1. Propriétés et origine
Les amanitines font partie de la famille des amatoxines, octapeptides bicycliques toxiques de
poids moléculaires d’environ 900 g/mol, contenus dans certains champignons. Actuellement,
trois grandes familles de champignons sont connues comme contenant ces toxines : les
amanites (Amanita sp.), les galères (Galerina sp.), et les lépiotes (Lepiota sp.) (Tableau 3).
Tableau 3 : Principales espèces connues comme contenant des amanitines (Garcia et al. 2015)
Parmi l’ensemble de ces espèces, l’amanite phalloïde (Amanita phalloides) (Figure 22) est
responsable de la plupart des intoxications mortelles, l’atteinte hépatique sévère qu’elle
occasionne compromettant rapidement le pronostic vital (Diaz 2005). Cette espèce est
largement prédominante en Europe, notamment centrale et occidentale (Barceloux 2008).
Cependant, des cas d’intoxication ont également été décrits en Amérique du Nord, Amérique
Centrale et Amérique du Sud, Australie, Asie, et Afrique (Garcia et al. 2015). De manière
cohérente, le terme de syndrome phalloïdien est utilisé pour désigner les intoxications aux
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Figure 22 : Amanite phalloïde (Amanita phalloides). Visualisation des éléments caractéristiques
regroupant une couleur vert olive du chapeau, un corps large, une volve en sac, un anneau mou
en jupe, des lames blanches nombreuses et libres laissant une sporée blanche.
La famille des amatoxines est composée d’au moins neuf composés: α-amanitine, β
-amanitine, γ-amanitine, ε-amanitine, amanine, amaninamide, amanulline, acide
amanullinique, et proamanulline (Figure 23) (Garcia et al. 2015).
Ces dernières sont classées en substances neutres (α-amanitine, γ-amanitine, amaninamide,
amanulline, et proamanulline), et substances acides (β-amanitine, ε-amanitine, amanine et
acide amanullinique), sans que ces différences de propriétés n’aient été associées à une
différence de toxicité. Ces toxines sont très solubles dans l’eau, et présentent une grande
résistance à la chaleur et au froid, les rendant extrêmement résistantes aux différents procédés
de consommation (cuisson, congélation, assèchement) (Wieland et al. 1978). Egalement, ces
toxines sont résistantes aux enzymes et dégradations acides, et ne subirait aucun métabolisme,
les rendant résistantes aux procédés d’inactivation intestinale et de détoxification (Wieland et
al. 1978; Garcia et al. 2015).
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Figure 23: Structure des amatoxines selon Garcia et al. (2015)
En parallèle des amatoxines, deux autres familles de toxines ont été décrites comme
impliquées dans la toxicité de ces champignons : les phallotoxines et les virotoxines.
Cependant, étant donné leurs biodisponibilités nulles par voie orale, et notre intérêt pour
l’étude de la toxicité hépatique, nous nous focaliserons uniquement sur les amatoxines au
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2. Consommation
Ces dernières années, la consommation de champignons est devenue de plus en plus
populaire, en partie du fait de leurs propriétés nutritionnelles et médicinales. Ce phénomène a
ainsi augmenté le risque de confusion lors des cueillettes, et donc d’intoxications (Cheung
2010).
Au niveau mondial, il est estimé que 10 à 50 espèces de champignons sur les 14000 connues
seraient potentiellement mortelles, en fonction des études (Jo et al. 2014; Govorushko et al.
2019). Selon leur répartition géographique, la problématique des intoxications aux
champignons reste donc variable. Cette dernière représente un sérieux problème de santé
publique dans plusieurs pays, incluant la Bulgarie, la République Tchèque, la Chine, l’Iran, le
Mexique, l’Italie, la Hongrie, le Japon, le Népal, la Pologne, la Roumanie, la Russie, la Corée
du Sud, la Thaïlande, la Turquie et l’Ukraine (Govorushko et al. 2019).
En France, les données des centres anti-poisons rapportent 10 662 intoxications aux
champignons entre 2010 et 2017, avec un nombre croissant depuis 2016. Sur les 1300 cas par
an en moyenne, environ 500 surviennent en octobre (Sinno-Tellier et al. 2018). Du fait des
contextes de cueillette en famille, la dispersion d’âge reste très étendue (9 mois - 96 ans) avec
une moyenne de 45,2 ans, et un sex ratio de 1.
Sur les 11 à 44 cas graves observés sur notre territoire chaque année, un syndrome phalloïdien
est retrouvé dans 62,1% des cas, un syndrome panthérinien dans 12,6% des cas et un
syndrome sudorien dans 10.1% des cas. Jusqu’à cinq décès par an sont finalement observés
chaque année, majoritairement attribués à un syndrome phalloïdien (Sinno-Tellier et al.
2018).
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3. Toxicocinétique
a) Absorption et distribution
Le syndrome phalloïdien constitue le syndrome le plus mortel parmi les intoxications aux
champignons, et est majoritairement causé par le genre Amanita (Vetter 1998; Broussard
2001). Parmi les amatoxines, l’α- et la β-amanitine sont les plus largement étudiées. Les
données de toxicocinétique, obtenues chez l’animal et au cours des cas d’intoxications
humains, rapportent une très bonne absorption des amatoxines dans le tractus
gastro-intestinale et une détection dans les urines dès 90 à 120 min post-ingestion (Faulstich et al.
1985; Homann et al. 1986; Jaeger et al. 1993).
La distribution rapide au niveau hépatique et rénale est notamment expliquée par une absence
de liaison aux protéines plasmatiques. Après une administration intraveineuse chez le chien,
la demi-vie des amatoxines a ainsi été estimée entre 26,7 et 49,6 min, leur détection sanguine
n’étant plus possible après 4 à 6 h (Faulstich et al. 1985). Le foie constitue une cible
privilégiée de ces toxines, recevant une quantité massive d’amanitines après absorption
gastro-intestinale, et exprimant de manière spécifique le principal transporteur de ces toxines
au niveau sinusoïdal, l’OATP1B3 (Letschert et al. 2006).
b) Métabolisme et élimination
Les amatoxines ne seraient pas métabolisées et excrétées en grande quantité dans les urines
(80 à 90 %) au cours des premières 72 h d’intoxication (Jaeger et al. 1993). Faulstich et al.
(1985) ont également montré qu’une petite quantité de toxines pouvait être éliminée par la
bile (environ 7 %), et réabsorbée au niveau intestinal, accomplissant un cycle
entéro-hépatique. Egalement, ces mêmes auteurs ont rapporté une élimination fécale d’α-amanitine
dans les 24 premières heures (Faulstich et al. 1985).
Enfin, l’élimination urinaire des amatoxines explique la néphrotoxicité rapportée ; les
concentrations rénales étant retrouvées 6 à 90 fois plus élevées qu’au niveau hépatique (Jaeger
et al. 1993; Mydlík et Derzsiová 2006).
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4. Toxicité
a) Aspects cliniques
Comme mentionné précédemment, la symptomatologie des intoxications à l’α-amanitine est
très majoritairement attribuée à son accumulation au niveau hépatique et rénale. Cependant,
les symptômes ne surviennent que lorsque des dommages importants sont occasionnés. De ce
fait, les signes cliniques ne sont perceptibles que plusieurs heures à plusieurs jours après
l’ingestion. Dans la littérature, trois phases sont classiquement distinguées : (i) la phase
gastro-intestinale, (ii) la période de latence et (iii) la phase hépato-rénale (Karlson-Stiber et
Persson 2003).
La première phase apparait brutalement, 6 à 24 h après l’ingestion, et est caractérisée par des
nausées, vomissements, diarrhées, douleurs abdominales et hématurie. Elle dure 12 à 36 h, et
peut être accompagnée de fièvre, de tachycardie, de désordres métaboliques tels que des
hypoglycémies, de déshydratation et de perturbations électrolytiques (Barceloux 2008). Passé
cette première phase, une période faussement rassurante de latence asymptomatique survient,
au cours de laquelle s’installe l’atteinte hépatorénale de manière progressive, environ 72 h
post-ingestion (Garcia et al. 2015; Tavassoli et al. 2019). Enfin, lorsque les lésions hépatiques
deviennent significatives, la troisième phase est caractérisée par une augmentation des
transaminases et de la lactate deshydrogénase, ainsi qu’une altération de la coagulation par
diminution du taux de prothrombine. Egalement, l’apparition de manifestations
hémorragiques par inhibition de la synthèse hépatique des facteurs de la coagulation,
d’encéphalopathie ou de cardiomyopathie constitueront des éléments de mauvais pronostic
(Garcia et al. 2015; Tavassoli et al. 2019).
Les données histologiques hépatiques décrites dans la cadre des syndromes phalloïdiens
varient selon la gravité des intoxications. Dans le cas d’intoxications modérées non mortelles,
Wepler et al. ont rapporté dans une série de huit cas l’apparition d’une nécrose centrolobulaire
sans stéatose ni développement de réponse inflammatoire initiale. Après plusieurs semaines,
la phagocytose des cellules nécrotiques par les cellules de Küpffer active une légère réponse
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Dans le cas d’intoxications mortelles, la présence d’une stéatose a été décrite comme
précédant l’apparition de la nécrose centrolobulaire. Par ailleurs, trois phases ont été décrites,
retrouvant (i) la pénétration d’érythrocytes au sein des hépatocytes, (ii) l’apparition de fusions
lysosomales et (iii) le développement d’une nécrose centrolobulaire associé à des infiltrats
hémorragiques hépatiques (Fineschi et al. 1996).
Chez la souris, des études en microscopie électronique ont permis de mettre en évidence des
changements hépatocytaires très précoces après l’administration d’α-amanitine. Dès 30
minutes, l’administration de cette toxine provoque une diminution du nombre de fibrilles
périchromatiniennes, associé à une fragmentation nucléaire et une augmentation des granules
de périchromatine et interchromatiniens de 1 à 5 h après le début du traitement (Petrov et
Sekeris 1971).
b) Toxicodynamique
Le principal mécanisme hépatotoxique des amanitines est attribué à l’inhibition nucléaire non
covalente de l’ARN polymérase de type II (ARNPII), diminuant de ce fait les niveaux
d’ARNm et de la synthèse protéique (Wieland 2009). Le foie étant un acteur majeur de la
synthèse protéique, il est donc plus impacté. Egalement, les signaux de stress induits par les
amanitines ont été montré inducteurs de la protéine p53, permettant la formation de
complexes avec des protéines anti-apoptotiques (Bcl-X
Let Bcl-2) et le déclenchement de
l’apoptose par relargage mitochondrial de cytochrome c dans le cytosol (Ljungman et al.
1999; Arima et al. 2005; Leu et George 2007).
De manière cohérente, Wang et al. (2018) ont montré que l’α-amanitine induisait des
changements significatifs dans le protéome mitochondrial, associé à une destruction du
potentiel de membrane (Wang et al. 2018). Ainsi, l’apoptose induite par les amanitines a été
proposé comme étant déterminante dans la physiopathologie dans ces intoxications
(Magdalan et al. 2010). La Figure 24 ci-dessous illustre les principaux mécanismes d’action
toxique de l’α-amanitine.
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Figure 24 : Mécanismes d’action toxique de l’α-amanitine (Garcia et al. 2015).
La génération de stress oxydant a également été avancée comme étant importante dans le
développement de ces hépatotoxicités sévères. En effet, il a été montré que l’accumulation
d’α-amanitine conduit à une augmentation de l’activité de la superoxide dismutase (SOD) et
de la glutathion peroxidase, des produits du malondialdehyde et de la peroxidation lipidique,
corrélée à une inhibition de l’activité de la catalase (Zheleva et al. 2007; DüNdar et al. 2017).
Enfin, Zheleva A. (2013) a montré que l’α-amanitine était capable de former des radicaux
libres phénoxyl pouvant être impliqués dans la production des ROS (Zheleva 2013).
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5. Prise en charge du syndrome phalloïdien
Actuellement, aucune recommandation internationale ne fait foi concernant la prise en charge
des syndromes phalloïdiens. Les prises en charge médicales incluent (i) la stabilisation des
fonctions vitales (ii) la prévention de l’absorption par lavage gastrique, charbon activé et
hyperhydratation (iii) l’inhibition de l’entrée des amanitines dans les hépatocytes par
utilisation de pénicilline G, cimétidine et polymyxine B, (iv) l’augmentation de son
élimination par des techniques extracellulaires et la diurèse forcée par remplissage vasculaire
et (v) l’utilisation d’antidotes spécifiques (Tavassoli et al. 2019).
Les antidotes actuellement utilisés sont principalement des antioxydants, incluant l’acide
thioctique, le N-acetylcysteine, la vitamine C, la silymarine and la silibinin (Magdalan et al.
2011b; Ye et Liu 2018; Tavassoli et al. 2019). Cependant, aucun d’entre eux n’a montré une
efficacité clinique exceptionnelle, un pourcentage de décès entre 10 et 30% étant toujours
observé malgré leur utilisation (Enjalbert et al. 2002; Ganzert et al. 2005; Escudié et al. 2007).
En cas d’issue fatale, cette dernière survient au bout d’une durée médiane de 6,1 jours (2,7 –
13,9 jours) (Ganzert et al. 2005).
Les données présentées ci-dessus objectivent des mécanismes partiellement décortiqués quant
aux intoxications aux amanitines. Ce constat explique en partie l’absence d’antidote de haut
niveau d’efficacité et constitue ainsi un challenge toujours d’actualité en toxicologie.
86
III. CONTEXTE ET OBJECTIF
L’objectif de ce travail est de mieux comprendre les mécanismes de toxicité des
xénobiotiques hépatotoxiques afin d’identifier des cibles thérapeutiques adaptées. Dans ce
but, nous avons ciblé deux substances fréquemment rencontrées en laboratoire de Toxicologie
hospitalière : l’éthanol et les amanitines, puissantes toxines de champignons.
Les expérimentations menées au cours de ce travail se sont principalement portées sur
deux modèles in vitro de cellules présentes au sein du foie : un modèle de macrophages
dérivés de monocytes humains, et une lignée d’hépatocytes humains, les HepaRG
progéniteurs et différenciés. Les macrophages proviennent de la différenciation de monocytes
du sang périphérique à partir de sang de donneurs sains auprès de l’Etablissement français du
sang (EFS) de Rennes. Exprimant différents récepteurs impliqués dans l’immunité innée et
l’inflammation (notamment TLR et NLR), et libérant des cytokines pro-inflammatoires (IL-6,
IL-1α et IL-1β), ces cellules représentent un bon modèle de macrophages tissulaires. La lignée
hépatocytaire HepaRG a été découverte et développée à Rennes à partir d’un
hépatocarcinome humain (Gripon et al. 2002). Pouvant subir un programme de différenciation
maximal en coculture d’hépatocytes et cholangiocytes, cette lignée stable exprime les
enzymes du métabolisme des xénobiotiques (CYP, GST, SULT, UGT) et est ainsi
métaboliquement compétente (Aninat et al. 2006).
Dans ce travail, un premier axe de recherche consistera à évaluer l’implication de
l’immunité innée dans la toxicité des xénobiotiques avec l’exemple de l’éthanol. Bien que
la toxicité de cet alcool soit très largement décrite dans la littérature, de récents éléments
suggèrent que ses effets immunomodulateurs pourraient prendre part de manière non
négligeable dans la physiopathologie des alcoolopathies. Dans ce contexte, nous avons choisi
d’investiguer l’effet de l’éthanol sur la voie P2X7R-NLRP3 dans notre modèle de
macrophages humains. Du fait de sa fréquence en termes d’intoxications, l’effet du
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Puis, un second axe de recherche consistera à l’étude du métabolisme. En effet, ce dernier
constitue un concept fondamental dans l’étude des xénobiotiques, puisqu’il conditionne leur
toxicité et leur pharmacologie dans la majorité des cas. Cependant, l’utilisation d’outils
visuels permettant l’exploration du métabolisme reste à ce jour très peu étudiée. Dans ce
contexte, nous avons choisi d’évaluer l’intérêt d’une méthode bio-informatique
innovante, le réseau moléculaire, dans l’étude du métabolisme in vivo et in vitro des
xénobiotiques. Ce travail s’ancre notamment dans le projet PREVITOX, un réseau de
laboratoire dédié à l’évaluation de la toxicité médicamenteuse, financé par l’agence nationale
de sécurité du médicament et des produits de santé. L’objectif secondaire de ce travail est de
pouvoir réaliser des cartographies métaboliques des molécules étudiées.
Enfin, la dernière partie du travail sera consacrée aux intoxications aux amanitines (α
et β). Suite à la validation de l’utilisation du réseau moléculaire, nous nous intéressons à
l’étude du métabolisme et des mécanismes toxiques des amanitines. Dans ce contexte,
nous nous intéresseront également au développement d’une méthode de dosage de ces toxines
par chromatographie liquide couplée à un spectromètre de masse en tandem.
Ce travail de toxicologie, de l’in vitro à l’in vivo, doit permettre d’améliorer la
compréhension des mécanismes hépatotoxiques de ces xénobiotiques et d’apporter ainsi de
nouveaux éléments permettant d’optimiser les prises en charge thérapeutiques des patients
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Chapitre 1 :
Etude de l’implication de l’immunité
innée dans la toxicité des
xénobiotiques
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Dans le document
Xénobiotiques hépatotoxiques : études de métabolisme et mécanismes d’action
(Page 79-92)