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Des immunoglobulines spécifiques d’antigènes tumoraux comme reflet de l’immunogénicité des tumeurs

1. Le développement du cancer est souvent associé à l’induction d’une réponse anticorps

1.1. Des immunoglobulines spécifiques d’antigènes tumoraux comme reflet de l’immunogénicité des tumeurs

Bien que l’intérêt porté aux LB dans la tumeur soit plus récent que pour les autres populations immunitaires, les Acs sont étudiés dans le sérum des patients depuis plusieurs décennies. Ils ont principalement été considérés comme de possibles biomarqueurs tumoraux accessibles de manière non-invasive, mais également comme une preuve de leur immunogénicité (Baseler et al., 1987). Les premières observations ont révélé une concentration plus importante d’Ig sériques chez les patients dans plusieurs types de cancers solides par rapport à des donneurs sains (Baseler et al., 1987; Guy et al., 1981). Par la suite, l’analyse de la spécificité de ces Acs dans le sérum des patients a permis de démontrer leur réactivité contre certains Ags tumoraux et de leur attribuer une valeur pronostique.

a. Méthodes d’identification des cibles des anticorps présents chez les patients atteints de cancers

Plusieurs techniques ont été utilisées pour identifier les cibles antigéniques des Acs présents chez les patients atteints de cancer. Les méthodes SEREX (serological identification of antigens by recombinant expression cloning) (Sahin et al., 1995) et de phage display (Fosså et al., 2004) permettent d’identifier les protéines exprimées par les cellules tumorales et ciblées par les Acs présents dans le sérum. Pour cela, les ARN extraits du tissu tumoral subissent une étape de transcription inverse puis les protéines correspondantes sont exprimées soit dans E. coli (SEREX) soit à la surface de phages (Phage display) puis mises en présence du sérum des patients. Le séquençage de l’ADN des clones positifs permet ensuite d’identifier la protéine ciblée par l’Ac. Ces méthodes permettent de mesurer la présence d’Acs contre une grande quantité de protéines exprimées dans les cellules tumorales, mais ont tendance à favoriser les protéines fortement exprimées, et sans modification post-traductionnelle pour le phage display. De plus, certaines protéines ne peuvent être exprimées à la surface des phages.

D’autres méthodes utilisent les protéines extraites du tissu tumoral, sans passer par un système d’expression extérieur. La méthode SERPA (Serological proteome analysis) utilise l’extrait protéique en le faisant migrer en deux dimensions sur un gel de polyacrylamide, ensuite incubé avec le sérum des patients (Klade et al., 2001). Les protéines reconnues sont ensuite identifiées par chromatographie en phase liquide à haute performance (HPLC). Cette technique a cependant été peu efficace pour identifier des protéines reconnues uniquement chez les patients atteints de cancers et

pas chez les donneurs sains. Les protéines isolées de la tumeur peuvent également être purifiées pour réaliser différents ELISA avec le sérum des patients, éliminant la nécessité d’une méthode d’identification des protéines, mais la purification des protéines est une étape lourde à réaliser. Les cibles des Acs présents dans le sérum des patients peuvent également être identifiées en isolant directement les Acs, grâce à la méthode MAPPing (Multiple Affinity Protein Profiling) (Hardouin et al., 2007). Les protéines présentes dans les complexes immuns sont séparées des Acs par des étapes de chromatographie, puis sont identifiées par HPLC ou par spectroscopie de masse. Ces deux dernières méthodes ont l’avantage de prendre en compte les modifications post-traductionnelles et la conformation des protéines contrairement aux techniques précédentes.

Désormais, la plupart des études visant à identifier les cibles antigéniques des Acs présents chez les patients utilise des protéines recombinantes pour la réalisation d’ELISA (souvent limités aux Ag tumoraux déjà décrits) ou d’analyse par microarrays permettant de couvrir tout ou partie du protéome (Gnjatic et al., 2010).

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b. Diversité des réponses anticorps entre les patients et les types de cancers

De nombreuses spécificités antigéniques ont été identifiées grâce à ces techniques, mais concernent principalement les IgG présents dans le sérum des patients. Une des premières informations importantes provenant de ces différentes données est que de nombreuses spécificités antigéniques observées dans le sérum des patients ne sont pas retrouvées chez des donneurs sains, et sont donc liées à la présence de la tumeur. Par ailleurs, une grande diversité existe, à la fois entre patients et d’un type de cancer à un autre, comme le montrent les études pionnières ainsi qu’une étude comparative de la présence d’Acs dirigés contre 22 Ags chez des patients atteints d’un cancer du pancréas ou de l’ovaire (Gnjatic et al., 2010). Le nombre d’Ags reconnus chez les patients atteints de cancers d’ovaire est nettement supérieur au pancréas, reflétant une différence d’immunogénicité entre ces deux cancers, et les Ags ciblés sont différents entre cancers et entre patients.

Les Acs spécifiques d’Ags tumoraux ont d’abord été considérés comme de possibles biomarqueurs permettant de prédire la présence d’une tumeur de manière précoce et par un test non-invasif (simple prise de sang). Cependant, l’utilisation de différents panels d’Acs n’a pas permis de distinguer de manière sensible et spécifique les personnes atteintes de cancer de donneurs sains (Fernández-Madrid and Maroun, 2014; Fortner et al., 2017). Néanmoins, la présence de certains Acs est associée à une valeur pronostique chez les patients atteints de cancer. Ainsi, dans les cancers du sein et de l’ovaire, une concentration sérique élevée en IgG dirigées contre MUC1 est associée à une meilleure survie des patients (Blixt et al., 2011; Richards et al., 1998). Au contraire, dans le cancer du sein, les IgG dirigées contre p53 sont associées à un mauvais pronostic (Kulić et al., 2010; Lenner et al., 1999). D’autres classes d’Ig peuvent être également détectées chez les patients. Des IgA et des IgG

anti-calréticuline sont observées dans plusieurs cancers solides, et il semble dans le carcinome mammaire que les IgA soit plus souvent associées à des stades métastatiques que les IgG (Erić-Nikolić et al., 2012; Pekáriková et al., 2010). Par ailleurs, une forte concentration d’IgG4 dans le sérum de patients atteints de mélanome est associée à une progression tumorale plus fréquente et à un mauvais pronostic (Karagiannis et al., 2015).

La réponse anticorps déclenchée par les Ags tumoraux est donc très hétérogène entre les patients, mais des cibles communes sont détectées chez de nombreux patients atteints de différents cancers.

cc. Les différentes catégories d’antigènes ciblés par les anticorps sériques des patients Différentes catégories d’Ags tumoraux ciblés par la réponse anticorps ont été identifiées. La majorité est composée de protéines du soi (Reuschenbach et al., 2009), exprimées de manière ectopique dans la tumeur ou surexprimées par rapport au tissu sain, ou mutées. Des Acs dirigés contre des Ags dérivés de protéines virales ou de séquences rétrovirales endogènes ont également été décrits.

c.1) Les antigènes exprimés de manière ectopique

Les premiers Ags ciblés par la réponse anticorps identifiés furent en grande partie découvert par la méthode SEREX et correspondent aux « Cancer Testis Antigens » (CTA) (Dong et al., 2003; Macdonald et al., 2017; Tan et al., 2009). Ces protéines sont normalement exclusivement exprimées dans les cellules germinales masculines et/ou au sein de tissus dits privilégiés immunologiquement. Ces Ags incluent entre autres des protéines de la famille MAGE et NY-ESO-1. Ces protéines sont exprimées dans la tumeur et peuvent jouer un rôle pro-tumoral en promouvant les capacités invasives des cellules tumorales et les métastases (Ghafouri-Fard et al., 2015). Les Ags exprimés de manière ectopique sont également décrits dans les patients atteints de cancers associés à un SNP, dans lesquels une forte réponse anticorps dirigée contre des protéines neuronales exprimées de manière aberrante par les cellules tumorales est détectée.

c.2) Les antigènes de différenciation surexprimés dans les cellules tumorales Les Acs présents dans le sang des patients atteints de cancers peuvent également être dirigés contre des Ags dits de différenciation. Ceux-ci ont normalement une expression limitée au tissu dans lequel se développe la tumeur, mais se trouvent parfois surexprimés dans le tissu malin. Par exemple, la protéine HER2, exprimée en faible quantité dans les cellules mammaires normales, où elle régule la croissance cellulaire, peut se retrouver fortement surexprimée dans les cellules mammaires tumorales de certains patients. Il a été montré que la surexpression de cet Ag est associée à la production d’Acs

spécifiques (Goodell et al., 2008). Deux autres prototypes de ce type d’Ags sont MUC1 et PSA, normalement exprimés respectivement au pôle apical des cellules épithéliales sécrétoires ou dans les cellules normales de la prostate. Ces protéines sont surexprimées dans les cancers du sein et de l’ovaire (Agrawal et al., 1998) et de la prostate (Lokant and Naz, 2015) respectivement, et des IgG dirigées contre elles sont détectées dans le sérum de nombreux patients (Cramer et al., 2005; Fremd et al., 2016). De plus, des modifications post-traductionnelles peuvent également augmenter l’immunogénicité des Ags. MUC1 par exemple, est glycosylé différemment dans la plupart des tissus tumoraux comparés au tissu sain (Nath and Mukherjee, 2014).

cc.3) Les néo-antigènes

Une source importante d’Ags tumoraux pour les LT provient des mutations somatiques survenant dans les cellules tumorales et créant des séquences protéiques mutées appelées néo-épitopes capables d’être présentées sur les molécules de CMH-I et de CMH-II avec une forte affinité, supérieure aux peptides non mutés. Il existe actuellement peu de données sur l’existence d’Acs contre ces Ags. Des descriptions d’Acs dirigés contre des versions mutées de P53 ont néanmoins été détectées chez les patients atteints de différents cancers, dont le cancer du sein. De nombreuses mutations de P53 sont connues, mais seules certaines sont associées à la présence d’Acs spécifiques (Winter et al., 1992).

c.4) Les antigènes viraux et dérivés de séquences rétrovirales endogènes Des Acs dirigés contre des protéines de virus impliqués dans l’oncogenèse et de rétrovirus endogènes (HERV) du génome peuvent également être détectés chez certains patients. Une infection par le papillomavirus humain peut être à l’origine de cancers du col de l’utérus ou oropharyngiens, et les Ags viraux peuvent être exprimés par les cellules tumorales (Keskin et al., 2011; Syrjänen et al., 1987). Des Acs contre ces Ags, déjà présents au moment de l’infection, sont détectés chez les patients (Zhang et al., 2017). Les HERV sont des séquences qui ne sont pas exprimées dans les cellules normales, mais des modifications épigénétiques permettent leur expression dans les cellules tumorales et des Acs dirigés contre ces protéines sont observés dans le sérum de patients atteints de cancer de sein (Wang-Johanning et al., 2008) et d’ovaire (Wang-Johanning et al., 2007), mais pas dans le sérum de donneurs sains.

Ces différents types d’Ags peuvent induire des réponses Acs chez les patients et dans les modèles murins. Chez la souris, l’injection d’Ags ou leur expression par les cellules tumorales entraîne en effet la production d’Acs contre ces Ags (Brown et al., 2001). Les protéines ciblées par la réponse humorale sont en grande partie les mêmes que celles conduisant à l’induction des réponses T CD8+

cytotoxiques dirigées contre les cellules tumorales. Ainsi, plus de deux tiers des cibles antigéniques des Acs décrits à ce jour sont des protéines intracellulaires, cytoplasmiques ou intra-nucléaires (Reuschenbach et al., 2009). Les protéines intracellulaires peuvent être reconnues par les Acs lors de la mort des cellules, et les complexes immuns alors formés peuvent être reconnus par des cellules exprimant des récepteurs spécifiques des fragments Fc, et ainsi permettre la présentation des Ags. Cependant, si l’Ag n’est pas exprimé à la surface de la cellule, il ne peut pas être fixé par des Acs qui recruteraient d’autres cellules immunitaires pour tuer la cellule cible. Ainsi, on peut penser que les Ags tumoraux intracellulaires ne peuvent pas activer les voies telle que la cytotoxicité cellulaire dépendante des Acs ou du complément induisant la mort des cellules. Néanmoins, plusieurs démonstrations existent de la translocation d’Ags intracellulaires à la surface des cellules dans certaines conditions. Ainsi, des Ags nucléaires induisant des réponse Acs chez les patients atteints de lupus peuvent être relocalisés à la surface des cellules suite à différents signaux de stress en culture (Bachmann et al., 1991; Lawley et al., 2000), mais également suite à une infection par l’herpèsvirus de type 1 (Bbachmann et al., 1992). L’externalisation d’Ags à la membrane est également observée sur les cellules tumorales, c’est le cas de l’actine et de la calréticuline dans les cellules tumorales apoptotiques (Hansen et al., 2002; Pekáriková et al., 2010), ou encore la kératine 8 dans le cancer colorectal (Albaret et al., 2018), induisant une production d’Acs.

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1.2. Des anticorps dirigés contre des antigènes tumoraux sont produits dans