• Aucun résultat trouvé

5. La maladie d’Alzheimer, une maladie complexe

5.3. Facteurs génétiques de la MA

5.3.3. Les mécanismes impliquant l’ApoE

L’étude des mécanismes biologiques expliquant l’association entre l’allèle ε4 de l’APOE et la MA a soulevé de nombreuses hypothèses non encore résolues. Les propriétés des isoformes de l’ApoE ont été étudiées dans le cadre de différentes hypothèses pathologiques de la MA : voie amyloïde, protéine tau, régénération cellulaire, réponse inflammatoire…

5.3.3.1. L’ApoE et les dépôts amyloïdes

Plusieurs arguments sont en faveur d’une influence de l’ApoE4 sur la formation et la maturation des DA.

5.3.3.1.1. L’ApoE favorisant les dépôts amyloïdes

L’ApoE est présente au niveau des PS et la quantité de peptide Aβ retrouvée dans le cerveau des patients est plus élevée chez les individus porteurs de l’allèle ε4 (Strittmatter et al., 1993). Des observations similaires ont été décrites chez des souris transgéniques pour le gène humain de l’APP muté au codon 717, qui développent de nombreuses plaques amyloïdes. L’expression spécifique de l’isoforme murine ApoE4 conduit à davantage de dépôts fibrillaires (>10 fois) que l’expression de l’ApoE3 (Bales et al., 1997; Bales et al., 1999). Ainsi, l’ApoE murine et plus particulièrement l’isoforme E4 faciliterait la conversion du peptide amyloïde en fibrille amyloïde plus toxique.

5.3.3.1.2. L’ApoE favorisant la dégradation du peptide amyloïde

Chez les souris de 9 mois exprimant l’ApoE humaine, la quantité de DA diminue avec un nombre croissant de copies du gène. C’est seulement à 15 mois que l’on retrouve une augmentation des DA comme obtenu avec l’expression de l’ApoE murine (Holtzman et al., 2000). Ces observations indiquent que l’ApoE humaine interviendrait dans la dégradation du peptide amyloïde (Koistinaho et al., 2004). De même, dans le tissu cérébral des patients atteints de MA, la quantité d’ARNm issu du gène de l’APOE est inversement corrélée à la quantité de DA (Lambert et al., 2005). De plus, des polymorphismes associés à une diminution de l’expression de ce gène (in vitro et in vivo) sont associés à une augmentation de la quantité de DA et à une augmentation du risque de développer la MA (Lambert et al., 2001; Lambert et al., 2002). En effet, l’ApoE montrerait une forte affinité pour le peptide Aβ (Strittmatter et al.,

1993). Plus récemment, il a été suggéré que l’ApoE est capable de se fixer par sa troisième hélice à l’Aβ et plus particulièrement à l’Aβ sous forme de fibrilles (Gunzburg et al., 2007). Il se formerait alors un complexe Aβ-ApoE stable, plus sensible aux protéinases, favorisant la dégradation de l’Aβ (Russo et al., 1998). Ainsi, la perturbation de ce processus lors de conditions pathologiques pourrait induire une baisse de la clairance du peptide amyloïde, facilitant son accumulation. De plus, la liaison Aβ-ApoE4 est moins stable que la liaison Aβ-ApoE3. Des travaux très récents semblent montrer que c’est l’ApoE, associée aux HDL, qui est essentielle à la prise en charge et à la dégradation du peptide Aβ par la microglie (Jiang et al., 2008). De façon intéressante, l’ApoE4 est moins fréquemment associée aux HDL que les isoformes ApoE3 et ApoE2. Ainsi, l’ApoE4, en limitant les mécanismes permettant la dégradation de l’Aβ, faciliterait son accumulation.

5.3.3.1.3. Le récepteur de l’ApoE modulant le métabolisme de l’APP

Le récepteur neuronal de l’ApoE jouerait un rôle dans le trafficking et le métabolisme de l’APP (Cam et al., 2006). En effet, l’APP interagirait avec le récepteur LRP via son domaine Kunitz (Ulery et al., 2000). Cette association favoriserait alors le clivage préférentiel de l’APP par la β-sécrétase (Sinha et al., 1999; Yan et al., 1999). D’un autre côté, le LRP diminuerait le temps de résidence de l’APP au niveau de la membrane plasmique, diminuant ainsi son taux de clivage par l’α-sécrétase (Parvathy et al., 1999). Dans ce contexte, il a été récemment observé que l’ApoE4 provoquait une augmentation de la synthèse d’Aβ par sa capacité à promouvoir le recyclage de l’APP par endocytose (Sagare et al., 2007).

5.3.3.2. L’ApoE et la plasticité synaptique

Les souris déficientes en ApoE semblent être plus sujettes à des atteintes cérébrales. Ceci suggère que l’ApoE est impliquée dans la réparation neuronale après lésion cérébrale (Chen et al., 1997; Kitagawa et al., 2002). De même chez l’homme, l’allèle ε4 a été associé à une plus faible capacité de récupération des fonctions neurologiques après un traumatisme crânien, par rapport aux individus non-porteurs de cet allèle (Roses et al., 1995). En effet, il a été montré que, lorsqu’elles sont associées à une lipoprotéine, l’ApoE3 favoriserait et l’ApoE4 ne favoriserait pas, ou même inhiberait, l’extension des neurites (Bellosta et al., 1995; Nathan et al., 1994).

Au-delà d’une capacité de régénération neuronale plus faible, les souris déficientes en ApoE présentent des perturbations de l’apprentissage et de la mémoire (Veinbergs et al., 2000; Zhou et al., 1998). En outre, l’infusion d’ApoE dans le cerveau de ces souris peut permettre de restaurer des performances correctes (Masliah et al., 1997). Cependant, certaines études n’ont pas retrouvé de perturbations mnésiques chez ces souris (Krzywkowski et al., 1999; Puolivali et

al., 2000). Un effet du fond génétique différent ou des différences dans les conditions d’élevage ou dans les protocoles de tests pourraient expliquer ces résultats contradictoires (Champagne et al., 2002; de Kloet et al., 2002). Des études ont montré que les souris portant l’allèle ε4 humain présentaient des déficits cognitifs plus importants que celles portant l’allèle humain ε3, en particulier les femelles (Hartman et al., 2001; Raber et al., 2002). Ces travaux, réalisés sur des lignées distinctes, suggèrent que l’allèle ε4 humain a un effet délétère sur les processus d’apprentissage et de mémoire des souris.

L’allèle ε4 serait également associé, dès l’enfance, à une « réserve » neuronale moins importante par une altération du développement cérébral. Une analyse neuroanatomique par IRM, a été réalisée chez 239 enfants et adolescents âgés de moins de 21 ans, ne présentant aucune pathologie neurologique (Shaw et al., 2007). Cette étude a montré que le cortex de la région entorhinale était moins épais chez les individus porteurs de l’allèle ε4 que chez les individus non-porteurs de cet allèle. Cette région est particulièrement touchée au cours de la MA. Il a alors été suggéré que la présence de l’allèle ε4 serait associée à un développement moins important de cette région du cerveau. Ceci faciliterait la mise en place, sous l’influence de différents facteurs favorisant l’apparition d’un stress neuronal au cours du vieillissement, d’un processus neurodégénératif dans cette partie particulièrement sensible du cerveau.

5.3.3.3. L’ApoE influençant la réponse inflammatoire

L’ApoE pourrait influencer la réponse inflammatoire à l’origine ou résultant des DA cérébraux dans la MA. En effet, l’induction d’une inflammation par une injection intracrânienne de LPS (lipopolysaccharide) dans le cerveau de souris APP augmente de façon importante le nombre de plaques amyloïdes lorsque ces souris possèdent l’ApoE murine, mais pas lorsqu’elles sont déficientes pour le gène de l’ApoE (Qiao et al., 2001). D’autre part, chez des souris transgéniques exprimant les isoformes humains d’ApoE4 ou d’ApoE3, l’induction d’une réponse inflammatoire entraîne une augmentation plus importante de l’expression de cytokines pro-inflammatoires chez les souris exprimant l’ApoE4 comparativement aux souris exprimant l’ApoE3 (Lynch et al., 2003). Ainsi, l’ApoE4 serait associée à une réponse immunitaire plus importante et prolongée, notamment par l’induction de la voie NF-κB (Ophir et al., 2005). De même, chez les patients atteints de la MA, les individus porteurs de l’allèle ε4 présentent une réponse inflammatoire plus importante que les individus non-porteurs de cet isoforme (Egensperger et al., 1998).

Néanmoins, le processus inflammatoire cérébral peut avoir un rôle bénéfique en favorisant la clairance du peptide amyloïde par l’activation de la microglie (Rogers et al., 2002).

Le rôle de la neuroinflammation dans la MA semble donc être déterminé par la capacité du cerveau à réguler la réponse inflammatoire. Dans ce contexte, l’ApoE4 favoriserait le passage d’une réponse maîtrisée et bénéfique luttant contre l’accumulation du peptide Aβ à une réponse immunitaire exacerbée, délétère.

5.3.3.4. L’ApoE et l’altération du réseau vasculaire

5.3.3.4.1. L’ApoE et l’angiopathie amyloïde

L’ApoE a été décrite comme jouant un rôle important dans la fibrillogénèse de l’Aβ au niveau de la paroi des vaisseaux (Fryer et al., 2003; Holtzman et al., 2000). L’ApoE4 est associée à une AAC plus importante chez les individus atteints de la MA (Strittmatter et al., 1993). De même, à un âge avancé, les individus non-déments porteurs de cet isoforme présentent des niveaux d’AAC plus élevés que les individus non-porteurs de l’ApoE4 (Vidal et al., 2000). Plus particulièrement, l’AAC située au niveau des capillaires, très fréquemment retrouvée chez les patients atteints de la MA, a pu être fortement associée à l’allèle ε4 de l’APOE (Thal et al., 2008).

De même, chez les souris APP âgées de 15 mois et exprimant l’ApoE4 humaine, il a été observé des dépôts amyloïdes, principalement au niveau vasculaire, comparativement aux souris APP de même âge exprimant l’ApoE3 (Fryer et al., 2005). De façon intéressante, lorque ces souris sont âgées de 9 mois, celles exprimant l’ApoE4 présentent une augmentation du ratio Aβ40/Aβ42 produit au niveau du cerveau, par rapport aux souris ApoE3. Il a alors été proposé que l’ApoE4 altérerait la clairance et le transport de l’Aβ au travers d’une fibrillogénèse accrue de l’Aβ. Finalement, l’augmentation du ratio Aβ40/Aβ42 faciliterait le dépôt du peptide amyloïde au niveau de la paroi des vaisseaux plutôt que dans le parenchyme cérébral. Ceci est cohérent avec le fait que ce ratio Aβ40/Aβ42 est moins élevé dans les DA situés au niveau du parenchyme cérébral que dans ceux localisés dans la paroi des vaisseaux.

5.3.3.4.2. L’ApoE et les pathologies vasculaires

Une étude hollandaise a rapporté une interaction entre l’allèle ε4 et l’athérosclérose dans l’étiologie de la MA (Hofman et al., 1997). Les individus porteurs de l’allèle ε4 et atteints d’athérosclérose ont un risque plus élevé de développer la MA que ceux qui ne présentent pas de lésions de type athérosclérose. Par ailleurs, au-delà de la MA, l’allèle ε4 est un facteur de risque important pour les hémorragies cérébrales (Tzourio et al., 2008) et plus généralement pour les pathologies vasculaires. Ceci suggère que la MA et les pathologies vasculaires sont directement

liées ou, au moins, partagent des déterminants communs (Figure 26). L’allèle ε4 de l’APOE serait l’un d’entre eux (Kosunen et al., 1995).