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Chapitre 2. Etat de l’art autour de l’anticipation

2.4.4 Anticipation

Par la contrainte que lui imposent ses ressources cognitives, l’opérateur humain est limité dans sa performance face aux événements imprévus. L’anticipation est un moyen de s’affranchir de cette limitation de plusieurs manières.

Un premier moyen consiste à étaler dans le temps les traitements cognitifs : Amalberti (1995) soumet l’exemple de la préparation d’une réponse par avance à une conjoncture d’événements probables. Cet exemple s’inscrit dans la continuité du modèle SRK présenté au paragraphe précédent : face à une situation complexe nécessitant la mise en œuvre de connaissances pour construire une réponse, l’anticipation permet de construire une routine prête à l’usage au moment opportun. Amalberti (1996) explicite cette idée : l’opérateur évite tant que faire se peut les situations complexes en regard de ses savoir-faire, et se prépare à celles qu’il ne peut éviter en pré-organisant ses réponses. Nous qualifions cette situation d’anticipation par préparation à l’action, par opposition à ce que nous qualifierons d’anticipation par pro-action que nous évoquerons plus tard.

Au sein d’un système complexe, tel qu’un cockpit, l’opérateur peut se trouver face à une situation où coexistent plusieurs dynamiques temporelles distinctes (inertie de l’avion, transmission d’informations via la radio, etc…), Leplat & Rocher (1985) soulignent qu’alors l’anticipation permet d’exploiter les tolérances temporelles induites par ces dynamiques. Nous

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qualifions ce cas de figure d’anticipation par pro-action, par opposition à l’anticipation par préparation à l’action (Requin, 1978).

Anticiper consiste également à simuler mentalement l’évolution de la situation en regard d’un plan activé : quand les exigences de la tâche augmentent, Amalberti (1996) met en avant l’émission d’hypothèses sur l’évolution de la situation et le test de ces hypothèses. L’opérateur imagine les conséquences de ces situations et infléchit sa conduite en conséquence, en adaptant son plan d’action si nécessaire. Cette attitude lui permet de maintenir la situation dans des limites contrôlables tout en gérant des écarts éventuels au plan. Pour illustrer cela, en pédagogie aéronautique, il est dit que « le pilote doit apprendre à être devant son avion », et celui-ci est poussé à « émettre en permanence des hypothèses sur la situation à venir afin de s’adapter

activement à cette situation et non d’attendre qu’elle survienne » (Amalberti, 1996).

Ainsi, selon Amalberti (2001), anticiper permet également d’intégrer la propre capacité du sujet à transformer le monde et à se prévenir des événements redoutés en corrigeant le plan tant que son exécution n’est pas engagée.

Cela permet d’introduire dans notre réflexion l’idée d’inscription dans le temps : une structure de contrôle dispose d’une représentation de l’évolution de la situation et évalue la nécessité de réaliser pro-activement ou de se préparer à agir. Cette structure est également à même d’inclure dans sa représentation l’effet des actions à venir dans l’évolution du monde. Nous intégrons ainsi ces idées à ce qui se dessine comme une méta-structure de contrôle (voir précédemment). Enfin, ce processus s’inscrit dans une politique d’économie des ressources cognitives en regard d’un objectif poursuivi. Nous retrouvons l’idée de la recherche d’un compromis entre coût cognitif et performance.

La question du processus permettant la construction et le rappel des structures d’action se pose ensuite tout naturellement.

Conscience de la situation

2.5

2.5.1 Modèle d'Endsley

La problématique de la conscience de la situation est centrale au domaine des facteurs humains. Nous nous accordons sur la définition qu’en donne Endsley (1987, 1988) : « la

conscience de la situation est la perception des éléments de l’environnement dans un certain volume spatio-temporel, la compréhension de leur sens, et la projection de leur statut dans un futur proche ».

A ce titre, et ramené au cadre commun de la dynamique temporelle, la conscience de la situation s’inscrit dans la situation présente : compréhension des événements en cours par la connaissance d’événements passés et capacité à projeter dans le temps ces événements (Figure 26) seront ainsi présentés lors de cette partie.

Figure 26 : Conscience de la situation dans le cadre de la dynamique temporelle

Endsley (1995) distingue les concepts de conscience de la situation et ceux de prise de décision et de performance. Un découpage en trois strates est réalisé :

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• Le niveau 1 correspond à la perception des éléments dans l’environnement : statuts, attributs et dynamique des éléments pertinents. A ce niveau, par exemple, le pilote perçoit les éléments environnant : aéronefs, montagnes ou encore des témoins lumineux avec leurs caractéristiques, la taille, la couleur, la vitesse, ou encore la position.

• Le niveau 2 correspond à la compréhension de la situation actuelle : il s’agit d’une synthèse des éléments disjoints du niveau 1. Il y a conscience des éléments en présence et inclusion de leur signification à la lumière de buts opérationnels. Concrètement, à ce niveau, un pilote de chasse comprend que l’apparition de plusieurs aéronefs ennemis situés à une certaine distance les uns des autres et dans un certain contexte géographique indique certains éléments sur leurs objectifs.

• Le niveau 3 correspond enfin à la projection d’états futurs. Celle-ci est rendue possible par la connaissance des statuts et de la dynamique des éléments, ainsi que la compréhension de la situation issue des niveaux 1 et 2. Là encore, concrètement, un pilote de chasse sait qu’un aéronef ennemi dans une certaine position et un certain lieu a une probabilité d’attaquer d’une certaine manière.

Ce dernier niveau souligne le caractère indissociable des concepts de conscience de la situation et d’anticipation.

La Figure 27 illustre le fonctionnement de la conscience de la situation selon Endsley (1995) : les influx sensoriels stockés dans un magasin sensoriel court terme permettent un filtrage à gros grain en mémoire à long terme. Les informations de perception dirigent vers un schéma qui orientera la compréhension et l’interprétation de la situation.

Figure 27 : Modèle de la conscience de la situation (Endsley, 1995)

Baumann & Krems (2009) en s’appuyant sur (Kintsch, 1998) complètent ce modèle : les informations perçues activent des réseaux de connaissances stockées dans la mémoire à long

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terme. A partir de ce réseau de connaissances est construite une représentation cohérente en suivant un processus de type contrainte/satisfaction : les éléments compatibles sont activés, les éléments incompatibles supprimés. L’expertise permet au sujet d’ajouter des attentes quant à l’évolution de la situation. Ces attentes sont liées à des schémas qui sont activés quand certains motifs d’indices sensoriels sont rencontrés dans l’environnement.

La compréhension de la situation consiste ainsi tant à donner de la cohérence aux faits qu’à les expliquer et à en prédire l'évolution. Il s’agit donc d’un mécanisme reposant sur un double rapport à la temporalité : à rebours pour expliquer la cause, et dans l’avenir pour prédire. Toute compréhension s’entend en regard d’un objectif, il s’agit donc de construire une représentation juste à l’instant donné en fonction du but poursuivi.

Dans cette démarche, Richard (1990) distingue quatre processus de construction de la représentation de la situation :

• la particularisation d’un schéma est à rapprocher de l’activité de diagnostic : les indices environnementaux activent plusieurs schémas concurrents, de l’information complémentaire est nécessaire pour affiner le choix. L’erreur la plus fréquente dans ce cas-là est due à la surinterprétation des faits recueillis : simplification et limitation du nombre de faits, tendances à les assigner à des hypothèses existantes ;

• la particularisation à une situation : c’est le cas de l’utilisation de schémas moins développés ou spécialisés ;

• la construction d’un réseau de relations : dans le cas de situations nouvelles ne permettant pas les deux cas précédent ;

• l’analogie : la situation ne présente pas les conditions strictes d’application du schéma mais seulement des conditions approchées de sorte qu’on ne se situe pas dans l’un des cas précédents.

Plusieurs idées fondamentales sont ici retenues. En tout premier lieu, le fait qu’il n’y a pas d’anticipation sans perception et compréhension de la situation. Il s’agit donc d’un processus cognitif reposant à la fois sur la capacité à percevoir puis interpréter des indices sensoriels. Le second point concerne l’idée de réseaux de connaissances congruentes validées par satisfaction de contraintes. Par satisfaction de contraintes est entendu le processus de validation des attentes qu’ont ces connaissances à l’égard de l’environnement. Nous retrouvons dans la notion d’attentes l’idée de modèle prédictif de l’évolution du monde. Enfin, plusieurs procédés permettent la construction de solutions aux problèmes rencontrés, mais la plupart reposent sur l’utilisation plus ou moins fidèle de solutions existantes.