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I. Le cancer colorectal

5) Méthodes et modèles utilisés pour étudier le cancer colorectal

a.

Les études épidémiologiques permettent d’évaluer l’impact des facteurs environnementaux sur la survenue d’une maladie, comme le cancer colorectal, au niveau des populations. Il en existe deux types : les études rétrospectives et les études prospectives.

Les études rétrospectives sont également appelées études cas-témoins. Des sujets malades (cas) et des sujets sains (témoins) sont sélectionnés et des questionnaires vont permettre de chercher, dans chaque catégorie et de manière rétrospective, la présence ou l’absence du facteur d’exposition étudié.

Les études prospectives, appelées également études de cohortes, semblent plus adaptées pour évaluer les risques. Les sujets sont sélectionnés en fonction de leur exposition au facteur étudié (exposés vs non exposés) et sont suivis pendant une période déterminée, souvent très longue, au bout de laquelle on dénombre les cas de maladie dans chaque catégorie. Ce type d’étude permet de calculer le risque relatif c’est à dire le rapport entre l’incidence dans le groupe exposé sur l’incidence dans le groupe non-exposé au facteur de risque testé. Ce risque relatif est un nombre sans unité compris entre 0 et l’infini. Plus il est éloigné de 1, plus l’association entre la survenue de la maladie et la présence du facteur étudié est forte (Ancelle 2011).

Cependant, chaque étude va donner un risque relatif différent et parfois même contradictoire. C’est pourquoi les chercheurs utilisent un outil pour regrouper plusieurs études comparables et donner un résultat global : la méta-analyse. Ainsi, la méta-analyse semble être indispensable pour compiler les différents résultats des études épidémiologiques (Cucherat et al. 1997). Ce sont ces approches qui sont suivies par le WCRF et l’AICR afin de mettre en avant une association entre un facteur de risque et un type de cancer. Une fois l’association faite, elle doit être vérifiée dans des études expérimentales.

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-Etudes expérimentales du lien entre alimentation et cancer b.

En plus d’avoir compilé toutes les études sur de très nombreux cancers et l’alimentation, le rapport du WCRF/AICR de 2007 a apporté une classification de robustesse des différentes études expérimentales (WCRF/AICR 2007). Ainsi cette classification peut aider les chercheurs à réfléchir sur la pertinence des modèles utilisés vis-à-vis du risque chez l’homme. Ils ont ainsi catégorisé les études en 3 classes allant des études considérées comme les plus robustes vers celles considérées comme les moins robustes pour étudier le lien entre cancérogenèse et alimentation :

- Classe 1 : Les données in vivo provenant d’études chez des volontaires humains, provenant d’études chez des animaux modèles génétiquement modifiés (animaux KO ou transgéniques) ou provenant d’étude utilisant des rongeurs modèles de cancérogenèse afin d’étudier les processus de la cancérogenèse.

- Classe 2 : Les données in vitro provenant d’études utilisant des cellules humaines validées avec un animal modèle, provenant d’étude utilisant des cellules primaires humaines ou provenant d’étude utilisant des lignées cellulaires humaines.

- Classe 3 : Les données in vitro provenant d’études sur des cellules animales ou provenant de système d’étude mécanistique comme des enzymes ou des gènes isolés par exemple.

Stratégies de l’équipe PPCA

L’équipe PPCA est très attentive à avoir une approche globale du sujet en mêlant expérimentations animales et cellulaires. Les modèles animaux utilisés sont en cohérence avec les attentes du WCRF/AICR et la compréhension des mécanismes se fait à l’aide de modèles cellulaires en adéquation avec les modèles in vivo utilisés. Les collaborations avec le Centre de Recherche en Nutrition Humaine (CNRH, Clermont-Ferrand) et avec l’Institut Gustave Roussy (Paris) nous permettent de travailler chez des volontaires sains et de vérifier au niveau épidémiologique les hypothèses générées par les études menées avec les modèles animaux et cellulaires.

Les premières études de cancérogenèse de l’équipe, sur des modèles animaux, ont permis de valider l’association positive observée par les données épidémiologiques mais, également, d’identifier des biomarqueurs fécaux et urinaires associés à la promotion de la cancérogenèse colorectale (Pierre et al. 2003,2004,2006). L’identification de ces biomarqueurs permet de réaliser des études court-terme dans lesquelles de nombreux régimes (promoteurs ou protecteurs) sont testés. Les régimes les plus intéressants, en termes de stratégie de prévention par exemple, sont

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-sélectionnés afin d’évaluer leurs effets dans des études long-terme de cancérogenèse (Santarelli et al. 2010 ; Pierre et al. 2013). D’autre part, nous réalisons une démarche de complexification progressive des régimes alimentaires. Lorsqu’une nouvelle hypothèse est à tester, nous travaillons, dans un premier temps, avec des régimes enrichis en molécules purifiées puis, si l’hypothèse est confirmée, nous mettons en place des expérimentations avec des viandes rouges et des charcuteries similaires à celles consommées chez l’homme (ce qui est le cas dans le projet

SécuriViande : Chapitre 1 de la thèse).

Modèles animaux utilisés pendant la thèse c.

Les études pour vérifier l’effet d’un aliment sur l’initiation de la cancérogenèse sont très longues (environ 2 ans) et peu réalisées en pratique (Yang et al. 2008 ; Newmark et al. 2009). La plupart des études regardent l’effet d’un aliment sur la promotion de la cancérogenèse colorectale en initiant les animaux avec un cancérigène colique ou en utilisant des animaux génétiquement modifiés. Dans le cadre de ma thèse, j’ai travaillé sur deux modèles animaux me permettant de me placer à deux stades distinct de la cancérogenèse : le rat initié à l’azoxyméthane afin de regarder les lésions précancéreuses de type MDF et la souris Min me permettant d’être au stade tumoral.

Rats initiés à l’azoxyméthane (AOM)

Les rats (Fisher 344 dans le cadre de ma thèse) reçoivent une injection intra-péritonéale afin d’induire l’apparition de lésions précancéreuses (en 100 jours) ou de tumeurs (minimum un an)

(Femia and Caderni 2008). L’AOM est métabolisé par le foie en methylazoxymethanol qui va former

des ions methyl-carbonium CH3+, un électrophile qui provoque des mutations par mésappariements au niveau guanine - tyrosine de l’ADN. Les tumeurs induites par ce cancérigène ont beaucoup de caractéristiques histopathologiques communes avec les tumeurs humaines. La séquence de développement des lésions précancéreuses et des carcinomes est similaire et présente souvent une mutation sur le gène K-ras (30-60%). Cependant, ces tumeurs ne présentent que rarement une mutation sur le gène Apc malgré une accumulation de β-caténine cellulaire (Corpet and Pierre 2005). Deux types de lésions précancéreuses se développent à la suite d’une injection d’AOM : les ACF (foyers de cryptes aberrantes) et les MDF (foyers déplétés en mucine).

Les MDF ont été découvert il y a une dizaine d’années (Caderni et al. 2003). Ils se caractérisent, comme leur nom l’indique, par une production nulle ou restreinte de mucine, par des cryptes plus petites et par une distorsion de leur lumière (Femia et al. 2004) [Figure 10]. Bien que

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-beaucoup moins utilisés que les ACF, plusieurs arguments laissent à penser qu’ils prédisent mieux la cancérogenèse colique :

- 25 % des MDF présentent la mutation du gène Apc alors que les ACF ne présentent que rarement cette mutation (Femia et al. 2007; Perse and Cerar 2011). Pour rappel, la mutation

Apc est la plus fréquemment retrouvée chez l’homme.

- Les MDF sont beaucoup moins nombreux que les ACF dans le colon (environ 10 MDF pour plus de 100 ACF) ce qui est plus cohérent avec le nombre de tumeurs (Femia et al. 2004).

- Contrairement aux MDF (Caderni et al. 2003), les corrélations entre ACF et tumeurs ne sont pas toujours observées certainement dues à la forte hétérogénéité des ACF

(Magnuson et al. 1993; Zheng et al. 1999). Par exemple, l’acide colique augmente le nombre de

tumeurs et le nombre de MDF mais diminue le nombre d’ACF (Femia et al. 2004).

- Comme chez l’homme, on retrouve principalement des MDF et des tumeurs dans la partie distale du côlon alors que les ACF sont plus souvent retrouvés dans la partie médiane du côlon (Suzui et al. 2013).

Figure 10 : Identification de MDF à 5 (A) ou 11 (B) cryptes déplétées en mucine après 100 jours de régime expérimental (grossissement x32 au microscope)

Pierre et al. 2004

Souris génétiquement mutées pour le gène Apc : Souris Min

La souris Min (Mutiple Intestinal Neoplasia), mutée sur le gène Apc, est apparue en 1990 (Moser et al. 1990). Ces souris de souche C57BL6/J développent spontanément de nombreuses tumeurs vers 10 semaines, principalement localisées au niveau de l’intestin grêle (Su et al. 1992) [Figure 11]. C’est une mutation germinale non-sens au niveau du codon 850 qui permet l’inactivation du gène Apc, ce qui est également retrouvé chez les patients atteints de FAP et dans de nombreux cancers sporadiques. A contrario, les souris Min ne semblent pas avoir de mutations sur les gènes K-ras et p53 contrairement à ce qui est retrouvé chez l’homme (Corpet and Pierre 2005).

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-Figure 11 : Tumeur observée à la loupe (A) ou en coupe (B) retrouvée chez une souris Min après 45 jours de régime expérimental.

A : coloration au bleu de méthylène, grossissement x250 à la loupe. B : coloration à l’hémalun-éosine, grossissement x40 au microscope.

Pertinence des modèles animaux utilisés

Les caractéristiques principales de la cancérogenèse colorectale chez l’homme, le rat initié à l’AOM et la souris Min sont présentées dans le Tableau 2.

Hommes

(Cancer sporadique) Rat initié à l’AOM Souris Min Initiation de la

cancérogenèse Spontanée

Induite pas un cancérigène auquel l’homme n’est pas

exposé

Mutation germinale

Mutation initiatrice

principale Apc K-ras Apc

Localisation principale des

lésions/tumeurs Colon-Rectum Colon-Rectum Intestin grêle Durée de

développement de la cancérogenèse

> 10 ans MDF : 100 jours Tumeurs : 1 an 50 jours

Tableau 2 : Comparaison des principales caractéristiques de la cancérogenèse chez l’homme et dans les deux modèles animaux utilisés pendant la thèse.

Ce qui est comparable à la situation humaine est indiqué en vert, ce qui est différent en rouge.

Le Tableau 2 montre bien qu’aucun des deux modèles utilisés n’est parfait pour mimer ce qui se passe dans la situation humaine d’où l’importance d’utiliser ces deux modèles de manière complémentaire. De plus, une étude de corrélation réalisée sur 179 études a permis de mettre en évidence une bonne homogénéité entre les résultats provenant de ces deux modèles animaux

(Corpet and Pierre 2003). Dans le même sens, une méta-analyse, regroupant l’effet de plusieurs

agents protecteurs dans des études de récurrence d’adénome chez l’homme et dans des études

A B

500 µm 1 mm

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-avec ces deux modèles animaux, a montré qu’ils prédisaient globalement assez bien la cancérogenèse humaine (Corpet and Pierre 2005).

Modèles cellulaires utilisés pendant la thèse d.

Les lignées cellulaires couramment utilisées (HT-29, Caco-2, CMT93, …) sont issues de carcinomes et représentent donc un stade avancé de la cancérogenèse colorectale. Ainsi ces lignées ne correspondent pas aux stades de la pathologie abordés dans nos modèles animaux et notamment au début de la promotion. Afin de pallier ce manque, deux lignées cellulaires constituées de cellules de souris C57BL6 wild-type (Apc+/+) et de souris Min mutées sur le gène

Apc (ApcMin/+) ont été établies (Forest et al. 2003b). La caractérisation de la lignée cellulaire précancéreuse ApcMin/+ a permis de mettre en évidence que, comme attendu, la mutation augmentait faiblement l’expression de β-caténine, désorganisait le réseau d’actine [Figure 12], diminuait significativement la migration cellulaire et augmentait la capacité des cellules à former des clones en agar (Forest et al. 2003a).

Figure 12 : Différence de structure du réseau d’actine entre les lignées cellulaires normale Apc+/+

(A) et précancéreuse ApcMin/+ (B).

Marquage des noyaux en bleu par coloration au DAPI. En rouge, le réseau d’actine révélé avec un anticorps anti-phalloïdine par immunofluorescence (Forest et al. 2003a)

Les lignées cellulaires ainsi obtenues, en associant des cellules normales à des cellules précancéreuses, permettent de modéliser les stades précoces de la cancérogenèse colorectale et d’observer les conséquences de la mutation du gène Apc. Nous disposons ainsi d’un modèle cohérent avec nos modèles in vivo puisque cette mutation est présente au niveau de 25 % des MDF, de 33 % des tumeurs des rats initiés et dans toutes les tumeurs de la souris Min (Moser et al. 1990 ;Femia et al. 2007 ; Perse and Cerar 2011).

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-Ainsi, tester un composé sur les deux lignées cellulaires permet de déterminer s’il est plutôt promoteur ou protecteur. En effet, la sélection des cellules précancéreuses au détriment des cellules normales est interprétée comme un effet promoteur. A l’inverse la sélection des cellules normales est interprétée comme protecteur.

Afin d’être cohérent avec les modèles in vivo utilisés, nous choisissons au début de notre protocole avec quelle lignée cellulaire nous allons travailler :

- Dans les études utilisant le rat initié, nous utiliserons les deux lignées cellulaires et nous nous nous intéresserons au différentiel entre ces deux lignées puisque dans le modèle in

vivo, il y a coexistence de cellules normales et de cellules mutées pour Apc.

- Dans les études chez la souris Min, nous n’utilisons que les cellules ApcMin/+ puisque chez cette souris toutes les cellules sont mutées pour Apc.

- Enfin, lorsque nous testons une nouvelle hypothèse dans des expérimentations court-terme chez le rat non initié, nous étudions les mécanismes en n’utilisant que la lignée cellulaire Apc+/+ puisqu’in vivo les animaux n’ont que des cellules normales et pas de cellules mutées.