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1. L’étude du développement de la syntaxe

1.4. L’évaluation de la syntaxe

1.4.1. Méthodes

1.4.1. Méthodes

1.4.1.1. Expression

Analyse de corpus de langage spontané

Le recueil d’un échantillon de langage de l’enfant peut se faire en situation libre (productions de l’enfant en train de jouer) ou semi-dirigée (conversation sur un thème donné).

Des bases de données comme CHILDES (http://childes.psy.cmu.edu/) mettent à disposition des chercheurs un grand nombre de corpus, transcrits dans un système de codage standardisé (CHAT dans le cas de la base de données CHILDES). Des analyses quantitatives (calcul d’indices comme le LME longueur moyenne des énoncés) et des analyses qualitatives (nature et contexte d’apparition des erreurs par exmple) peuvent être effectuées.

Ce type d’analyses est effectué en recherche pour caractériser les productions des jeunes enfants concernant un principe linguistique particulier, de préciser la distribution des erreurs dans les différents contextes syntaxiques.

En clinique, des grilles d’analyse sont proposées dans certaines batteries d’évaluation du langage (par exemple dans le BEPL)

Avantages :

C’est une situation naturelle. Elle ne nécessite pas de donner des consignes explicites.

Cela procure un indicateur de la distribution naturelle des phénomènes syntaxiques. Des données longitudinales sont parfois disponibles.

Inconvénients :

Certains types de phénomènes syntaxiques sont très rarement produits spontanément. Des problèmes de transcription se posent, liés à des déformations phonétiques (surtout chez les jeunes enfants) ou à des ambigüités (é ou er ?). Enfin, l’analyse des données est coûteuse en temps (transcription et calcul d’indicateurs). Certains enfants très inhibés parlent peu.

Productions induites

Méthode : Il s’agit de faire produire par l’enfant un type de structure particulier. Pour cela, il faut créer un contexte qui soit compatible avec une seule formulation et qui soit de plus motivant pour l’enfant. Il peut s’agir par exemple d’une scène mimée devant l’enfant dans laquelle on lui demande d’intervenir en posant une question à l’un des personnages, ou en racontant à un tiers ce qu’il voit.

Ce type de tâche est principalement utilisé en recherche.

Avantages :

Cette tâche permet de contrôler la représentation conceptuelle que l’enfant doit essayer de traduire (contrairement aux analyses de productions spontanées où on ne peut jamais être certain que les énoncés produits correspondent à la représentation conceptuelle de l’enfant).

Une production correcte dans cette tâche ne peut être produite par hasard, elle reflète nécessairement la compétence syntaxique de l’enfant.

Inconvénients :

Il est difficile de trouver des situations qui induisent uniquement la construction linguistique que l’on veut étudier.

Cette tâche nécessite que l’enfant soit motivé (les productions attendues sont généralement difficiles pour lui) et donc que la pragmatique de la tâche soit bonne.

Exemple :

Crain & Nakayama (1987) étudient la formation de questions complexes contenant une proposition subordonnée avec le paradigme des productions induites. L’enfant doit poser des questions à Jabba (personnage extra-terrestre de la guerre des étoiles). Jabba est face à deux images, une sur laquelle un homme frappe un âne et l’autre sur laquelle un homme se tient à côté de deux ânes. L’expérimentateur donne alors la consigne suivante à l’enfant : « Ask Jabba if the man who is beating a donkey is mean. », la question attendue étant: «Is the man who is beating a donkey mean?”». La pragmatique de la tâche est bonne : Jabba vient d’une autre planète et peut donc ne pas comprendre ce qui se passe devant lui, il faut s’en assurer.

Les enfants de 3-4 ans et 4-5ans produisent fréquemment des erreurs du type :

« Is the man who is beating a donkey is mean ? »

“Is the man who is beating a donkey, is he mean?”

Les auteurs catégorisent et interprètent les erreurs commises par les enfants et celles qu’ils ne font jamais (Is the man who beating a donkey is mean ?) dans le but de déterminer si les enfants construisent les questions à partir d’une structure profonde.

Complètement de phrases

Méthode : La tâche consiste à faire compléter par l’enfant un début de phrase, soit à partir d’un modèle (Le garçon fait un dessin. Les garçons…) soit en donnant les éléments lexicaux (les garçons faire un dessin). On peut aussi présenter des supports visuels (images).

Cette tâche est utilisée dans plusieurs batteries d’évaluation du langage oral (L2MA, ELO)

Avantages :

On contrôle la structure que l’on veut faire produire ainsi que le contenu sémantique.

Cela permet de tester rapidement des phénomènes syntaxiques ciblés, comme les traits morphosyntaxiques (flexion verbale de temps, marques de genre et de nombre).

Inconvénients :

Cette méthode est difficilement applicable avec de jeunes enfants.

Certains phénomènes syntaxiques sont difficiles à induire (questions, passives…)

Exemple :

Franck et al (2004) ont étudié l’accord sujet verbe en nombre en français, plus particulièrement l’effet d’interférence induit par un élément interposé entre le nom sujet et le verbe. Pour cela ils ont utilisé le paradigme de complètement de phrases. Les enfants doivent compléter oralement des débuts de phrases illustrées par des images.

« Le cuisinier des délicieux restaurants FAIT des gâteaux. »

« Le pâtissier, en attendant les clients, FAIT des gâteaux. »

*« Le cuisinier des délicieux restaurants FONT des gâteaux.»

* « Le pâtissier, en attendant les clients, FONT des gâteaux. »

Les auteurs analysent la fréquence des erreurs d’accord selon que l’interférent fait ou non partie du syntagme nominal sujet et comparent les résultats d’enfants sains et TSL.

Imitation

Méthode: On demande à l’enfant de répéter des énoncés produits oralement. La nature des erreurs permet d’inférer la manière dont l’enfant traite ce genre de phrases.

Les enfants peuvent omettre une partie de la phrase, modifier sa structure. Il s’agit alors d’analyser quelles sont les caractéristiques des mots ou des syntagmes omis, la nature des modifications.

On distingue les erreurs avec et sans préservation du sens.

Plusieurs batteries d’évaluation du langage incluent des tâches de répétition d’énoncés (ELO, NEEL).

Avantages :

On contrôle parfaitement les structures dont on veut évaluer la production.

C’est une tâche simple, dont la passation est rapide.

On peut étudier des constructions syntaxiques que l’enfant produit rarement spontanément.

Inconvénients :

Cette tâche mobilise à la fois le versant réceptif et productif, sans toujours permettre de distinguer à quel niveau se situent les erreurs.

La profondeur des traitements effectués lors d’une tâche d’imitation est controversée : les sujets construisent-ils ou non une représentation syntaxique et sémantique de la phrase ? Cette tâche fait aussi intervenir les capacités mnésiques, ce qui rend parfois les résultats difficilement interprétables.

Crain et Thornton(1998) estiment de plus que le fait que les phrases soient présentées hors contexte rend la tâche très artificielle. Ainsi la phrase « The bear said that the turtle tickled the horse. » présuppose qu’un ours, une tortue et un cheval ont été précédemment introduits dans le contexte (articles définis). Les sujets doivent donc en construire une représentation mentale pour produire la phrase, ceci pouvant être source de différences entre enfants et adultes.

1.4.1.2. Compréhension

Jugement de la valeur de vérité d’une phrase

Méthode : On présente une scénette à l’enfant puis on lui propose un énoncé décrivant la situation et il doit dire si celui-ci est vrai ou non. Souvent c’est une marionnette qui propose la phrase à juger, les enfants ayant du mal à juger que ce que dit un adulte est faux.

Cette tâche permet de tester quelles sont les interprétations possibles d’un énoncé pour l’enfant. On peut ainsi étudier si l’enfant interprète une phrase différemment des adultes (exemple : relative interprétée comme proposition coordonnée), s’il admet une seule interprétation quand deux sont possibles pour l’adulte (exemple : négations dans une phrase contenant un quantifieur) ou au contraire s’il admet plusieurs interprétations quand une seule est possible pour l’adulte (exemple : attribution de la référence pronominale). C’est une tâche utilisée en recherche essentiellement.

Avantages :

Cette tâche permet d’évaluer de nombreux phénomènes syntaxiques.

Elle permet de contrôler les représentations sémantiques et les constructions linguistiques.

Elle permet d’évaluer les différentes significations que l’enfant attribue à certains énoncés.

Inconvénients :

L’enfant peut parfois répondre au hasard.

La durée de la tâche réduit le nombre d’items testés par séance.

Exemple :

Musolino, Crain et Thornton (2000) ont utilisé cette tâche pour étudier la compréhension de la négation chez l’enfant. Chez l’adulte la phrase (1) « Le stroumpf n’a pas attrapé deux

oiseaux. » peut avoir deux significations : soit le stroumpf a attrapé un nombre d’oiseaux différent de 2, soit il y a deux oiseaux que le stroumpf n’a pas attrapé. On présente à l’enfant différents scénarii correspondant aux différentes significations et il doit dire pour chacun si la phrase (1) est vraie ou non. Les résultats montrent que les enfants de 4 ans acceptent la première signification mais rejettent la seconde, contrairement aux adultes qui acceptent les deux.

Appariement phrase-image

Méthode : l’enfant doit désigner parmi plusieurs images celle qui correspond à l’énoncé proposé. On peut faire varier le nombre et la nature des distracteurs. L’énoncé peut être présenté à l’enfant lorsqu’il a les images sous les yeux ou avant. Cette tâche est utilisée par plusieurs batteries d’évaluation du langage (ECOSSE, ELO, NEEL).

Avantages :

Cette tâche ne demande pas de réponse verbale, on peut donc l’utiliser avec des enfants qui ne parlent pas ou ont d’importantes difficultés en production.

C’est une tâche simple et assez rapide.

Avec des distracteurs correctement choisis, une analyse qualitative des erreurs permet d’inférer la manière dont l’enfant traite la phrase.

Inconvénients :

Certains phénomènes syntaxiques sont difficilement imageables (flexion verbale de temps).

Les images disponibles ne sont pas toujours très lisibles.

Plusieurs processus sont en jeu :

• dans le cas où l’enfant entend l’énoncé avant de voir les images, il doit construire une représentation et la maintenir en mémoire, puis comparer la représentation élaborée avec les images proposées ;

• dans le cas où il a les images sous les yeux en entendant l’énoncé, il peut initier une réponse trop rapidement, avant d’avoir complètement traité la phrase (sur la base d’éléments lexicaux par exemple).

Acting-out

Méthode : L’enfant doit mimer un énoncé proposé oralement, éventuellement à l’aide d’objets mis à sa disposition. En analysant la nature des erreurs commises par les enfants, on essaie d’identifier quelle représentation de la phrase construisent les enfants.

Avantages :

Cette tâche évalue la compréhension sans exiger de réponse verbale.

Cette tâche convient bien pour les verbes d’action, les relations temporelles.

C’est une situation généralement ludique, motivante pour l’enfant.

Inconvénients :

Cette tâche fait intervenir des processus exécutifs (planification motrice…) qui peuvent constituer une limitation chez les jeunes enfants pour les énoncés complexes.

Exemple :

Trueswell, Sekerina, Hill et Logrip (1999) étudient la compréhension d’une phrase conduisant à une impasse syntaxique (kindergarten-path effect) chez des enfants de 5 ans et des adultes.

La tâche consiste à exécuter la consigne donnée par l’expérimentateur.

Put the frog on the napkin in the box. (Ambiguë)

Put the frog that’s on the napkin in the box. (Sans ambiguïté)

Les enfants effectuent l’action correcte dans la condition non ambiguë mais échouent dans la condition ambiguë. Les adultes réalisent l’action correcte dans les deux cas. Les auteurs concluent que les enfants de 5 ans ne sont pas capables de réviser leur première interprétation en cas d’ambiguïté syntaxique temporaire, contrairement aux adultes. Dans ce cas Crain en modifiant le dessin expérimental a montré que la différence entre enfants et adultes est liée au fait que les enfants initient immédiatement le plan d’action et ne peuvent l’inhiber. En leur faisant entendre la phrase dans un premier temps avant de les mettre face aux objets, ils réussissent aussi dans la condition ambiguë.

Jugement de grammaticalité

Méthode : Il s’agit de présenter des énoncés au sujet qui doit se prononcer sur leur correction grammaticale (indépendamment de leur sens).

Avantages :

Cela permet d’isoler la compétence syntaxique de la composante sémantique (on n’évalue pas sa compréhension de la phrase).

Cela permet éventuellement de confronter l’enfant à des erreurs qu’il commet.

Inconvénients :

Cette tâche ne peut pas être proposée aux jeunes enfants (moins de 5/6 ans).

Cette tâche fait intervenir des capacités métalinguistiques ; le sujet doit dissocier les niveaux sémantique et syntaxique. Si la réponse est correcte, on peut conclure que les enfants possèdent la compétence évaluée. Par contre si la réponse est incorrecte, on ne peut pas conclure : est-ce un problème de compétence syntaxique ou de capacités métalinguistiques ? Ainsi, selon Comblain (2005) : « Il semble que les enfants peuvent ne pas repérer des erreurs portant sur des aspects de la langue qu’ils maîtrisent par ailleurs au niveau de la production et de la compréhension. »

Enfin, il est difficile d’éviter les indices prosodiques (il est difficile de d’obtenir une prosodie correcte avec certaines structures agrammaticales).

Regard préférentiel

Méthode : on place l’enfant face à plusieurs images (en général 2) et on lui fait entendre un énoncé, correspondant à l’une des images. On mesure le temps de regard sur chaque image.

L’enfant regarde plus longuement l’image correspondant à l’énoncé.

Ce type de tâche est utilisé essentiellement en recherche.

Avantages :

Cette tâche permet d’évaluer de jeunes enfants (avant 2 ans). Elle ne demande pas de réponse verbale, ni d’action.

Inconvénients :

Cette tâche est coûteuse en temps, ce qui limite le nombre d’items présentés.

L’analyse des résultats est longue (mesures sur les enregistrements vidéo).

Exemple :

Crain et Thornton (1998) présentent une expérience de Hirsh-Parsek utilisant ce paradigme avec des enfants de 3,2 à 3,4 ans. Le principe testé est le principe B de la théorie du liage (un pronom personnel ne peut avoir son antécédent dans son propre domaine syntaxique).

L’enfant entend une phrase et est face à deux écrans, l’un présentant une situation conforme au principe B, l’autre présentant une situation en violation du principe B.

« Look at Cookie Monster and Big Bird! Cookie Monster is turning him”. Deux images illustrent l’une une interprétation correcte (him a pour antécédent Big Bird), l’autre une interprétation incorrecte (him a pour antécédent Cookie Monster).

Le temps moyen de regard des enfants est supérieur sur l’image correspondant à l’interprétation correcte dans la grammaire adulte. Les auteurs concluent que les enfants connaissent le principe B dès l’âge de 3 ans.

Mesures indirectes

Méthode : On peut mesurer des variables comme la trajectoire du regard ou le temps de réaction au cours du traitement d’un énoncé.

Ce type de tâche est utilisé essentiellement en recherche.

Avantages:

Cette tâche permet d’évaluer le traitement de l’énoncé en temps réel.

Inconvénients :

Ces méthodes nécessitent des moyens techniques (possible en recherche uniquement).

Ces mesures ne permettent pas d’évaluer les représentations construites par l’enfant; elles doivent être complétées par une évaluation directe.

Exemple :

Marinis et Van der lely (2007) utilisent ce type de mesure pour étudier le traitement de phrases comportant une opération de mouvement. Les sujets entendent une phrase suivie d’une question : Balloo gives a long carrot to the rabbit.

Who did Balloo give the long carrot to t at the farm?

Une image (représentant l’antécédent ou sans lien avec l’énoncé) apparait à différents stades de l’énoncé selon les essais (au niveau du verbe ou de la trace t). Les enfants doivent appuyer le plus rapidement possible sur un bouton selon le caractère animé ou non de ce que l’image représente. On s’assure qu’ils traitent aussi l’énoncé en leur demandant de répondre à la question posée.

Résultats : les enfants TSL, montrent une facilitation quand l’image de l’antécédent est présentée au moment du verbe mais pas de la trace, contrairement aux enfants sans trouble du

langage. Les auteurs en concluent qu’il n’y a pas de réactivation de l’antécédent au niveau de la trace chez les enfants TSL, contrairement aux enfants sans trouble du langage.