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Mécanismes de rupture pendant la propagation

Chapitre IV : Physique du critère de propagation et d’arrêt

2. Mécanismes de rupture pendant la propagation

En général, trois phases se distinguent lors de la propagation (figure 2.a):

- une phase transitoire juste après l’amorçage, caractérisée essentiellement par une propagation

‘multi-directionnelle’ issue du site d’amorçage principal du clivage. Souvent, en surface des

vitesses de propagation apparentes très élevées dans la direction du ligament sont mesurées.

Celles-ci traduisent en fait l’apparition en surface d’un front se propageant de façon oblique à la

surface observée (chapitre 2). Lors de cette phase, des sites d’amorçage secondaires peuvent

également être observés.

- un régime établi, caractérisé par une vitesse de propagation pratiquement constante et assez élevée.

Dans cette zone, la propagation se fait en moyenne dans une direction unique, avec des bandes

de cisaillement parallèles à la direction macroscopique du clivage.

- une phase d’arrêt, où l’énergie disponible dans la structure n’est plus suffisante pour maintenir le

régime établi, caractérisée par des marches de cisaillement de hauteur constante de l’ordre de 2 à

3 anciens grains γ.

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Figure 2.a : Trois phases de propagation du clivage

Il convient de noter que les faciès de rupture pendant les phases de propagation après un amorçage en

clivage confirment que ce mode de ruine reste le mécanisme principal : c’est ce constat qui justifie

(peut être à tort) la pertinence d’un critère de type RKR pour une modélisation fine de la propagation.

Il parait ainsi légitime que les mécanismes de rupture avancés pour l’amorçage en clivage prévalent

également pendant la propagation. De manière simple [88, 89, 94-99], il s’agit d’une phase de création

de micro-défauts, pilotée par la plasticité, qui serviront de germes à la rupture. Puis il y a amorçage de

ces micro-défauts selon un critère en contrainte. En général, un second critère en contrainte est avancée

pour vaincre les barrières microstructurales comme les joints de grain [167, 46-48].

Si le critère en contrainte est justifié par la présence de la fissure principale en propagation qui génère

une singularité des champs suffisante, le rôle potentiel de la première phase (création de germes du

clivage) pendant la propagation reste à discuter. D’abord, la fissure principale en cours de propagation

apparait suffisamment aigue pour agir comme concentrateur de contrainte unique. De plus, les faciès

de rupture par clivage sur les aciers dans les zones de propagation ne permettent pas d’identifier

distinctement des phases de ré-amorçage en amont du front principal. Cependant, sur d’autres

matériaux présentant une rupture de type fragile pour les plexiglas ou les verres, des travaux récents

mettent en évidence ce phénomène sur les faciès de rupture qui présentent des marques coniques

[167-170] (figure 2.b). Ces dernières s’expliquent par l’intersection des microfissures en amont du front de

fissure avec la fissure principale. Ce phénomène n’est pas systématique et apparait pour les fortes

vitesses de propagation. Guerra et al [171-173] considèrent que les marques coniques se justifient par

la nucléation et l’activation de sites secondaires. Ces microfissures se développent radialement et leur

intersection provoque la formation de marques coniques. Les auteurs montrent que toutes les

microfissures se propagent à la même vitesse d'environ 200 m.s

-1

, indépendamment du niveau de force

appliquée pour ouvrir la fissure principale alors qu’à l’échelle macroscopique, la vitesse de

propagation augmente avec la force, et peut atteindre 450 m.s

-1

. Ce n'est que par un effet géométrique

de rencontre de ces multiples microfissures que la rupture globale est finalement si rapide. Un tel

phénomène pour nos matériaux ne peut pas être exclu. Les observations MEB de certaines éprouvettes

mettent en évidence plusieurs fissures de clivage (figure 2.c). La coupe transversale de l’éprouvette CT

520RX-N montre clairement plusieurs fissures (figure 2.d). Les observations des phases de

propagation obtenues avec la caméra rapide vont également dans ce sens puisque sur une éprouvette

CT 520RX-AT à -100°C, les images de la caméra montrent un amorçage légèrement en amont du front

de la fissure (figure 2.e). De plus, une étude dans l’épaisseur d’une éprouvette CT 520RX-K dont le

trajet de fissure est rectiligne montre des discontinuités de la propagation clairement visibles (figure

2.f).

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Figure 2.b : Marques coniques observées sur du verre (a), du polystyrène (b) et du polyuréthane (c)

[137, 138]

Figure 2.c : Observations fractographiques au MEB de 520RX-E (a) et 520RX-L (b)

Figure 2.d : Vue en coupe de l’éprouvette CT 520RX-N (coupe YZ et propagation selon X)

Figure 2.e : Amorçage en amont du front de fissure de l’éprouvette CT 520RX-AT observé à l’aide de

la caméra rapide

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Figure 2.f : Discontinuités de la propagation du clivage observées après avoir enlevé 1 mm d’épaisseur

de l’éprouvette CT 520RX-K testée à -125°C

Les observations des faciès indiquent la présence de bandes de cisaillement parallèles à la direction de

propagation, présentant une rupture ductile, dans la phase de propagation. D’après la figure 2.g, plus la

vitesse de propagation augmente, plus la densité et la hauteur des marches de cisaillement augmentent

dans le régime établi de propagation. Les observations réalisées montrent que la densité et la hauteur

des marches sont plus importantes en régime établi qu’à l’approche de la phase d’arrêt lorsque la

vitesse de propagation diminue (figure 2.h). A l’arrêt, le pourcentage de marche augmente avec une

température croissante et leur hauteur est constante autour d’une valeur égale à environ deux fois la

taille d’un ancien grain γ ( ). En général, pour décrire la propagation de fissure par clivage,

on parle d’un effet de front moyen : il n’y pas de propagation locale plus rapide, l’ensemble du front

apparait avancer de manière uniforme et l’introduction de distributions aléatoires dans la contrainte

critique ne change finalement rien au résultat par rapport aux analyses conduites avec un critère

déterministe [299]. Berdin [299] choisit une distribution aléatoire de la contrainte critique fondée

sur la distribution de Weibbull (IV.1). La figure 2.i montre le front de fissure prédit dans la phase de

propagation pour des essais de choc thermique sur disque [4]. La distribution aléatoire de la contrainte

critique de clivage n’a pas d’influence sur la longueur de fissure et sur le front de fissure. Par contre, la

distribution de la contrainte critique a un impact sur la régularité du front de fissure à l’arrêt. La figure

2.j.b montre qu’une distribution de la contrainte critique est à l’origine de nombreux éléments non

rompus dans la phase d’arrêt, ce qui ne correspond pas aux observations fractographiques alors que la

figure 2.j.a donne des résultats en accord avec l’expérience à partir d’une contrainte critique constante.

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Les coupes transversales montrent que même dans les zones à forte vitesse il n’y a pas un front de

fissure unique, continu, mais plusieurs fissures plus ou moins décalées par rapport au plan moyen de la

fissure (figure 2.d). Des ponts de matière apparaissent donc entre ces fissures. Il n’est d’ailleurs pas

rare sur les éprouvettes CT de ne pas avoir une séparation complète en deux parties de part et d’autre

de la fissure alors que macroscopiquement la fissure a complètement traversé le ligament initial pour

rejoindre le bord arrière de l’éprouvette (figure 2.k). La rupture de ces ligaments restant se fait par

cisaillement ductile, comme en témoigne les observations des faciès, contribuant nécessairement au

processus d’arrêt. Cette analyse n’est pas nouvelle, Iung [164] et Bouyne [167] avançaient déjà ce

phénomène pour expliquer l’arrêt de fissure avec un modèle assez simple fondé sur un critère sommant

un facteur d’intensité des contraintes quantifiant la sollicitation en amont de la fissure et un facteur

d’intensité des contraintes représentant la résistance des ligaments à rompre en arrière de la fissure.

Nous reviendrons par la suite sur ce modèle.

Figure 2.g : Variation du pourcentage et des hauteurs de marche de cisaillement à différentes

températures selon la vitesse du régime établi de propagation

Figure 2.h : Evolution de la hauteur (a) et du pourcentage (b) des marches de cisaillement en fonction

de la vitesse de propagation

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Figure 2.i : Front de fissure après 15µs de propagation : contrainte critique constante (a), distribution

de la contrainte critique (b) [299]

Figure 2.j : Comparaison des résultats expérimentaux et numériques [299]

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Dans la zone d’arrêt, l’importance de la densité des marches de cisaillement constatées par de

nombreux auteurs [4, 5, 7, 164, 185, 187-191] peut s’expliquer par le fait qu’il n’y a plus assez

d’énergie en excès dans l’éprouvette (notamment sous forme d’énergie cinétique) pour promouvoir la

propagation et surtout assurer l’effet de front moyen : la fissure va localement chercher les trajets de

propagation les plus faciles qui ne sont pas nécessairement proches du plan moyen de la fissure. En

s’éloignant localement de ce plan moyen, les fissures voisines vont nécessairement créer des ponts de

matière. Ce mécanisme favorise l’arrêt puisque les ponts de matière résistent à l’ouverture de la fissure

en arrière du front.