne désigne une composition isotopique normalisée de l'eau, utilisée dans la définition de l'échelle Kelvin et de l'échelle Celsius des températures. Cette composition a été définie par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), à Vienne (Autriche), en 1968. Malgré son nom trompeur, la VSMOW ne contient ni sel ni autres substances. Elle désigne une eau distillée pure avec une composition spécifique en isotopes de l'hydrogène et de l'oxygène censée représenter la composition isotopique moyenne de l'eau terrestre. L'eau distillée très pure selon le standard VSMOW sert de référence pour les analyses de précision sur les propriétés de l'eau et de norme de comparaison entre laboratoires métrologiques. Le standard VSMOW a été créé en 1967 par Harmon Craig et ses collaborateurs à la Scripps Institution of

Oceanography, University of California, San Diego, États-Unis, par le mélange d'eaux distillées en provenance d'eaux

océaniques recueillies en différents points du globe.

La composition isotopique de l'eau VSMOW est spécifiée pour chaque isotope par le rapport de son abondance molaire à celle de l'isotope le plus abondant ; elle est exprimée en ppm (parties par million).

Les rapports isotopiques de l'eau VSMOW sont définis comme suit :

2H/1H = 155,76 ± 0,1 ppm ; 3H/1H = 1,85 ± 0,36 x 10-11 ppm ; 18O/16O = 2 005,20 ± 0,43 ppm ; 17O/16O = 379,9 ± 1,6 ppm

Ce qui signifie, par exemple, que l'abondance de l'isotope 17O est 379,9/1 000 000 plus faible que l'isotope 16O, ou encore que ce dernier est 1 000 000/379,9 ≈ 2 632 fois plus abondant que l'isotope 17O (fr.wikipedia.org).

(2) Les variations isotopiques entre les différents événements de précipitation ont nettement dépassé les variations saisonnières. Une explication possible est un «effet de montant» tel que défini par Dansgaard (1964).

Durant les périodes d'humidité relative élevée, l'évaporation obtenue par la méthode isotopique peut être négative, ce qui implique de la condensation. Mais les résultats des autres méthodes pour les mêmes périodes montrent que l'évaporation est toujours positive mais sa valeur est faible. C'est le cas que nous trouvons dans l'étude effectuée par (Saxena et al., 1999).

L'isotope stable ne caractérise pas seulement les systèmes lacustres actuels, mais peut aussi fournir des données précieuses pour reconstruire les conditions hydrologiques passées, si l'on trouve des composantes sédimentaires bien datées qui ont directement enregistré la composition des isotopes de l'eau du lac (Mayr et al., 2007).

Bien que ce modèle puisse être efficace pour décrire le bilan hydrique annuel des lacs de grand volume dans les climats tempérés, qui ne subissent généralement que des variations saisonnières modérées du volume et de la composition isotopique, ils peuvent être moins appropriés pour décrire les lacs peu profonds des climats continentaux froids. Dans ce dernier cas, cela est dû à des conditions isotopiques et hydriques transitoires qui découlent de la saisonnalité des processus atmosphériques et hydrologiques (Gibson, 2002).

Un des points faibles de cette méthode est qu'elle est très coûteuse parce qu'elle nécessite des échantillons, en continu, de l'eau du plan d'eau à plusieurs profondeurs, de l'eau des cours d'eau entrant et sortant du plan d'eau, des précipitations et de l'humidité de l'air. De plus, de grandes variations isotopiques inter-sites ainsi que inter-annuelles sont observées pour les lacs peu profonds. En revanche, les lacs profonds présentent des valeurs isotopiques similaires et de faibles variations inter-annuelles (Mayr et al., 2007). Pour cela, cette méthode reste une alternative pour estimer l'évaporation des étangs mais elle n'est pas la méthode préférée pour réaliser ce genre d'études surtout pour ce type de plan d'eau.

1.4.2 – La télédétection et son rôle dans l'étude de l'évaporation et de l'évapotranspiration

Nous savons que la première application opérationnelle de la télédétection spatiale apparaît dans

les années 60 avec les satellites météorologiques de la série ESSA. Le lancement en 1972 du satellite ERTS (rebaptisé ensuite Landsat 1), premier satellite de télédétection des ressources terrestres, ouvre l’époque de la télédétection moderne. Le développement constant des capteurs (en augmentant leurs résolutions spatiales) et des méthodes de traitement des données numériques (et surtout l’augmentation de la puissance des ordinateurs) ouvre de plus en plus le champ des applications de la télédétection qui est devenue un instrument indispensable de gestion de la planète, et, de plus en plus, un outil économique(1).

Parmi les multiples applications des données de la télédétection, nous avons commencé à assister aux premières tentatives d'utiliser la télédétection pour estimer l'évaporation et l'évapotranspiration aux échelles régionales et globales. Selon notre recherche bibliographique, la première recherche scientifique utilisant la télédétection pour estimer l'évapotranspiration a été menée par Jackson et al. (1977).

Pendant les années 1980, des efforts de recherche internationaux sont faits en utilisant la température de surface et les données de télédétection dans plusieurs longueurs d'onde pour quantifier l'ET (Price, 1982 ; Seguin et Itier, 1983 ; Hope et al., 1986 ; Choudhury et al., 1986 et 1987 ; Seguin et al., 1989).

Dans les années 1990 et 2000, de nombreux modèles physiques et empiriques basés sur la télédétection ont été proposés pour estimer l'évaporation et l'ET.. Parmi ces types de modèle nous pouvons citer les trois types les plus répandus dans la littérature scientifique :

1. le type semi-empirique/statistique ''semi-empirical / statistical'' (Carlson et al., 1995) ;

2. le type physiquement / analytique "physically based / analytical" (Brutsaert et Sugita, 1991 ; Moran et al., 1994 et 1996 ; Anderson et al., 1997), des modèles récents de ce type ont été développés sur la base de l'équation de Penman-Monteith (Cleugh et al., 2007 ; Mu et al., 2007 ; Yuan et al., 2010 ; Mu et al., 2011) et celle de Priestley-Taylor (Fisher et al., 2008 ; Miralles et al., 2011) ;

3. le type numérique (Diak, 1990 ; Brunet et al., 1991 ; Diak et Whipple, 1993 ; Carlson et al., 1994) et beaucoup d'autres.

Bien que la télédétection puisse être un outil efficace pour capturer les variations spatiales et temporelles de la température de surface de l'eau dans les grands lacs (Ebaid and Ismail, 2010 ; Sima et al., 2013) et malgré tous les types de modèles basés sur les données satellitaires pour estimer l’évaporation et/ou l'ET (Boulard D., 2016), des études récentes ont montré de grandes incertitudes en ce qui concerne les résultats obtenus par ces modèles (Dirmeyer et al., 2006 ; Haddeland et al., 2011 ; Vinukollu et al., 2011 ; Chen et al., 2014). De plus, la différence entre les estimations des modèles de télédétection et les méthodes basées sur des données météorologiques collectées in situ peut arriver à 50 % des moyennes annuelles totales (Jiménez et al., 2011; Mueller

et al., 2011). Par exemple, une étude effectuée sur le réservoir d'Elephant au New Mexico a montré

une différence de la température de la surface de l'eau de 1.7 °C et une différence d'évaporation de 1.24 mm/j entre les images Aster et les mesures directes sur le terrain (Herting et al. 2004). Selon cette étude, nous avons un écart de 450 mm/an entre les mesures sur le terrain et les résultats des images Aster, cette différence est très loin d'être négligeable.

Pour conclure la brève présentation de la télédétection et de son rôle dans l'étude de l'évaporation, il convient de citer la même conclusion de Granger (2000) ; Cleugh et al. (2007) ; Allen et al. (2007 ) et celle de Hassan (2013). En fait, ils concluent leurs recherches en disant que les observations par télédétection peuvent généralement être utilisées pour estimer l'évaporation et plutôt l'ET instantanée à une faible résolution spatiale sur une région ou une échelle globale et la plupart des techniques actuelles d'estimation de l'ET basées sur la télédétection ne sont pas satisfaisantes pour soutenir une agriculture de précision ou une irrigation de précision pour chaque domaine agricole.

Nous pouvons ajouter à leurs conclusions que la télédétection, au moins actuellement, n'est pas adaptée pour estimer l'évaporation des petits plans d'eau comme les étangs. Pour cela, cette technique ne sera pas utile pour notre recherche.

1.4.3 – Le système d'eddy covariance (Eddy covariance system en anglais)

Le système d'eddy covariance est une méthode de mesure directe de l'évaporation de grandes surfaces d'eau libre (Stannard et Rosenberry, 1991 ; Assouline et Mahrer, 1993 ; Assouline et al., 2008 ; Tanny et al., 2008). Il permet une détermination des flux de surface en mesurant les fluctuations avec le temps de la vitesse verticale du vent, de la température de l'air et de l'humidité spécifique au-dessus de la surface des plans d'eau ou des terrains cultivés (Ikebuchi et al., 1988). Bien que la théorie de ce système ait été proposée par Swinbank (1951), l'instrumentation commerciale n'était disponible pour les mesures physiques réelles qu'à partir des années 1990s.

Le principe de fonctionnement de ce système repose sur la mesure des fluctuations de la vitesse verticale du vent et de la concentration de la vapeur d'eau à l'aide de capteurs sophistiqués à réponse rapide (typiquement dix fois par seconde) déployés à une hauteur précise au-dessus de la surface de l'eau (voir Photo. 3). La covariance entre les fluctuations de la vitesse verticale du vent et de la concentration de la vapeur d'eau est le flux vertical turbulent de vapeur d'eau (Sene et al., 1991 ; Assouline et al. 2008 ; Tanny et al. 2011).

Tous les systèmes d'Eddy covariance ont une empreinte associée définie comme la zone de vent contribuant à plus de 90% du flux mesuré. L'empreinte dépend d'un certain nombre de facteurs tels que la hauteur du capteur, la stratification thermique de la couche limite et la longueur de rugosité de la surface sous-jacente. Généralement, l'augmentation de la hauteur du capteur augmentera son empreinte. Le déploiement correct du système permet de s'assurer que l'empreinte du capteur se situe dans le champ physique recherché de la surface étudiée, assurant ainsi des conditions qui donnent lieu à un flux turbulent constant à hauteur (assurant ainsi l'égalité entre le flux turbulent et la vitesse d'évaporation) (Leclerc et Thurtell, 1990 ; Horst et Weil, 1992 ; Finn et al., 1996 ; Hsieh et al., 2000 ; Kormann et Meixner, 2001).

À coté de l'estimation de l'évaporation, le système d'Eddy covariance peut fournir souvent des estimations d'autres flux importants de la surface de l'eau comme celui de dioxyde de carbone et d'autres gaz (Lenters et al. 2013).

Le système d'Eddy covariance est considéré par l'OMM comme le plus fiable et le plus précis pour l'estimation directe de l'évaporation. Il est le mieux adapté aux observations spéciales à court terme (Ikebuchi et al., 1988 ; Assouline and Mahrer, 1993 ; Tanny et al., 2008) et il est utilisé dans plusieurs études pour évaluer la fiabilité des autres méthodes (Drexler et al., 2004 et Chen et al., 2014). Cependant, le matériel nécessaire pour ce système n'est pas largement disponible dans le commerce et peut avoir un coût prohibitif.

Malgré sa précision, Lenters et al. (2013) ont montré que ce système peut souffrir de quelques défauts. Par exemple, les plates-formes mobiles (telles que les bouées) sont problématiques pour le système qui doit être installé sur des plate-formes hautes et stables. De plus, ce système ne supporte pas la grêle. Tanny et al. (2008) ont montré que si le niveau d'eau du lac étudié est variable, la zone d'empreinte des capteurs va changer. Donc, des mesures erronées vont être enregistrées. De plus, si le plan d'eau est petit (comme le cas de la grande majorité des étangs français), l'empreinte des capteurs du système peut parfois s'étendre au-delà des limites physiques du plan d'eau (en fonction de la direction du vent et des propriétés du flux d'air). Dans ce cas, le flux mesuré serait un mélange de celui de la surface de l'eau et de la région environnante à l'extérieur du plan d'eau.

Pour conclure la présentation du système d'Eddy nous pouvons citer quelques études qui ont été réalisées en reposant sur ce système (Jung et al., 2010 ; Papale et Valentini, 2003 ; Rosenberry et

al., 2007 ; Zhou et al., 2008 ; Tanny et al., 2008 ; Mengistu et Savage, 2010 et Nordbo et al., 2011).

À la fin de cette recherche bibliographique qui nous a permis de classer les différentes méthodes utilisées pour étudier l'évaporation des plans d'eau en ordre chronologique, de montrer les points forts, les points faibles et la possibilité d'utiliser chaque méthode, nous avons insisté sur les mesures directes quotidiennes et les formules mathématiques qui calculent l'évaporation à partir des données météorologiques afin de mesurer et calculer l'évaporation de nos étangs d'étude.

Photo. 3 : Le système d'Eddy covariance.

CHAPITRE II

2 – LES ÉLÉMENTS DE LA RÉFLEXION : DE LA LIMNOLOGIE À LA