C. Le foie, une cible privilégiée des xénobiotiques toxiques
2. Le métabolisme des xénobiotiques
Le métabolisme des xénobiotiques a tout d’abord un rôle protecteur vis-à-vis des
xénobiotiques et est classiquement décrit en quatre phases, selon les enzymes utilisées. La
phase 0 correspond à l’entrée des xénobiotiques dans la cellule, permettant sa prise en charge
par divers systèmes enzymatiques. Les enzymes de phase I, ou de fonctionnalisation,
permettent une oxydation, réduction ou hydrolyse d’une molécule afin de faciliter
l’intervention des enzymes de phase II, ou de conjugaison, permettant de greffer des
groupements polaires aux xénobiotiques. Enfin, les enzymes de phase III interviennent dans le
transport de ces composés, permettant leur efflux à travers les membranes cellulaires
(Omiecinski et al. 2011; Almazroo et al. 2017) (Figure 13).
Bien que certaines molécules mères soit directement hépatotoxiques, ce sont généralement les
métabolites de ces composés qui conduisent à une hépatotoxicité. Ainsi, les facteurs altérant
les capacités métaboliques ont été décrits comme pouvant augmenter la toxicité d’un
composé, soit en réduisant sa conversion en composé non toxique, soit en augmentant sa
conversion en métabolite toxique.
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Dans certains cas, la saturation de voies métaboliques majeures peut mener à une
augmentation du métabolisme par des voies mineures toxifiantes. Ces mécanismes expliquent
en partie pourquoi certains médicaments comme le paracétamol sont non toxiques à dose
thérapeutique mais deviennent toxiques lors d’une ingestion de fortes doses (James et al.
2003).
Figure 13 : Vue d'ensemble du métabolisme des xénobiotiques (Petzinger et Geyer 2006)
a) La phase 0
La phase 0 est primordiale dans la prise en charge d’un xénobiotique, puisqu’elle conditionne
l’entrée de ce dernier au niveau intracellulaire. Bien que le transport de xénobiotique soit
majoritairement hépatique, il est également retrouvé au niveau des reins, glandes surrénales et
poumons. En particulier, les molécules chargées ou solubles dans l’eau doivent passer les
barrières phospholipidiques membranaires, nécessitant l’action de transporteurs. Au cours de
la phase 0, ces transporteurs d’influx appartiennent à la famille des Solute Carrier (SLC)
(Petzinger et Geyer 2006; Döring et Petzinger 2014) (Figure 13). Les transporteurs SLC
comptent 52 familles pour 395 transporteurs, et assurent l’entrée par diffusion facilitée par
uniports ou secondairement actifs par symports dans l’hépatocyte. Les différents membres de
cette famille se distinguent notamment par la nature des xénobiotiques transportés (Döring et
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Petzinger 2014). Ainsi, la famille des Organic Anion Transporting Polypeptides (OATP)
assure le transport d’anions organiques de haut poids moléculaires (> 300 g/mol) et certains
cations comme les amanitines. L’Organic Anion Transporter 3 (OAT3) assure quant à lui le
transport d’anions organiques comme les anti-inflammatoires non stéroïdiens. Enfin, les
Organic Cation Transporters (OCT) assurent le transport de cations comme le tramadol.
Chaque organe exprimant des sous-types de transporteurs d’influx différents, une
pré-sélection s’opère dans le ciblage des xénobiotiques pour certains organes. Dans le cas des
amanitines, la prise en charge de ces toxines par les transporteurs OATP1B1 et OAPT1B3
rend le foie particulièrement ciblé, lui seul exprimant ces sous-types (Walton 2018).
b) La phase I
Le métabolisme de phase I est pris en charge par plusieurs systèmes enzymatiques
comprenant des monooxygènases à cytochromes P450 (CYP), des monooxygénases
flavine-dépendantes, des monoamines-oxydases, des cyclooxygénases, des dihydrodiol
deshydrogénases, des aldo-kéto réductases (AKR), des époxydes hydrolases (EPH), des
NAD(P)H quinone oxydoréductase (NQO), des alcool deshydrogénases (ADH), et des
aldéhyde deshydrogénases (ALDH) (Evans et Relling 1999). Parmi ces différentes voies, la
plus notable reste celle des CYP, intervenant dans la détoxification et la toxification de très
nombreux composés. Les réactions de fonctionnalisation incluent des N- et O-dealkylation,
hydroxylations aromatiques et aliphatiques, N- et S-oxydation et déaminations.
Les CYP sont des monooxygénases avec un hème-thiolate, de poids moléculaire entre 50 et
60 kD catalysant des biotransformations oxydatives. Ces protéines membranaires sont situées
dans le réticulum endoplasmique, et utilisent le NADPH comme co-facteur donneur
d’électrons. Les CYP sont encodés par la superfamille des gènes CYP, et classifiées en 18
familles et 44 sous-familles (Zanger et Schwab 2013). Le tableau 1 présente les trois
principales familles de CYPs (1, 2 et 3) impliquées dans le métabolisme des xénobiotiques.
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Tableau 1 : Représentation des trois familles de gènes impliquées dans la métabolisation des
xénobiotiques (Testa et Clement 2015).
L’expression de chaque CYP est influencée par une combinaison de mécanismes et facteurs
incluant le polymorphisme génétique, l’induction par les xénobiotiques, la régulation par les
cytokines, hormones et états pathologiques, ainsi que l’âge ou le sexe (Zanger et Schwab
2013).
a. La famille des CYP2
La famille des CYP2 regroupe des isoformes très impliquées dans la métabolisation des
xénobiotiques. De manière intéressante, les gènes appartenant à cette famille sont hautement
polymorphiques, en particulier le CYP2A6, 2B6, 2C9, 2C19 et 2D6. Le CYP2E1, seul
membre de la famille des CYP2E, présente une préférence pour des substrats de petits poids
moléculaires, comme l’éthanol, le paracétamol, l’acétone ou l’halothane (Zanger et Schwab
2013). Il est par ailleurs inductible par nombre d’entre eux, notamment l’éthanol, par des
régulations transcriptionnelles, traductionnelles et post-traductionnelles.
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Ainsi, bien que l’alcool deshydrogénase (ADH) soit l’enzyme majoritaire du métabolisme de
l’éthanol, le CYP2E1 joue un rôle plus important lors de fortes concentrations ou
consommations chroniques due à son induction (Caro et Cederbaum 2004). A ce jour, il
semblerait que la stabilisation de la protéine soit d’avantage impliquée dans l’augmentation de
l’activité du CYP2E1 après une exposition à l’éthanol, plutôt qu’une augmentation de l’étape
transcriptionnelle (Song 1995).
b. La famille des CYP3A
La sous-famille des CYP3 humains est probablement la plus impliquée dans le métabolisme
des xénobiotiques, et comprend quatre membres : les CYP3A4, CYP3A5, CYP3A7 et
CYP3A43.
Les niveaux d’expression du CYP3A4 varient jusqu’à un facteur de 60 entre des échantillons
de microsomes hépatiques humains, notamment du fait de phénomènes d’inductions
enzymatiques. Dans ce dernier cas, les niveaux de CYP3A peuvent atteindre 50% de la
quantité totale des CYP hépatiques (Wrighton et al. 1996). Ces phénomènes d’induction
enzymatiques sont bien décrits dans la littérature, et importent grandement du fait du risque
d’interactions médicamenteuses associé. Parmi les principaux inducteurs présents en
thérapeutique figurent les antiépileptiques de première génération (carbamazépine,
phénobarbital, phénytoïne) et la rifampicine (Liu et al. 2007). A l’inverse, cet isoenzyme est
également sujette aux inhibiteurs enzymatiques, également nombreux parmi les médicaments,
regroupant notamment les macrolides, les antifongiques azolés, les inhibiteurs de protéase,
l’amiodarone ou encore l’acide valproïque (Liu et al. 2007).
Le rôle des isoformes CYP3A5 et CYP3A7 est moins décrit dans la littérature. Cependant, il
est rapporté que le CYP3A5 n’est retrouvé que dans 20 à 25% des microsomes hépatiques
humains (Wrighton et al. 1996). En effet, sa localisation majoritairement extra-hépatique, à
savoir rénale, pulmonaire, prostatique, sénologique et leucocytaire, suggère un rôle
physiologique prépondérant dans ces organes (Lamba et al. 2002). Enfin, l’isoforme CYP3A7
est principalement présente dans le foie fœtal, son expression diminuant après la naissance,
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Enfin, le rôle du CYP3A43 reste peu caractérisé chez l’homme, mais aurait une
significativité clinique du fait des variations génétiques (Wright et al. 2019). Ainsi, Bigos et
al. (2011) ont montré son implication dans le métabolisme de l’olanzapine, l’expression d’un
variant hautement actif expliquant des réponses cliniques diminuées (Bigos et al. 2011).
c. Les alcools deshydrogénases (ADH)
L’alcool deshydrogenase (ADH) cytosolique est l’enzyme majoritaire responsable du
métabolisme oxydatif de phase I de l’éthanol, produisant de l’acétaldéhyde et du NADH (cf
métabolisme de l’éthanol, page 68) (Cederbaum 2012). Cette enzyme est principalement
exprimée par les hépatocytes, mais est également retrouvée dans le tractus gastro-intestinal,
les poumons et les reins (Crabb 1995; Edenberg 2000). Chez l’homme, sept gènes (ADH1 à
ADH7) codent respectivement pour différentes sous-unités d’ADH (α, β1, β2, β3, γ1, γ2, π, χ,
σ, et μ) (Cederbaum 2012). Ces sous-unités s’assemblent par paire pour former des
isoenzymes classifiées en cinq classes (ADH classe I à ADH classe V), en fonction de leurs
propriétés enzymatiques (Crabb 1995).
L’ADH de classe I (formée par les sous-unités encodées par les gènes ADH1, ADH2 et
ADH3) jour un rôle crucial dans le métabolisme de l’éthanol. Bien que des polymorphismes
de l’ADH aient été décrits, ils ne semblent pas reliés à une pathologie particulière liée à
l’éthanol. En revanche, certains génotypes d’ADH ont été associés à des différences dans les
consommations d’alcool; les sujets ayant l’allèle de l’isoforme ADH2*2 (enzyme hautement
active) présentent un risque diminué d’alcoolisme (Borràs et al, 2000). Quelques chercheurs
ont également rapporté une élimination de l’éthanol plus lente à jeun, comparé à un état
nourri, du fait d’une diminution des niveaux d’expression d’ADH (Cederbaum 2012).
d. Les aldéhydes deshydrogénases (ALDH)
Chez l’homme, la superfamille des enzymes aldéhyde deshydrogenase (ALDH)
NAD+-dépendant est codée par 16 gènes. Les isoenzymes ALDH1 (cytosolique) et ALDH2
(mitochondriale) sont les principales impliquées dans le métabolisme de l’éthanol (Vasiliou et
Pappa 2000).
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Contrairement à l’ADH, les polymorphismes apparaissent ici comme ayant une grande
influence sur l’activité des ALDH. L’allèle ALDH2*1,connu pour coder un variant très actif,
est considéré protecteur contre les pathologies hépatiques liées à l’alcool, tandis que l’enzyme
codée par l’allèle ALDH2*2 est inactive (Cederbaum 2012). Egalement, la consommation
chronique d’éthanol est connue pour diminuer l’activité de l’ALDH et donc augmenter les
concentrations d’acétaldéhyde (Lin et al. 1984).
c) La phase II
Le métabolisme de phase II joue également un rôle important dans la biotransformation des
substrats, qu’il s’agisse de substances endogènes ou de xénobiotiques. En effet, il permet
l’ajout de groupements hydrophiles, par conjugaison, facilitant ainsi l’excrétion de ces
substances Ces réactions incluent la glucuroconjugaison, la sulfoconjugaison, la méthylation,
l’acétylation, ainsi que la conjugaison au glutathion ou aux acides aminés (Jancova et al.
2010).
a. Les uridine-diphosphate-glucuronosyltransférases
(UGT)
Les glucuronidations par l’intermédiaire des uridine-diphosphate-glucuronosyltransférases
(UGT) représentent la source majeure de détoxification de phase II chez les vertébrés. Chez
l’homme, 40 à 70% des médicaments commercialisés sont sujets à des réactions de
glucuronidations. Ces enzymes catalysent le transfert de l’acide D-glucuronique à partir de
l’acide uridine 5’-diphospho (UDP)-glucuronique, formant des dérivés O-, N-, S-, ou
C-glururonides (Wells et al. 2004).
Quatre familles d’UGT ont été identifiées chez l’homme : UGT1, UGT2 (divisé en
sous-familles UGT2A et UGT2B), UGT3 et UGT8. Cependant, seules les UGT1 et UGT2 sont
connues comme impliquées dans la glucuronidation des xénobiotiques. Parmi les 22 UGT
retrouvées dans l’espèce humaine, la plupart sont largement distribuées dans l’organisme,
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b. Les sulfotransférases (SULT)
Les sulfotransférases (SULT) sont des enzymes cytosoliques catalysant le transfert d’un
groupement sulfonate à partir d’un sulfate actif, le 3’-phosphoadenosine 5’-phosphosulfate
(PAPS) sur un composé contenant un groupe hydroxyl ou amine (Suiko et al. 2017). Chez
l’homme, quatre familles de SULT sont décrites : SULT1, SULT2, SULT4, SULT6. La
famille des SULT1, compte huit membres (1A1, 1A2, 1A3/4, 1B1, 1C2, 1C3, 1C4, 1E1) et
est considérée comme étant la plus impliquée dans le métabolisme des xénobiotiques, en
particulier SULT1A1 et SULT1B1.
Egalement, les sulfatations jouent un rôle clé dans les voies endocrines, étant donné que les
stéroïdes, stérols, hormones thyroïdiennes et catécholamines existent sous forme
sulfoconjugués (Coughtrie 2016). Enfin, les SULT et les UGT métabolisent fréquemment les
mêmes substrats, formant ainsi une coopération efficace dans la détoxification des
xénobiotiques.
c. Les glutathion S-transférases (GST)
Les glutathion S-transférases (GST) sont des enzymes dimériques codées par trois familles de
gènes (désignés transférases cytosoliques, microsomales et mitochondriales) protégeant
l’organisme contre le stress oxydant ou encore certains xénobiotiques toxiques électrophiles.
A cette fin, elles forment des conjugués avec le γ-L-Glutamyl-L-cystéinylglycine (GSH).
Les GST cytosoliques sont très largement distribuées dans l’organisme, et divisées en
plusieurs familles selon leurs propriétés chimiques, physiques et structurelles (α, ζ, θ, μ, π, σ
et ω). Elles réalisent la plupart de ces réactions de conjugaison et sont majoritairement
localisées dans le foie, les poumons et les reins (Oakley 2011; Allocati et al. 2018).
Egalement, de nombreux xénobiotiques, incluant le phénobarbital, la coumarine, ou la
dexamethasone ont été rapportés comme inducteur des GST (Higgins et Hayes 2011).
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d) La phase III
La phase III, introduite dans la communauté scientifique en 1992, correspondant à la phase
d’excrétion des xénobiotiques ou de leurs métabolites. A cette fin, des transporteurs
membranaires d’efflux sont empruntés, appartenant majoritairement à la famille des
ATP-binding cassette (ABC) (Döring et Petzinger 2014). Au niveau hépatique, ces transporteurs
ABC sont soit canaliculaires, soit baso-latéraux (Figure 14).
Figure 14 : Vue d'ensemble des mécanismes d'excrétion du métabolisme de phase III (Köck et
Brouwer 2012).
Les transporteurs d’efflux canaliculaires assurent l’excrétion des xénobiotiques et/ou de leurs
métabolites dans la bile, permettant une élimination dans les selles. Ces transporteurs
appartiennent majoritairement à la superfamille des ABC ATP-dépendant, regroupant
notamment la P-glycoprotein (P-gp) transportant des molécules amphiphiles cationiques
comme certains anticancéreux, les MDR (multidrug-resistance proteins), la MRP2
(multidrug-resistance-associated protein 2) transportant les métabolites glucuro- et
sulfoconjugués, la BCRP (breast cancer resistance protein) transportant des anticancéreux
tels que l’irinotecan, la doxorubicine ou le méthotrexate, les MATE (multidrug and toxin
extrusion exchanger) transportant des cations organiques comme la metformine, et les BSEP
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(bile salt export pump) prenant en charge l’excrétion des acides biliaires (Köck et Brouwer
2012).
Les transporteurs d’efflux baso-latéraux assurent quant à eux l’excrétion des xénobiotiques
et/ou de leurs métabolites dans le sang, permettant leur élimination urinaire secondaire. Parmi
ces transporteurs, nous retrouvons le MRP3 transportant des anions organiques tels que les
dérivés glucuro-conjugués, le MRP4 transportant notamment des antiviraux (ganciclovir,
adefovir) et agents cardiovasculaires (diurétiques de l’anse, antagonistes de l’angiotensine 2),
et le OSTα/β transportant des stéroïdes (Köck et Brouwer 2012).
Ainsi, une altération des enzymes du métabolisme de phase III peut également mener à une
hépatotoxicité par accumulation intracellulaire du xénobiotique ou de son métabolite. A titre
d’exemple, nous pouvons noter qu’un polymorphisme de MRP2 a été incriminé dans la
toxicité hépatique induite par les herbes médicinales (Choi et al. 2007).
Dans le document
Xénobiotiques hépatotoxiques : études de métabolisme et mécanismes d’action
(Page 44-53)