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A. UN MESSAGE DE SANTÉ PUBLIQUE PERDU DANS LE BROUILLARD

2. Des médias parfois excessifs

On ne peut tenir les médias pour responsables des propos tenus par des personnalités qu’ils se bornent à reproduire ; mais force est de constater que le traitement de la grippe a donné lieu à un véritable emballement médiatique qui aurait parfois nécessité un certain recul.

a) Un large écho donné à des prises de position de personnalités extérieures à l’expertise sanitaire

Au-delà des scientifiques et chercheurs, de nombreuses personnalités extérieures au champ de l’expertise sanitaire proprement dite se sont exprimées

(1) M. Thierry Amouroux, secrétaire général du Syndicat national des professionnels infirmiers.

non seulement sur la gestion de la pandémie par le Gouvernement, ce qui était parfaitement légitime, mais aussi sur la réalité du risque encouru du fait de la pandémie voire des vaccins. On a ainsi engagé la polémique sur des questions strictement scientifiques : une lettre ouverte envisageant la dangerosité des vaccins adjuvantés a, par exemple, sans aucun doute eu un impact très important.

Si l’on ajoute à cela la mise en cause du caractère régulier des contrats conclus avec les laboratoires producteurs de vaccins, les critiques émises à l’encontre d’une procédure de mise sur le marché jugée trop rapide, la suspicion jetée sur des experts siégeant dans les instances d’expertise collégiales, la dénonciation de l’absence de transparence de celles-ci et même du manque d’information des citoyens – alors que jamais auparavant les pouvoirs publics n’avaient mené une communication aussi abondante – le message sanitaire devient forcément brouillé.

La parole est libre, et c’est heureux ; après tout, chacun est responsable de ses propos. On peut néanmoins regretter qu’il n’ait pas été fait parfois preuve de plus de mesure et de distance et même, dans certains cas, de davantage de respect à l’égard des scientifiques. Car parallèlement, dans ce contexte déjà confus, se sont élevées des voix d’« experts médiatiques » autoproclamés ou en quête d’une gloire éphémère – sur les compétences desquels on ne s’est d’ailleurs pas forcément interrogé – et qui, procédant par raccourcis, sans souci de la nuance, ont pu s’ériger en chevaliers blancs pour finalement affirmer sans ambages et avec le ton de celui-qui-sait que la vaccination était plus dangereuse que la pandémie elle-même.

b) Des informations oscillant entre alarmisme et banalisation

Le traitement de la grippe A(H1N1) par les médias a donné lieu à un feuilleton quasi-quotidien faisant état d’événements d’importance variable et qui a eu un impact indéniable sur l’état d’esprit de la population. Comme l’a indiqué Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports (1), on a pu constater, lors de la pandémie, une certaine fébrilité des médias qui rendait difficile, pour les autorités, de « baisser le rhéostat » de la communication. Au tout début, la tonalité générale a été plus interrogative que véritablement alarmiste sur le virus de cette nouvelle grippe qui était alors dite « porcine » : il s’agissait de faire état des incertitudes, qui étaient nombreuses. L’apparition de premiers cas de grippe A(H1N1) en Europe, puis en France à la fin du mois d’avril a ensuite donné lieu à des reportages plus alarmistes, puis rassurants après que furent rendues les premières conclusions des travaux sur le virus, qui ne semblait pas très pathogène.

L’inquiétude est néanmoins reparue au mois de juin 2009, lorsque l’Organisation mondiale de la santé a décidé de passer à la phase 6 du niveau d’alerte pandémique. Mais au mois de juillet 2009, la plupart des médias soulignaient que la grippe A(H1N1) était moins grave que prévu. À partir du mois

(1) Audition du 15 juin 2010.

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de septembre et désormais jusqu’à la fin de l’année, ils ont alors alimenté le débat sur la pertinence d’une campagne de vaccination générale qui en est venue à être mise en cause, alors même que certains s’alarmaient, au courant de l’été, du risque d’une indisponibilité des vaccins à la rentrée et de la dangerosité du virus.

c) Des messages inquiétants sur la sûreté des vaccins

Parallèlement à cette banalisation progressive de la grippe A(H1N1), est apparue une polémique largement médiatisée sur la sûreté des vaccins pandémiques, reposant sur des malentendus et des amalgames, qui a conduit à mettre en cause le recours aux adjuvants tout en s’inquiétant d’éventuels risques d’apparition du syndrome de Guillain-Barré (1). La France a ainsi été l’un des pays où le principal argument invoqué à l’encontre de la vaccination a été celui du risque encouru du fait de vaccins considérés comme insuffisamment sûrs.

C’est tout d’abord la procédure d’autorisation de mise sur le marché qui a été attaquée : était-il raisonnable d’injecter à des millions de personnes des produits fabriqués en quatre mois et testés sur « quelques milliers de cobayes » seulement ? Reconnaissons que face à ce questionnement destiné dans bien des cas à produire une forte impression, il était difficile de répondre simplement puisqu’il fallait pour cela décrire la complexe procédure de recours aux vaccins maquettes.

Le débat sur les adjuvants a également été fortement médiatisé : les vaccins auraient contenu des substances dont on connaîtrait mal la dangerosité puisqu’on n’osait pas en donner aux femmes enceintes et aux enfants âgés de six à vingt-quatre mois présentant des facteurs de risque – ce qui était en réalité une mesure de précaution liée au caractère très particulier de leur système immunitaire. De multiples interventions, et même des injonctions – « Les Français doivent savoir ce qu’on va leur injecter » (2) – ont donc été relayées sur ce sujet et ont contribué à alimenter les inquiétudes et les doutes. Certes, des experts reconnus ont tenté d’y répondre dans les médias mais l’argumentation scientifique est bien mal adaptée à cet exercice quand il s’agit davantage de frapper les esprits.

Pour ce qui concerne le syndrome de Guillain-Barré, jusque là méconnu du public, il a lui aussi pu connaître son « heure de gloire » médiatique, d’autant plus que le premier cas, constaté chez un personnel soignant vacciné, a été rendu public le 12 novembre 2009, date de lancement de la campagne visant la population générale. Les médias s’en sont évidemment emparés, d’autant plus qu’il était pour ainsi dire « attendu » (3), ne serait-ce que parce que statistiquement

(1) Ce syndrome est « une atteinte des nerfs qui se traduit par une paralysie rapide, débutant au niveau des membres inférieurs puis remontant vers le haut du corps. C’est une maladie potentiellement grave : dans 85 % des cas, la récupération est complète, 10 % des patients gardent des séquelles motrices et 5 % décèdent. » (Source : ministère de la santé et des sports).

(2) Le Parisien, lundi 14 septembre 2009.

(3) M. Paul Benkimoun, journaliste au Monde, audition du 27 mai 2010.

un tel syndrome apparaît indépendamment de la vaccination. Nul doute que l’attention qui lui a été portée, même si elle s’est traduite en général par un traitement correct du sujet, a contribué à renforcer la défiance des Français à l’égard de la campagne de vaccination.

3. Sur internet, un débat concurrent qui a débordé les autorités