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CHAPITRE II PHYSIOLOGIE INTESTINALE

1. Effets d’une exposition périnatale au BPA sur la réponse immunitaire intestinale et

1.2 Effets sur le système immunitaire intestinal et systémique

Les ILC3 jouent un rôle important dans la mise en place de la réponse innée contre le microbiote commensal et pour la formation de structures lymphoïdes secondaires comme les cryptopatches et les follicules lymphoïdes isolés (Eberl and Littman, 2003). Nous avons montré que l’exposition périnatale au BPA diminue la fréquence de cette sous-population cellulaire dans la LP des souris femelles et ce, de manière concomitante avec la diminution de la capacité migratoire et de présentation antigénique des DC et de leur fréquence dans les MLN. Ces évènements sont associés à des perturbations importantes de l’homéostasie du système immunitaire. En effet, nous avons observé une augmentation de la réponse pro-inflammatoire Th1 et Th17 au niveau intestinal et systémique chez la descendance BPA. De façon intéressante, il a été démontré que les ILC3 peuvent inhiber la différentiation des LT naïfs en Th17 selon un mécanisme AhR et microbiote-dépendant, impliquant les bactéries segmentées filamenteuses promotrices de la différentiation des LT en Th17 (Qiu et al., 2013). Il serait intéressant d’étudier l’implication de la chute des ILC3 chez la descendance femelle BPA aboutissant à ce défaut de différenciation.

Nous avons également observé que l’exposition périnatale au BPA diminue la fréquence des Treg au niveau local et systémique de façon comparable aux résultats de Ménard et al. (2014a, 2014b). Plusieurs explications sont possibles. Il est bien décrit que les DC qui migrent dans les MLN en provenance de la LP sont importants pour le développement des Treg cibles de l’intestin. Il a également été montré qu’une diminution des ILC3 peut limiter la différentiation des LT naïfs en Treg. Dans notre étude, nous observons ces deux perturbations, une diminution à la fois des DC migratoires dans les MLN et des ILC3 dans la LP. Une accumulation de ces deux mécanismes est très probable (Figure 32) mais il serait nécessaire

162 d’authentifier quelle voie est majoritaire pour mener aux effets observés. Les souris KO inductible pour CCR7 (CCR7-/-) sont reconnues pour posséder une faible quantité de DC

CD103+ dans les MLN, cellules responsables de la domiciliation des LT dans l’intestin. L’étude

de cette lignée et celle de souris KO inductible pour les ILC3 (Rorc(γt)-/-, NKp46-/-) permettrait

de mesurer le pourcentage d’implication des deux voies menant à la diminution des Treg intestinaux lors d’une exposition périnatale au BPA. Nous pourrions également effectuer des transferts d’ILC3 ou de DC migratoires purifiés de souris contrôles vers des souris BPA afin de voir s’il y a restauration des Treg intestinaux chez ces derniers. De plus, il serait intéressant d’observer par histologie si la diminution des ILC3 chez la descendance BPA se répercute par des défauts dans la formation et le nombre de cryptopatches et de follicules lymphoïdes isolés dans l’intestin à la période pré-sevrage (entre le jour 0 et 21).

Figure 32 : Schéma représentant les impacts de l’exposition périnatale au BPA sur le système immunitaire chez la descendance femelle.

Nous avons également observé une diminution des IgG dirigés contre les E.coli commensaux dans le sang de la descendance exposée de manière périnatale au BPA. Il a été démontré qu’une diminution d’ILC3 est associée avec une dérégulation de la réponse adaptative

163 en particulier contre les bactéries commensales (Hepworth et al., 2013). En effet, ces auteurs observent que les ILC3 expriment le MHCII, leur conférant une capacité de présentation antigénique spécifique entrant en compétition avec la réponse des LT contre les bactéries commensales. Une diminution de la fréquence des ILC3, que nous avons mis en évidence dans notre étude, ou une diminution de l’expression de MHCII par les ILC3 peut donc expliquer l’augmentation des IgG spécifiques E.coli commensales dans le sang de la descendance BPA que nous observons et qui serait induit par l’augmentation des Th17 spécifiques des E.coli commensales (Figure 33, hypothèse 1).

D’autre part, le développement de la réponse immunitaire adaptative nécessite la présentation des antigènes commensaux ou étrangers par les DC. Afin de maintenir l’homéostasie, la stimulation des LT par les DC permet leur différenciation en Treg, importants pour la mise en place de la tolérance contre le microbiote commensal. Les DC de la descendance BPA présentent des défauts dans la présentation antigénique (diminution des marqueurs de maturation MHCII et CD86) ce qui peut aboutir à un défaut de présentation des E.coli commensales, et ainsi contribuer à un défaut de différenciation des Treg spécifiques des E.coli commensales. Une diminution de la réponse tolérogène entraîne la mise en place d’une réponse de défense et donc l’augmentation de la production d’IgG anti-E.coli dans le sang (Figure 33, hypothèse 2). Pour confirmer ces hypothèses, il serait intéressant de tester la prolifération ainsi que la réponse cytokinique produite par des LT spécifiques des E.coli commensales chez les souris traitées de manière périnatale au BPA comparées aux animaux contrôles.

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Figure 33 : Schéma représentant les différentes hypothèses pour l’augmentation du niveau d’IgG anti-E.coli sanguin chez la descendance exposée au BPA en périnatal.

Afin d’apporter des données nous permettant de comprendre la diminution de fréquence des ILC3 d’un point de vue mécanistique, nous nous sommes intéressés à l’acide rétinoïque (AR). L’AR est un dérivé de la vitamine A qui a de nombreux rôles notamment dans le développement embryonnaire, mais également dans la différenciation des sous-populations d’ILC (Kim et al., 2015). Il peut être biosynthétisé dans les IEC et les DC par l’utilisation de rétinol déshydrogénase qui métabolise le rétinol en rétinaldéhyde et de rétinaldéhyde déshydrogénases (RALDH1 à 3) qui métabolisent le rétinaldéhyde en AR (Agace and Persson, 2012) (Figure 34). Nous avons montré que l’expression protéique de RALDH1 diminue dans les IEC après exposition périnatale au BPA. Cet effet est lié à la diminution de l’expression génique de RALDH1 dans l’iléon. Une exposition périnatale au BPA peut donc aboutir à la diminution de la production d’AR et ainsi à la diminution de la fréquence des ILC3 dans la LP et de la migration des DC dans les MLN.

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Figure 34 : Formation de l’acide rétinoïque à partir de rétinol

Un grand nombre d’effets observés chez les souris femelles exposées lors de la période périnatale au BPA peut donc être expliqué par la diminution de la fréquence des ILC3 et des DC migratoires, liée à la diminution de la production d’AR (Figure 35). Cependant, d’autres investigations sont nécessaires pour prouver la totale implication de l’AR dans les effets observés. L’effet du BPA sur l’expression de RALDH1 peut être dû à l’altération de nombreux mécanismes épigénétiques, de la condensation de la chromatine jusqu’au transport et la dégradation de l’ARNm. La méthylation de l’ADN agit comme un « patron » qui conditionne l’expression des gènes. Il est reconnu que le BPA a une action « hypo-méthylante » (i.e. diminuant la méthylation de l’ADN) (Singh and Li, 2012), ce qui pourrait expliquer la diminution de l’expression de RALDH1 observée dans notre étude. Il serait également intéressant d’étudier l’impact d’une absence de production de RALDH1 sur le système immunitaire intestinal de souris KO inductibles (Raldh1-/-) en comparaison avec des souris exposées de manière périnatale au BPA, et/ou l’effet d’un régime supplémenté en vitamine A chez la descendance BPA et chez les mères. Nous pourrions ainsi étudier le rétablissement de la fréquence des ILC3 chez la descendance BPA lors de la supplémentation ainsi que le nombre de cryptopatches et de follicules lymphoïdes isolés chez ces souris en comparaison aux souris non supplémentées.

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Figure 35 : Schéma récapitulatif des effets suspectés d’une exposition périnatale au BPA sur la production d’AR en lien avec l’homéostasie du système immunitaire intestinal chez la descendance femelle. Schéma inspiré de Parigi et al., 2015. RA= acide rétinoïque (AR).

Cependant, il est possible que la diminution d’AR dans l’intestin lors d’une exposition périnatale au BPA ne soit que partiellement impliquée dans les effets observés. Une autre hypothèse possible mettrait en jeu le récepteur AhR. En effet, comme expliqué en introduction (chapitre 1.2.4.6 des données bibliographiques), le BPA a la capacité d’interagir avec AhR pour l’activer ou l’inhiber selon le type cellulaire. Il a été démontré qu’une inhibition de AhR réduit la fréquence des ILC3 chez la souris (Qiu et al., 2012). De plus, il existe une relation entre la production d’AR et AhR, notamment dans les cellules dendritiques (Pot, 2012). En effet, une activation d’AhR par un ligand issu de l’alimentation comme l’indole, augmente la production de RALDH1 permettant la synthèse de AR. Cet AR peut ensuite activer son propre récepteur (RAR), permettant la transcription de FoxP3 dans les Treg. Le BPA peut, dans notre cas, agir comme un antagoniste d’AhR, provoquant la diminution de FoxP3 dans les Treg, bloquant la différenciation des LT CD4 naïves en Treg (Figure 36). Il serait donc intéressant d’étudier le possible lien entre l’exposition périnatale au BPA et l’activité du récepteur arylé AhR au niveau intestinal (villin, Ahr-/-) dans le but de démontrer premièrement le lien entre la diminution des

167 différenciation des différents acteurs clés du maintien de la tolérance tel que les Treg ou les Th17.

Figure 36 : Schéma récapitulatif des effets suspectés d’une exposition périnatale au BPA sur la production de l’AR en lien avec AhR et le système immunitaire intestinal chez la descendance femelle. Schéma inspiré de Pot, 2012. RA : acide rétinoïque (AR).

Une nouvelle population de cellules immunitaires a également été récemment caractérisée chez l’Homme et la souris : les ILCreg (Wang et al., 2017). Cette population a été identifiée comme étant inhibiteur de l’inflammation par les ILC1 et 3, notamment par la sécrétion d’IL-10. Il serait donc intéressant de voir si la fréquence de cette population est augmentée chez la descendance BPA, pouvant expliquer la diminution de la fréquence des ILC3 observée dans notre étude.

Enfin, une modulation du microbiote intestinal, lors d’une exposition périnatale au BPA, peut expliquer les effets observés sur le système immunitaire de ce tissu. En effet, il a été montré que certaines populations du microbiote intestinal ainsi que certains métabolites produits par les bactéries favorisent la différenciation des lymphocytes. Par exemple, les bactéries SFB (Segmented Filamentous Bacteria) sont connus pour induire la différenciation des LT naïfs en Th17 (Goto et al., 2014). Au contraire, la production d’indole par diverses bactéries comme les E.coli active AhR ce qui augmente la différenciation des LT en Treg au détriment des Th17 et augmente la production d’IL-22 par les ILC3 (DeMoss and Moser, 1969; Singh et al., 2016; Zelante et al., 2013). Il a également été démontré que des souris SPF (Specific Pathogen-Free) présentaient une augmentation du taux de butyrate corrélé a une diminution de la fréquence des

168 ILC3 dans les plaques de Peyer de l’iléon, comparé à des souris traitées aux antibiotiques (Kim et al., 2017). Il serait donc important de caractériser plus spécifiquement le microbiote intestinal de la descendance femelle exposée en périnatal au BPA. L’observation des impacts sur le système immunitaire du transfert du microbiote de ces individus vers des souris axéniques (dépourvu de microbiote intestinal) permettrait de comprendre l’influence du microbiote dans les effets observés dans notre modèle. De plus, la caractérisation des métabolites présents dans l’intestin de la descendance femelle exposée en périnatal au BPA permettrait de connaitre les métabolites impactés, possiblement l’indole et le butyrate, qui pourraient contribuer aux effets observés sur le système immunitaire intestinal.

L’ensemble de ces hypothèses et études apporteraient des précisions supplémentaires sur les mécanismes aboutissant à l’altération de l’homéostasie du système immunitaire en réponse à l’exposition périnatale au BPA ainsi que de mieux comprendre comment ces altérations augmentent la susceptibilité à l’intolérance alimentaire et aux infections parasitaires et virales chez la descendance à l’âge adulte (Menard et al., 2014b, 2014a; Roy et al., 2012).

2. Effets d’une exposition périnatale au BPA sur le système immunitaire intestinal et