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Chapitre 1 : Étude bibliographique

1.4. Dépollution de l’eau

1.4.2. Utilisation des champignons ligninolytiques en dépollution

1.4.2.6. Mécanismes d’élimination et voies de dégradation

Lors de l’élimination d’un micropolluant organique (MPO) par une préparation de cellules entières, la sorption sur le mycélium fongique peut être la première étape essentielle pour la biodégradation catalysée par des enzymes intracellulaires, liées au mycélium ou extracellulaires [132]. D'autre part, des tests in vitro utilisant des solutions enzymatiques purifiées ou brutes révèlent la capacité des enzymes sélectionnées à catalyser la biodégradation du MPO en absence d’une sorption sur le mycélium fongique. Une étude utilisant un test en mode batch par Yang [177] avec des cultures de champignons ligninolytiques (CLL) vivants et inactivés, et extrait enzymatique brut, a révélé des taux d'élimination élevés des composés sensiblement hydrophobes (log Ko/e ≥ 4) par les trois options, confirmant que les composés significativement hydrophobes étaient en fait biodégradés, non seulement biosorbés. Certaines études ont rapporté des taux d’élimination comparables par un traitement aux cellules entières et par un autre utilisant de l’enzyme extracellulaire en solution et ceci pour des composés tels que le bisphénol A [131,139,141,143–145,174], le triclosan [131,151], l'œstrone [168,169] et le 17α-éthynylœstradiol [147,168,169] (Figure 1.16).

Les préparations d’enzymes extracellulaires ne peuvent pas toujours aboutir à une élimination semblable à celle obtenue par des cellules entières de CLL. Par exemple, un composé résistant, la carbamazépine, a été éliminé efficacement par quelques espèces de champignons dont le Trametes versicolor ATCC 42530 (76 %) [150] et le Pleurotus ostreatus (100%) [134]. En revanche, la solution de laccase brute permettrait d’atteindre seulement 5-15 % de biodégradation [134,150]. Les composés hydrophiles, tels que le naproxène (log Ko/e = 2,82) [125,150] et l'ibuprofène (log Ko/e = 3,36) [125,148,150,161] ont été complètement éliminé par traitement fongique aux cellules entières. Cependant, il n'y a pas de rapports dans la littérature de niveaux similaires d’élimination de ces composés par des solutions brutes d'enzymes extracellulaires. Par exemple, la dégradation de naproxène est inférieure à 10 % avec une solution de laccase purifiée [76,133]. L'ibuprofène a été éliminé à des niveaux de 37,5 à 50 % par une solution de laccase commerciale [150], tandis que l'application des enzymes fongiques brutes (laccase et MnP) a permis d’atteindre seulement 12,5 à 15 % d'élimination.

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Puisque le naproxène et l'ibuprofène sont hydrophiles et par conséquent ne sont soumis qu'à une biosorption limitée, cette observation souligne le rôle des enzymes intracellulaires et / ou associées au mycélium dans la biodégradation de ces micropolluants organiques. Le rôle des enzymes intracellulaires a été mis en évidence plus clairement par l'observation de l'efficacité d'élimination suivant l'inhibition sélective de l'activité du cytochrome P450 (Figure 1.16). Une inhibition sensible de la dégradation du naproxène a été observée lorsqu'un inhibiteur de cytochrome P450, le 1-aminobenzotriazole, a été ajouté aux cultures fongiques [133]. Golan-Rozen et al. [134] ont constaté que le cytochrome P450 a joué un rôle important dans l'élimination de la carbamazépine: une culture de cytochrome P450 inhibée pourrait atteindre seulement 15 % d’élimination, tandis que, en l'absence de l'inhibiteur l'élimination est améliorée pour atteindre les 100 %. Une observation similaire a été faite par Hata et al. [123] qui ont rapporté que l'élimination du diclofénac par Phanerochaete sordida a diminué, en passant de l'élimination complète à 60 % après l'addition d'un inhibiteur de cytochrome P450 à la solution d'essai.

Figure 1.16 Comparaison cellules entières vs. Enzymes extracellulaires

L’efficacité d’élimination de plusieurs composés par des cellules entières de champignons ligninolytiques (bleu), par des enzymes extracellulaires (rouge) et l’effet d’inhibition du cytochrome P450 (losange noir).

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Des expériences avec la laccase purifiée et des préparations de laccase améliorée par un médiateur conduit à l'élimination presque complète de la sulfaméthazine, alors que d'autre part, l'inhibition de la dégradation de la sulfaméthazine a été observée lorsque le butoxyde de pipéronyle, un inhibiteur du cytochrome P450, a été ajouté aux cultures de champignons [187].

Avant de tirer des conclusions définitives en se basant sur la Figure 1.16, une attention doit être accordée au fait que la Figure 1.16 repose sur des données compilées à partir d'un certain nombre d'études indépendantes qui peuvent ne pas avoir été menées dans les mêmes conditions. Néanmoins, la Figure 1.16 indique que par comparaison avec le traitement enzymatique, le traitement aux cellules entières de champignons ligninolytiques est applicable à un plus large spectre de micropolluants organiques, probablement en raison de l'effet synergique des enzymes intracellulaires, associées au mycélium et extracellulaires de même que la sorption du micropolluant organique (MPO) sur la biomasse.

b. Voies de dégradation

Dans la plupart des études, l'accent a été principalement en ce qui concerne la disparition du composé parent. Seule une fraction limitée de la littérature est disponible sur les voies de dégradation et les produits de dégradation intermédiaires. Par exemple, l’hydroxy-diclofénac est formé en tant que produit intermédiaire au cours de la dégradation du diclofénac, ce qui indique qu’un groupe donneur d’électrons (groupe hydroxyle) est tout d'abord transféré au composé pour le rendre prêt à la biodégradation [123,153]. Des expériences menées in vivo et in vitro en utilisant le 1-aminobenzotriazole comme inhibiteur du cytochrome P450 et la laccase purifiée, ont suggéré qu'au moins deux mécanismes différents sont utilisés par Trametes versicolor pour initier la dégradation du diclofénac [153]. Alors que des métabolites hydroxylés ont été identifiés comme intermédiaires de dégradation dans les cultures fongiques dopés avec du diclofénac, la transformation catalysée par la laccase du diclofenac a conduit à la formation du 4-(2,6-dichlorophénylamino)-1,3-benzènediméthanol, qui n'a pas été détecté dans les expériences in vivo probablement en raison des faibles niveaux d'activité laccase observés pendant les premières heures d'incubation [153].

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Le composé-parent et ses intermédiaires ont tous disparu après 24 heures, conduisant à une diminution de l'écotoxicité du liquide traité. Hata et al. [123] ont signalé que, comme pour le diclofénac, une hydroxylation catalysée par le cytochrome P450 peut également être impliquée dans l'élimination et la détoxication de l'acide méfénamique par Phanerochaete sordida (YK-624). Le système du cytochrome P450 a également été rapporté pour catalyser la première étape de la dégradation du kétoprofène, ce qui donne l’acide (2-[3-(4-hydroxybenzoyl)-phényl]-propanoïque par hydroxylation du noyau aromatique, et l'acide (2-[(3-hydroxy(phényl)-méthyl)-phényl]-propanoïque par réduction du groupe cétone, alors que le système d'enzyme ligninolytique (laccase) semblait jouer un rôle mineur dans la dégradation du kétoprofène [167].

Différentes voies ont été observés lors de la dégradation du naproxène par traitement aux champignons ligninolytiques. Une déméthylation par médiation du cytochrome P450 a conduit à la formation du 6-désméthylnaproxène [133,188], tandis qu'un second métabolite, le 1-(6-méthoxynaphthalén-2-yl)-éthanone, semblait être formé via la catalyse par la laccase [133]. Après 6 h d'incubation, le composé parent et les produits intermédiaires ont disparu du milieu, et il a été confirmé que le milieu traité n'était plus toxique [133]. L'hydroxylation sur le carbone primaire pour former l'hydroxy-ibuprofène est la voie de dégradation initiale et prédominante pour l'l'hydroxy-ibuprofène. Marco-Urrea et al. [148] ont étudié la dégradation de l'ibuprofène par Trametes versicolor et ont signalé qu'il a été transformé en 1-hydroxy-ibuprofène et 2-hydroxy-ibuprofène via l'oxydation de sa chaîne isopropyle.

Ces sous-produits ont été ensuite dégradés par le champignon en 1,2-dihydroxy- ibuprofène, qui s’est accumulé au cours de la période d'incubation (7 jours). Notamment, l'écotoxicité du milieu traité contenant de 1,2-dihydroxy-ibuprofène était plus élevée que la solution initiale, bien que toujours inférieure à celle fixée pour les eaux usées à décharger dans les zones industrielles. Ces mêmes auteurs [148], cependant, ont souligné que la concentration de l'ibuprofène utilisé dans leurs expériences (10 mg L⁻¹) a été beaucoup plus élevée que les concentrations trouvées dans l'environnement aquatique de plusieurs ordres de magnitude et ont conseillé alors d’en être vigilant en extrapolant leurs résultats.

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L’acridone, l’acridine, la 10,11-dihydro-10,11-dihydroxycarbamazépine, et la 10,11-époxycarbamazépine ont été identifiés comme les principaux métabolites stables, découlant d’un traitement de la carbamazépine par la culture de cellules entières de Trametes versicolor. Les tests de toxicité aiguë ont montré que les effluents terminaux des réacteurs n'étaient pas toxiques [189].

Golan-Rozen et al. [134] ont rapporté que deux familles d'enzymes, à savoir, la MnP extracellulaire (d'une manière dépendante ou indépendante des ions Mn2+) et le cytochrome P450 intracellulaire, sont impliqués dans l'oxydation de la carbamazépine par la culture de cellules entières de Pleurotus ostreatus. Ils ont observé que la 10,11-époxycarbamazépine était le principal métabolite stable lorsque la concentration de carbamazépine initiale était de 10 mg L⁻¹ ; cependant, à une concentration compatible avec celles retrouvées dans l'environnement (1 μg L⁻¹), Pleurotus ostreatus peut continuer la dégradation de la 10,11-époxycarbamazépine en son 10,11-trans-diol, qui pourrait être bio-disponible à d'autres microorganismes [134], conduisant potentiellement à la minéralisation.

D'autre part, deux produits de dégradation, à savoir, la 10,11-époxycarbamazépine et la 9(10H)-acridone, ont été formées par l'intermédiaire d'un traitement répété avec la laccase de Trametes versicolor et l’HBT [173]. Eibes et al. [157] ont identifié un métabolite, à savoir le 3-amino-5-méthylisoxazole, au cours du traitement du sulfaméthoxazole avec la peroxydase polyvalente du champignon ligninolytique Bjerkandera adusta.