• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1 : Étude bibliographique

1.3. Focus sur les polluants émergents

1.3.4. Omniprésence et persistance de la Carbamazépine

1.3.4.2. Effets sur la flore et la faune

La présence des résidus de substances pharmaceutiques (RSP), y compris la carbamazépine, et son impact potentiel sur la santé humaine et les systèmes écologiques même à des concentrations aussi faibles que ng L⁻¹, ont élevé un grand souci qui est en train de devenir un axe majeur de la recherche scientifique [103]. La majorité des produits chimiques provoque une toxicité à travers une cytotoxicité intrinsèque, tandis qu'une nette minorité entraîne une toxicité par interférence à des fonctions cellulaires spécifiques d'organes ou à des fonctions corporelles extracellulaires. Selon ce point de vue simplifié, la toxicité d'un composé peut être décomposée en un certain nombre d'éléments, dont chacun peut être identifié et quantifié dans le cadre d’un système de modèles appropriés [104]. La présence et le devenir des résidus de substances pharmaceutiques dans le milieu aquatique ont été reconnus parmi les questions les plus émergentes en chimie de l'environnement [96].

48

Les principes actifs pharmaceutiques étant conçus avec l'intention d'accomplir un effet biologique [105], ce concept peut être très important pour ces substances spécifiques en termes de leur devenir et de leurs effets à l'égard des organismes non-cibles dans l'environnement, même à faibles concentrations. Par conséquent, la probabilité du risque environnemental de ces composés ne peut pas être exclue, comme il a été démontré pour les polluants classiques «prioritaires», en particulier les pesticides à toxicité aiguë ainsi que des produits industriels intermédiaires affichant une persistance dans l'environnement [106].

De ce fait, il est nécessaire d'évaluer l'impact de la carbamazépine, entre autres de composés pharmaceutiques, sur les écosystèmes où elle est présente. Des essais biologiques ont généralement été utilisés pour évaluer la toxicité de la carbamazépine (CBZ) en exposant les organismes d'essai à des concentrations spécifiques de ce composé. Ces essais biologiques sont ensuite utilisés pour calculer les concentrations prédites sans effet (« Predicted No-Effect Concentrations (PNEC) ») et les résultats sont ensuite comparés aux concentrations mesurées dans l'environnement (« Measured Environmental Concentrations (MEC) ») [107,108]. La caractérisation des risques est une estimation de l'incidence des effets indésirables survenant dans un compartiment de l'environnement à la suite de l'exposition réelle ou prévue à une substance. Il s'agit généralement d'un quotient de risque calculé comme le rapport de la MEC plus élevée sur la PNEC, le niveau environnemental correspondant à aucun effet néfaste sur la fonction de l'écosystème est à prévoir [107]. Le calcul des risques (MEC/PNEC) pour la CBZ obtenus pour les différents pays est présenté dans la Figure 1.13.

Figure 1.13 La caractéristique des

risques (MEC/PNEC) pour la carbamazépine dans différents pays

Une valeur supérieure à l’unité est problématique.

MEC : Measured Environmental Concentration

PNEC : Predicted Non-Effect Concentration

49

Ferrari et al. [107] ont étudié les effets toxiques de la CBZ sur les bactéries, les algues, les poissons et les micro-crustacés et ont observé que la CBZ avait une écotoxicité aiguë limitée sur les organismes testés. Kim et al. [108] ont étudié la toxicité aiguë de la CBZ par rapport à Vibrio fischeri (une bactérie marine), Daphnia magna (un invertébré d'eau douce) et Oryzias latipes (le poisson médaka) en utilisant l’analyse des concentrations demi-efficaces (CE50). Ils ont observé que des valeurs de CE50 pour Vibrio fischeri et Daphnia magna étaient de 52,5 mg L⁻¹ (5 min d'exposition) et 76,3 mg L⁻¹ (96 h d'exposition), respectivement. Les doses létales de la CBZ pour le poisson médaka ont été déterminées comme se situant entre 15 et 35 mg L⁻¹.

Dans une étude réalisée par Jos et al. [109], les auteurs ont montré que la CBZ ne devrait pas produire d'effets toxiques aigus sur le biote aquatique (CE50 de 4,5 à 383,5 mg L⁻¹). Selon les résultats de leurs recherches et de la législation européenne actuelle sur la classification et l'étiquetage des produits chimiques (92/32/CEE), ils ont classé la CBZ comme « R52/53 nocif pour les organismes aquatiques et peut entraîner des effets néfastes à longs termes pour l'environnement aquatique ».

Andreozzi et al. [110] ont montré, dans leur étude, qu’il n’y a aucun effet de toxicité de la CBZ sur les algues Ankistrodesmus braunii et ont également constaté que la concentration de la CBZ diminue progressivement dans la culture des algues. Ils ont observé qu’après 60 jours d'expérience, plus que 50 % de la CBZ ont été éliminés du milieu. De plus, aucune CBZ n’a été observée dans les cellules d’Ankistrodesmus braunii au cours des expériences. L'auteur conclut que la CBZ a été prise par les cellules d'algues et est entrée dans les processus biochimiques. Dussault et al. [111] ont étudié la toxicité de la CBZ pour les insectes diptères Chironomus tentans et les crustacés amphipodes d’eau douce Hyalella azteca ; ces deux invertébrés benthiques ont été exposés à l’eau pendant 10 jours. Les résultats indiquent que les concentrations demi-létale et demi-efficace (CL50 et CE50) de la CBZ variaient de 9,9 à 47,3 mg L⁻¹.

D'autres études sur la toxicité de la CBZ ont montré une toxicité similaire aux espèces de divers taxons, et les valeurs mesurées de toxicité variaient d'une CE50 de 25,5 mg L⁻¹ pendant 7 jours pour les macrophytes Lemna minor [112] à une CL50 de 140 mg L⁻¹ pendant 24 h pour les crustacés Thamnocephalus platyurus [113].

50

Les expériences de toxicité aiguë de la carbamazépine (CBZ) avec des organismes aquatiques non-cibles indiquent des CE50 de l’ordre de mg L⁻¹ [107], ce qui est beaucoup plus élevé que les concentrations trouvées dans les eaux de surface ou des effluents. Cependant, des études physiologiques plus sensibles utilisant des concentrations comparables ou inférieures à celles habituellement détectées dans l'environnement ont montré que la CBZ peut nuire aux espèces exposées.

Martin-Diaz et al. [114] ont placé la moule Mytilus galloprovincialis dans des solutions aqueuses de CBZ à des concentrations allant de 0,1 à 10 mg L⁻¹ ; ils ont rapporté des effets significatifs sur la biotransformation et la réponse aux antioxydants, ainsi que des niveaux réduits de transcription des gènes codants pour des protéines impliquées dans la résistance aux multi-xénobiotiques (RMX). La CBZ peut donc perturber la physiologie de certains organismes non-cibles, même à de faibles concentrations et des études supplémentaires sont nécessaires pour identifier de tels effets potentiels.

Contardo-Jara et al. [115] ont étudié l'effet négatif de la CBZ sur les moules de l’espèce invertébrée Dreissena polymorpha ; ils ont observé après sept jours que le facteur de bioconcentration était le plus élevé pour les moules exposées aux concentrations les plus faibles de CBZ, avec une concentration tissulaire 90 fois plus élevée. La CBZ a provoqué une augmentation significative dans les branchies du niveau de l’acide ribonucléique messager (ARNm) codant pour la protéine hsp70 (heat shock protein 70) fabriquée d’habitude dans le cas d’un choc thermique, après une exposition d’une journée, mettant en évidence le potentiel de CBZ à provoquer immédiatement un état de stress et un endommagement présumé des protéines dans les branchies. Après une exposition plus longue, les moules ont accusé des niveaux bas par rétrocontrôle des ARNm codants pour la protéine hsp70 et l’enzyme superoxyde dismutase (SOD) dans les branchies, ainsi que ceux codants pour la métallothionéine (MT) et la P-glycoprotéine (P-gp) dans la glande digestive, faisant allusion à un caractère inhibiteur de la CBZ. Malarvizhi et al. [116] ont étudié le stress enzymatique induit par la CBZ dans les branchies, le foie et les muscles d'une carpe commune, Cyprinus carpio. Ils ont conclu que la CBZ modifie les activités des enzymes glutamate oxaloacétate transaminase (GOT), glutamate pyruvate transaminase (GPT) et lactate déshydrogénase (LDH) dans divers organes du poisson.

51

En outre, seules quelques études ont utilisé la bioactivité des algues pour évaluer l'impact éco-toxicologique de la CBZ [107,117]. Un grand nombre d'indicateurs écologiques et d’organismes d'essai ont été proposés dans les études antérieures, dont les algues vertes qui sont très sensibles à la contamination des milieux aquatiques [118]. Ces algues sont considérées comme des indicateurs de la bioactivité en présence des composés tels que les résidus de substances pharmaceutiques (RSP) [117].

Une étude récente menée par Zhang et al. [119] sur l'effet éco-toxicologique de la CBZ sur Scenedesmus obliquus et Chlorella pyrenoidosa a montré que la CBZ pourrait inhiber de manière significative la croissance des deux algues dans à peu près tous les groupes de traitement. Ils ont ainsi observé d’après les valeurs trouvées de CE50 que la CBZ avait un effet toxique aigu (< 6 jours) relativement limitée sur Scenedesmus obliquus et Chlorella pyrenoidosa, tandis que, les essais chroniques (6 à 30 jours) ont affichés une toxicité plus élevée. La synthèse de la chlorophylle a été presque complètement inhibée par l'exposition à la CBZ. Cependant, les activités de la superoxyde dismutase (SOD) et de la catalase (CAT) dans les tests aigus des deux algues ont été nettement promues. En outre, l'effet exact de la CBZ sur l'environnement reste encore mystérieux puisque les résultats varient considérablement dans les différentes études qui ont abordé son impact toxicologique. Une étude de Cunningham et al. [103] a été menée pour évaluer les risques courus par la santé humaine à cause de la présence de la CBZ dans les eaux de surface de l'Amérique du Nord et en Europe ; ces auteurs ont conclu que la CBZ et ses principaux métabolites ont des marges élevées de sécurité (Margin Of Safety : MOS > 1) et ne devraient pas donc avoir aucun risque appréciable sur la santé humaine via des expositions environnementales. Néanmoins, des études supplémentaires sur des animaux seront nécessaires pour connaître l'effet toxique de ces contaminants sur la santé humaine, ainsi que l'élimination/dégradation de la CBZ des milieux contaminés, y compris l'eau, les eaux usées et les boues d’épuration.

52