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B. Démarches expérimentales

VI. Discussion générale et conclusions

L’ensemble de nos travaux souligne la large diversité des gènes partenaires de fusion de PAX5. L’étude de la cohorte de patients du GFCH nous a permis de distinguer plusieurs profils cytogénétiques impliquant PAX5 dans les LAL-B. Ainsi, nous avons relevé que les délétions d’un allèle de PAX5 semblaient être des événements secondaires dans ces pathologies (potentiellement aggravants (Mullighan, 2009)). Par ailleurs, nous avons identifié un profil caryotypique simple associé aux remaniements internes du locus de PAX5.

Les études fonctionnelles nous ont permis de distinguer des propriétés différentes en fonction de la nature des gènes qui lui sont fusionnés. Certains mutants comme PAX5 tronqué ou PAX5-NCoR1 provoquent des effets assimilables au processus leucémique, c'est-à-dire un blocage de différenciation des cellules au stade pré-B et des propriétés de prolifération ou de résistance à l’apoptose accrues. Cependant, la cinétique d’apparition des caractères oncogéniques pour ces deux mutants est manifestement différente. Ceci suggère que le partenaire de fusion a une influence sur les mécanismes transformants associés aux mutants de PAX5.

L’étude de l’impact de PAX5-ELN dans ces cellules nous a montré que ce mutant était incapable de provoquer une transformation leucémique, ou même l’émergence de propriétés associées à un tel processus. Au contraire, PAX5-ELN semble conférer des propriétés pro- apoptotiques et antiprolifératives aux cellules qui l’expriment. Des mécanismes différents paraissent associés aux mutants PAX5-NCoR1 et PAX5-ELN. Des mutations additionnelles pourraient être nécessaires à l’acquisition d’une fonction oncogénique par PAX5-ELN (potentiellement des altérations locales de régulation ou de structure de certains gènes au niveau du locus 7p11).

Nous avons décrit dans notre article l’ensemble des partenaires qui lui sont associés. A ce jour, plus de 20 gènes ont été identifiés comme impliqués dans ces mécanismes. Les approches actuelles reposent sur l’utilisation de techniques pan génomiques d’analyse des variations du nombre de copies par puces CGH-SNP (Kawamata et al., 2008; Mullighan et al., 2007). Cependant, ces techniques ne sont pas adaptées pour identifier les gènes impliqués dans des translocations équilibrées (comme c’est le cas pour PAX5-ELN par exemple). Les approches moléculaires que nous avons mises en place permettent l’identification de ces partenaires.

Les gènes fusionnés à PAX5 peuvent être de nature très différente, codant des facteurs de transcriptions (ETV6, FOXP1), des protéines structurales (ELN), des protéines impliquées

dans la transduction du signal (JAK2), des facteurs de corégulation transcriptionnelle (NCoR1), ou encore des protéines de rôle inconnue (DACH2). L’absence d’unicité fonctionnelle ou structurale des partenaires de fusion de PAX5 ne rend pas pour autant accessoire la caractérisation de l’impact mécanistique des différentes chimères. La comparaison des effets et des mécanismes oncogéniques associés à chacun des mutants permettrait de dégager quels sont les paramètres modifiés par la présence constante du domaine de liaison à l’ADN de PAX5 conservé dans la chimère, et ceux modifiés en conséquence de la nature de la partie apportée par le partenaire de fusion. Dans cet esprit, les équipes de Giovanni Cazzaniga et de Tomoki Naoe ont cherché à élucider les implications fonctionnelles de l’expression de PAX5-ETV6 et de PAX5-PML (Fazio et al., 2008; Kurahashi et al., 2011).

L’équipe de Giovanni Cazzaniga a ainsi montré que l’expression de PAX5-ETV6, dans un modèle comparable au nôtre, était capable d’induire une baisse d’expression des cibles de PAX5 précédemment décrites. Leurs travaux montrent que cette chimère provoque aussi une diminution de l’expression de la chaine lourde µH. Ils ont également décrit une résistance à l’apoptose accrue des cellules transduites par PAX5-ETV6 par rapport aux cellules transduites avec le vecteur vide lors d’un traitement au TGFβ1. Ceci pourrait être une des propriétés oncogéniques associée à PAX5-ETV6. Nous avons évalué l’apoptose seulement en culture en présence d’IL-7, ce qui explique pourquoi nous n’avons pas de données à comparer à leurs résultats. Nos analyses sur PAX5-ETV6 ne sont donc pas en contradiction avec ces travaux. L’augmentation de l’apoptose liée à l’expression de ce mutant est minime (figure 29) et pourrait être due à la forte concentration de cellules dans ces puits. L’étude de PAX5-ETV6 menée par cette équipe a mis en évidence d’autres propriétés de cette chimère : résistance à la mort cellulaire lors de la privation en IL-7 jusqu’à J4 (nous n’avons pas relevé de différence à J6 [figure 26], ce qui suggère que ces lymphocytes ne présentent que la propriété de retarder la mort associée à l’entrée en différenciation) ; capacité de recruter des cofacteurs de répression transcriptionnelle associés aux séquences d’ETV6 (comme mSin3A) (ce qui confirme que les domaines apportés à PAX5 sont fonctionnels) ; baisse de l’expression de CD19 et de B220 qui s’accentue au cours du temps (jusqu’à J19) (ce qui soutient l’hypothèse d’une action tardive de certains mutants comme évoquée pour PAX5 tronqué dans la discussion des résultats préliminaires) (Fazio et al., 2008). Les auteurs ne se sont cependant pas penchés sur les altérations des cibles ou des fonctions d’ETV6 dans ce modèle. ETV6 conservant la quasi-totalité de sa structure dans la chimère, son homologue sauvage codé par

d’hétérozygotie a été évoquée comme un événement fréquent dans les LAL (Stegmaier et al., 1995). Ceci pourrait constituer un événement supplémentaire requis pour l’acquisition de propriétés oncogéniques fortes par PAX5-ETV6 chez les patients. Nous pouvons noter, en associant les résultats de cette étude aux nôtres, que PAX5-ETV6 a bien des propriétés différentes de PAX5-NCoR1. Cette comparaison souligne encore un peu plus l’implication de la région partenaire dans les mécanismes pathologiques associés aux chimères de PAX5.

L’étude de PAX5-PML menée par l’équipe de Tomoki Naoe conforte aussi cette hypothèse (Kurahashi et al., 2011). Ils montrent que l’inhibition compétitive de PAX5-PML sur les cibles de PAX5 n’est pas due à la fixation directe de la chimère sur les cibles de PAX5 sauvage, mais à sa fixation sur PAX5. Lui-même étant fixé à son promoteur cible, PAX5- PML bloquerait son activité transcriptionnelle par cette interaction. Ils appuient notamment cette hypothèse sur des expériences de ChIP montrant que PAX5-PML n’a pas les mêmes capacités de liaison à l’ADN que PAX5 et que l’action inhibitrice de PAX5-PML nécessite son hétérodimérisation avec PAX5 sauvage (Kurahashi et al., 2011). Des capacités de fixation équivalentes pour certains mutants de fusion de PAX5 avaient pourtant été montrées (Bousquet et al., 2007; Kawamata et al., 2008), ce qui suggère que toutes les chimères n’ont pas le même mécanisme inhibiteur sur la transcription PAX5 dépendante. De plus, leurs travaux montrent que PAX5-PML modifie également le fonctionnement de PML sauvage. Ils ont ainsi démontré qu’il était capable d’inhiber la SUMOylation de PML. Cette action empêche la formation des concentrations nucléaires focales de PML (PML bodies), structures nécessaires à l’activation de l’apoptose dépendante de p53. Il a en effet été montré que la présence de ces structures nucléaires était nécessaire à l’induction des mécanismes suppresseurs de tumeurs dépendants de p53 (Fogal et al., 2000). Les auteurs proposent donc un double mécanisme oncogénique de PAX5-PML : une capacité à inhiber la transcription des cibles de PAX5, empêchant ainsi la progression de la différenciation B ; et un rôle déstabilisateur des corps nucléaires PML par l’inhibition de la SUMOylation de PML, ce qui bloque la réponse apoptotique des cellules en réponse au stress oncogénique. Cette étude montre pour la première fois un rôle propre au partenaire de fusion de PAX5 et souligne la nécessité de considérer chaque fusion comme un cas particulier. La poursuite de ces études avec d’autres chimères est nécessaire pour décrypter les mécanismes oncogéniques mis en jeu lors des réarrangements de PAX5. Elle montre également que chaque partenaire peut apporter une contribution oncogénique et renforce la pertinence de la caractérisation des mécanismes associés à l’expression des gènes de fonction inconnues fusionnés avec PAX5.

Nous avons observé des propriétés particulières suite à la transduction de PAX5 sauvage dans notre modèle. A ce jour aucune donnée rapportant des résultats similaires n’a été publiée dans les lymphocytes pré-B. Cependant, des études de surexpression de PAX5 dans des lignées de myélomes multiples ont montré qu’il pouvait induire l’apoptose de ces cellules. La baisse de la production du facteur anti-apoptotique MCL-1 associée à cette surexpression a été avancée pour expliquer ce phénotype (Proulx et al., 2010). D’un autre coté, il a été rapporté une amplification du locus de PAX5 dans 4 cas de lymphome anaplasique à grandes cellules de phénotype T. Les auteurs suggèrent que la surexpression de PAX5 puisse être un mécanisme oncogénique dans ces cellules (Feldman et al., 2010). Il semble donc que l’expression ectopique ou pathologique d’un taux important de PAX5 puisse avoir un impact anti- ou pro-oncogénique selon les types cellulaires concernés. Bien que la surexpression de

PAX5 n’ait pas été rapportée dans les LAL-B, l’étude des mécanismes de prolifération et

d’apoptose dérégulés dans ce cas de figure pourrait mettre en évidence une implication de PAX5 dans l’homéostasie du compartiment B.

Nous avons vu dans nos travaux que près de la moitié des cas de réarrangements de

PAX5 l’associaient à des séquences codantes en sens inverse, hors du cadre de lecture, ou à

des séquences non-codantes. Cette observation soulève la question de la traduction ou non des protéines codées par ces gènes de fusion. Dans le cas des réarrangements avec des partenaires hors du cadre de lecture, la structure 3’ du gène de fusion est normale dans la mesure où elle contient les séquences d’épissage, de signal de polyadénylation et de terminaison de transcription. Cependant, l’occurrence d’un signal de terminaison (codon stop) précoce dans la séquence codante peut activer des mécanismes de surveillance de la cellule capables de dégrader les ARNm anormaux. Par rapport à l’existence de mécanismes de contrôle de la bonne structure des ARNm au sein des cellules (et en particulier du Non-Sense Mediated Decay), nous ne pouvons affirmer que les protéines tronquées codées par ces mutants vont être traduites. Concernant le mutant PAX5 tronqué utilisé dans nos études fonctionnelles, sa structure génomique chez les patients contient un site de polyadénylation et un signal de fin de transcription dans l’intron 5-6. Ceci devrait permettre également sa transcription et sa traduction correcte, d’autant plus que cette forme a été détectée de manière physiologique dans des lymphocytes B murins matures. Les autres mutants codant un PAX5 tronqué ont été amplifiés avec succès par PCR après transcription inverse à l’aide d’une amorce oligo-dT. La présence d’une queue polyA dans leurs transcrits et l’épissage correct des introns révèlent qu’ils sont normalement maturés par la cellule. Il est probable que certains de ces mutants

cadre de lecture, il est concevable que les mutants tronqués de PAX5 aient des propriétés similaires quels que soient les gènes partenaires impliqués. Ils pourraient cependant présenter des variations d’impact en fonction des points de cassure dans PAX5. Par ailleurs, la perte d’hétérozygotie des gènes partenaires conséquente à ces remaniements chromosomiques pourrait constituer un événement pro-oncogénique en soi et participer ainsi à la leucémogenèse.

L’expression de PAX5 est normalement restreinte à certains tissus mais sa réexpression a été fréquemment observée dans différents cancers non-hématologiques. Différentes études sont à considérer avec précaution dans la mesure où l’anticorps utilisé ne permet pas de distinguer PAX2 et PAX5 qui sont structurellement très proches (Morgenstern et al., 2010). Cependant, des études moléculaires et fonctionnelles ont permis de l’associer avec certitude à plusieurs cancers. Il apparaît avoir un rôle suppresseur de tumeur par sa capacité à activer la voie de signalisation pro-apoptotiques dépendante de p53 dans des carcinomes hépatiques (Liu et al., 2010). Un rôle de contrôle de la prolifération lui a aussi été attribué dans certains cancers du sein. En effet, des expériences in vitro et in vivo ont permis de montrer que sa surexpression a des effets anti-prolifératif et proapoptotique dans ces cellules (Vidal et al., 2010). Ces deux études vont dans le sens des hypothèses avancées dans cette thèse, dans la mesure où la surexpression de PAX5 est responsable de caractères anti- prolifératifs et de blocage de différenciation. Ce gène aurait donc un rôle comparable sur plusieurs types cellulaires différents, conformément à ce qui a été avancé par le groupe de Shaji Kumar (Balczarek et al., 1997). L’expression de PAX5 a également été associé à des tumeurs d’origines neurales comme les neuroblastomes ou les cancers du poumon à petites cellules (Baumann Kubetzko et al., 2004). Contrairement aux autres études où il a un rôle inhibiteur sur la prolifération, les auteurs ont montré que son expression augmentait le potentiel de prolifération des cellules de ces types de cancer. Il a été proposé que ces fonctions soient conséquentes à l’activation de la transcription du récepteur à activité tyrosine-kinase c- Met (Kanteti et al., 2009), mécanisme associé à l’augmentation de la prolifération (Maulik et al., 2002). Sa surexpression reste cependant associée à un blocage de différenciation dans ces cancers.

En conclusion, nos travaux ont permis de mettre en évidence des profils caryotypiques particuliers associés à la délétion ou aux remaniements de PAX5. Ces descriptions soulignent le caractère initiateur des fusions de PAX5 dans l’oncogenèse et font apparaître les délétions

d’un allèle de PAX5 comme un événement secondaire. Par l’utilisation de techniques de biologie moléculaire innovantes, nous avons identifié cinq nouvelles mutations conséquentes à un remaniement interne du locus de PAX5. Nous avons ainsi mis en relief l’hétérogénéité des fonctions et des structures de ses partenaires de fusion. Les analyses fonctionnelles préliminaires menées sur certains de ces mutants nous ont révélé qu’ils n’avaient pas des impacts oncogéniques équivalents. Nos observations suggèrent fortement que le gène fusionné à PAX5 joue un rôle dans la détermination des paramètres leucémiques. Les expériences de transduction des lymphocytes pré-B avec PAX5 nous ont également montré que son excès de dosage avait un impact négatif sur la prolifération et la survie cellulaire. Enfin, la réacquisition du marqueur précoce c-Kit à long terme dans les cellules transduites avec PAX5 tronqué peut indiquer l’existence d’un effet seuil inhibiteur du mutant sur l’activité de PAX5 sauvage. Une inhibition suffisante de PAX5 pourrait ainsi compromettre la poursuite, voire le maintient de l’identité B. Les études présentées ici méritent d’être poursuivie afin d’être validées statistiquement dans leur totalité. Elles pourront ainsi servir de base pour la caractérisation plus fine des mécanismes impliqués dans les phénotypes observés. Nos résultats et ceux des études de PAX5-ETV6 et de PAX5-PML montrent que des analyses fonctionnelles de plusieurs chimères de PAX5 devront être conduites. Ces travaux donneront une vision globale des événements oncogéniques associés aux LAL-B présentant un remaniement de PAX5, et plus largement, pourront définir différentes voies d’oncogenèse activées dans ces pathologies. L’identification de nouveaux partenaires de fusion permettra d’entreprendre leur caractérisation fonctionnelle et éventuellement d’associer des gènes de fonction inconnue à des propriétés liées à la leucémogenèse.