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Chapitre 2. Etat de l’art autour de l’anticipation

2.7.3 Distance de projection au but

Le rapport de ce qui pourrait être qualifié de « distance de projection au but », à savoir l’estimation du temps disponible avant l’occurrence de l’événement, du temps disponible pour agir, et de la charge cognitive, est fondamental dans une réflexion sur le gain induit par l’anticipation.

Hancock & Caird (1993) émettent l’hypothèse que la charge cognitive est inversement proportionnelle à l’estimation du temps disponible pour réaliser l’action, mais proportionnelle à la distance estimée au but. En d’autres termes, la charge est minimale si on pense avoir beaucoup de temps pour réaliser l’action et que la distance au but paraît faible. Inversement, un but éloigné et une estimation du temps disponible pour réaliser l’action faible mènent à un maximum de charge, ce qu’illustre la Figure 37.

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Figure 37 : Charge cognitive fonction de la distance perçue au but et de l'estimation du temps disponible, d'après Hancock & Caird (1993)

Ainsi, à temps effectif pour l’action donné, Hancock & Caird (1993) établissent qu’une projection à long terme est cognitivement coûteuse (charge cognitive élevée) quand une projection à court terme l’est moins (charge cognitive plus faible).

Ce résultat est à mettre en regard de problématiques d’évaluation d’incertitude et d’explosion combinatoire, ce que met en évidence Reynolds (2006) dans le milieu aéronautique. Tout en prenant en compte le fait que l’échelle de temps est exclusivement dépendante des circonstances, il est considéré qu’à court terme, on se positionne dans une région persistante, l’environnement évoluera peu. Un peu plus loin dans l’avenir, des règles, telles que des lois physiques, peuvent être appliquées pour avoir une idée relativement précise de l’évolution de la situation, on se positionne dans une région déterministe. Au-delà d’une certaine distance temporelle, les règles permettant l’évaluation de l’évolution de la situation sont soumises à une explosion combinatoire liée à l’ensemble des variables à prendre en compte. On est alors dans une région probabiliste, dans laquelle la pente de la courbe d’incertitude augmente exponentiellement, ce qu’illustre la Figure 38.

Figure 38 : Incertitude des projections en fonction du temps, d'après Reynolds (2006)

Un point critique de notre travail est ici abordé : il apparaît que profondeur temporelle d’anticipation, ce qu’on qualifiera d’empan d’anticipation, charge cognitive et performance sont

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liés. Dans le cadre d’un environnement dynamique parfois instable, où l’incertitude peut en certaine circonstance être importante, la question de l’impact de la profondeur temporelle d’anticipation sur la charge cognitive et la performance est une donnée fondamentale à prendre en compte pour la conception de notre outil d’aide à l’anticipation. Nous traiterons de ce point fondamental lors de notre étude préliminaire (voir Chapitre 3).

Planification

2.8

Hoc (1987) définit la planification comme « l’élaboration et (ou) la mise en œuvre de

plans ». La définition, que nous rappelons, du concept de plan, «une représentation schématique et (ou) hiérarchisée susceptible de guider l’activité », fait le lien avec le thème abordé plus tôt de

schématisation.

Si nous nous penchons sur les termes employés, il est noté dans un premier temps la subjectivité sous-jacente à l’idée de représentation. Le terme est ici employé en opposition au terme de traitement, qui sous-entend l’emploi de procédures. Il s’agit de représenter l’information, pas de la traiter effectivement. La définition nous indique également que le plan ne guide pas forcément l’activité, il n’est que « susceptible de la guider ». L’activité pourra donc suivre la structure du plan mais également s’en affranchir.

Dans un second temps, nous soulignons les termes schématique et hiérarchisée : la représentation est à un bas niveau de détails et il y a mise en place d’une stratégie de raffinements successifs. Si la représentation est située suffisamment haut dans la hiérarchie de raffinement de Rasmussen (1986), alors elle mettra en évidence des relations entre parties d’un objet, ne pouvant être exprimée à un niveau plus microscopique. Hoc (1987) donne ainsi l’exemple du rapport d’expérience structuré en parties (problématique, méthode, résultats, interprétation) dont les relations relatives ne pourraient être traitées si elles n’étaient pas distinguées. Au sens de la hiérarchie d’abstraction, elle fait apparaître des relations entre éléments qui ne peuvent être traitées qu’au niveau de l’architecture fonctionnelle d’un système et non au niveau de sa mise en œuvre.

De la même façon, si le plan est défini à un niveau plus élevé que celui de la mise en œuvre de l’activité, il est souvent lui-même hiérarchisé : il met alors en évidence différents niveaux dans sa structure et les relations entre eux, ce qui sera utile lorsque les modalités d’exécution d’une procédure seront liées à celles d’une autre sous-procédure exécutée ultérieurement. La planification est donc également une activité de séquençage d’opérations précédant leur exécution, ce qu’illustre la Figure 39. A la manière de Hoc (1987), nous confondrons ainsi l’élaboration définie plus haut et la mise en action de plans pour définir l’activité de planification.

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Figure 39 : Exemple de hiérarchisation dans la planification (d'après Sacerdoti (1977) dans Hoc & Nguyen-Xuan (1987))

En situation dynamique, Amalberti (2001) souligne une limite fondamentale : la planification, tout comme l’enrichissement de la représentation, ne doit durer que tant que la solution n’est pas crédible ou que son coût de mise en jeu est trop important. Le critère d’arrêt est évoqué par O’Hara & Payne (1998, 1999) sous le nom de « coût cognitif utile » : l’essentiel est de définir un plan d’ordre supérieur reposant sur le critère de suffisance de l’opérateur (performance et coût acceptables, objectifs,) définissant les difficultés à éviter ou à traiter, il n’est pas nécessaire d’enrichir indéfiniment la représentation d’éléments pouvant se périmer ou si la solution définie est suffisamment robuste par rapport à l’exigence acceptable.

Anticipation

2.9

2.9.1 Anticipation et profondeur temporelle

Un point de vue psychophysiologique, présent dans la théorie de l’énaction de Maturana & Varela (1980) et sous le versant phénoménologique dans Berthoz (1997), défend l’idée de processus cognitifs incarnés dans les boucles sensorimotrices. Celle-ci reposerait sur le maintien, au sein du système cognitif, du lien fonctionnel entre événements perçus et motifs organisés d’action. Les codages perceptifs dépendent du mouvement entrepris et des connaissances du sujet. Les corrélations spatio-temporelles mèneraient en mémoire à des associations des motifs cooccurrents les plus fréquents. Cela permettrait l’émergence d’une séquence d’événements occurrents, ce qui est un prérequis pour des processus anticipatoires (Lavigne & Lavigne, 2000).

En psychologie du sport, des études ont été menées sur l’anticipation, particulièrement dans le milieu du tennis. Elles mènent au postulat que l’anticipation peut être observée à différents niveaux de l’organisation de la motricité (Crognier & Fery, 2007). Le premier niveau, sensorimoteur, établit les conditions posturales de l’anticipation : maintien de l’équilibre et réduction des perturbations liées à l’environnement lors du mouvement. Le second niveau

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concerne l’action elle-même : avance ou retard du sujet par rapport à la stimulation à laquelle il doit répondre. Enfin, au troisième niveau, il s’agit de la planification de l’action à plus long terme. Dans les deux premiers niveaux, une distinction est également faite entre anticipation « perceptive », la capacité à prédire les caractéristiques spatiales et temporelles d’un objet en déplacement quand celui-ci n’est plus visible, et « effectrice », qui fait coïncider prédiction et réponse motrice (Poulton, 1957).

Denecker (1999) effectue la distinction entre anticipation symbolique et anticipation subsymbolique. La première est inconsciente, procédurale et très court terme. Elle permet d’expliquer les conduites adaptatives. Elle est proche de l’idée d’expertise perceptivo-motrice(Crognier & Fery, 2007). La seconde est accessible au niveau verbal et repose sur la mobilisation de systèmes de connaissances. Elle est proche de l’idée d’expertise perceptivo-cognitive (Crognier & Fery, 2007). Elle se prête aux empans temporels plus longs (au-delà de quelques secondes, voir paragraphe suivant).