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Mécanismes associés aux translocations chromosomiques

B. Bases moléculaires et génétiques des LAL-B

2. Mécanismes associés aux translocations chromosomiques

Les translocations chromosomiques sont les anomalies structurales les plus fréquemment retrouvées dans les hémopathies malignes, en particulier dans les cancers touchant la lignée B (Kuppers, 2005). Il existe plusieurs mécanismes oncogéniques associés aux translocations chromosomiques : modification de l’environnement de régulation d’un proto-oncogène (cas des translocations aux loci des IgH, souvent retrouvées dans les lymphomes ; (Jankovic et al., 2007)), création d’un gène de fusion par réunion des parties de deux gènes (Shtivelman et al., 1985), ou, plus marginalement décrits, dérégulation d’ARN non codants (Bousquet et al., 2008; Calin et al., 2004).

a) Défauts de machineries de réparation

La détermination des mécanismes impliqués dans l’occurrence de tels remaniements a fait l’objet de nombreuses investigations. L’hypothèse la plus consensuelle aujourd’hui attribue la création de translocations chromosomiques à des anomalies des systèmes de réparation des cassures double brin de l’ADN. D’un point de vue physiologique, les cassures doubles brins se produisent d’après au moins 3 mécanismes au cours du développement lymphoïde B : recombinaisons V(D)J, CSR et SHM. Les enzymes Rag1/Rag2 et AID, associés à ces étapes de développement B, peuvent avoir une activité anormale susceptible de provoquer ces événements en dehors de leurs sites d’activité habituels (Robbiani et al., 2009; Tsai et al., 2008). Les systèmes de réparation de l’ADN tels que la liaison des extrémités non- homologues (NHEJ) et la recombinaison homologue (HR) ont également fait l’objet de

recherches visant à caractériser leur responsabilité dans la survenue de translocations chromosomiques.

Au début de la différenciation B, il a été montré que le complexe Rag1/Rag2 était capable d’induire des cassures double brins dans le cadre des recombinaisons V(D)J en reconnaissant des séquences signal de recombinaison (RSS). Par l’étude de la translocation

IgH-myc, différentes équipes ont clairement établi que la formation des translocations

impliquant le locus IgH requièrent l’activité de Rag1/Rag2 (Difilippantonio et al., 2002; Zhu et al., 2002). Ce complexe est aussi capable de produire des cassures double brins accidentelles en dehors des RSS et au sein même d’oncogènes (Raghavan et al., 2004; Tsai et al., 2008).

D’autres cassures doubles brins surviennent au stade B mature suite à l’activité de CSR et de SHM dépendante d’AID (Robbiani et al., 2009). Dans ce travail, l’équipe de Thomas Eisenreich a notamment montré qu’une surexpression d’AID amène à l’apparition de plusieurs cassures double brins, touchant presque tous les chromosomes. Il apparaît intéressant de noter qu’AID peut également induire des mutations hors des gènes codant les immunoglobulines. Des mutations induites par AID ont en effet été détectée à une fréquence notable dans des oncogènes tels que c-myc, Pim1, Pax5, RHOH, Bcl6, Cd79a, Cd79b, et Fas (Muschen et al., 2000; Pasqualucci et al., 1998; Pasqualucci et al., 2001; Shen et al., 1998). Ces mutations sont corrigées grâce à les mécanismes de réparation par excision de base et de réparation des mésappariements (Liu et al., 2008). Ce sont ces mécanismes qui nécessitent la création de cassures double brins. Bien que Rag1/Rag2 et AID ne soient pas exprimés en même temps au cours du développement, la possibilité de fusion des cassures double brins générées par leur activité a été envisagée. Pour que cela soit possible, les cellules porteuses de cassures doubles brins associées à l’activité de Rag1/Rag2 doivent être capables de se différencier en lymphocytes B matures. Ceci suppose que le point de contrôle ATM soit déficient. ATM est une protéine kinase qui va être stimulée lors de ce type d’altération de l’ADN. Son activation mènera à la mise en œuvre des mécanismes de réparation de ces cassures (NHEJ ou HR ; (Shiloh, 2003)). Si ATM est déficient, les cassures double brins vont persister tout au long de la différenciation. Elles pourraient alors s’associer avec celles créées suite à l’activité d’AID, générant ainsi des translocations chromosomiques (Callen et al., 2007).

L’autre mécanisme décrit permettant la fusion de points de cassure Rag1/Rag2 et AID dépendants est la perte de XRCC4 combinée à un défaut de p53 (Wang et al., 2008; Wang et al., 2009). Enfin, il a aussi été avancé que la faible expression d’AID en début de développement B pourrait suffire à induire des mutations ponctuelles dans certains gènes autres que dans ceux des immunoglobulines, créant ainsi des motifs RSS en dehors des sites dédiés, ce qui conduirait à une activité anormale de Rag1/Rag2 (Tsai et al., 2008).

Les mécanismes de NHEJ semblent jouer un rôle important dans la génération de translocations chromosomiques (Weinstock and Jasin, 2006). Il existe en fait au moins deux types de systèmes de réparation des cassures double brins de type NHEJ : un classique et un alternatif (C-NHEJ et A-NHEJ respectivement). Ils assument des fonctions proches mais nécessitent l’association de protéines différentes. La différence de fonction constatée entre les deux systèmes réside dans leur substrat. C-NHEJ associe des fragments à bouts francs ou ayant moins de 4 bases d’homologie, alors que A-NHEJ associe des fragments partageant de 5 à 25 bases d’homologie (Haber, 2008; Zha et al., 2009). L’absence de la machinerie de C- NHEJ fonctionnelle augmente substantiellement le nombre de translocations chromosomiques (Difilippantonio et al., 2000; Ferguson et al., 2000; Karanjawala et al., 1999). Les points de cassure double brins étant tout de même réassociés dans les translocations chromosomiques (et donc en cas de défaut de C-NHEJ), A-NHEJ est supposé être à la base des mécanismes de ressoudage des brins cassés, ce qui mène à la création de réarrangements chromosomiques aberrants. De plus, les brins réassociés présentent, dans certains modèles expérimentaux, des homologies de séquence de part et d’autre du point de cassure (Callen et al., 2007; Difilippantonio et al., 2002; Zhu et al., 2002).

b) Organisation 3D de la chromatine dans le noyau

La notion de territoires chromosomiques, et donc de proximité de certaines séquences dans le noyau interphasique (Cremer and Cremer, 2001), a également été proposée pour expliquer la récurrence de certaines translocations chromosomiques. La ségrégation spatiale des territoires chromosomiques est en partie associée à l’activité transcriptionnelle des gènes (Lieberman-Aiden et al., 2009). Par exemple, les loci de IgH et c-myc sont proches dans le noyau en interphase, en particulier dans les lymphocytes B matures avant l’activation d’AID (Osborne et al., 2007). Les gènes partageant les mêmes mécanismes de régulation sont fréquemment retrouvés proches dans le noyau, probablement afin d’optimiser la consommation des facteurs et cofacteurs transcriptionnels par la cellule (Spilianakis et al.,

2005). Dans un contexte pathologique, il est difficile d’établir un lien direct entre les translocations chromosomiques et des anomalies de l’organisation 3D de la chromatine dans le noyau dans la mesure où toutes les cassures doubles brins ne perturbent pas l’organisation dynamique des chromosomes (Kruhlak et al., 2006; Soutoglou et al., 2007). Cependant, certains facteurs responsables de la stabilité des télomères semblent impliqués dans son contrôle. Leur défaut pourrait donc conduire au rapprochement spatial de deux fragments chromosomiques normalement éloignés. Si des points de cassures se retrouvent proches l’un de l’autre, ils ont plus de probabilité de fusionner (Dimitrova et al., 2008). L’étude des mécanismes régulateurs de l’organisation tridimensionnelle du noyau est encore récente mais sera probablement riche d’enseignements pour la compréhension des translocations chromosomiques.

c) Séquences spécifiques et sélection des événements

oncogéniques

La question des causes de la récurrence de certaines translocations chromosomiques ou de l’implication fréquentes de certains locus reste encore à résoudre. Les translocations chromosomiques sont-elles des événements aléatoires sur le génome ? La démonstration de l’existence de territoires fragiles dans le génome semble indiquer le contraire. Des territoires fragiles sont des régions d’ADN génomique définies statistiquement : suite à un stress réplicatif, certaines régions subissent significativement plus d’événements de cassures double brins que dans le reste du génome (Arlt et al., 2006). En outre, Rag1/Rag2 et AID semblent responsables des réarrangements impliquant le locus des immunoglobulines. En ce qui concerne la plupart des autres translocations chromosomiques menant à la fusion de deux gènes, aucune explication mécanistique ou statistique n’est satisfaisante. La théorie qui prévaut pour expliquer la configuration de ces anomalies consiste à les présenter comme des événements aléatoires. Elles seraient ensuite sélectionnées par la nature cruciale des gènes touchés et des propriétés oncogèniques des fusions générées (Rabbitts, 1991). Les lésions oncogéniques alors portées par la cellule suffiraient à contourner les mécanismes de réparation et de contrôle de l’intégrité cellulaire, menant ainsi à l’émergence d’une pathologie cancéreuse. Un des mécanismes proposé pour tromper la vigilance de la cellule quant à son intégrité génomique et transcriptomique (notamment par la machinerie nucléaire de dégradation des ARNm anormaux, NMD) est la sélection des fusions des gènes dans le cadre de lecture. Ceci revient à la création d’un gène de fusion artificiel mais de structure génétique normale (Ortiz de Mendibil et al., 2009). Cette condition n’apparaît cependant pas

indispensable à la sélection des fusions de gènes, certaines associant des gènes d’orientation opposée.