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Afin de proposer une aide à la décision pour le maintien du mélange en forêt de Sapin- Epicéa en zone de montagne, il est nécessaire de bien représenter les mécanismes respon- sables de la coexistence des espèces, ou de l’exclusion compétitive d’une espèce, dans les modèles de dynamique forestière. L’ensemble des mécanismes maintenant la diversité des espèces au sein d’une communauté a fait l’objet de plusieurs revues (Chesson,2000b;Naka-

shizuka, 2001; Wright,2002; Tilman and Pacala, 1993;Tokeshi, 1999). Historiquement, la

question s’est posée suite à l’observation de communautés à très forte diversité spécifique tels que les forêts tropicales (Hubbell, 1997), les récifs coralliens (Hubbell, 1997) ou les communautés de phytoplancton (Hutchinson, 1961; Huisman and Weissing, 1999), alors que le principe de Gause d’exclusion compétitive (Gause, 1934) prédit que deux espèces utilisant la même ressource ne peuvent coexister et que l’espèce la plus compétitive exclut l’espèce la moins compétitive.

Différents modèles, basés chacun sur un certain nombre d’hypothèses et sur une certaine vision des espèces et de la communauté, ont été avancés pour tenter de résoudre cette contradiction.

2.4.1

Le modèle de niche de Hutchinson

Selon la théorie de la niche écologique, les communautés sont des assemblages d’es- pèces différentes dans leur relation à leur environnement. Selon la conception classique

d’Hutchinson(1957), la niche est un hyper-volume limité, propre à chaque espèce, dans un

espace dont les axes représentent les ressources (par exemple la lumière). Mais la notion de ressource peut inclure l’ensemble des relations de l’espèce avec son milieu biotique et abiotique (Chesson, 1991; Chase and Leibold, 2003). Les axes des niches différenciant les espèces entre elles sont donc multiples. En occupant des niches différentes, les espèces se partagent le milieu en fonction de la nature et du niveau de ressources dont elles dépendent. Le modèle de niche met donc l’accent sur les différences entre espèces qui sont facilement observables au niveau morphologique, anatomique et physiologique (Fig. 2.13).

Initialement, dans un espace à n dimensions, une espèce n’a pas un unique n-uplet de coordonnées mais elle en a autant qu’elle compte d’individus. La niche de l’espèce est dé- terminée par le plus petit espace à n dimensions contenant tous les individus (Hutchinson,

1957; Ricklefs and Miller, 1999). Tous les individus d’une même espèce sont différents par

leurs caractéristiques génétiques propres et leur histoire individuelle. Pour des conditions environnementales identiques, deux individus de la même espèce ne répondent pas exacte- ment de la même façon à leur environnement (en termes d’utilisation de la ressource, de survie, de fécondité, etc.).

Lorsque l’on cherche à identifier la niche d’une espèce sur un axe particulier (une res- source, l’altitude, le pH, etc.), on utilise fréquemment des données de présence-absence des individus de l’espèce et un modèle logistique linéaire par rapport à la variable consi- dérée. On obtient alors une courbe de Gauss indiquant la probabilité de présence de l’es- pèce en fonction des valeurs de la variable et un optimum là où la probabilité est maxi- male (Fig. 2.14).

Fig. 2.13: Différences entre espèces pour la taille et la forme des graines. Source :

http ://www.tc.umn.edu/∼hmuller/.

Les individus d’une espèce sont retrouvés pour des niveaux de la variable environne- mentale qui sont différents. La variabilité peut être expliquée par différents mécanismes :

1. L’espèce (en tant qu’ensemble d’individus ayant des caractéristiques communes) peu subsiter dans une gamme d’altitude donnée qui détermine les paramètres éco- physiologiques (température, précipitations, ensoleillement, pression partielle des gaz, etc.) qui autorisent la survie, la croissance, la reproduction de l’espèce.

2. L’espèce peut exprimer une certaine plasticité phénotypique autorisant sa survie dans une gamme large de conditions environnementales (Bonnier, 1887; Geburek et al.,

2008).

3. Lorsque l’on identifie l’habitat favorable à une espèce sur un unique axe tel que représenté dans la Figure 2.14, la gamme de conditions favorables peut varier (se décaler, se réduire, s’agrandire) en fonction des autres facteurs du milieu (présence d’espèces concurrentes, exposition, latitude, etc.). La probabilité de présence d’une espèce en fonction de l’altitude est par exemple différente sur un versant Nord et sur un versant Sud.

4. Pour des conditions environnementales parfaitement identiques, les individus d’une même espèce, qui sont différents par leurs caractéristiques génétiques et leur histoire, ont une probabilité de présence différente de la moyenne de l’espèce.

La variabilité, qui détermine en fin de compte la niche de l’espèce, joue un rôle dans la coexistence (Lichstein et al., 2007; Clark et al., 2007; Courbaud et al., in review) sans toutefois être prise en compte dans les modèles de niche classiques (Chase and Leibold,

Fig. 2.14: Modèle de niche logistique basé sur des comptages de présence-

absence (Lenoir et al., 2008). Exemples de plantes d’Europe de l’ouest dont les dis-

tributions indiquent une remontée en altitude. Les courbes proviennent d’un modèle de régression logistique basé sur des données de présence-absence sur la période 1905-1985 (lignes en pointillés) et sur la période 1986-2005 (lignes continues).

Fig. 2.15: Modèle de croissance logistique à deux paramètres, r et K. Source :

http ://fr.wikipedia.org/wiki/Image :Stratégies_démographiques.JPG.

2.4.2

Déclinaisons du modèle de niche de Hutchinson : notion de

trade-off

Partant du modèle de niche, les mécanismes de coexistence invoqués s’appuient sur des compromis (ou “trade-offs”) entre espèces (Kneitel and Chase,2004;Rees et al., 2001;

Tilman, 1982, 1994). Une espèce est plus compétitive sur certains axes de la niche mais

l’est moins sur d’autres.

En se référant au concept de niche, les scientifiques ont cherché à identifier les diffé- rences entre espèces et les mécanismes qui pouvaient expliquer la coexistence des espèces au sein des communautés. L’approche qui consiste à étudier la dynamique de succession pour identifier les conditions de coexistence le cas échéant est synthétique et part des obser- vations de terrain. Elle différencie les espèces pionnières de début de succession des espèces dryades de fin de succession (Rees et al., 2001). Les espèces de début de succession sont caractérisées par des traits d’histoire de vie corrélés comprenant une forte fécondité, une dispersion des graines longue, une croissance rapide lorsque les ressources sont abondantes et une croissance lente et un fort taux de mortalité lorsque les ressources sont faibles. Les espèces de fin de succession ont les caractéristiques opposées, c’est-à-dire une fécondité plus faible, une dispersion courte, une croissance lente et un meilleur taux de croissance et de survie lorsque les ressources sont faibles (Rees et al., 2001). Ces caractéristiques sont à associer aux stratégies r et K des espèces composant une méta-communauté et qui ont été définies par MacArthur and Wilson (1967) à travers la théorie de la biogéographie des îles. La théorie de MacArthur et Wilson dit que le nombre d’espèces sur une île résulte d’un équilibre entre l’immigration de nouvelles espèces et l’extinction des espèces présentes. Les espèces à stratégie r sont les espèces investissant dans la dissémination (multiplication des graines et dispersion), les espèces à stratégie K sont celles investissant dans la survie des adultes. C’est une variante plus complexe du classique modèle logistique à deux para- mètres (r et K) proposé par Verhulst (1838) pour modéliser la croissance des populations en fonction du temps (Fig. 2.15).

Les espèces de fin de succession excluent potentiellement les espèces de début de succes- sion : au fur et à mesure que le milieu est colonisé, la ressource devient moins abondante et les espèces de début de succession disparaissent. Dans le cas de perturbations suffisament conséquentes (on parle alors de perturbations intermédiaires (Connell and Slatyer, 1977;

Cordonnier, 2004; Cordonnier et al., 2006)), les espèces de début de succession peuvent

persister en recolonisant les sols nus. Les perturbations peuvent être issues d’une morta- lité intrinsèque physiologique (par sénéscence ou compétition pour les ressources) ou dues à des facteurs externes de plus grande ampleur (coup de vent, avalanche, feu). On peut alors considérer deux types de trade-off pour la coexistence : un trade-off colonisation- compétition et un trade-off “croissance à niveau de ressource élevé-competition” appelé communément mécanisme de niche de succession ou “successional niche mechanism” (Pa-

cala and Rees,1998). Dans le premier cas, c’est la fécondité et la distance de dispersion qui

contrebalancent la survie à faible niveau de ressource et dans le second cas, c’est la forte croissance lorsque le niveau des ressources est élevé qui contrebalance la survie à faible ni- veau de ressource. Le trade-off colonisation-compétition est le plus souvent rencontré dans des milieux ouverts où les populations sources sont éloignées alors que le mécanisme de niche de succession est plus prépondérant dans les milieux fermés saturés en graines (Rees

et al., 2001).

Le trade-off colonisation-compétition est le mécanisme le plus mis en avant pour expli- quer la coexistence. De nombreux modèles théoriques basés sur la colonisation de patch (“patch models”) ont démontré son effet sur le maintien de la diversité (Levins and Culver,

1971; Nee and May, 1992; Tilman, 1994; Calcagno et al., 2006; Courbaud et al., in re-

view). Théoriquement, un nombre infini d’espèces correctement positionnées sur la ligne de trade-off peuvent coexister (Tilman, 2004). Sur le terrain, c’est surtout au niveau des traits fonctionnels associés à la graine (taille et nombre des graines) que l’on a tenté de vérifier cette théorie (Nakashizuka, 2001;Rees et al.,2001). Les espèces pionnières ont des graines petites, renfermant une faible quantité de réserves. Pour une même quantité d’éner- gie, de plus petites graines peuvent être produites en plus grand nombre. Un trade-off taille des graines-quantité de graines est effectivement observable dans la nature (Coomes and

Grubb,2003) (Fig. 2.16). Lorsque l’on considère une dispersion par le vent, les graines d’un

poids plus faible ont tendance à avoir une distance de dispersion plus importante (Greene

and Johnson,1993). De plus, lorsque les ressources extérieures sont faibles, les semis issus

d’une graine petite contenant peu de réserves, ont un taux de survie plus faible que des semis issus d’une graine plus grosse contenant plus de réserves (Moles and Westoby,2004). En appliquant la notion de trade-off à l’utilisation des ressources,Tilman(1982) montre qu’à l’équilibre dans une communauté, il peut y avoir autant d’espèces en coexistence qu’il y a de ressources limitantes. Dans le cas de deux ressources limitantes (l’azote N et le phosphore P ;Tilman(1977)), deux espèces, l’une utilisant mieux l’azote pour se multiplier et l’autre utilisant mieux le phosphore, peuvent coexister. C’est l’hypothèse du ratio des ressources ou “ressource-ratio” qui prédit une certaine valeur des ressources à l’équilibre : R?. Si l’habitat est hétérogène et que le ratio des ressources varie dans l’espace, le nombre

d’espèces en coexistence à l’équilibre peut dépasser le nombre de ressources (Tilman,1982;

Fig. 2.16: Trade-off entre poids sec des graines et nombre de graines par individu

pour 62 espèces de prairies humides dans le Nord-Est de l’Europe (Coomes and

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