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Mécanismes à l’origine de la ferroélectricité

Dans les ferroélectriques propres, différents mécanismes peuvent être à l’orgine de la fer-roélectricité. On distingue en particulier la ferroélectricité d’origine électronique (provenant par exemple de paires électroniques isolées ou de l’apparition d’un ordre de charge) de la ferroélectricté d’origine géométrique [Khomskii, 2006]. Dans les composés multiferroïques qui sont des ferroélectriques propres, la température de transition ferroélectrique est, en général, bien au dessus de la température de transition magnétique [?].

Il existe également une ferroélectricité d’origine magnétique, il s’agit dans ce cas de ferroélectriques impropres qui correspondent à des multiferroïques de type II. Ce cas sera traité dans la section 1.3.

1.2.1 Problème d

0

versus d

n

La classe des pérovskites compte de nombreux composés ferroélectriques dont certains, comme le titanate de Baryum (BaTiO3) présentent des polarisations très importantes. La polarisation ferroélectrique provient du déplacement des cations métalliques de transition qui viennent former une liaison covalente avec l’un des oxygènes formant l’octaèdre de la maille pérovskite : l’un des deux électrons de valence de l’atome d’oxygène vient occuper virtuellement un niveau vide de la couche d de l’ion métal de transition. Il est donc nécessaire pour voir apparaître ce type de ferroélectricité que le matériau possède des ions dont la couche d soit vide, d’où l’appellation d0.

Notons que la rareté des pérovskites multiferroïques magnéto-électriques s’explique par le fait que l’apparition de l’ordre magnétique nécessite des ions métaux de transition dont la couche d est partiellement remplie. Ce paradoxe apparent entre une couche d partiellement pleine pour le magnétisme et une couche d vide pour l’apparition de la ferroélectricité par distorsion non-centrosymétrique est connu sous le nom "d0 versus dn" [Hill, 2000].

d0

dn

O

2-Figure 1.9 – Structure multiferroïque de type pérovskite (ABO3) dans laquelle la polari-sation ferroélectrique provient d’un décalage du cation d0 (en rouge) vers un oxygène avec lequel se crée une liaison covalente. Les ions magnétiques (dn) sont représentés en bleu.

Pour lever cette incompatibilité intrinsèque et réussir à combiner des ordres magnétique et ferroélectrique, certains matériaux possèdent à la fois des ions "d0" et "dn" : un ion

possédant un niveau d0 est stable au centre d’un octaèdre d’oxygène et coexiste dans la maille cristalline avec des ions dn. Le décalage de l’ion d0 du centre de l’octaèdre pour former une liaison covalente induit une polarisation spontanée qui peut cohabiter avec un ordre magnétique porté par les ions dn (Figure 1.9).

1.2.2 Ferroélectricité induite par des paires isolées

Certaines espèces chimiques forment des cations qui possèdent des paires isolées d’élec-trons de valence sur les couches 5s ou 6s, très polarisables et favorisant une brisure de symétrie d’inversion locale [Picozzi, 2009].

Les ions Bi3+ et Pb3+ présents dans certaines pérovskites (BiFeO3, PbTiO3, BiMnO3 ou PbVO3 par exemple) possèdent deux électrons de valence de la couche 6s ne participant pas aux liaisons chimique et formant une paire isolée [Cohen, 1992]. D’un point de vue microscopique, on peut expliquer l’apparition de la ferroélectricité par l’alignement de ces paires isolées hautement polarisables dans une direction du cristal (Figure 1.10).

A

B

O

Figure 1.10 – Ferroélectricité provenant de paires électroniques isolées : l’ion A (en rouge) possède un doublet non liant s’alignant dans une direction et créant une polarisation élec-trique.

De la même manière que précédemment, la ferroélectricité et le magnétisme ne sont pas dûs aux mêmes ions : la première provient du cation situé aux sites A de la structure pérovskite (ABO3) et qui possède cette paire électronique non liante tandis que le magnétisme provient des cations situés aux sites B de la structure pérovskite (Fe3+, Mn3+, Ti3+ ou V3+

dans les exemples précédents).

1.2.3 Ferroélectricité induite par ordre de charge

Dans certains composés, les ions métalliques de transition d’une même espèce chimique peuvent être présents avec des valences différentes, comme par exemple dans Fe3O4 [Miya-moto, 1994] et LuFe2O4[Ikeda, 2000] qui contiennent simultanément des ions ferriques (Fe3+) et ferreux (Fe2+) ou dans (PrCa)MnO3 où les ions manganèses sont présents sous leur forme

Mn3+ et Mn4+[Jardón, 1999]. Les sites contenant ces valences différentes portent des charges différentes et peuvent former des liaisons inéquivalentes qui donnent naissance à la ferroélec-tricité [?].

+ - + - + - +

+ - + - +

-+ - + - + - +

a) b) c) d) neutral atomic chain site-centered charge order bond-centered charge order bond+charge- centered charge order ferroelectric polarisation

Figure 1.11 – Schématisation de l’apparition d’une polarisation ferroélectrique dûe à un ordre de charge à la fois centré sur les sites ioniques et sur les liaisons. D’après [?].

L’apparition d’une polarisation ferroélectrique du fait d’un ordre de charge peut être expliquée à l’aide de la représentation schématique d’une chaîne atomique unidimensionnelle comme en Figure 1.11. La Figure 1.11.a montre une chaîne atomique neutre où chaque site porte une charge équivalente. Une transition vers un ordre de charge où les sites portent des charges inéquivalentes (Fig. 1.11.b), comme c’est le cas lors d’ions de valences différentes, ne brise pas la symétrie d’inversion spatiale et ne donne lieu à aucun moment dipolaire net. Un autre type d’ordre de charge apparaît avec la dimérisation du réseau sous l’effet d’une distorsion (de type Jahn-Teller ou Peierls par exemple) : les sites restent équivalents, porteurs de charges égales mais les liaisons sont en revanche inéquivalentes et la chaîne alterne des liaisons faibles et fortes entre sites voisins (Fig. 1.11.c). Cette structure électronique est, là encore symétrique par inversion et ne crée par de polarisation électrique. En revanche, dans le cas d’un ordre de charge combinant à la fois des sites de charges inéquivalentes (degrés d’oxydation différents) et des liaisons inéquivalentes (distorsion structurale), comme montré en Figure 1.11.d, la symétrie d’inversion spatiale est brisée et une polarisation ferroélectrique spontanée peut apparaitre [Efremov, 2004].

Notons que la plupart des matériaux multiferroïques dans lesquels la ferroélectricité est induite par un ordre de charge sont des composés type I (pour lesquels le magnétisme et la ferroélectricité apparaissant à des températures de transition différentes). Cependant, certains composés de type II, comme les manganites de terre-rare complexes du type RMn2O5 [Hur, 2004] ou comme CaMn7O12(Cf. Chapitre 7) présentent des ordres ferroélectriques dûs

à une onde de densité de charge qui apparaissent en même temps qu’un ordre magnétique non-colinéaire.

1.2.4 Ferroélectricité d’origine géométrique

La ferroélectricité d’origine géométrique est, comme son nom l’indique, induite par des déplacements géométriques de plusieurs ions au sein de la structure cristalline.

C’est par exemple le cas dans certaines manganites de terre-rare, comme YMnO3, dans lesquelles la ferroélectricité provient du basculement des blocs bipyramides MnO5, comme schématisé en Figure 1.12. Les ions oxygènes du double tétraèdre se retrouvent alors à des distances inéquivalentes des ions terre-rare et les liasons R-O forment trois dipôles électriques par maille dont deux sont dirigées dans un sens et la troisième dans le sens opposé, ce qui brise la symétrie d’inversion et permet l’émergence de la polarisation ferroélectrique [Van Aken, 2004].

TC

R

Mn

O

Figure 1.12 – Exemple de ferroélectricité d’origine géométrique dans h-RMnO3 : le bas-culement de la bipyramide tétraédrique MnO5 génère l’apparition de dipôles R-O (flèches vertes) et induit une polarisation électrique macroscopique.

La ferroélectricité d’origine géométrique est souvent issue d’une transition structurale. Il s’agit donc souvent d’une ferroélectricité impropre dont le paramètre d’ordre principal est celui de la transition du réseau cristallin. En revanche, les composés présentant ce type de ferroélectricité impropre sont généralement des matériaux multiferroïques de type I dans lesquels l’ordre magnétique apparaît à une température différente et en général plus basse11.

11. On voit donc ici que, bien qu’un multiferroïque de type II soit nécessairement un ferroélectrique impropre où la ferroélectricité est d’orgine magnétique, la classification des multiferroïques (type I et type II) ne coïncide pas nécessairement avec le type de ferroélectricité qui y apparaît (propre ou impropre).

1.3 Ferroélectricité impropre d’origine magnétique et