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Chapitre 2. Etat de l’art autour de l’anticipation

2.6.2 Mémoire à long terme et mémoire de travail long terme

La problématique des tâches complexes soulève des questions concernant leur gestion mnésique. En effet, celles-ci requièrent à la fois de maintenir de grandes quantités d’information en mémoire et il est constaté empiriquement qu’il est tout à fait possible à l’opérateur d’effectuer des interruptions et des reprises d’activité dans de bonnes conditions. La mémoire de travail telle que la définit Baddeley (1986) n’est pas censée tant supporter.

C’est en mémoire à long terme que l’opérateur stocke l’ensemble de ses connaissances permanentes. Sans limite de taille ou de durée de rétention des informations, les informations

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stockées sont difficiles d’accès et peuvent être distinguées en deux catégories principales : les connaissances déclaratives et procédurales. La première catégorie renvoie à du savoir explicitable : il décrit le monde, les lois qui le régissent, les objets. Associé à d’autres connaissances déclaratives, il permet des inférences. Cette seconde catégorie consiste en des connaissances guidant l’action et permettant d’agir sur le monde. Elles sont difficilement verbalisables. En matière de restitution de connaissances, les performances sont bien inférieures quand il s’agit d’un rappel faisant appel à la mémoire à long terme qu’à la mémoire de travail.

Ericsson & Kintsch (1995) introduisent un nouveau concept : la mémoire de travail à long terme ne serait active que dans des conditions bien délimitées. Il s’agirait d’un élargissement de la mémoire de travail au moyen d’un accès par indices aux informations stockées en mémoire à long terme. Il est usuellement accepté que les mécanismes de stockage et de récupération de la mémoire à long terme s’appuient sur des principes d’association, ce qu’illustrent les modèles de Tulving (1972) et Craik & Lockhart (1972).

Dans la mémoire de travail à long terme (Figure 33), une structure de type schéma de récupération encapsule à la fois les informations rencontrées par le sujet et les indices appropriés de récupération. Lors du rappel, seul le nœud correspondant à cette structure est en mémoire de travail ce qui permet de « tirer » le fil des informations correspondant en mémoire à long terme, à une vitesse comparable à la récupération en mémoire de travail.

Figure 33 : Modèle de la mémoire de travail long terme, Ericsson & Kintsch (1995)

Une hypothèse est posée : la mémoire de travail à long terme est corrélée à l’expertise : l’expérience des exigences de la tâche et l’existence de procédures stables permettent d’inférer sur les exigences futures de récupération et de développer des habiletés pour attribuer des indices aux informations pertinentes dans les structures de récupération.

Ce modèle recoupe ainsi diverses idées mises en exergues plus tôt quant à la relation entre perception et rappel de structures mentales d’action : nous retenons que la perception de motifs informationnels dans l’environnement permet le rappel en mémoire à long terme de structures d’actions associées avec un niveau de performance satisfaisant.

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Nous l’avons mis en évidence plus tôt, la question de l’anticipation inscrit la cognition dans la temporalité, c’est à ce titre que nous avons pu définir un cadre commun de positionnement des concepts abordés (Figure 34). Cela impose d’aborder la question de la gestion cognitive du temps : représentation, positionnement temporel relatif, affectation de butées, de délais, logique d’interaction temporelle, évaluation…

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Figure 34 : Psychologie du temps et dynamique temporelle

Au sein d’environnements dynamiques, deux types de stratégie de gestion temporelle s’opposent : stratégies réactive et anticipative. Nous illustrons les conséquences de cette dichotomie sur la gestion des ressources cognitives, en nous interrogeant sur le lien entre charge et distance perçue à l’objectif. Enfin, nous mettons en avant les moyens d’inscrire projet d’action et action dans le temps avec les concepts de planification et d’anticipation.

2.7.1 Psychologie du temps

2.7.1.1 Représentation temporelle

Michon (1985, 1990, 1993) définit le temps comme le « produit expérimental conscient des

processus permettant à l’organisme (humain) de s’organiser de manière adaptative de sorte à ce que son comportement demeure syntonisé aux relations séquentielles (c’est-à-dire l’ordre) de l’environnement ». Sous cet angle, le temps n’est plus un concept auquel il convient de définir des

attributs, ni même peut-on encore le considérer comme une propriété intrinsèque de notre monde, mais comme une cooccurrence de processus permettant une synchronisation à l’évolution de l’environnement. Cela implique que la cognition temporelle appartient au domaine des connaissances déclaratives, les représentations temporelles étant alors une forme de cognition de haut niveau. Friedman (1990) montre alors que l’appréhension du temps repose sur des habiletés :

capacité d’évaluation de son évolution : simultanéité et succession, durée perçue et

estimée, durée de l’intervalle, interaction temps/espace/vitesse ;

positionnement d’événements en son sein : datation directe, ordre chronologique,

distance au présent, localisation à partir de repères.

Ces habiletés permettent la construction de structures de représentations temporelles permettant une « manipulation mentale » du temps. La littérature de la psychologie du temps a donné naissance à pléthore de concepts visant à définir ces structures : scripts temporels, (Huttenlocher, Hedges, & Prohaska, 1992), systèmes de références temporelles (Robinson, 1986), ou encore cadre temporel (Valax, 1986).

Nous en retenons deux idées principales. La première concerne l’articulation autour d’événements récurrents. Chez les cultivateurs-éleveurs, (Valax, 1986) définit que le plan est déterminé autour de tâches pivots répétées quotidiennement et de butées temporelles, points avant et au-delà desquels la mise en œuvre du plan n’est plus pertinente.

Lories, Dubois, & Gaussin (1997) affirment que dans le cadre d’une estimation temporelle, les sujets tendent à extraire des invariants statistiques quant au fonctionnement du système, pour utiliser, au sein de leur activité, une heuristique d’ancrage/ajustement, ce que Tversky & Kahneman (1974) posaient comme étant la stratégie consistant à réaliser une estimation à partir d’une valeur initiale, ajustée par la suite en fonction d’éléments de l’environnement.

Deux systèmes permettent de s’offrir des marges de tolérance : les tâches sont toujours planifiées avec un peu de flexibilité pour absorber le retard éventuel d’un prédécesseur, et des tâches libres, non contraintes par un « quand agir », peuvent être insérées dans des moments de calme.

Le processus d’anticipation joue un rôle prépondérant dans la situation évoquée ici : par simulation de l’évolution de sa charge cognitive à venir, l’opérateur joue de la temporalité pour

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lisser et éviter tout pic de charge, dit autrement toute surcharge cognitive. C’est ce que nous avons qualifié plus tôt d’anticipation par pro-action.

La seconde concerne l’aspect hiérarchisé (imbriqué) de ces représentations temporelles. Cet aspect hiérarchisé, ajouté au fait qu’un état peut être partie de plusieurs cadres temporels, permet par inférence de situer dans le temps un événement en fonction d’événements connus (Valax, 1986).

De Keyser (1991) met l’accent sur un autre type de hiérarchisation, du plan à l’action en définissant trois niveaux :

• le niveau infra-logique est une représentation des risques à venir dans une situation donnée, basée sur l’expérience de l’opérateur. Des indices sont associés à un risque futur, sans qu’il soit possible de verbaliser cette relation ;

• le second niveau est lié à la connaissance temporelle codée dans les schémas utilisés pour l’exécution, niveau typique du plan ;

• le dernier niveau est analytique : il s’agit de l’estimation précise du temps horloge, rendue possible par une connaissance causale des liens fonctionnels entre paramètres.

Nous retenons ici l’idée d’une représentation subjective du temps, reposant sur le positionnement temporel relatif d’événements. Ce positionnement est rendu possible par l’existence d’une hiérarchisation laquelle permet l’évaluation fine du temps en son plus bas niveau. Le second point que nous retenons est fondamental et sera central au cahier des charges du cœur fonctionnel de notre support d’aide à l’anticipation (voir Chapitre 5) : il s’agit de la nécessité d’afficher des marges de manœuvre autour des tâches à réaliser. La prise en compte de ces marges et leur évaluation est un outil cognitif majeur offrant la possibilité de respecter les planifications établies, d’anticiper et plus généralement de lisser la charge cognitive dans le temps.

La question qui émerge alors concerne la nature des raisonnements permettant ces inférences et estimations.

2.7.1.2 Raisonnement temporel

Sougné (1996) définit le raisonnement temporel comme étant « un processus qui utilise des

connaissances procédurales permettant de dériver des conclusions (inférence déductives, abductives ou inductives) sur base de connaissances déclaratives, de données, de faits ou d’observations qui décrivent un processus dynamique ».

En situation statique, des logiques temporelles, telles que celle développée par Allen & Koomen (1983, Figure 35) permettent d’inférer sur des relations séquentielles entre événements. En situation dynamique en revanche, compte tenu de l’explosion combinatoire des possibles, il n’est pas rationnel pour l’opérateur d’envisager l’ensemble des possibilités et de prendre ses décisions en fonction. Un principe de filtrage et de hiérarchisation des possibilités s’impose.

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Figure 35 : Relations possibles (et leurs transposées) entre deux intervalles de temps (Allen & Koomen, 1983)

La théorie pragmatique du raisonnement de (Cheng & Holyoak, 1985), complétée par (Holyoak & Spellman, 1993), défend l’idée d’une combinaison de représentations symboliques de connaissances et d’une mécanique de satisfaction de contraintes pour expliquer le raisonnement humain. Ainsi, « les schémas [seraient] des structures plus abstraites que les

connaissances spécifiques au contenu mais plus particulières que les règles d’inférence d’utilité générale ».

L’approche de Smith, Langston & Nisbett (1992) considère que le raisonnement peut être produit par recours à des exemples stockés en mémoire, par application de règles et par combinaison des deux. Les prémisses évoquent un exemple, donnant accès à une règle, ou une règle activée évoque un exemple.

En s’accordant sur ce dernier point de vue, nous justifions notre approche contextualisée : la conception d’un modèle à capacité prédictive en est grandement simplifiée.