II. LES MÉDECINS, DES PATIENTS PAS COMME LES
2. Le médecin, un malade comme les autres…ou
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Le système de santé actuel en France promeut la place centrale du médecin généraliste dans le
parcours de soin. Or, lorsqu’il s’agit de la santé des médecins, le rapport à la maladie n’est pas
toujours très simple.
En effet, comme le rapporte Madeleine Lhote dans sa thèse d’exercice de médecine [43], 90%
des médecins libéraux franciliens n’auraient pas de médecin traitant, - autre qu’eux-mêmes -,
et auraient recours à l’automédication lorsque cela est nécessaire.
La plupart des médecins de famille sont donc leur propre médecin traitant, mais ceux-ci ont
rarement un comportement rationnel face à leur propre santé. En effet, lorsque le médecin est
malade, il a tendance à refuser la réalité de ses symptômes ou à en minimiser le ressenti.
De plus, sous prétexte d’un manque de temps, il néglige tout examen de prévention, et
repousse souvent un examen médical, retardant sa prise en charge, comme le souligne Sandra
Bonneaudeau dans sa thèse d’exercice [44].
Outre ce manque de temps, c’est également une pression sociétale et culturelle qui renforce le
médecin dans le sentiment qu’il ne peut être malade, qu’il doit absolument paraître en bonne
santé.
En effet, depuis des siècles, le médecin reflète aux yeux de la société une image d’autorité et
de surpuissance face à la maladie, comme l’écrivait Montaigne au XVIe siècle : « La maladie
du médecin est un scandale », renchéri par Voltaire deux siècles plus tard : « Il n’y a rien de
plus ridicule qu’un médecin qui ne meurt pas de vieillesse ». [45]
Beaucoup de médecins pensent donc à tort être immunisés contre les maladies qu’ils sont
amenés à soigner.
De plus, la « non obligation » d’avoir un autre médecin traitant rend plus difficile la demande
d’aide des médecins à des confrères pour leur problème de santé. En effet, un sentiment de
honte est souvent retrouvé chez ces médecins, comme s’ils avaient échoué quelque part, et
que leur maladie reflétait leur « incompétence » à soigner leurs propres patients. [46]
L’accès aux connaissances médicales et aux médicaments rend donc ces patients spéciaux,
chez qui un retard diagnostique est fréquemment observé du fait d’une période
d’automédication initiale. Ceux-ci ont également peur de se livrer à un confrère et de la
rupture du secret professionnel si ce dernier était amené à demander un autre avis.
Paradoxalement, le savoir médical n’entraîne donc pas nécessairement une meilleure prise en
charge, et souvent, les patients-médecins présentent un tableau clinique plus grave lorsqu’ils
sont finalement amenés à consulter, du fait du déni face aux symptômes fonctionnels qu’ils
ressentent. [47]
C’est un fait, être médecin ne garantit pas la bonne santé, et cela est favorisé par l’absence
d’initiatives des pouvoirs publics dans le suivi des médecins. En effet, actuellement il n’existe
pas de médecine du travail pour les médecins libéraux, alors que ce mode d’exercice est
largement prédominant, ni de bilans de santé proposés par la sécurité sociale comme pour les
autres patients.
De plus, dans le système libéral, l’arrêt de travail pénalise fortement ces professionnels.
De nombreuses études émergent ces dernières années au sujet de la santé physique et mentale
des médecins.
Ainsi, en 2014, Laurianne Gallice réalise sa thèse de médecine sur la santé des médecins
généralistes libéraux français à partir d’une étude de la littérature de 2003 à 2013. [48]
Elle y fait une synthèse de 8 enquêtes, 17 thèses de médecine générale et du rapport de
commission nationale permanente du Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM).
D’après son analyse des différentes données, environ 75% des médecins se considèrent en
bonne santé. Néanmoins, environ 4 médecins sur 10 estiment ne pas du tout prendre en charge
leur santé ou avoir une mauvaise prise en charge. Ces médecins évoquent de nombreux freins
à une bonne relation de soin : gêne à consulter un confrère, peur de le déranger, difficultés à
se confier, négligence de leur santé, manque de temps, aptitude à l’autogestion, manque
d’anonymat, crainte de ne pas être considéré comme un patient comme les autres etc. Tous
ces freins, associés à une minimisation fréquente des symptômes entrainent en général un
délai de prise en charge plus long des médecins par rapport aux autres patients.
De plus, malgré la réforme de 2004 visant à développer la qualité et la coordination des soins,
qui stipule que tout assuré social de plus de 16 ans doit désigner un médecin traitant de son
choix, encore 2 médecins sur 10 n’ont déclaré aucun médecin traitant, et la majorité des
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médecins se sont auto-déclarés. En outre, parmi ceux ayant désignés un confrère, plus de la
moitié ont choisi un proche.
En s’auto-déclarant, le médecin perd donc les bénéfices d’un examen clinique, d’interaction et
d’objectivité d’une tierce personne.
A noter qu’indépendamment du médecin traitant déclaré (généraliste ou spécialiste), les
médecins se dirigent préférentiellement vers les spécialistes en cas de problème de santé aigu
ou de maladie chronique, jugeant que leurs propres compétences sont similaires aux autres
médecins généralistes.
Il semblerait toutefois que certains facteurs soient liés au choix d’un médecin traitant autre
que soi-même, et à une consultation auprès de ce dernier plus aisée tels que : le genre féminin,
l’âge jeune, l’exercice en groupe, le nombre de semaines de congés annuels et un épuisement
émotionnel bas ou moyen.
La jeune génération féminine serait donc plus encline à consulter un confrère que leurs ainés
masculins.
Dans le document
SORBONNE UNIVERSITÉ THÈSE DOCTEUR EN MÉDECINE
(Page 38-41)