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Mécanismes responsables de l’action pro-tumorale des anticorps

3. Mécanismes responsables de l’action pro-tumorale des anticorps 3.1. Inhibition de l’ADCC par les IgA et par les IgG4

Les IgG et les IgA peuvent induire la mort des cellules tumorales, notamment via des mécanismes d’ADCC ou d’ADCP, cependant, certaines sous-classes d’Ig sont capables d’inhiber cette voie cytotoxique (figure 7). L’ADCC induite par les IgG est essentiellement une propriété des IgG1 et des IgG3 tandis que les IgG4 en sont dépourvues. De manière intéressante, il a été montré que des cellules productrices d’IgG4 peuvent infiltrer les tumeurs, comme décrit dans le mélanome et dans le cholangio-carcinome (Harada et al., 2012; Karagiannis et al., 2013). L’utilisation de deux Acs dirigés contre un même Ag tumoral, mais de sous-classe IgG1 ou IgG4, dans un modèle de co-culture de lignées de mélanocytes et de monocytes a montré que les IgG1 sont capables de tuer les cellules tumorales par ADCC/ADCP alors que les IgG4 n’activent que très faiblement cette fonction. De plus, il est documenté que les IgG4 inhibent la mort induite par les IgG1 en entrant en compétition pour la fixation de FcγRI sur les monocytes, comme le montrent des expériences de blocage des récepteurs (Karagiannis et al., 2013). Dans ce cas, l’inhibition par les IgG4 ne semble pas passer par une interaction avec le FcγRIIB, le Fcγ récepteur inhibiteur, car son blocage ne modifie pas l’inhibition observée.

Cependant, il a été montré que les IgG4 ont une plus forte affinité pour ce récepteur que les autres Ig, ce qui pourrait également expliquer sa fonction inhibitrice dans d’autres contextes (Bruhns et al., 2009). La prise en compte de ce récepteur inhibiteur est importante pour étudier l’ADCC in vivo, mais aussi pour concevoir des Acs thérapeutiques, qui devraient avoir une faible affinité pour le FcγRIIB (Clynes et al., 2000).

Les IgA sont également capables d’inhiber l’ADCC dans certains contextes. Une étude dans le carcinome nasopharingé a également mis en évidence que les IgA issues de sérum de patients n’induisent pas d’ADCC en présence de lymphocytes, mais également qu’elles inhibent la cytotoxicité induite par les IgG (Mathew et al., 1981). Dans cette étude, le mécanisme d’inhibition et la population effectrice inhibée ne sont pas clairement définis. Une autre étude démontre spécifiquement l’inhibition des cellules NK par les IgA, plus exactement les IgA2 polymériques et les IgA sécrétoires. L’incubation des cellules NK avec ces IgA conduit à une inhibition de leur fonction cytotoxique. Le mécanisme précis d’inhibition n’est pas élucidé, mais il semble que les IgA n’empêchent pas l’interaction des cellules NK avec leur cellule cible, mais entraînent plutôt des changements morphologiques, dont la diminution du nombre de granules cytotoxiques intracellulaires (Komiyama et al., 1986). Il est montré ici que les IgG et les IgM n’inhibent pas les cellules NK, mais l’action inhibitrice des IgA sur les IgG n’est pas étudiée. Une comparaison entre l’effet des IgA et des IgG sur l’activation de la cytotoxicité des cellules NK a également été conduite en contexte d’infection par HIV. Il est montré à nouveau que les IgA n’induisent pas d’ADCC et inhibent l’ADCC induite par les IgG, ici spécifiquement par les cellules NK (Tomaras et al., 2013).

Les sous-classes d’IgG semblent donc jouer des rôles différents dans l’activation de l’ADCC : les IgG1 l’activent alors que les IgG4 sont inhibiteurs. En ce qui concerne les IgA, nous avons pu constater un rôle activateur de l’ADCC, principalement en présence de neutrophiles et de monocytes, ou inhibiteur, en présence de cellules NK. Il semble donc que l’élément important dans cette dualité fonctionnelle soit la nature des cellules effectrices présentes au contact des cellules tumorales qui pourrait s’expliquer par une différence d’expression des Fc récepteurs sur les deux types de cellules. Les cellules NK n’expriment pas le FcαR, ce qui explique que les IgA n’activent pas l’ADCC sur ces cellules. Le mécanisme exact de l’inhibition par les IgA de l’ADCC induite par les IgG n’est cependant pas connu, mais elle serait plutôt due à une compétition pour l’Ag, étant donné que les récepteurs sont différents.

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3.2. Induction d’une réponse inflammatoire pro-tumorale

Les Ig peuvent induire la mort des cellules tumorales et activer une réponse des LT CD8+

cytotoxiques contre celles-ci. Cependant, la présence d’Ig dans le MET peut également conduire à une

inflammation pro-tumorale. Les Ig ont un rôle important dans l’entretien de pathologies auto-inflammatoires pouvant évoluer en cancer, comme la maladie de Crohn par exemple. Dans ces pathologies, l’inflammation chronique est à l’origine de la transformation maligne du tissu et il semble que les Ig puissent participer à ce processus. Dans un modèle murin de carcinome épidermoïde induit par l’expression de gènes de l’herpesvirus 16 sous le contrôle du promoteur K14 spécifique des kératinocytes (K14-HPV16), des IgG se déposent sur la peau tumorale et une déficience en LB abroge ces dépôts et réduit la croissance tumorale (de Visser et al., 2005). Par ailleurs, le transfert répété de sérum d’une souris porteuse de tumeur à une souris K14-HPV16 sans LB et sans LT induit la transformation maligne de l’épiderme. Il a été montré que le rôle pro-tumoral observé des Ig passe par le recrutement de granulocytes et de mastocytes, possiblement en produisant des métalloprotéases matricielles (MMP) favorisant l’angiogenèse (de Visser et al., 2005). De plus, l’engagement des FcγR sur les macrophages résidents et recrutés dans les tumeurs de ce même modèle augmente leur sécrétion de chimiokines permettant la néoformation de vaisseaux et jouant ainsi un rôle pro-tumoral (Andreu et al., 2010). Par ailleurs, l’interaction entre les IgG et les FcγR des macrophages et des neutrophiles conduit à une augmentation des capacités de migration des cellules tumorales dans différents modèles murins, suggérant que les Ig promeuvent un phénotype pro-tumoral de ces populations immunitaires, peut-être en induisant la production de myéloperoxidase (Barbera-Guillem et al., 1999).

Les Ig peuvent donc provoquer une inflammation favorisant la croissance tumorale. 3

3.3. Induction d’un phénotype tolérogène des cellules présentatrices d’antigènes par les IgA Les IgA sont principalement connues pour participer au maintien de l’homéostasie dans les muqueuses, en particulier dans l’intestin. Si ce rôle dépend principalement d’un contrôle de la flore commensale, des effets indépendants de la cible antigénique semblent également impliqués. Les IgA peuvent en effet conférer des fonctions tolérogènes aux cellules immunitaires exprimant des récepteurs capables de fixer ces IgA.

Les IgA peuvent inhiber les CPA suite à l’engagement du FcαR, exprimé notamment par les DC et les macrophages. Il a été montré que l’interaction entre les IgA et ce récepteur peut conduire soit à un signal activateur, soit à un signal inhibiteur en fonction de la nature moléculaire des IgA (Pasquier et al., 2005). Les IgA existent en effet principalement sous trois formes : monomériques, dimériques, et sécrétoires. Les IgA monomériques entraînent un signal inhibiteur, alors que les IgA polymériques, en agrégeant plusieurs récepteurs, induisent un signal activateur, les deux signaux impliquant le motif ITAM (Immunoreceptor Tyrosin Activating Motif) de la chaîne γ associée au FcαR. Ainsi, la liaison entre les IgA et le FcαR peut induire un phénotype tolérogène des monocytes et des DC dérivées de monocytes in vitro. Cela se traduit à la fois par une diminution de production de cytokines

inflammatoires telles le TNFα, l’IL-6, et l’IL-12 (Lecocq et al., 2013; Wolf et al., 1994, 1996), mais aussi par une augmentation de production de cytokines anti-inflammatoires comme l’IL-10 (Pilette et al., 2010). D’autres études montrent que la fixation de complexes immuns à IgA par des DC générées ex

vivo entraîne la maturation de ces cellules en induisant l’expression du CMH-II et de molécules de

co-stimulation comme CD86, mais conduit à un phénotype tolérogène des DC en favorisant leur sécrétion d’IL-10 (Geissmann et al., 2001; Pasquier et al., 2004).

Les IgA peuvent également interagir avec des récepteurs dits accessoires, comme le récepteur DC-SIGN (CD209), qui ne reconnaissent pas le fragment Fc, mais des résidus sur l’Ac (Baumann et al., 2010). Ce récepteur reconnaît par ailleurs des glycans et des résidus mannose sur différentes protéines, notamment issues de pathogènes. DC-SIGN est principalement exprimé par des cellules myéloïdes, dont des DC et des macrophages. Chez la souris, l’engagement de SIGNR1, l’équivalent murin de DC-SIGN, par des IgA sécrétoires sur des DC les oriente vers une fonction tolérogène, caractérisée par la production d’IL-10 et la capacité à induire des LTreg (Diana et al., 2013). Chez l’Homme, l’engagement de DC-SIGN par des Acs agonistes sur des monocytes lors de leur différenciation donne naissance à des DC immatures produisant plus d’IL-10 et moins d’IL12, exprimant moins de molécules co-stimulatrices, et ayant des capacités moindres à induire des LT CD4+

producteurs d’IFNγ (Švajger et al., 2011). L’expression de DC-SIGN a également été observée dans le stroma de différentes tumeurs solides, en particulier sur les macrophages, et son blocage ex vivo conduit à une diminution de la production d’IL-10 par les macrophages (Domínguez-Soto et al., 2011). Ces données suggèrent que l’engagement de DC-SIGN oriente les macrophages vers un phénotype tolérogène de type M2. Cependant, l’impact de DC-SIGN n’est pas dû ici à un engagement du récepteur par des IgA, mais par d’autres motifs glycosylés. L’ensemble de ces données suggère néanmoins qu’une interaction entre DC-SIGN et les IgA pourrait conduire à un phénotype similaire.

Les IgA peuvent donc exercer un rôle immunosuppresseur en conditionnant les CPA à exercer une fonction tolérogène via l’engagement de récepteurs comme le FcαR ou DC-SIGN.

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4. Utiliser les connaissances des rôles pro- et anti-tumoraux des anticorps pour concevoir des