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CHAPITRE I GÉNÉRALITES SUR LES BISPHÉNOLS

1.2 Le Bisphénol A

1.2.3 Métabolisme et niveaux circulants du BPA

De par la forte exposition et les différentes voies d’absorption pouvant s’agréger (i.e. orale, cutanée et aérienne), le BPA libre se retrouve donc directement dans l’organisme où il peut être métabolisé.

1.2.3.1 Métabolisme

L’absorption puis le métabolisme du BPA par la cellule est grandement favorisé par les propriétés physico-chimiques du BPA. En effet, cette molécule organique a un faible poids moléculaire (228,28 g/mol) et est modérément lipophile (Kow = 3,2). Il est donc suspecté que le

BPA puisse diffuser passivement dans la cellule (Zalko et al., 2011). La détoxification des xénobiotiques, c’est-à-dire les éléments étrangers et non naturels comme le BPA, se fait par des enzymes visant tout d’abord à rendre le composé réactif (phase I) pour pouvoir le conjugué avec des molécules fortement hydrosolubles (phase II) et ainsi faciliter son excrétion (Braniste et al., 2011) (Figure 6).

La métabolisation du BPA dépend de la méthode d’exposition ainsi que de l’espèce étudiée. Chez l’Homme, par voie orale, le BPA est absorbé par l’intestin puis va rejoindre la

44 circulation sanguine systémique où il va ensuite être dirigé vers le foie pour subir sa détoxification. La principale voie de détoxification du BPA dans le foie est la glucuronidation (~80%) par l’uridine diphosphate glucuronyltransférase (UDPGT) qui va permettre son élimination rapide de l’organisme par les urines (temps de demi-vie = 5,3 h) (Gerona et al., 2013; Pottenger et al., 2000; Völkel et al., 2002). D’autres voies de métabolisation du BPA existent mais restent minoritaires (1 à 4%). Parmi elles, le transfert de glutathion ou de quinone, la sulfatation et l’hydroxylation du BPA sont les plus représentés (Hauck et al., 2016; Michałowicz, 2014) (Figure 6). Malgré tous ces systèmes de détoxification, du BPA libre persiste dans l’organisme (à hauteur de 16%) (Kasper-Sonnenberg et al., 2012).

Figure 6 : Schéma représentant les différentes formes de détoxification du BPA par le foie chez l’Homme.

Chez les rongeurs, le BPA ingéré par voie orale suit une voie de métabolisation différente. En effet, l’élimination du BPA est beaucoup plus lente chez le rongeur du fait de la succession de cycles entéro-hépatiques : après absorption du BPA par l’intestin et métabolisation par le foie, celui-ci est excrété par la bile et se dissocie via notamment la flore bactérienne pour revenir à sa forme libre où il peut être réabsorbé par l’intestin (Claus et al., 2016; Pottenger et al., 2000). Le BPA est ainsi majoritairement excrété par les fèces et peu par

45 les urines chez le rongeur. De tels mécanismes de dissociation par le microbiote intestinal ne sont pas référencés chez l’Homme dans la littérature. Cependant, la β-Glucuronidase, enzyme permettant la déglucuronidation, est présente dans de nombreux tissus humains, dont l’intestin, le placenta et le foie fœtal, ce qui pourrait expliquer la persistance de BPA libre dans l’organisme (Ginsberg and Rice, 2009).

Chez le fœtus, la machinerie enzymatique de détoxification du BPA n’est mise en place que lors des dernières étapes de développement fœtal, laissant le fœtus dans les premières étapes de développement sans protection contre une exposition au BPA libre (Corbel et al., 2015). De plus, chez le nouveau-né, du fait d’un système enzymatique non complètement développé et de la compensation incomplète par la voie de sulfatation du BPA, la capacité de glucuronidation du BPA est réduite d’un facteur 20 par rapport à l’adulte, favorisant également la présence de BPA libre chez l’individu (Mielke and Gundert-Remy, 2009).

Pour les voies d’exposition minoritaires, comme la peau et les poumons, très peu d’études référencent le métabolisme du BPA. L’une d’entre elles a démontré que des explants de peau de cochon et d’humain pouvaient métaboliser le BPA et mettre en place les phases I et II de détoxification, transformant le BPA en BPA-glucuronide et BPA-sulfate en quantités équivalentes (Zalko et al., 2011).

1.2.3.2 Niveaux circulants

La métabolisation du BPA chez l’Homme ainsi que sa détoxification incomplète sont une des causes de l’imprégnation importante par ce composé des populations des pays industrialisés. On retrouve donc des niveaux circulant de BPA libre ou conjugué non négligeables dans le sang (systémique) et dans les urines (détoxification) de ces populations. De plus, du fait de la circulation du BPA au niveau systémique, celui-ci est présent dans l’ensemble de l’organisme, incluant des organes clés des grandes fonctions physiologiques (cerveau, cœur, poumons, intestins…).

Les concentrations plasmatiques de BPA libres et/ou conjugués chez l’Homme sont souvent proches de la limite de quantification. Les données des concentrations plasmatiques diffèrent en fonction de l’âge, du type de population et des pays ciblés. Cependant, la grande majorité des échantillons sanguins contiennent des concentrations totales (conjugué et

46 déconjugué) de BPA inférieures à 10 ng/mL (Mikołajewska et al., 2015). Ainsi, dans une étude de 2009 à grande échelle sur le sang humain, une équipe française a montré que 83% des échantillons collectés de manière aléatoire dans les hôpitaux français contenaient du BPA libre, avec des concentrations supérieures à 2 ng/mL pour 12% de ces échantillons (Kaddar et al., 2009). En Chine, 17% des échantillons testés présentaient du BPA total (conjugué et déconjugué), avec une concentration moyenne de 2,84 ng/mL (He et al., 2009).

Tous ces résultats ont été obtenus sur des individus sains, cependant certains états physiologiques et médicaux augmentent les concentrations sanguines de BPA. En effet, il a été rapporté que les femmes enceintes présentaient un taux de BPA libre sanguin allant jusqu’à 22,3 ng/mL (Padmanabhan et al., 2008). De plus, les fœtus (Allemagne) et nouveau-nés (Etats- Unis) sont également plus susceptibles à la contamination par le BPA avec des taux allant de 0,2 à 9,2 ng/ml et de 1,6 à 946 ng/ml (total) respectivement (Calafat et al., 2009; Schönfelder et al., 2002). Ceci est très probablement dû, comme cité précédemment, à leur faible capacité de glucuronidation du BPA (Mielke and Gundert-Remy, 2009). Un autre facteur important à prendre en compte est l’exposition des individus aux matériels médicaux. En effet, il a été démontré que plus de 70% des dialysés présentaient des taux de BPA libre sanguin supérieurs à 10 ng/mL (Kaddar et al., 2009).

Les concentrations de BPA libres et/ou conjugués dans le sang sont en général plus faibles que celles retrouvés dans les urines. De plus, les concentrations de BPA sanguin diminuent rapidement après exposition, ce qui favorise la prise de mesures dans les urines comme indicateur d’exposition. Ainsi, il est désormais admis que le BPA est détecté dans les urines de près de 90% des pays industrialisés (Genuis et al., 2012). Cependant, ce pourcentage reflète le BPA total présent dans les urines (i.e. la combinaison de BPA conjugué et libre). En effet, Calafat et collaborateurs ont mesuré aux Etats-Unis des taux de BPA total allant de 0,36 à 2,07 ng/mL avec une fréquence de 74 à 99% des échantillons testés durant les années 2000 à 2014 ; alors qu’en Europe, l’équipe de Völkel n’a retrouvé du BPA libre que dans 22 échantillons archivés sur 315 (taux inférieurs à 2,5 ng/mL) et du BPA total dans 147 échantillons (pourcentage non révélé) avec des taux allant jusqu’à 9,3 ng/mL (Völkel et al., 2008; Ye et al., 2015). Le BPA (conjugué ou non) est donc désormais omniprésent dans les urines des populations des pays industrialisés mais la présence de BPA libre dans les urines fait encore débat car les données diffèrent selon les études. Cependant, comparativement aux niveaux sanguins, un fort taux de BPA urinaire est retrouvé chez les femmes enceintes et les

47 enfants en bas âge comparé à celui des adultes. En effet, une étude américaine a montré des taux de BPA total moyen de 4,61 ng/mL chez des femmes enceintes (variation non décrite) (Gerona et al., 2016). Les concentrations urinaires de BPA total chez les nouveau-nés sont compris entre 0,1 et 11,21 ng/mL (Nachman et al., 2015).

De telles concentrations sanguines et urinaires chez les femmes enceintes laissent supposer que le BPA peut être retrouvé dans le liquide amniotique ainsi que dans le lait maternel. En effet, le BPA étant lipophile, il peut s’accumuler dans le tissu adipeux viscéral et mammaire et donc dans le lait maternel. Dans une étude américaine, le BPA libre a été détecté dans 62% des échantillons de lait maternel avec des concentrations comprises entre 0,22 et 10,8 ng/mL (Zimmers et al., 2014). Une autre étude aux Etats-Unis révèle la présence de BPA total et libre dans respectivement 80 et 45% des liquides amniotiques de femmes enceintes dans leur second trimestre de grossesse (concentrations allant jusqu’à 0,75 ng/mL pour le BPA total et de 0,31 à 0,43 ng/mL pour le BPA libre) (Edlow et al., 2012). Ces concentrations diminuent lors du troisième trimestre jusqu’à n’être détectable que dans 10% des échantillons. Ces concentrations dans le liquide amniotique et dans le lait maternel sont alarmantes et peuvent expliquer les niveaux retrouvés chez le fœtus et le nouveau-né.