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Mécanismes moléculaires de la cancérogénèse mammaire

CHAPITRE I : INTRODUCTION

1 GENERALITES SUR LES CANCERS DU SEIN

1.5 Classifications moléculaires

1.5.1 Biologie moléculaire des cancers du sein

1.5.1.3 Mécanismes moléculaires de la cancérogénèse mammaire

1.5.1.3.1 Oncogènes et gènes suppresseurs de tumeur

Au cours des décennies précédentes, les progrès réalisés dans la compréhension de la biologie des tumeurs malignes ont permis la découverte de l’implication des oncogènes et des gènes suppresseurs de cancer dans la cancérogénèse mammaire.

Les oncogènes, découverts en 1976, sont des gènes qui acquièrent un pouvoir transformant

suite à des modifications qualitatives ou quantitatives, pour devenir des oncogènes (Stehelin et al., 1976). Leurs mécanismes d’action sont dominants et conduisent à un gain de fonction puisqu’une seule altération sur l’un des deux allèles est suffisante pour assurer leur oncogénicité. Les oncogènes peuvent être activés par des mécanismes variés tels que l’intégration virale, la mutation ponctuelle, la microdélétion avec conservation du cadre de lecture, le réarrangement structural, l’amplification génique et la dérégulation de mRNAs codant pour des oncoprotéines.

Les gènes suppresseurs de cancer regroupent deux familles principales : les gènes de

contrôle du cycle cellulaire (Gatekeepers) et les gènes de réparation de l’ADN (Caretakers). Les gènes de contrôle du cycle cellulaire sont capables de réguler négativement ce dernier et induisent l’apoptose, inhibant ainsi la croissance cellulaire. Les gènes de réparation de l’ADN sont responsables du maintien de l’intégrité du génome suite à un endommagement de l’ADN. Il s’agit principalement du système de réparation des mésappariements MMR (Mismatch

Repair), du système de réparation des nucléotides NER (Nucleotide Excision Repair) et du

système de réparation des cassures double-brin HR (Homolog Recombinaison). Ces gènes suppresseurs de tumeur peuvent être altérés et intervenir alors indirectement dans l’oncogénèse. Les mécanismes qui aboutissent à la perte de fonction de ces gènes sont récessifs car ils s’accompagnent de l’altération simultanée de leurs deux allèles. Les oncosuppresseurs peuvent être inactivés par des mécanismes variés tels les mutations ponctuelles (mutations non sens ou d’épissage, microdélétions ou microinsertions avec modification du cadre de lecture) ainsi que par des délétions, des insertions, des surexpressions de miRNAs et l’hyperméthylation des ilots CpG des promoteurs inhibant la transcription (Volgenstein and Kinzler, 2004).

1.5.1.3.2 Instabilité génomiques et anomalies génétiques/épigénétiques

Au cours des cinq dernières années, les techniques de séquençage massif parallèle de l’ADN et de l’ARN effectuées à partir de milliers de génomes de tumeurs malignes, ont permis d’approfondir nos connaissances sur les altérations génétiques dans l’oncogénèse et leur fréquence dans différents types de cancers, dont les carcinomes mammaires. La majorité des caractéristiques des cellules cancéreuses mammaires résultent de leur instabilité génomique et de l'acquisition progressive d’anomalies génétiques/épigénétiques.

1.5.1.3.2.1 Instabilité génomique

Les mécanismes moléculaires responsables de l'instabilité génomique et de la sélection de génomes complexes dans les cancers du sein sont encore largement inconnus, mais résultent en partie d’altérations de la réparation de l'ADN et des checkpoints et du maintien de la longueur des télomères via la réactivation de la télomérase. Cette dernière peut résulter de divers mécanismes tels l’existence (i) de mutations du promoteur de hTERT (< 5% dans les cancers du sein) et des gènes ATRX et DAXX de la voie alternative, (ii) de la prolifération de cellules souches ou progénitrices télomérase+, (iii) de dérégulations épigénétiques (acétylation, hyperméthylation) et (iv) d’altérations de facteurs de régulation (surexpression de c-Myc, sous-expression de Mad-1 et WT1). En plus du maintien de la longueur des télomères, la réactivation de la télomérase est impliquée dans l’activation des voies NF-kB et Wnt/β-caténine, l’adhésion et la prolifération cellulaire, l’EMT et la migration. Cette réactivation permet surtout aux cellules cancéreuses de contourner les mécanismes physiologiques de la sénescence et de continuer à se diviser jusqu’à ce que l’apparition de multiples petits télomères ayant atteint une réduction critique de leur taille, déclenche la « crise télomérique ». Celle-ci est caractérisée par une période de sénescence replicative complête, des fusions inter-chromosomiques localisées à leurs extrémités et une apoptose extensive (Capper et al., 2007 ; Jafri et al., 2016). Ces courts télomères dysfonctionnels ont été détectés dans de nombreux types de tumeurs malignes, dont les cancers du sein (Chin et al., 2004 ; Roger et al., 2013). L’association apparemment paradoxale de courts télomères et d’une activité télomérasique accrue et non corrélée aux niveaux d’expression de hTERT, a été récemment observée dans les sous-types les plus agressifs des carcinomes mammaires. Ainsi, les CSTNs sont caractérisés par l’activité télomérasique la plus élevée, les plus courts télomères, une distribution nucléaire diffuse de hTERT, un statut muté de TP53 et une surexpression simultanée des métalloprotéinases MMP2 et MMP7 (Ceja-Rangel et al., 2016).

1.5.1.3.2.2 Anomalies génétiques et épigénétiques

Ces altérations comprennent principalement les translocations chromosomiques, les amplifications et les délétions géniques, les mutations ponctuelles et les modifications épigénétiques. Trois études pangénomiques (Kandoth et al., 2013 ; Zack et al., 2013; Stransky et al., 2014) ont analysé les profils des translocations chromosomiques, les altérations du nombre de copies géniques et les mutations somatiques dans une douzaine de types tumoraux, incluant plus de 1000 tumeurs du sein (Fig. 13).

Translocations : L’analyse du transcriptome de 7000 tumeurs appartenant à 20 types différents a révélé que les transcrits de fusion impliquant les différentes kinases sont rares dans les cancers du sein (< 2%). Les principales translocations chromosomiques observées dans les cancers du sein concernent ALK, RET, PIK3CA, PDGFRA, NTRK3 et FGFR1/2 (Stransky et al., 2014).

Altérations du nombre de copies d’ADN : Les trois études pangénomiques précédemment citées ont révélé pour l’ensemble des tumeurs étudiées que les amplifications/délétions somatiques ont tendance à se situer dans les mêmes régions chromosomiques. Seules un tiers des régions identifiées comportent des oncogènes et des oncosuppresseurs préalablement décrits. Les gènes les plus fréquemment amplifiés dans les carcinomes mammaires sont MYC, CCND1, EGFR, MDM2, CCNE1, ERBB2,

ZNF703 et ZNF217. La délétion homozygote la plus fréquemment observée dans

l’ensemble des cancers étudiés, dont le cancer du sein, est localisée en 9p21 et a pour cible le gène suppresseur de tumeur CDKN2A (Cyclin-Dependent Kinase Inhibitor

2A). Les autres gènes délétés dans les cancers du sein sont PTEN, INPP4B, PPP2R2A, MLL3 et MAP2K4.

Mutations ponctuelles somatiques : Les études pangénomiques récentes ont identifié 127 gènes significativement mutés dans les différents types de cancers. Ces gènes appartiennent pour la plupart aux voies de signalisation bien connues dans l’oncogénèse, dont les voies MAPK, PI3K et Wnt/β-caténine, mais aussi à des voies émergeantes impliquant la modification des histones, le métabolisme et la protéolyse. Le gène suppresseur de tumeur le plus fréquemment muté dans les tumeurs humaines

avec une prédominance pour le sous-type triple-négatif). L’oncogène le plus fréquemment muté est PIK3CA (18 % pour l’ensemble des cancers et 34 % pour le cancer du sein). Ces études ont de plus révélé que le cancer du sein est l’un des cancers présentant le plus faible taux de mutations somatiques, après la leucémie myéloïde chronique (Kandoth et al., 2013) (Fig. 13). Ainsi, seuls 7 gènes sont mutés dans les cancers du sein dont la fréquence est supérieure à 5% : TP53 (37%), PIK3CA (36%), GATA3 (11%), MAP3K1 (8%), MLL3 (7%) et CDH1 (7%). 17 gènes supplémentaires sont mutés avec une fréquence variant de 1% à 5%. La fréquence des mutations est la plus élevée dans les carcinomes mammaires de type luminal B et la plus basse dans les carcinomes de type triple-négatif (Curtis et al., 2012).

Figure 13 : Fréquence des mutations dans 12 types différents de tumeurs malignes

AML : acute myeloid leukaemia ; BRCA : breast carcinoma ; OV : ovarian serous carcinoma; KIRC : kidney renal clear cell carcinoma; UCEC : uterine corpus endometrial carcinoma; GBM : glioblastoma multiforme; COAD, READ : colon and rectal carcinoma; HNSC : head and neck squamous cell carcinoma; BLCA : bladder urothelial carcinoma; LUAD : lung adenocarcinoma; LUSC : lung squamous cell carcinoma (D’après Kandoth, McLellan et al., 2013).

1.5.1.3.2.3 Chromotripsis

Le modèle classique de la progression tumorale multi-étapes postule que les mutations s’accumulent progressivement selon un processus de sélection darwinienne (Nowell, 1976). Toutefois, une minorité de tumeurs mammaires agressives sont caractérisées par l’apparition brutale de nombreux réarrangements chromosomiques réalisant une chromotripsis (Stephens et al., 2011 ; Goncalves et al., 2014). Ainsi, de nombreuses mutations peuvent survenir durant de très courtes périodes pendant lesquelles des centaines de réarrangements chromosomiques localisés se produisent lors d'une seule division cellulaire catastrophique (Cai et al., 2014). Ces cassures générent des remaniements majeurs du génome pouvant favoriser la transformation cancéreuse par le biais de nombreuses amplifications d’oncogènes et de délétions de gènes oncosuppresseurs survenant simultanément au voisinage des translocations (Fig. 14). La prévalence de la chromotripsis a été évaluée à 41% dans les cancers du sein à haut risque (Przybytkowski et al., 2014) et pourrait expliquer le développement rapide de certaines tumeurs pendant les intervalles séparant deux consultations de dépistage (Nik-Zainal et al., 2012).

Figure 14 : Chromotrypsis (→): Amplifications d’oncogènes et délétions

d’oncosuppresseurs présentes simultanément à proximité de multiples translocations (Goncalves et al., 2014). La flèche indique la région de la

Ces techniques globales ont donc identifié un degré de complexité supplémentaire dans le génome des cancers du sein et ce niveau croissant de complexité est corrélé à un pronostic plus défavorable. Ces analyses ont de plus révélé que la progression multi-étapes avec acquisition progressive de mutations génétiques et épimutations peut se combiner avec des dysfonctionnements télomériques, des défauts de réparation de l’ADN et une chromotrypsis, pour produire des niveaux élevés d’hétérogénéité intra-tumorale et inter-tumorale. L’identification des altérations génétiques clés dans les cancers du sein a servi de support à la recherche et à la sélection de cibles pertinentes en oncologie à l’origine du développement de nouvelles thérapies moléculaires (Fig. 12).

1.5.1.3.3 Anomalies des voies de signalisation

Les analyses pangénomiques réalisées dans les différents types de cancers, ont permis

d’identifier les principales voies de signalisations altérées. Il s’agit des voies p53/apoptose/cycle cellulaire, Wnt, Notch, récepteurs à activité tyrosine kinase et ses voies d’aval MAPK et PI3K/Akt/mTOR. Pour les carcinomes mammaires, ces études réalisées sur plus de 1000 tumeurs du sein (Kandoth et al., 2013; Zack et al., 2013; Stransky et al., 2014) ont identifié un panel de 127 gènes mutés appartenant aux voies régulant le cycle cellulaire (TP53, p27/CDKN1B, RB1), la voie EGF (PIK3CA, PTEN, PIK3R1, AKT1, NF1), la voie Stress-JNK (MAP3K1, MAP2K4), la transcription des récepteurs oestrogéniques (GATA3,

NCOR1, RUNX1/CBFB, CTCF, FOXA1), l’épissage des pré-RNAs (SF3B1), la méthylation

des histones (MLL3) et le développement de la glande mammaire (TBX3).

Le TCGA (The Cancer Genome Atlas), publié en 2012, a permis d’analyser les carcinomes

mammaires primitifs de 825 patientes en combinant plusieurs techniques innovantes à haut débit telles que SNP array, méthylation de l’ADN, séquençage des exomes, cDNA microarrays, séquençage des microRNAs et RPPA.

 Ces analyses ont identifié les récepteurs à activité tyrosine kinase les plus fréquemment altérés dans le cancer du sein, dont ERBB2/HER2 (21%), IGF1R (7%) et EGFR (10%).

 Elles ont également révélé que la voie PI3K/Akt/mTOR est la voie la plus fréquement altérée dans le cancer du sein (Fig. 15) où elle apparait fortement activée dans tous les sous-types de carcinomes mammaires. Les anomalies génétiques de la voie PI3K

comportent (i) des altérations des gènes PIK3CA (36%) et AKT1 (2%) avec des mutations présentes dans les sous-types luminaux et HER2+ et des amplifications dans les CSTNs, (ii) des inactivations de PTEN résultant de délétions dans les CSTNs et de rares mutations dans les différents autres sous-types, (iii) des délétions du gène

INPP4B principalement dans les CSTNs et (iv) de rares mutations de PIK3R1 et

d’AKT1. Les analyses RPPA ont confirmé la perte des deux gènes suppresseurs PTEN et INPP4B de la voie PI3K/Akt/mTOR, perte qui est plus fréquente dans les CSTNs que dans les autres sous-types tumoraux de carcinomes mammaires.